Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?


Page de titre du premier tome
de l’Encyclopédie (1751)

En 1751 paraît le premier tome de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, dont Diderot a défini les enjeux en quelques lignes à juste titre mémorables :

Le but d’une Encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre, d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos neveux, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain.
(article ENCYCLOPEDIE)

Il ne devait s’agir à l’origine, en 1745, que d’une simple entreprise commerciale de traduction d’un ouvrage anglais à succès, la Cyclopædia d’Ephraim Chambers, parue à Londres en 1728. En 1747, Diderot (1713-1784) et D’Alembert (1717-1783), de réputation encore assez modeste mais d’une ampleur intellectuelle rare, sont chargés de cette édition. Et entre leurs mains tout va changer ! Le Prospectus de l’Encyclopédie, diffusé en 1750, indique la formidable ambition des éditeurs :

Faisons donc pour les siècles à venir ce que nous regrettons que les siècles passés n’aient pas fait pour le nôtre. Nous osons dire que si les anciens eussent exécuté une Encyclopédie comme ils ont exécuté tant de grandes choses, et que ce manuscrit se fût échappé seul de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie, il eût été capable de nous consoler de la perte des autres.

Si l’ouvrage anglais tenait en 2 volumes, l’ouvrage français, à travers un processus éditorial complexe, atteindra 28 volumes in-folio (c’est-à-dire de grand format) : 17 volumes d’articles et 11 d’illustrations commentées, les planches.

L’Encyclopédie contient environ 74 000 articles qui furent rédigés pour la plupart au fur et à mesure de l’ordre alphabétique. Éditée par souscription, elle fut distribuée à raison d’un volume par an, tant que sa publication fut autorisée. L’Encyclopédie, diffusée à 4 000 exemplaires, fut la plus grande entreprise éditoriale du xviiie siècle, tant en volume et en capital investi qu’en force humaine employée. Elle connut un vif succès dont témoignent ses multiples contrefaçons et rééditions plus ou moins pirates en France et en Europe.

Si l’accomplissement de « cet ouvrage immense et immortel », pour citer Voltaire, marque avant tout l’ampleur des vues et l’énergie intellectuelle de ses concepteurs, sa publication souleva bourrasques et tempêtes et fut par deux fois interdite.

I. L’Encyclopédie : entre héritages et innovations

1. Les héritages

Pour mieux percevoir quelles en furent les innovations, il faut d’abord situer l’Encyclopédie dans son histoire, c’est-à-dire dans celle des recueils de savoirs qui lui sont antérieurs. Le souci de transmettre et de classer les connaissances humaines remonte à l’Antiquité, traverse le Moyen Age, la Renaissance (le mot « encyclopédie » apparaît dans Rabelais), renouvelé par l’essor de l’imprimerie. De nombreux ouvrages d’histoire naturelle, mais aussi des encyclopédies en latin voient le jour, notamment l’Encyclopaedia d’Alstedius en 1630. Il faut également relever, en France en particulier, les enquêtes et les traités techniques concernant les différents métiers, réalisés sous Louis XIV à l’instigation de Colbert, et avec la création des Académies, l’apparition des vastes recueils de travaux collectifs, les Mémoires académiques. Proches et féconds, aussi, dans leur esprit, les projets et les réflexions de Locke et Leibniz, que les encyclopédistes ont lus et médités ; mais sans doute, en amont, est-ce à la pensée de Bacon, que l’Encyclopédie doit le plus. Diderot a rendu plusieurs fois hommage (dans le Prospectus , dans l’article ART) à celui qui fut le fondateur des sciences expérimentales modernes: unité et enchaînement des connaissances, confiance en l’observation et en l’expérimentation, croyance au développement des sciences au profit de l’humanité, reconnaissance de l’importance à accorder aux arts mécaniques et aux découvertes, défiance, enfin, ou d’abord, à l’égard du surnaturel, des préjugés et des dogmes religieux, de là procède en large part l’esprit de l’Encyclopédie ; et, on l’a dit, le « Système figuré des connaissances humaines » qui indique ce que pourrait être la structure épistémologique de l’ouvrage est, renouvelé, celui du Chancelier Bacon.

L’âge d’or des dictionnaires

Cependant d’autres héritages apparaissent également : d’abord celui de la Cyclopaedia de Chambers, (publié à Londres en 1728, augmentée en 1743) dont l’Encyclopédie ne devait être que la traduction et dont on retrouve effectivement de nombreux articles dans l’ouvrage français ; on aperçoit, toutefois, en lisant le Prospectus ou l’article Encyclopédie quelles furent les limites de l’apport de Chambers. En fait, il est nécessaire de situer la Cyclopaedia et l’Encyclopédie elle-même dans un parcours plus large qui est celui du développement et de la prolifération des dictionnaires à l’âge classique : citons le Dictionnaire historique de Moréri, le Dictionnaire historique et critique de Bayle, le Dictionnaire œconomique de Chomel, le Dictionnaire universel du commerce de Savary-Desbrulons,celui de Médecine de James, parmi tant d’autres. Sans oublier le pur dictionnaire de langue que fut le Dictionnaire de l’Académie publié en 1694.

Les dictionnaires universels

Mais une place particulière est à réserver à une forme alors neuve de recueils alphabétiques de savoirs, les « Dictionnaires universels ». Les Dictionnaires universels, en effet, composèrent alors un genre en pleine expansion, dont l’origine fut le Dictionnaire Universel contenant généralement tous les mots français et les termes de toutes les sciences et des arts [...], en trois volumes, d’Antoine Furetière, qui parut en 1690, en Hollande. Pour la première fois dans l’histoire du français et dans l’histoire qui était alors très récente des dictionnaires monolingues, un recueil alphabétique visait à la fois l’universalité de l’idiome et le savoir sur les choses. La continuation du Dictionnaire de Furetière produisit la grande série des Dictionnaires universels de Trévoux, d’obédience jésuite. Très vaste répertoire à la fois des mots de la langue courante et des termes techniques, le Dictionnaire universel de Trévoux fut mis à contribution par Chambers, puis par les encyclopédistes eux–mêmes, pour lesquels il constitua non seulement une source d’informations mais aussi un véritable instrument de travail. La nomenclature de l’Encyclopédie, en particulier, c’est-à-dire la liste des mots à définir provient, moyennant des tris, des exclusions et des apports originaux, de celle des éditions du Trévoux de 1743 puis 1752.

2. Les innovations encyclopédiques

En regard de ces recueils antérieurs, dictionnaires ou encyclopédies, les traits parfaitement novateurs de l’Encyclopédie se marquent essentiellement sur quatre plans.

Des savoirs vivants

Elle est d’abord une entreprise collective qui, à l’opposé des corps académiques, fait appel aux “talents épars”. Les auteurs antérieurs, d’Alstedius à Furetière, ou du père Souciet, du Dictionnaire de Trévoux, à Chambers, avaient été essentiellement des solitaires qui recueillaient, copiaient, rapportaient des savoirs hétérogènes, produits de la seconde main. L’Encyclopédie, elle, a recours directement aux savants, c’est-à-dire aux savoirs vivants et non plus, comme ses prédécesseurs, à la seule compilation livresque. Dans l’article Encyclopédie, Diderot écrit :

Quand on vient à considérer la matiere immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on apperçoive distinctement, c’est que ce ne peut être l’ouvrage d’un seul homme. [...] qui est-ce qui définira exactement le mot conjugué, si ce n’est un géometre ? le mot conjugaison, si ce n’est un grammairien ? [...] le mot hypostase, si ce n’est un théologien ? le mot métaphysique, si ce n’est un philosophe ?

Ainsi, D’Alembert est responsable de la partie Mathématiques ; Daubenton s’occupe de l’histoire naturelle ; Bordeu, Tronchin, grands praticiens, de la médecine ; J.-J. Rousseau, de la musique ; Blondel, de l’architecture ; Marmontel, de la littérature ; Dumarsais, Beauzée, de la grammaire générale ; d’Holbach, de la minéralogie ; Boucher d’Argis, avocat, de la jurisprudence ; Voltaire, de l’histoire et des Lettres. Un nom prestigieux comme celui de Montesquieu est également attaché à l’entreprise, même si l’auteur de l’Esprit des Lois ne put offrir à l’Encyclopédie qu’un fragment, mais superbe, intégré dans l’article « Goût ». Parmi les collaborateurs, figurent également Turgot, Morellet, La Condamine, Saint-Lambert, Quesnay, D’Amilaville, le comte de Tressan, et tant d’autres, sans compter les artisans ou artistes demeurés anonymes. On a pu dénombrer autour de cent soixante noms, et d’autres découvertes restent sans doute à faire. Ces collaborateurs, techniciens ou praticiens, issus pour la plupart de la bourgeoisie d’Ancien Régime étaient tous liés à l’activité productive de leur temps.

