Lettre d'information de l'ENCCRE n°17
Édition Numérique Collaborative et CRitique
de l'Encyclopédie (1751-1772)
Cette lettre d'information printanière vient avec l'annonce de deux journées d'études prévues les 12 et 13 juin prochains à Paris afin de faire un point d'étape sur le domaine de la géographie dans l'Encyclopédie. Elle nous permet aussi de revenir sur la dernière séance du séminaire de l'ENCCRE, ce vendredi 16 mai, qui aura permis de croiser les retours d'expérience de plusieurs usages pédagogiques de l'ENCCRE dans l'enseignement supérieur.
Cette lettre vient aussi avec son lot de nouvelles publications, à commencer par la mise en ligne d'une pièce maîtresse de la documentation sur le Recueil de planches de l'Encyclopédie : les pièces et documents relatifs à l'affaire Patte, réunis dans une nouvelle rubrique dédiée de l'édition.
De nouveaux articles annotés et dossiers ont également paru ces deux derniers mois : sur le sommeil, la mélancolie, l'orchésographie, le métier de pilote dans la marine, sur quelques désignants multiples insolites, et sur la peste dans l'Encyclopédie.
Plusieurs de ces articles et dossiers ont été conçus dans le cadre des mélanges offerts à Marie Leca-Tsiomis, professeure émérite à l'Université de Paris Nanterre, grande diderotiste et spécialiste de l'Encyclopédie, membre fondatrice de l'ENCCRE. Réalisés en lien étroit avec l'édition, ces mélanges se présentent à la fois sous la forme d'un site, Les mots de Diderot, et d'un riche bouquet d'hommages et de contributions dédiées, pour la plupart, aux articles de l'Encyclopédie récemment attribués à Diderot par ses soins. C'est à la fois l'occasion pour l'ENCCRE de rappeler ce qu'elle doit à Marie Leca-Tsiomis, de fêter la mise en ligne des mélanges qui viennent de lui être offerts, et de mettre à l'honneur la fécondité d'une approche privilégiant le plaisir de l'écoute des mots, de leur portée et de leur valeur.
Bonne lecture !
Les derniers articles annotés
Article SOMMEIL (Physiolog.)
présenté et annoté par Thibault Debail
Publié dans le volume XV (1765), l’article fait partie d’un ensemble qui comprend aussi SOMME, SOMMEIL, (Gram. & Synonym.) et Sommeil (Mythol.). Jaucourt et ses secrétaires traitent le thème du sommeil dans ses dimensions lexicale, mythologique et physiologique, cette dernière donnant lieu à l’article le plus long, le seul qui sera réécrit dans les suites de l’Encyclopédie. Issu d’un ample couper-coller, l’article n'est pourtant pas de pure compilation. Il résulte en réalité d’un travail subtil, informé par un demi-siècle de débats savants et de polémiques autour de l'épineuse question médicale du sommeil.
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Article Melancholie (Médecine)
présenté et annoté par Lucien Derainne
Faisant suite à deux articles sur la mélancolie comprise comme un sentiment, cet article l'aborde cette fois-ci comme une maladie, affectant à la fois le moral et le physique de ceux qui en sont atteints. Contrairement à d'autres articles de médecine de l'Encyclopédie, Melancholie n'expose pas de thèses particulièrement originales pour son temps. La notice ne se contente toutefois pas non plus de simplement reconduire une tradition ancienne. Article de dictionnaire dans le meilleur sens du terme, le texte compile des sources existantes en les mettant à jour et en les réinterprétant.
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Article ORCHÉSOGRAPHE (Gramm.)
présenté et annoté par Marie Demeilliez
L'article ORCHÉSOGRAPHE, non signé, mais attribué par Marie Leca-Tsiomis à Diderot, est l'un des rares articles de sa plume consacré au vocabulaire de la danse. Le terme, fautif (il manque un i à ce qui devrait être orthographié Orchésographie), est étonnamment associé au seul domaine de la grammaire, sans être mis en relation avec les nombreux articles de danse de l'Encyclopédie. La présence de cette entrée consacrée à un néologisme désuet témoigne à la fois du souci encyclopédique de transmettre les connaissances les plus complètes sur les mots de la langue française et de l'héritage du Dictionnaire de Trévoux.