La Description des arts et des métiers

L’Encyclopédie intègre ce qu’on appelait les « arts mécaniques » dans le cercle des connaissances, réhabilitant ces arts de la main, en les considérant « comme la branche la plus importante de la vraie Philosophie ». Cette description des arts et des métiers, impulsée par Diderot, unit l’inventaire des procédés de fabrication, des inventions techniques à la divulgation des secrets de fabrique. Loin de se limiter à un glossaire de termes techniques, elle inclut une collection sans précédent de définitions et de descriptions des procédés et des manœuvres du travail.

Un formidable recueil de planches


Sur les pages de titre des planches,
le mot « encyclopédie » disparaît
et les armes royales apparaissent.

Réalisés sous la direction de Diderot, les onze volumes du Recueil de planches, sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques, avec leurs explications paraissent entre 1762 et 1772. Ils comptent parmi les plus belles réalisations du dessin et de la gravure au xviiie siècle. L’ensemble recouvre plus de trois cents domaines (chacun d’entre eux pouvant correspondre à une science, à un art ou à un métier) illustrés par un total de 2 579 planches constituant le relais indispensable à la description des métiers : « un coup d’œil sur l’objet ou sur sa représentation en dit plus qu’une page de discours », souligne Diderot dans le Prospectus.

Chaque volume réunit un certain nombre de domaines à la fois décrits et illustrés, certains succinctement en une ou deux planches, d’autres de façon beaucoup plus développée. Le volume I traite ainsi principalement de l’agriculture et de l’économie rustique, de l’anatomie, de l’architecture et de l’art militaire ; le volume V renferme tout ce qui concerne les sciences mathématiques, mais aussi la fonte et la gravure ; le volume VII illustre l’imprimerie, tout ce qui concerne le cheval (manège, équitation, maréchal ferrant, etc.), la marine, la musique et la menuiserie ; le volume X contient les planches du théâtre et de ses machines, etc. Il aura fallu un volume entier (le VIe) pour traiter le vaste domaine de l’histoire naturelle, incluant la minéralogie et la métallurgie, et un autre volume complet (le onzième et dernier) pour aborder celui tout aussi vaste de la fabrication des textiles (tisserand, passementerie, manufacture de la soie, etc.).

Un dictionnaire « raisonné »

Elle est un dictionnaire, certes, mais « raisonné ». Un choix raisonné procède à l’établissement de sa nomenclature. Par ailleurs, l’ordre encyclopédique, le « système figuré des connaissances humaines », placé en tête de l’ouvrage, fonde l’entendement sur les trois facultés que sont la mémoire, la raison et l’imagination, aux multiples ramifications : à chaque article est, en principe du moins, mentionnée la « branche » du savoir (la science ou l’art) dont il relève. Cela permet d’obvier à l’arbitraire de l’ordre alphabétique par une lisibilité transversale, renforcée par un important système de renvois entre articles.

Mais ces quatre innovations fondamentales n’épuisent pas la définition de l’Encyclopédie. Au-delà encore de ces traits profondément novateurs, ce qui caractérise l’ouvrage est d’avoir été un recueil critique.

L’esprit des Lumières

L’Encyclopédie est avant tout en effet une critique des savoirs, dans leur élaboration, leur transmission et leur représentation, critique aussi du langage, dans ses préjugés véhiculés par l’usage, des interdits de pensée, critique de l’autorité surtout, et du dogme. Et de cette œuvre, à laquelle sceptiques, huguenots, athées, voire catholiques abbés ont collaboré, jaillit une véritable polyphonie.

En ce début de xxie siècle, l’Encyclopédie, malgré son âge vénérable et tant de révolutions dans les connaissances, nous apparaît pourtant étrangement contemporaine : en effet, si aujourd’hui la voici numérisée et dûment informatisée, il y a plus de deux siècles qu’elle a mis en place ce que nous appelons un parcours interactif, grâce au jeu incessant des renvois, dont nos liens hypertextes sont l’avatar électronique. Contemporaine aussi, elle l’est dans sa volonté de questionner, de classifier et en même temps de décloisonner les savoirs. Disons plus : par bien des aspects, l’Encyclopédie est en avance sur notre temps, notamment par sa capacité à rendre, en une langue limpide, les savoirs accessibles à tous ceux qui les cherchent, et surtout par son projet didactique auquel seul donne sens et contenu le souci du « genre humain » et de son avenir.

Indications bibliographiques

Douglas H. Gordon et Norman L. Torrey, The Censoring of Diderot’s Encyclopédie and the re-established text, New York, Columbia University Press, 1947.

Pierre Grosclaude, Malesherbes témoin et interprète de son temps, Paris, Fischbacher, 1961.

John Lough, The Encyclopédie, London, 1971.

John N. Pappas, Berthier’s Journal de Trévoux and the philosophes, SVEC, 3, Oxford, Voltaire Foundation, 1957.

Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie (1962), Paris, Albin Michel, 1995.

Arthur M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, trad. de l’anglais par G. Chahine, A. Lorenceau, A. Villelaur (1985), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2014.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 23 décembre 2014

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « L’Encyclopédie : entre héritages et innovations », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

II. Chronologie succincte

III. Son organisation matérielle

L'organisation des volumes de discours

La façon dont se présentent les volumes d’articles mérite l’attention, tant elle est rythmée, elle aussi, par les aléas de la publication. Il convient de distinguer, ici comme ailleurs, entre les volumes autorisés, soit de I à VII et les volumes interdits, parus sous le manteau, de VIII à XVII.

Les volumes de I à VII offrent un paratexte important, voire imposant, et qui comporte le plus souvent trois éléments au moins : une préface, diversement nommée, une liste des auteurs, des corrections ou Errata ; à ces éléments peuvent s’ajouter diverses autres pièces comme dédicace ou éloges, comme on va le voir.

Nous détaillons ci-après le contenu de chaque volume.

Volume I

Ce premier volume, publié en juin 1751 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463), est celui qui offre le paratexte le plus riche.

Signalons de prime abord que le « Frontispice de l’Encyclopédie » (1764 pour le dessin et 1772 pour sa gravure), ainsi que son « Explication », furent ajoutés tardivement aux exemplaires déjà distribués, comme c’est le cas dans l’exemplaire 1 de la Mazarine, sur lequel repose cette édition. Absents de très nombreux autres exemplaires, ils ne seront donc pas commentés ici.

À la page de faux titre succède celle du titre, qui comporte le titre et le sous-titre, les noms et titres des éditeurs, puis une épigraphe :

Tantum series juncturaque pollet,
Tantum de medio sumptis accedit honoris !
Horat. Art. poet.

Cette épigraphe, lue seule, est quelque peu énigmatique, mais elle prend tout son sens replacée dans le Prospectus d’où elle provient. Diderot y écrivait en effet :

En reduisant sous la forme de Dictionnaire tout ce qui concerne les Sciences & les Arts, il s’agissoit encore de faire sentir les secours mutuels qu’ils se prêtent ; d’user de ces secours pour en rendre les principes plus sûrs & leurs conséquences plus claires ; d’indiquer les liaisons éloignées ou prochaines des êtres qui composent la Nature, & qui ont occupé les hommes ; de montrer par l’entrelacement des racines & par celui des branches, l’impossibilité de bien connoître quelques parties de ce tout, sans remonter ou descendre à beaucoup d’autres ; de former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres & dans tous les siecles ; de présenter ces objets avec clarté ; de donner à chacun d’eux l’étendue convenable ; & de vérifier, s’il étoit possible, notre Épigraphe par notre succès :
Tantum series juncturaque pollet,
Tantum de medio sumptis accedit honoris !

Horat. Arte. poet.

Ce distique d’Horace, que l’abbé Batteux, à l’époque, traduisait par : « Tant la suite et la liaison ont de force pour relever ce qu’il y a de plus commun », a été plus récemment traduit, de façon mieux appropriée, par : « tant a d'importance le choix et l'arrangement des termes, tant peuvent prendre d'éclat des expressions empruntées au vocabulaire ordinaire ». (Fr. Richard, Paris, Garnier, 1944)

Figure ensuite la dédicace des deux éditeurs au comte d’Argenson, qui était le directeur de la librairie avant Malesherbes. C’est le comte d’Argenson qui avait donné l’ordre de faire emprisonner Diderot à Vincennes (lettre de cachet du 23 juillet 1750) ; c’est à lui également que furent adressés les placets des libraires associés plaidant pour la libération de Diderot, indispensable à la poursuite de l’entreprise encyclopédique. Fut-ce donc sans ironie que les deux éditeurs écrivirent dans leur dédicace à d’Argenson :

Les siecles futurs, si notre Encyclopédie a le bonheur d’y parvenir, parleront avec éloge de la protection que Vous lui avez accordée dès sa naissance, moins sans doute pour ce qu’elle est aujourd’hui, qu’en faveur de ce qu’elle peut devenir un jour.

Dans la suite du volume, on trouve : le « Discours préliminaire des éditeurs », paginé de i à xlv, immense préface de l’ouvrage, dont D’Alembert s’est dit auteur et qui s’achève par la reprise partielle du Prospectus paru en 1750 / l’Avertissement qui, dans ce volume indique les marques des auteurs / l’« Explication détaillée du Système des connaissances humaines », début / le Système lui-même / l’« Explication détaillée du Système des connaissances humaines », suite et fin / les « Observations sur la division des sciences du Chancelier Bacon / les articles A-AZYMITES / une page d’Errata.