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Les derniers dossiers publiés
Dossier
« Le métier de pilote (marine) dans l'Encyclopédie »
par Martine Acerra
Dépendant du domaine Marine, le choix initial de trois articles naturellement liés Pilote, (Marine.), Pilote hauturier, LAMANEUR, (Marine.), s'est avéré insuffisant et à compléter en l'élargissant à un ensemble de onze articles, constituant ainsi un réseau à la fois descriptif et explicatif d'un métier puissamment lié à l'art de la navigation. À l'étude, le pilote apparaît alors en filigrane comme l'homme précieux, indispensable, obligatoire du bord, autant par sa pratique que par ses connaissances scientifiques lui conférant une compétence hautement estimée. Ce dossier transversal a pour objectif de mettre en lumière l'arborescence tissée par ces articles qui définissent cette fonction et en expliquent nombre de déclinaisons sans pour autant renvoyer aux notions majeures de l'hydrographie et de la navigation auxquelles ils se rattachent pourtant.
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Dossier
« ‘‘... ou plutôt Grammaire” - De quelques cas particuliers où le désignant Grammaire en accompagne d'autres »
par Alain Cernuschi
Dans la famille pour le moins bigarrée des désignants encyclopédiques figurent ceux que l'ENCCRE a appelés les désignants multiples. Ils renvoient à plus d'un champ du savoir à travers des formules du type X & Y, comme (Archit. & Litt.) pour l'article THRONE. Dans ce groupe des désignants multiples se distingue un petit sous-ensemble intriguant qui, au lieu de la coordination standard marquée par l'esperluette, recourt à la formule corrective « ou plutôt » pour joindre deux termes : ARSIS, terme de Grammaire ou plûtôt de Prosodie, CACOPHONIE, terme de Grammaire ou plûtôt de Rhétorique, CONSONNANCE, terme de Grammaire ou plutôt de Rhetorique, INFIRMITÉ (Médecine) ou plutôt (Gram.) et Ratafiat (Chimie, Diete, ou plutôt Gramm.). Pourquoi « ou plutôt » ? Et qui le dit ? En portant sur ces cinq articles dont les désignants insolites se ressemblent, la présente micro-étude entr'ouvre aussi quelques dossiers autour de questions relatives à la manufacture de l'Encyclopédie et aux liaisons entre les connaissances.
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Dossier
« La peste dans l'Encyclopedie »
par François Renaud
L'Encyclopédie comporte trois articles concernant la peste : PESTE (Medécine.), Peste, (Hist. anc. & mod.) et Peste d'Orient, du VI. siecle, (Hist. de la Méd.). Le premier est un article purement médical et traite de la maladie en tant que telle : description, contamination, symptômes, prophylaxie, traitements. Cet article non signé est très certainement l'œuvre d'un médecin exerçant encore son art. Le second est un article historique (Histoire ancienne et moderne) écrit par le chevalier de Jaucourt, médecin historien érudit. Le troisième article traite de la peste d'Orient dite aussi « Peste de Justinien »
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Les actualités de l'ENCCRE
> Chronologie de l'affaire Patte. Pièces et documents
L'affaire Patte est un des grands tournants de l'histoire mouvementée de l'Encyclopédie. En novembre 1759, l'accusation anticipée formulée par l'architecte et graveur Pierre Patte d'un plagiat généralisé des planches du dictionnaire, dont aucune n'était pourtant encore parue, faillit sérieusement compromettre la poursuite du projet encyclopédique, fort ébranlé au mois de mars précédent par l'Arrêt du Conseil et l'interdiction. L'historiographie a souligné depuis longtemps l'importance de cette mise en cause mais sans en reconnaître toutes les implications. On a essentiellement cherché à apprécier la véracité de la dénonciation de Patte, ce en toute logique, mais sans toujours remarquer que l'affaire s'était conclue par un camouflet infligé par les autorités aux dénonciateurs trop pressés (Patte ainsi que Fréron qui avait accueilli dans son périodique le texte vindicatif de l'architecte) après que l'Académie des sciences eut officiellement pris parti pour les encyclopédistes, non sans déchirements internes, il est vrai. La recherche ne s'est en outre guère penchée sur les conséquences très profondes que l'affaire Patte a eu pour le Recueil des planches, entrainant tant une réorganisation générale qu'une amplification extraordinaire de son volume (2 tomes de planches étaient prévus en 1751, quatre en septembre 1759 juste avant le début de l'affaire, ce sera finalement onze qui paraitront).
Une bonne compréhension des enjeux et du déroulement de l'affaire Patte est nécessaire pour tout travail historique sur l'ensemble du Recueil de planches. De récentes recherches ont mis au jour de nouvelles pièces qui lui sont liées. Elles affinent notre connaissance sur nombre de points particuliers. L'une d'entre elles (l'État des planches dressé lors de la vérification du 16 janvier 1760) est d'un apport fondamental. Son existence même change la physionomie de cette histoire. On n'en connaissait jusque-là qu'une copie incomplète dont le statut restait tout à fait mal défini. Elle fournit un point de repère essentiel permettant de connaître avec une précision appréciable l'état d'avancement du travail sur les Arts et métiers à cet instant t. Pour une entreprise comme l'Encyclopédie qui se déploie sur pas moins de vingt-sept ans (1745-1772) mais dont on ne connaît qu'une part infime des archives, l'information est capitale.