N.B. Signalons que le volume I s’achève par la mention suivante :

☞ Ce premier Volume contenant un plus grand nombre de feuilles qu’on ne s’étoit proposé de donner, on trouvera les Approbations & le Privilege du Roi, qu’on n’a pû placer ici, dans un des Volumes suivans.

Or, malgré cette mention, la page devant mentionner le « Privilège » ne fut incluse dans aucun des volumes suivants.

Volume II

Il est daté de 1751, mais publié en janvier 1752 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463). Il se compose comme suit : « Avertissement des éditeurs » (sorte de préface souvent polémique, présentant le volume, et qui devient un élément quasi-récurrent pour les volumes II à VII). / Corrections et additions pour le premier volume / Articles B-CEZIMBRA / Noms des auteurs avec la marque de leurs articles / Errata pour le second volume.

Volume III

Il est publié en octobre 1753 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463) et se compose comme suit : « Avertissement des éditeurs » / Noms de personnes qui ont fourni des secours […]/ Errata pour les 2 premiers volumes / Articles A-CONSECRATION / Marques des auteurs / Errata pour ce troisième volume.

Volume IV

Il est publié en octobre 1754 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463) et se compose comme suit : « Avertissement des éditeurs » / Errata pour le troisième et pour le quatrième volume / Articles CONSEIL-DIZIER.

Volume V

Il est publié en novembre 1755 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463) et se compose comme suit : « Avertissement des éditeurs » (contenant les noms de nouveaux contributeurs) / Eloge de Montesquieu / Articles DO-ESY / Errata pour le vol. III / Errata pour le vol. IV / Errata pour le vol. V.

Volume VI

Il est publié en octobre 1756 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463) et se compose comme suit : « Avertissement des éditeurs » (contenant les éloges funèbres de l’abbé Lenglet du Fresnoy, puis de l’abbé Mallet) / Nom des auteurs (comprenant leurs marques) / Articles ET-FNE / Errata pour le vol. III / Errata pour le vol. IV / Errata pour le vol. V.

Volume VII

Il est publié en novembre 1757 (Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 463). Il ne contient pas d’Avertissement des éditeurs et se compose comme suit : Éloge de M. du Marsais / Noms des auteurs / Marques des auteurs / Articles FOANG-GYTHIUM / Errata pour le Vol. I / pour le Vol. II / pour le Vol. IV / pour le Vol. V pour les articles de M. d’Aumont / pour les autres articles du Vol. V / pour le Vol. VI pour les articles de M. d’Aumont / pour les autres articles du vol. VI / Errata pour l’article Etymologie / pour l’article Existence / pour l’article Expansibilité / Errata pour le vol. VII.

Volumes VIII à XVII

Pour les volumes « interdits », le paratexte est réduit à sa plus simple expression : titre et articles, sauf au volume VIII, dans lequel demeure un « Avertissement », le dernier de l’Encyclopédie et que Diderot écrivit, sans le signer bien sûr. Plus de page de faux titre, ni d’errata, ni de noms et marques d’auteurs. Tous ces volumes portent la même date de publication : 1765. Signalons aussi que sur la page de titre de ces volumes, le mot « Encyclopédie » n’est plus en italique, mais en romain, et le demeurera jusqu’au vol. XVII.

Volume VIII, Avertissement / Articles H-ITZEHOA
Volume IX, Page de titre /Articles JU-MAMIRA
Volume X, Page de titre / Articles MAMMELLE-MYVA
Volume XI, Page de titre / Articles N-PARKINSONE
Volume XII, Page de titre / Articles PARLEMENT-POLYTRIC
Volume XIII, Page de titre / Articles POMACIES-REGGIO
Volume XIV, Page de titre / Articles REGGIO-SEMIDA
Volume XV, Page de titre / Articles SEN-TCHUPRIKI
Volume XVI, Page de titre / Articles TEANUM-VENERIE
Volume XVII, Page de titre / Articles VENERIEN-ZZUÉNÉ / Articles omis

À la page 890, on lit les derniers mots des volumes d’articles de l’Encyclopédie :

ce Dictionnaire, destiné particulierement à être le dépôt des connoissances humaines.

Puis le mot : FIN.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 31 juillet 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Organisation des volumes de discours », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, chap. III : « Son organisation matérielle », Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les « Articles omis » à la fin du volume XVII

À la fin du volume XVII, apparaît une série d’articles dits « omis » qui couvrent une bonne centaine de pages (p. 751 à p. 853). Disposés par ordre alphabétique, ils sont au nombre de 134 et vont d’ACTES d’Archélaus, (Hist ecclés.) jusqu’à VIBRATION, ou OSCILLATION (Horlog.) – sur le cas de VINGTIEME, imposition, (Econ. pol.), voir plus bas. De quoi sont constitués ces articles ? On se limitera ici à donner quelques exemples de leurs diverses fonctions et de leurs auteurs.

(N.B. : Toutes les vedettes des articles omis sont en grandes capitales sauf celles dont le premier mot répète la vedette précédente, qui sont alors en petites capitales.)


Haut de la première page de la série des « Articles omis »

Certains sont des ajouts d’articles inexistants jusque-là : c’est le cas, par exemple, de BIBLIOTAPHE ou de CAHUCHU.

D’autres sont des ajouts de vedettes munies d’un autre désignant : par exemple, il existait au volume I, un article ANSE, s. f. en Géographie : dans les articles omis, on a ajouté ANSE (Orfevre en grosserie.) ; de même, à ARRACHEMENT, (en bâtiment.) est ajouté ARRACHEMENT (chirurg.) de Jaucourt ; même chose pour GAGEURE en droit naturel, ou pour le copieux complément concret, terme dogmatique, ajouté au bref article en gramm. & philos. du volume I. C’est le cas aussi du très copieux article de Lucotte, SERRURERIE (Art méchan.) qui s’ajoute à la brève adresse SERRURERIE (Architect.) donnée au volume XV par Jaucourt.

On en dira autant d’INVALIDES, (Hist.) « (addition à cet article », de Collot, qui vient en supplément à Invalides (Hôtel des), du volume VIII. Très proches de ce cas, certains textes réparent les omissions internes à des articles précédents, par le même auteur : ainsi l’horloger Romilly, auteur de Frottement en horlogerie, ajoute-t-il un article VIBRATION ou OSCILLATION également en horlogerie.

D’autres fournissent des descriptions plus détaillées ou des exemples, qui viennent en supplément à un article existant dans le même domaine : par exemple Anthologie de Jaucourt détaille un élément de l’article de Mallet paru au volume I ; même chose pour Apostrophe.

Certains apparaissent comme de véritables doublons, par exemple IDOLATRIE qui fait doublon avec l’article de Voltaire au volume VIII.

Bon nombre d’articles omis s’inscrivent dans une controverse, par exemple Baptême des enfans de Jaucourt, à lire en regard de BAPTÊME de Mallet.

Quant à VINGTIEME, qui se poursuit de la page 855 à la page 890, il n’est pas à proprement parler un « article omis » puisqu’il est dûment annoncé p. 309 du même volume, par : « VINGTIEME, s. m. sorte d’imposition. Voyez cet article à la fin de ce volume. ».

Les auteurs de ces articles omis sont multiples.

Sauf erreur, Jaucourt signe 61 d’entre eux. Un 62e, BIBLIOTAPHE, ayant été censuré, le dernier § qui portait la signature a disparu (voir Schwab, Inventory, I, p. 127).

On trouve des articles d’encyclopédistes déjà bien connus comme d’Holbach, d’Argenville, Lucotte, Boucher d’Argis, La Condamine, Romilly, St-Lambert, Dumarsais, Beauzée.

Trois auteurs semblent faire leur apparition dans ces articles omis :

  • – l’abbé Millot, curé de Tours, pour AFFABILITÉ et ENTÊTEMENT
  • – M. Collot, commissaire des guerres pour OUVRIERS étrangers et INVALIDES
  • – M. de Voglie, ingénieur du roi en chef dans la généralité de Tours, pour PONTS (Architecture.).

Quant à Diderot, si Grimm lui attribue bonne part de VINGTIEME (Corr. Littéraire, déc.1768), Sabatier de Castres lui octroie GLORIEUX, dans son Dictionnaire des Passions des vertus et des vices, Paris, 1777 : autant de conjectures que la recherche s’applique à vérifier.

L’ENCCRE a choisi de les présenter doublement : dans la nomenclature, les « articles omis » figureront à leur place alphabétique. Ils sont cependant dûment signalés par un [art. omis] placé avant la vedette. Et, dans l’affichage par volume (table des matières de chaque volume), les articles omis figurent à leur emplacement, à la fin du volume XVII.

Les articles omis forment un ensemble qui mérite l’attention : on gagnera beaucoup à les étudier de près, tant ils renseignent sur les conditions d’achèvement du dictionnaire encyclopédique, et sur les choix éditoriaux des années 1764, sur la « liberté » de proposition de certains de ces ajouts, voire sur la censure, son évitement, etc.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 31 juillet 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Les ‘‘Articles omis’’ à la fin du volume XVII », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, chap. III : « Son organisation matérielle », Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

L'organisation des volumes des planches

On ne se repère pas aussi facilement dans les volumes de planches que dans les volumes de textes. Contrairement à ceux-ci, formés d’articles ordonnés selon la logique alphabétique d’un dictionnaire, chaque volume de planches s’organise autour d’une série de domaines ou de « matières » (pouvant correspondre à une science, un art ou un métier), systématiquement constitués de deux parties : un ensemble de planches numérotées, précédé d’une première partie d’explications qui les décrivent et les commentent. Les sections contenant les planches ne sont pas paginées et les numéros indiqués dans les explications sont réinitialisés au début de chaque domaine, si bien que le lecteur ne dispose pas de repères évidents pour se repérer.


Cette « Table alphabétique des matières », donnée à la fin
du onzième et dernier volume de planches, constitue une sorte
de sommaire général des domaines traités dans les onze volumes
de planches, avec des renvois entre domaines connexes.

La logique de lecture à l’intérieur de chaque volume de planches repose ainsi sur la mise en relation entre une planche et la section d’explication qui lui correspond à l’intérieur du domaine consulté. Il n’est pas rare, pour les domaines les plus étendus, que la planche se trouve à une centaine de pages de son explication. Il arrive aussi souvent que les planches d’un même domaine soient elles-mêmes organisées en sous-domaines, et renumérotées en conséquence, complexifiant d’autant l’identification de la planche et de l’explication qui lui correspond dans le volume.

Heureusement, l’ordonnancement des domaines du volume I au volume XI répond globalement à une logique alphabétique. Chaque début de volume contient en outre une sorte de sommaire consistant en un état détaillé de ses planches et/ou une table des arts, et le dernier donne une « Table des alphabétiques des matières » pour les onze volumes.

Les planches sont bien sûr aussi liées aux volumes de textes, de deux façons différentes. De nombreux articles renvoient aux planches du Recueil – plusieurs d’entre eux en constituent même des explications en tant que telles. Vice versa, nombre d’explications des volumes de planches renvoient explicitement vers des articles. Si bien que la lecture d’une planche va souvent de pair avec la lecture de deux autres parties de l’Encyclopédie : un (ou plusieurs) article(s) dans un volume de texte et la section d’explication correspondante dans le recueil de planches. L’histoire mouvementée de l’ouvrage a cependant souvent mis à mal cette logique initiale. D’une part parce que l’ordre de publication des volumes sera tel que les détenteurs des premiers volumes de discours devront en moyenne attendre une dizaine d’années afin de se voir livrer les volumes de planches auxquels leurs articles renvoient. D’autre part parce que l’histoire mouvementée de l’ouvrage et le nombre de contributeurs impliqués ont cependant souvent mis à mal cette logique initiale, créant ainsi de nombreux décalages ou incohérences entre ces différents contenus, dont Diderot a pris le soin de s’expliquer :

Il ne faut pas confondre les explications des Planches avec les articles de l’art ou de la science ; les articles qui forment les volumes de discours de l’Encyclopédie, sont d’une main, & les explications répandues dans les volumes de Planches sont quelquefois d’une autre. C’est M. d’Aubenton le jeune qui a ordonné, dessiné, fait graver & expliqué les deux premiers Regnes de l’Histoire naturelle, les animaux & les végétaux, excepté les deux Planches des systêmes de botanique de Tournefort & de Linnaeus ; mais tout le discours contenu dans l’Encyclopédie est de M. d’Aubenton son cousin. Le troisième Regne ou la Minéralogie est toute de M. le baron d’Holback [sic], discours, collection & choix d’objets, de desseins, soins de gravure, excepté les deux Planches et le Mémoire sur les prismes articulés que nous devons à M. Desmarais. Les explications de presque toutes les Planches de la Métallurgie, excepté le travail de la calamine, l’art du fer-blanc, l’arsenic & le cobalt, les fontaines salantes, ont été faites par M. Goussiers [sic]. Les ardoisières de la Meuse, desseins, mémoire, explication nous ont été donnés par M. Vialet, inspecteur des ponts & chaussées de la généralité de Caen. M. Delacroix s’est occupé des Planches & des explications des ardoisières d’Anjou, sur lesquelles nous avons encore obtenu un mémoire de M. Perronet. Le reste est de moi ; & j’ai mis en ordre revu le tout. (Planches tome VI, p. 6)

Nous détaillons ci-après le contenu de chaque volume.

N.B. Attention, la description donnée est celle de l'exemplaire 1 de la Bibliothèque Mazarine ; la place de certains domaines ou de certains éléments, tels que les avis aux relieurs, peuvent varier suivant les exemplaires.

Planches tome I

Publiée en 1762, cette « première Livraison » s’ouvre avec l’« Etat détaillé selon l’ordre alphabétique des 269 Planches de cette premiere Livraison », la « Distribution des mêmes Planches, selon l’ordre des Sciences, des Arts, & des Métiers », la liste des « Planches contenues dans le second Volume que l’on donnera incessamment », ainsi que le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Agriculture et économie rustique » / « Aiguillier, Aiguillier-Bonnetier, Amidonnier » / « Anatomie » / « Antiquités » / « Architecture et parties qui en dépendent » / « Argenteur » / « Armurier» / «  Arquebusier » / « Art militaire» / « Artificier ».

Planches tome II

Publiée en 1763, cette première partie de la « seconde livraison » s’ouvre avec l’« Etat détaillé selon l’ordre alphabétique des 434 Planches contenues dans les deux Parties de cette seconde Livraison », la « Distribution des Planches de ce second Volume, premiere & seconde Parties, où l’on a séparé les Sciences, les Arts libéraux, & d’autres auxquels on pourroit donner le même titre, des Arts méchaniques ou Métiers, & où l’on a indiqué sous chaque matiere quelques-unes des principales opérations & machines », l’ « Etat par ordre alphabétique des Matieres qui formeront le complet de ce Recueil général », ainsi que le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Balancier » / « Faiseur de métier à bas, et faiseur de bas au métier » / « Batteur d’or » / « Blanc de baleine » / « Blanchissage des toiles » / « Blason ou art héraldique » / « Boissellier » / « Bonnetier de la foule » / « Boucher » / « Bouchonnier » / « Boulanger » / « Bourrelier et bourrelier-bastier » / « Boursier » / « Boutonnier » / « Boyaudier » / « Brasserie » / « Brodeur » / « Fonderie en caracteres d’imprimerie » / « Caracteres et alphabets de langues mortes et vivantes » / « Ecritures » / « Cardier » / « Cartier » / « Cartonnier et gaufreur en carton » / « Ceinturier » / « Chainetier » / « Chamoiseur et megissier » / « Chandelier » / « Chapelier » / « Charpenterie ».

Planches tome III

Publiée en 1763, cette deuxième partie de la « seconde livraison » contient les explications et les planches des domaines suivants : « Charron » / « Chasses » / « Chaudronnier » / « Chimie » / « Chirurgie » / « Chorégraphie ou l’art d’écrire la danse » / « Blanchissage des cires » / « Cirier » / « Fabrique de la cire d’Espagne ou à cacheter » / « Ciseleur et damasquineur » / « Cloutier grossier » / « Cloutier d’épingles » / « Coffretier-malletier-bahutier » / « Confiseur » / « Corderie » / « Cordonnier et cordonnier-bottier » / « Corroyeur » / « Coutelier » / « Découpeur et gaufreur d’étoffes » / « Dentelle et façon du point » / « Dessein » / « Diamantaire » / « Distillateur d’eau-de-vie » / « Doreur » / « Draperie ».

Planches tome IV

Publiée en 1765, cette « troisieme livraison » s’ouvre avec l’« Etat détaillé des Planches contenues dans cette troisieme Livraison », la « Table des Arts contenus dans cette troisieme Livraison », ainsi que le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Ébénisterie-marqueterie » / « Emailleur à la lampe, et peinture en émail » / « Eperonnier » / « Epinglier » / « Escrime » / « Éventailliste » / « Fayancerie » / « Ferblantier » / « Fil et laine » / « Fleuriste artificiel » / « Forges ou art du fer » / « Formier » / « Fourbisseur » / « Fourreur » / « Gainier » / « Gantier » / « Manufacture des glaces » / « Horlogerie ».

Planches tome V

Publiée en 1767, cette « quatrieme livraison » s’ouvre avec l’« Etat détaillé des 248 Planches contenues dans cette quatrieme Livraison, ou cinquieme Volume », la « Table des Matieres contenues dans cette quatrieme Livraison, ou cinquieme Volume », le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation », le « Privilège du Roy », ainsi qu’un « Avis aux relieurs ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Sciences mathématiques » / « Fonderie des canons » / « Fonte des cloches » / « Fonte de l’or, de l’argent et du cuivre » / « Fonte de la dragée et du plomb à giboyer » / « Gravure en taille-douce, en maniere noire, maniere de crayon, &c.  » / « Gravure en pierres fines » / « Gravure en lettres, en géographie et en musique » / « Gravure en médailles et en cachets » / « Gravure en bois » / « Layetier » / « Lunettier » / « Lutherie » / « Marbreur de papier » / « Marbrerie » / « Papeterie ».