Emmanuel Boussuge nous propose de revenir sur la chronologie de l'affaire Patte, afin de mieux saisir les enjeux essentiels de cet épisode de l'aventure de l'Encyclopédie pour les recherches sur les onze volumes de planches.
Consulter la « Chronologie de l'affaire Patte. Pièces et documents »
> Journées d'étude : « La géographie dans l'Encyclopédie : bilan d'étape » (12-13 juin 2025)
Les journées d'études se dérouleront en format hybride. Elles auront lieu sur le campus Jussieu de Sorbonne Université (4 place Jussieu. 75 005 Paris ; métro Jussieu), dans la salle 128 de l'Atrium. Si vous souhaitez les suivre en ligne, veuillez écrire à Huiyi Wu) pour l'inscription avant le lundi 9 juin 2025.
Jeudi 12 juin 2025 |
Extension et fonctions de la géographie dans l'Encyclopédie (9h-12h20)
Le Nouveau Monde (14h-17h20)
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Vendredi 13 juin 2025 |
Les confins de l'Europe et au-delà (9h-12h20)
La géographie comme science et comme politique (14h-17h20)
Bilan des journées (17h20-18h) |
Enseigner avec l'ENCCRE
> L'ENCCRE en action dans les enseignements à l'université
C'est un riche florilège de retours d'expériences et de témoignages que nous a offert la séance du séminaire du 16 mai 2025, dédiée aux usages pédagogiques de l'ENCCRE dans l'enseignement supérieur, organisée par Alain Bernard et Hugues Chabot.
Dans le domaine de la musicologie, tout d'abord : Marie Demeilliez (Université Grenoble Alpes) a présenté un travail d'initiation à la recherche engagé avec des étudiants en troisième année de licence de musicologie, mobilisés autour d'un travail d'édition critique de l'article SOLFIER, et invités à deux journées de rencontre scientifique organisées à Lyon (en décembre 2022) puis à Grenoble (septembre 2023). Thomas Soury (Université Lyon 2) a travaillé avec ses étudiants de master en Musique fondamentale et appliquée sur la formation du lexique musical (en s'appuyant sur l'Encyclopédie), avant de les lancer sur des ateliers pratiques d'annotation critique d'articles sur l'ENCCRE.
L'Encyclopédie et l'ENCCRE sont également des terrains fructueux d'initiation à la recherche en histoire des sciences et des techniques. Alexandre Guilbaud (Sorbonne Université) a partagé deux expériences : d'abord, un atelier de recherche intégré (3 ECTS) pour deux étudiantes en première année d'une double licence Sciences et Histoire, centré sur l'étude de la manufacture d'une planche d'histoire naturelle et de ses explications, ayant donné lieu à un mémoire et une soutenance. Ensuite, un mémoire de recherche encadré (6 ECTS), effectué dans le cadre d'une mineure interdisciplinaire en troisième année de licence scientifique ; un sujet y est proposé chaque année sur l'édition critique d'un article de l'Encyclopédie à choisir. Huit étudiantes et étudiants se sont essayés à l’exercice depuis presque dix ans ; certain(e)s ont rendu des mémoires de très bonne tenue ; trois d’entre eux se sont orientés vers l’histoire et la philosophie des sciences ou ont gardé un intérêt pour l’histoire des sciences et la médiation scientifique.
Hugues Chabot (Université Claude-Bernard Lyon 1) a présenté, pour sa part, deux cas d'usage dans ses enseignements. Celui d'un étudiant en troisième année de licence de physique qui, dans le cadre d'une UE de découverte en didactique et histoire des sciences, a travaillé sur l'article METHODE (Logique) de l'Encyclopédie, travaillant sur le fond mais aussi sur les renvois, la terminologie et le vocabulaire. Il a ensuite donné la parole à l'une de ses étudiantes du master LHPST, professeure agrégée de physique en lycée, qui prépare un mémoire centré sur l'histoire de la découverte et de la maîtrise de l'électricité, s'appuyant en partie sur l'Encyclopédie et l'ENCCRE. Son témoignage sur la prise en main et son parcours d'utilisatrice du site de l'ENCCRE viendra nourrir les réflexions de l'équipe pour faciliter son usage par un public enseignant et scolaire.