Planches tome VI

Publiée en 1768, cette « cinquieme livraison » s’ouvre avec l’« Exposition générale & scientifique des Planches contenues de ce sixieme Volume », l’« Etat alphabétique des matieres contenues dans ce sixieme Volume », un « Avis aux relieurs », le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation », le « Privilège du Roy », ainsi qu’un « Avis aux souscripteurs du recueil de planches ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Histoire naturelle. Règne animal [Quadrupèdes, Singes, Cétacés, etc.]  » / « Histoire naturelle. Suite du règne animal [Oiseaux]  » / « Histoire naturelle. Suite du règne animal [Poissons, Insectes, Polypiers]  » / « Histoire naturelle. Règne végétal » / « Histoire naturelle. Règne minéral » / « Histoire naturelle. Minéralogie » / « Histoire naturelle. Métallurgie » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Calcination des Mines » / « Histoire naturelle. Minéralogie et métallurgie. Mercure » / « Histoire naturelle. Minéralogie et métallurgie. Travail de l’or » / « Histoire naturelle. Métallurgie. Travail du cuivre » / « Histoire naturelle. Métallurgie. Calamine » / « Histoire naturelle. Métallurgie. Etain » / « Histoire naturelle. Métallurgie. Travail du Fer-blanc » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Machines de Pontpéan » / « Histoire naturelle. Métallurgie. Maniere de trouver le Minerai & de travailler le Plomb » / « Histoire naturelle. Métallurgie. Fonte de Bismuth » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Travail du Zinc » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Travail du Cobalt & de l’Arsenic » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Travail du Soufre » / « Histoire naturelle. Salpêtre. Fabrique ou extraction » / « Histoire naturelle. Salpêtre. Raffinage » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Fabrique des Poudres » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Extraction du Vitriol » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Travail de l’Alun » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Salines. Fontaines salantes » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Marais salans » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Travail du Sel » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Charbon minéral ou de terre » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Ardoiserie de la Meuse » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Ardoiseries d’Anjou » / « Histoire naturelle. Minéralogie. Travail du Noir de fumée » / « Addition à l’Economie rustique. Fromage d’Auvergne » / « Addition à l’Economie rustique. Fromage de Gruieres.

Planches tome VII

Publiée en 1768, cette « sixieme livraison » s’ouvre avec l’« Etat alphabétique & détaillé des principaux objets contenus dans ce septieme Volume de Planches », le « Certificat de l’Académie » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Hongroyeur » / « Maroquinier » / « Imprimerie en caracteres » / « Imprimerie en taille-douce » / « Manege et équitation » / « Marechal ferrant » / « Maréchal grossier » / « Marine » / « Marine, évolutions navales » / « Forge des ancres » / « Menuisier en batimens » / « Menuisier en meubles » / « Menuisier en voitures » / « Musique ».

Planches tome VIII

Publiée en 1771, cette « septieme livraison » s’ouvre avec l’« Etat des Arts, des Explications & des Planches contenues dans ce huitieme Volume », le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Miroitier metteur au teint. Miroitier » / « Monnoyage » / « Mosaïque » / « Orfèvre grossier » / « Orfèvre-bijoutier » / « Orfèvre-jouaillier, metteur en œuvre  » / « Parcheminier » / « Patenôtrier » / « Pâtissier » / « Paumier » / « Perruquier, barbier, baigneur-étuviste » / « Pêches, pêches de mer, pêches de rivières. Fabrique des filets, &c.  » / « Peintures en huile, en miniature et encaustique » / « Plombier » / « Laminage du plomb » / « Plumassier panachier » / « Potier de terre » / « Potier d’étain » / « Potier d’étain bimblotier » / « Relieur » / « Sculpture en tous genres » / « Sculpture fonte des statues équestres ».

Planches tome IX

Publiée en 1771, cette « huitieme livraison » s’ouvre avec l’« Etat des Arts, des Explications & des Planches contenues dans ce neuvieme Volume », le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy », ainsi qu’un « Avis du libraire ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Savonnerie » / « Sellier-carrossier » / « Serrurier » / « Piqueur de tabatières, incrusteur et brodeur » / « Tabletier-cornetier » / « Tabletier  » / « Taillandier » / « Tailleur d’habits et tailleur de corps » / « Tanneur » / « L’art de faire des tapis de pié façon de Turquie » / « Tapissier » / « Tapisserie de haute-lisse des Gobelins » / « Tapisserie de basse-lisse des Gobelins ».

Planches tome X

Publiée en 1772, cette « neuvieme livraison » s’ouvre avec l’« Etat des Planches & des Explications relatives aux Arts compris dans ce dixieme Volume », le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Teinture des Gobelins » / « Teinturier en soie ou teinturier de riviere » / « Théatres » / « Machines de Théatre » / « Tireur et fileur d’or » / « Tonnelier » / « Tourneur et tour à figure » / « Vannier » / « Verrerie » / « Vitrier ».

Planches tome XI

Publiée en 1772, cette « dixieme et derniere livraison » s’ouvre avec l’« Etat des Planches & des Explications relatives aux Arts compris dans ce onzieme & dernier Volume », le « Certificat de l’Académie », l’« Approbation » et le « Privilège du Roy ».

Le volume contient ensuite les explications et les planches des domaines suivants : « Tisserand » / « Passementier » / « Métier à faire du marli » / « Gazier » / « Rubanier » / « Soierie ». Il se termine avec une « Table alphabétique des matieres contenues dans les onze Volumes du Recueil de Planches sur les Sciences & les Arts Libéraux & Méchaniques » et un « Etat général des Volumes de Discours & de Planches qui completent L’Encyclopédie, avec leur prix ».

Nombre de planches par volumes

L’Encyclopédie contient un total de 2 579 planches, dont 2 283 planches simples (format in-folio), 275 planches doubles, 15 planches triples et 6 planches quadruples. Nous en donnons ci-dessous le détail, volume par volume.

Volume Nombre de planches
Planches tome I (1762)251 planches, dont 18 planches doubles
Planches tome II (1763)206 planches, dont 25 planches doubles
et 1 planche triple
Planches tome III (1763)195 planches, dont 7 planches doubles
Planches tome IV (1765)275 planches, dont 24 planches doubles
Planches tome V (1767)236 planches, dont 12 planches doubles
Planches tome VI (1768)266 planches, dont 25 planches doubles
et 2 planches triples
Planches tome VII (1769)243 planches, dont 6 planches doubles,
2 planches triples et 2 planches quadruples
Planches tome VIII (1771)237 planches, dont 12 planches doubles
et 4 planches triples
Planches tome IX (1771)210 planches, dont 39 planches doubles
et 2 planches triples
Planches tome X (1772)266 planches, dont 62 planches doubles
et 4 planches quadruples
Planches tome XI (1772)194 planches, dont 45 planches doubles

Présentation matérielle des planches

On trouve trois principaux types de planches dans l’Encyclopédie :

– les planches dans lesquelles le sujet occupe tout la page ; plusieurs exemples figurent dans les sections dédiées à l’anatomie, la chimie, la chirurgie, au dessin, aux manèges ou à la minéralogie ;

– les planches surplombées d’une vignette, qui donne à voir une représentation du métier (vie de l’atelier, ouvriers à l’ouvrage, etc.), suivie d’une description analytique des outils utilisés ;

– les planches uniquement formées de figures ou de représentations d’outils.

La plupart des planches sont entourées d’un trait d’encadrement. On y trouve généralement, en haut à droite, l’abréviation en italique Pl. suivie du numéro de la planche. Le titre, qui rappelle systématiquement le domaine correspondant, est centré en bas dans la plupart des cas. On trouve enfin en bas à gauche le nom du dessinateur de la planche, précédé de l’indication del. et, en bas à droite, celui du graveur suivi de fecit ou de direx.

Indications bibliographiques

Richard N. Schwab, Walter E. Rex, John Lough, Inventory of Diderot’s Encyclopédie, t. VII, SVEC, 1984.

par Alexandre Guilbaud

Date de dernière mise à jour : 9 août 2017

Pour citer cette notice : Alexandre Guilbaud, « L'organisation des volumes de planches », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, chap. III : « Son organisation matérielle », Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

IV. Qu’est-ce qu’un encyclopédiste ?

Les collaborateurs de l’Encyclopédie , c’est-à-dire « la société de gens de lettres » ayant contribué aux dix-sept volumes de texte et onze volumes de planches, peuvent être identifiés de plusieurs façons.

La première, à privilégier pour les volumes de texte, est la signature d’articles, ou de parties d’articles de l’Encyclopédie, soit explicitement, soit via une marque d’auteur, explicitée dans un ou plusieurs avertissements de volumes. Certains collaborateurs ne sont pas mentionnés dans l’article même, mais seulement dans le Discours préliminaire ou un avertissement, parfois avec une mention précise de l’article concerné, parfois sans (c’est le cas de ceux qui ont fourni des « secours », mentionnés dans le « Discours préliminaire », comme l’abbé Sallier).

La seconde est l’utilisation de sources extérieures à l’Encyclopédie, en premier lieu, le livre des comptes des libraires. Des manuscrits peuvent également permettre d’identifier des textes envoyés aux « éditeurs ». La distinction entre « textes envoyés aux éditeurs de l’Encyclopédie » et « textes utilisés par les éditeurs de l’Encyclopédie » n’est pas toujours aisée à faire.

En gardant ces éléments en tête, on voit que les chercheurs du xx e siècle ont dressé des listes d’« encyclopédistes » en fonction de ces différents critères, parfois explicitement, parfois moins. Reproduire ces listes sans indiquer suivant quels critères elles ont été établies induit le lecteur à penser qu’elles existent telles quelles dans l’Encyclopédie, ce qui n’est pas le cas.

Schwab ayant pour objectif une description fine des vingt-huit volumes de textes et planches, menée à bien dans l’Inventory, s’est donc exclusivement fondé sur les attributions de l’Encyclopédie, dans les articles ou les textes d’escorte, lorsqu’elles permettaient d’attribuer tout ou partie d’article à un auteur. Kafker (1988) a ajouté des personnes citées explicitement dans un texte d’escorte mais auxquelles on ne pouvait pas attribuer un article en particulier. Par exemple, on trouve Allard dans Kafker et pas dans Schwab : « M. Allard, qui s’applique à la Physique expérimentale & aux Méchaniques, nous a fourni des modèles de plusieurs machines qu’il excelle à exécuter, & quelques articles d’Arts » (Enc., III, p. xv). Cette « omission » de Schwab est cohérente avec ses critères, puisqu’il n’est pas possible, pour l’instant, d’attribuer à Allard des articles précis.

May, quant à lui, établit une liste à partir du livre de dépenses des libraires, qui commence fin 1745. C’est bien entendu beaucoup plus discutable, parce que l’on ne sait pas pour quelle tâches ces personnes sont payées, mais comme il s’agit du livre de comptes de l’Encyclopédie, ce sont bien sûr des « collaborateurs » de l’ouvrage, d’une façon ou d’une autre. Inversement, Diderot a pu rétribuer directement certains collaborateurs, comme De Gua le faisait, sans que leur nom soit porté ce registre. Une autre question ouverte est celle de la date choisie comme point de départ de l’Encyclopédie : le projet commence-t-il avec Sellius et Mills (1745), le début du registre des libraires (décembre 1745), De Gua et la première équipe que l’on ne connaît pas précisément (1746), ou encore Diderot et D’Alembert (1747) ? Chacun ayant commencé à travailler avant la signature du contrat les liant aux libraires, ce n’est pas chose aisée à déterminer.

Nous avons donc commencé par établir une liste de collaborateurs « explicites » (c’est-à-dire auxquels au moins un article est attribué explicitement par l’Encyclopédie elle-même), des « encyclopédistes encyclopédiques » pourrait-on dire : ceux que Schwab a repéré, donc.

À cette liste vient s’ajouter une liste de collaborateurs restitués pour une raison ou une autre : soit qu’un manuscrit soit retrouvé, c’est la cas par exemple de Lubières, soit qu’ils soient cités dans l’Encyclopédie sans article précisément attribué, par exemple Allard, soit qu’on les trouve sur la liste de May, par exemple Clairaut. Nous pourrions les appeler, pour reprendre les catégories utilisées par l’équipe ENCCRE, les « encyclopédistes critiques ».

Pour l’ENCCRE, nous documentons les uns et les autres, en privilégiant les premiers.

Indications bibliographiques

John Lough, Essays on the Encyclopédie of Diderot and D’Alembert, London/New York/Toronto, 1968.

Louis-Philippe May, Documents nouveaux sur l’Encyclopédie : histoire et sources de l’Encyclopédie d’après le registre de délibérations et des comptes des éditeurs, et un mémoire inédit, Revue de synthèse, 1938, t. XV, p. 7-110.

Richard N. Schwab, Walter E. Rex, John Lough, Inventory of Diderot’s Encyclopédie, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Genève/Oxford, Voltaire Foundation, 1971-1972, 1984, 7 vol. : t. I (SVEC, 80, 1971) ; t. II (SVEC, 83, 1971) ; t. III (SVEC, 85, 1972) ; t. IV (SVEC, 91, 1972) ; t. V (SVEC, 92, 1972) ; t. VI (SVEC, 93, 1972) ; t. VII (SVEC, 223, 1984).

par Irène Passeron

Date de dernière mise à jour : 15 mars 2015

Pour citer cette notice : Irène Passeron, « Qu’est-ce qu’un "encyclopédiste" ? », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les innovations de l’Encyclopédie

I. Des savoirs vivants

La part de compilation présente dans l’Encyclopédie, comme on vient de le voir, est souvent l’œuvre de polygraphes, c’est-à-dire de non-spécialistes, qui, appuyés sur une documentation livresque et peu mise à jour, ne distinguent pas toujours les découvertes ou les inventions. Voilà pourquoi certains des savoirs consignés dans l’Encyclopédie datent, et renvoient à un état ancien des connaissances.

On mesure d’autant mieux l’importance d’une des grandes innovations de l’Encyclopédie qui fut de recourir aux savants, autrement dit aux savoirs vivants, grâce auxquels l’actualité scientifique et ses controverses traversent l’ouvrage dans de très nombreux domaines. La médecine, la chimie, les mathématiques, la grammaire, la physique, etc., fournissent des articles irrigués par des savoirs neufs, car ce sont les savants eux-mêmes qui les écrivent. Diderot s’en félicite dans son article ENCYCLOPÉDIE :

Qu’on ouvre les dictionnaires du siècle passé, on n’y trouvera à aberration rien de ce que nos astronomes entendent par ce terme ; à peine y aura-t-il sur l’électricité, ce phénomène si fécond, quelques lignes qui ne seront encore que des notions fausses et de vieux préjugés.

Donnons-en ici quelques exemples, pris parmi tant d’autres.

D’Alembert à la pointe des sciences mathématiques

D’Alembert organise une mise en forme des connaissances astronomiques, mécaniques, optiques et parfois physiques, à partir des mathématiques. Cette organisation prend plusieurs formes.

L’innovation principale reste l’insertion dans un dictionnaire universel français de l’application des principes newtoniens, déjà à l’œuvre dans la Cyclopædia de Chambers. Elle s’exprime par exemple dans l’article Physico-Mathématiques (Sciences), ou dans Newtonianisme. Cette mutation prend acte du basculement scientifique des années 1740 vers une interprétation du monde où la théorie de la gravitation newtonienne est reine :

Une des branches les plus brillantes et les plus utiles des sciences physico-mathématiques est l’Astronomie physique, voyez Astronomie ; j’entends ici par Astronomie physique, non la chimere des tourbillons [théorie de de Descartes], mais l’explication des phenomenes astronomiques par l’admirable théorie de la gravitation. (art. Physico-Mathématiques)

Une seconde forme passe par l’insertion dans des articles de pans entiers de la science en train de se faire ou de se chercher. Par exemple, dès le premier volume, de 1751, l’article Aberration prend acte de la découverte faite par Bradley en 1727 et répercutée en France par Clairaut dans un mémoire de l’Académie royale des sciences paru en 1740 : le phénomène (la modification de direction apparente d’une étoile) est expliqué par la vitesse de la lumière. C’est la première apparition de ce terme astronomique dans un dictionnaire (la Cyclopædia de Chambers, même dans son édition de 1741, n’en soufflait mot).

L’Encyclopédie est aussi, pour D’Alembert, l’occasion de proposer des synthèses nouvelles. Ainsi la question de la « Figure de la Terre », à savoir si la Terre est une sphère aplatie ou allongée vers les pôles, avait défrayé la chronique académique et même, bien plus largement, celle des périodiques qui rendaient compte des « nouvelles littéraires » dans les années 1735-1740. Cette question — qui opposait deux systèmes du monde, l’un cartésien, l’autre newtonien — avait permis de justifier de prestigieuses expéditions pour mesurer un degré de méridien, l’une sous l’équateur et l’autre au pôle, menée par un académicien en vue, Maupertuis.


Les expéditions académiques visant à mesurer
l’aplatissement terrestre étaient revenues,
l’une de Laponie en 1738, l’autre du Pérou en 1743.
Les contemporains admiraient Maupertuis
« aplatissant » la Terre.

Lorsque D’Alembert finit de rédiger le long article Figure de la Terre une quinzaine d’années plus tard, en 1756, les controverses, désormais circonscrites au périmètre académique, n’en restent pas moins farouches car les enjeux épistémologiques sous-jacents sont nombreux, en particulier en termes de validité des preuves articulant calculs et observations, et donc de compétences respectives des mathématiciens, des philosophes et des ingénieurs.