Enfin, Alain Bernard (Université Paris-Est Créteil) est venu détailler son projet de réalisation de vidéos pédagogiques en histoire des mathématiques, dans le cadre d'un master MEEF, qui présentent des scènes dialoguées entre novice et expert autour d'un objet mathématique présenté dans l'Encyclopédie (comme dans l'article ABAQUE, par exemple). Nous vous en parlions déjà dans le dernier numéro de notre lettre d'information. Il a poursuivi son intervention en donnant la parole d'un étudiant qu'il encadre au master Epistémologie et Histoire des sciences et des techniques du Centre François Viète de Nantes, et qui s'est engagé dans un mémoire sur la mesure des angles par les arcs. Ce travail, qui s'appuie également sur des collaborations dans un groupe de recherche IREM, donnera lieu à la rédaction d'un dossier critique pour l'ENCCRE.
Le constat final de cette séance va au-delà du constat de la pertinence et du potentiel de s'appuyer sur l'Encyclopédie - et de notre édition numérique collaborative et critique - pour proposer, dans l'enseignement supérieur, des ressources et scénarios pédagogiques à même d'engager des étudiants dans des activités d'initiation à la recherche ; il appelle à travailler collectivement pour faciliter et développer ces usages dans les universités, les collèges et les lycées, afin de co-construire avec les professeurs les ressources qui pourront être ensuite valorisées auprès des publics enseignants. En attendant, nous vous invitons à consulter la page Enseignement et recherche sur l'Encyclopédie du site de l'ENCCRE, dans laquelle vous trouverez d'autres témoignages et sources d'inspiration.
Une planche en lumière
Tailleur d'habits et tailleur de corps
(Encyclopédie, Planches t. IX, 1771, Planche I, extrait)
[Consulter la planche et son explication]
Autour de l'Encyclopédie
> Les mots de Diderot, mélanges offerts à Marie Leca-Tsiomis
Sous la forme d'un site, Les mots de Diderot recueille un ensemble d'études portant principalement sur des articles de l'Encyclopédie rédigés par Diderot, mais qui se présentent dans les volumes comme anonymes. Ces attributions à Diderot, pour les plus nombreuses d'entre elles, sont récentes : elles constituent une contribution majeure à la compréhension de la manufacture de l'Encyclopédie. On les doit au travail de Marie Leca-Tsiomis, professeure émérite à l'Université de Paris Nanterre, diderotiste et grande spécialiste de l'Encyclopédie, membre fondatrice de l'ENCCRE (à laquelle renvoient systématiquement les mentions de la nomenclature de l'Encyclopédie dans les contributions).
Ces études se veulent un hommage à son travail inlassable pour restituer à Diderot une part essentielle de son activité : celle qui tient à l'attention, à la fois scrupuleuse, anxieuse et gourmande, à la vie des mots dans leurs acceptions les plus étendues, couvrant tous les registres, du plus technique au plus courant. Cette intimité avec les mots chez Diderot, dans ce qu'ils ont à nous révéler de nos activités et de nos évolutions, de nos pensées et de nos sentiments, s'exprime par un jeu permanent de provocation avec le lexique reçu et les « autorités » qui le prennent en charge. Si Diderot est le grand polygraphe des Lumières, il le doit sans doute à la conscience profondément ancrée de la variété et de la précarité des formes de langage – conscience tout à la fois vertigineuse et exaltante, philosophique et sensuelle. Cette passion des mots chez Diderot, nul doute que Marie Leca-Tsiomis est parvenue à nous la faire partager – les collègues et amis qui ont écrit ici en témoignent, chacun à sa façon. Mais nul doute non plus qu'elle révèle, chez Marie Leca-Tsiomis, une affinité véritablement sentie et même éprouvée avec son objet d'étude : c'est qu'il n'y a pas de plus grande jouissance intellectuelle que de restituer aux mots du discours leur puissance de suggestion.
Sans exhaustivité ni protocole, on trouvera donc sur ce site une liste de mots de Diderot et de déclarations à Marie Leca-Tsiomis qui visent à prouver la fécondité d'une approche privilégiant le plaisir de l'écoute des mots, de leur portée et de leur valeur. La parole de chercheuse de Marie Leca-Tsiomis a suscité nombre d'amitiés intellectuelles qui ont composé un bouquet d'hommages, sous des formes diverses, dont seule une publication numérique pouvait rendre compte. Nous sommes heureux de pouvoir les donner à savourer à un public plus large. Porte d'entrée dérobée à l'anonymat, le site ouvre sur une navigation plus savante pour qui le veut, en invitant à explorer l'univers de l'Encyclopédie.
Pour nous contacter, écrire à enccre@gmail.com