C’est un article neuf pour l’essentiel, dont D’Alembert est fier, comme en témoigne la publicité qu’il en fait (il en recommande la lecture à Voltaire et le cite, vingt ans plus tard, dans un mémoire présentant ses travaux). Mais c’est également un article qui fait la part belle à ses propres ouvrages et dans lequel, plus généralement, il exprime le grand principe qu’il partage avec Diderot, « savoir attendre et douter ». Les paragraphes où D’Alembert développe des points qui lui tiennent à cœur se recoupent avec les paragraphes correspondants de sa préface aux Recherches sur les système du monde (qu’il écrit au moment où paraît l’article). Généalogie de la découverte, résultats de la philosophie moderne, ajustements entre théorie et observations, tels sont les points sur lesquels D’Alembert revient, au fil de son article. Figure de la terre est du même coup un excellent article informatif, qui fait un point précis sur tout ce que l’on sait alors de la forme extérieure de la Terre.

De même, D’Alembert réutilise les préfaces de ses grands traités dans des articles comme Dynamique, ou Fluide, qui défendent ses apports à la science tout en donnant au lecteur un bel aperçu des derniers progrès dans les domaines de la mécanique des solides et des fluides. Dans son article Calcul différentiel, il prend une position qui fera date sur une question concernant l’« une des plus belles & des plus fécondes » méthode « de toutes les Mathématiques » : la définition, tant débattue depuis son invention par Newton et Leibniz, des principes et notions à la base de ce nouveau calcul, qui a déjà permis de mathématiser de nombreux phénomènes physiques.

Les avancées de la médecine dans l’Encyclopédie

L’inoculation défendue par Tronchin, un de ses illustres praticiens


Portrait de Théodore Tronchin

Actualité d’importance : celle de l’inoculation, ancêtre de ce que nous appelons la vaccination. Rappelons que la variole faisait alors chaque année des victimes par milliers en Europe. Ce n’est qu’au début du xviiie siècle que furent pratiquées en Angleterre les premières et timides inoculations contre la variole. Il s’agit, comme on le sait, de « l’opération par laquelle on communique artificiellement la petite vérole, dans la vue de prévenir le danger et les ravages de cette maladie contractée naturellement » (Inoculation). Cette nouvelle pratique médicale soulevait de nombreux débats et des oppositions religieuses.

L’Encyclopédie donne alors la parole au grand médecin genevois Théodore Tronchin, inoculateur lui-même (il venait d’inoculer des enfants du duc d’Orléans), en lui confiant un article. Son texte, qui devient la seconde entrée Inoculation du volume VIII, met le lecteur en prise directe avec la pratique et les réflexions du savant (qui parle de lui à la troisième personne) :

[...] l’inoculation faite aux bras, augmente l’éruption à la tête & les accidens qui l’accompagnent ; il décide par conséquent pour l’inoculation aux jambes, dont l’éloignement de la tête & la nature des parties qui en sont affectées par proximité ou par sympathie, donnent bien de l’avantage. L’expérience le confirme, & c’est elle qui depuis plusieurs années a déterminé M. Tronchin à abandonner l’ancienne méthode, & à inoculer aux jambes. Tout l’effort de l’éruption de Mademoiselle d’Orléans fut aux jambes, & il est très-vraissemblable que sans les larmes qui coulent si facilement à son âge, elle n’en auroit pas eu aux paupieres.

Un autre desavantage de l’inoculation aux bras, c’est qu’elle oblige ordinairement le malade d’être couché sur le dos, & de s’y tenir pendant plusieurs jours ; la chaleur des reins en particulier & de l’épine du dos en général, que les maîtres de l’art craignent tant ; est une raison plus que suffisante pour préférer une méthode qui laisse au corps la liberté de ses mouvemens, & qui maintient dans toutes ses parties une égalité de chaleur, & une température si favorable à l’éruption.

Il est aisé de conclure de ce qui a été dit, qu’il est indifférent pour les adultes que l’inoculation se fasse au moyen des vésicatoires ou par incision, pourvû qu’elle se fasse aux jambes. Il n’en est pas de même des enfans, la méthode la plus facile & la plus douce est non-seulement préférable, mais elle paroît nécessaire. L’application & le pansement des petits vésicatoires est, pour ainsi dire un jeu ; ils n’ont rien qui effraye, & le traitement s’en fait sans douleur : peut-être même que la guérison en est plus prompte, vingt-un jours y suffisent. [...]

[T]outes les objections qu’on a élevées contre l’inoculation confiée à des yeux éclairés & à des mains sages, se détruisent par les faits, excepté celles que la malice, l’ignorance, la jalousie ou l’opiniâtreté, osent imaginer ; on leur donne du prix en y répondant, & c’est le seul qu’elles puissent avoir.

La nouvelle physiologie


Portrait de Bordeu.

Sur un plan plus large, deux conceptions s’affrontent, au temps de l’Encyclopédie, parmi les médecins : d’un côté, la tradition mécaniste, de l’autre la nouvelle physiologie, d’où proviennent les grands progrès en médecine, et qui est issue de l’École de médecine de Montpellier. Or, ses représentants les plus illustres sont quatre encyclopédistes, Théophile de Bordeu, Jean Joseph Ménuret de Chambaud, Paul Joseph Barthez, Henri Fouquet. Selon eux, les médecins mécanistes ignorent ce qui est l’essentiel : la sensibilité des fibres nerveuses, le principe vital, qui est la somme des vies particulières de chaque organe. Fouquet, comme le souligne l’historien Jacques Proust, résume bien leur doctrine commune lorsqu’il écrit :

La sensibilité [...] étant distribuée par doses à toutes les parties organiques du corps, chaque organe sent ou vit à sa maniere, & le concours ou la somme de ces vies particulieres fait la vie en général, de même que l’harmonie, la symmétrie & l’arrangement de ces petites vies fait la santé.  » (art. Sensibilité).

Renouvelant l’adage d’Hippocrate selon qui « tout concourt, tout consent, tout conspire ensemble dans le corps », Bordeu, grand clinicien, prône l’observation du malade, le choix du moment opportun pour l’intervention médicale (art. Crise), grâce à l’état du pouls (art. Pouls, de Ménuret de Chambaud). Les historiens de la biologie ont pu montrer depuis combien ce vitalisme, en proposant une vision cohérente de l’organisme par l’interdépendance des parties et du tout, du physique et du moral, a été fécond dans les perspectives qu’il a ouvertes.

Les recherches les plus récentes sur l’électricité

Les recherches de la physiologie, au milieu du xviiie siècle, recoupent en plusieurs points celles de la physique dans le domaine encore largement énigmatique de l’électricité, ce « phénomène si fécond » pourtant...


Cet extrait d’une planche de Physique (vol. V) représente « l’électromètre,
ou machine inventée par MM. d’Arcy et Le Roy pour mesurer l’électricité  ».

L’article Coup foudroyant, consacré à cette « expérience de l’électricité, dans laquelle la personne ou les personnes qui la font se sentent comme frappées vivement & tout à la fois dans plusieurs parties du corps », est écrit par Jean Baptiste Le Roy, de l’Académie des sciences, qui fut un des grands noms de l’électricité au xviiie siècle siècle. Il y dresse un état détaillé des recherches de ses contemporains, notamment celles de l’abbé Nollet, de Jallabert, de Watson et de Benjamin Franklin ; il décrit également les expériences qu’il a menées et avance ses propres explications de ce phénomène que nous appelons l’électrocution.

De même, dans le long article qu’il consacre à l’électricité, Louis Guillaume Le Monnier, autre académicien des sciences, fait le point sur les plus récentes expériences et relate en détail celle qu’il avait lui-même menée, quelques années plus tôt, sur la communication de la « vertu électrique » : ayant utilisé comme conducteur un fil de fer long de 2 000 toises (environ 4 km), il conclut que la propagation de l’électricité se fait à « une vitesse prodigieuse » et « presque infinie ».

On voit ainsi dans l’Encyclopédie plusieurs savants se succéder pour n’omettre aucun des acquis, parfois controversés, des recherches en cours sur la « matière électrique ». En rapprochant Conducteur (1753) et Coup foudroyant (1754) de Le Roy, Électricité (1755) et Feu Électrique de Le Monnier (1756), enfin Électricité médicinale de d’Aumont (1755) qui discute de l’effet douteux de l’électricité sur la paralysie, le lecteur du Dictionnaire raisonné pouvait se faire une idée très complète des recherches contemporaines sur le fluide électrique.

Turgot, pionnier d’une nouvelle science : l’étymologie

Cible traditionnelle des satires et des rires, l’étymologie, c’est-à-dire la recherche de l’origine des mots, était encore considérée à l’époque comme un ramassis de fables fantaisistes et de conjectures parfaitement anachroniques et puériles. L’article Étymologie que Turgot donne à l’Encyclopédie est un texte pionnier qui pose les principes dont sortira la science étymologique au siècle suivant. Se fondant sur la dimension historique des faits de langue, il trace les premiers jalons de ce que nous appelons la linguistique historique, assortis d’une magistrale leçon de méthode :

Plus on remonte de degrés dans la filiation des étymologies, plus le primitif est loin du dérivé ; plus toutes les ressemblances s’alterent, plus les rapports deviennent vagues & se réduisent à de simples possibilités, plus les suppositions sont multipliées. Chacune est une source d’incertitude ; il faut donc se faire une loi de ne s’en permettre qu’une à la fois, & par conséquent de ne remonter de chaque mot qu’à son étymologie immédiate ; ou bien il faut qu’une suite de faits incontestables remplisse l’intervalle entre l’un & l’autre, & dispense de toute supposition. Il est bon en général de ne se permettre que des suppositions déjà rendues vraissemblables par quelques inductions. On doit vérifier par l’histoire des conquêtes & des migrations des peuples, du commerce, des arts, de l’esprit humain en général, & du progrès de chaque nation en particulier, les étymologies qu’on établit sur les mêlanges des peuples & des langues ; par des exemples connus, celles qu’on tire des changemens du sens, au moyen des métaphores ; par la connoissance historique & grammaticale de la prononciation de chaque langue & de ses révolutions, celles qu’on fonde sur les altérations de la prononciation : comparer toutes les étymologies supposées, soit avec la chose nommée, sa nature, ses rapports & son analogie avec les différens êtres, soit avec la chronologie des altérations successives, & l’ordre invariable des progrès de l’eupnonie. Rejetter enfin toute étymologie contredite par un seul fait, & n’admettre comme certaines que celles qui seront appuyées sur un très-grand nombre de probabilités réunies.

La chimie, une science désormais autonome

On est encore loin, dans les années encyclopédiques, de la grande révolution chimique due à Lavoisier à la fin du siècle. Mais un pas important est franchi par le médecin Gabriel François Venel, auteur de l’article Chymie : il y défend, en effet, l’autonomie de la chimie à l’égard des autres sciences et, avant tout, à l’égard de la physique à laquelle elle était jusque-là liée, sinon inféodée (comme « physique des petits corps »). Il s’agit pour Venel de la soustraire au dédain des physiciens et, surtout, d’en faire reconnaître la puissance à analyser « la nature de la matière » :

On peut avancer assez généralement que les ouvrages des Chimistes, des maîtres de l’art, sont presque absolument ignorés. Quel physicien nomme seulement Becher ou Stahl ? Les ouvrages chimiques (ou plûtôt les ouvrages sur des sujets chimiques) de savans, illustres d’ailleurs, sont bien autrement célébrés. C’est ainsi, par exemple, que le traité de la fermentation de Jean Bernoulli, & la docte compilation du célébre Boerhaave sur le feu, sont connus, cités, & loüés ; tandis que les vûes supérieures, & les choses uniques que Stahl a publiées sur l’une & l’autre de ces matieres, n’existent que pour quelques chimistes.

Les Chimistes seroient fort médiocrement tentés de quelques-unes des prérogatives sur lesquelles est établie la prééminence qu’on accorde ici à la Physique, par exemple de ces spéculations délicates par lesquelles elle résout les principes chimiques en petits corps mûs & figurés d’une infinité de façons [...] ; ils conviendront encore moins que la Physique aille plus loin que la Chimie ; ils se flatteront au contraire que celle-ci pénetre jusqu’à l’intérieur de certains corps dont la Physique ne connoît que la surface & la figure extérieure [...]

C’est ainsi que Venel, dans l’Encyclopédie, fonde la légitimité scientifique de la chimie comme science autonome et qu’il en souligne l’utilité universelle et immédiate :

La verrerie ; la manufacture de porcelaine ; l’art des émaux ; la peinture sur le verre, qui n’est pas un art perdu malgré l’opinion publique ; la poterie ; la zimotechnie, ou l’art de disposer certaines substances végétales à la fermentation, qui comprend l’art de faire les vins ; l’art du brasseur, & celui du vinaigrier ; la halotechnie, ou l’art de préparer les sels ; la pyrotechnie, ou l’art des feux d’artifice ; celui du tanneur ; la manufacture du savon ; l’art des vernis ; celui de graver à l’eau-forte ; la teinture ; la préparation des cornes, des écailles, & des poils des animaux ; l’art du distillateur, celui du confiseur, & celui du limonadier, qui sont proprement trois branches de la Pharmacie ; l’art du boulanger, panificium ; la cuisine, &c. sont des arts tout chimiques.

Première planche (double) de la série « Chymie » (vol. III) ; les explications précisent : « Le haut de cette Planche montre le laboratoire chimique ; le bas est rempli par la table des rapports » (les rapports ou affinités renvoyaient à « l’aptitude de certaines substances à s’unir chimiquement à certaines autres »).

De l’hippiatrie à l’avènement de la médecine vétérinaire

En 1753, publiant les pages de son Histoire naturelle consacrées au cheval, Buffon exprime un regret : « la médecine vétérinaire n’est presque connue que de nom », écrit-il.


Planche III de Manège (vol. VII), vignette du haut :
« Ce dessin représente le galop désuni du derrière à gauche ».

Or, l’Encyclopédie va contenir, à partir de 1755, de nombreux articles nouveaux consacrés aux chevaux et à leurs soins (la maréchalerie). Ils sont l’œuvre de Claude Bourgelat, écuyer lyonnais à ses débuts, qui va passer, au fil de ses études, d’une connaissance de l’équitation à celle de l’hippiatrie, la médecine des chevaux — ses Éléments d’hippiatrique datent de 1750-1753 —, puis à celle, plus vaste, de la médecine vétérinaire. Membre correspondant de l’Académie des sciences, il décrit dans l’Encyclopédie les traitements qu’il préconise et les opérations qu’il pratique lui-même sur des chevaux malades. Il montre que le savoir hippiatrique suppose les mêmes qualités et les mêmes études pour le cheval que pour l’homme :

Éresipèle (Manège, Marechall.) maladie cutanée. Rien ne prouve plus évidemment l’uniformité de la marche & des opérations de la nature dans les hommes & dans les animaux, que les maladies auxquelles les uns & les autres sont sujets : les mêmes troubles, les mêmes dérangemens supposent nécessairement en eux un même ordre, une même économie [...]

Fracture (Manège et Maréchalerie.) [...] La chirurgie vétérinaire doit encore se conformer à la chirurgie du corps humain, en adoptant la distinction que celle-ci fait des fractures en fracture simple, composée, compliquée, complete & incomplete.

Après l’enseignement de l’hippiatrique, Bourgelat étendit son action à la médecine vétérinaire. Si les campagnes militaires avaient épuisé la population des chevaux, les autres animaux, notamment les bovins, subissaient de nombreuses épidémies, à commencer par la terrible peste, contre lesquelles les remèdes du monde paysan se limitaient à la croyance aux sorciers, aux exorcismes des prêtres, bien qu’il faille tenir compte aussi de l’empirisme des recettes pratiquées non sans efficace par les maréchaux ferrants. Ainsi, c’est à l’initiative de Bourgelat que fut créée en 1761, à Lyon, la première École vétérinaire au monde.

II. Une œuvre critique

Ce n’est pas toujours un savoir paisible celui qu’offre l’Encyclopédie, ouvrage critique par excellence. Le caractère d’un bon dictionnaire « est de changer la façon commune de penser », écrivait Diderot, et ces majestueux in-folio à l’aspect vénérable sont, de fait, traversés par les plus importants combats politiques, religieux, moraux, scientifiques du temps. Évoquons-en quelques-uns.

Critique politique

Le combat politique direct est sans doute le plus subtilement exprimé, comme cela ne pouvait manquer dans un ouvrage publié, à ses débuts, avec autorisation royale. En régime de monarchie absolue et de droit divin, on n’en relève pas moins, à côté d’articles parfaitement conformes aux attentes des censeurs, des affirmations audacieuses sur les sources mêmes du pouvoir royal. Ainsi l’article Autorité politique, qui fit d’ailleurs scandale, commence-t-il par stipuler :

Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres. [...] La puissance qui s’acquiert par la violence n’est qu’une usurpation [...]. La puissance qui vient du consentement des peuples suppose nécessairement des conditions qui en rendent l’usage légitime, utile à la société, avantageux à la république, qui la fixent et la restreignent entre des limites : car l’homme ne doit ni ne peut se donner entièrement et sans réserve à un autre homme.

L’ouvrage étant surveillé de près par les censeurs, c’est donc souvent dans des articles d’apparence anodine que l’Encyclopédie fourmille d’exemples jugeant sévèrement la politique du gouvernement royal. Qui s’inquiéterait en effet du danger de l’article Faim, Appétit ? On y lit pourtant : « Lorsque le peuple meurt de faim, ce n’est jamais la faute de la Providence, c’est toujours celle de l’administration » ; ou de l’article Friches, où on lit : « On peut mesurer sur l’étendue des friches dans un pays les progrès de la mauvaise administration, de la dépopulation et du mépris de l’agriculture » ; ou encore de l’article Fouler : « On foule les peuples lorsqu’on les charge d’impôts excessifs ». Quant aux privilèges de naissance et aux prétentions nobiliaires, avec quelle dérision le chevalier de Jaucourt les traite-t-il : « Si l’on avait la généalogie exacte et vraie de chaque famille, il est plus que vraisemblable qu’aucun homme ne serait estimé ni méprisé à l’occasion de sa naissance » (art. GÉNÉALOGIE).

L’omniprésence de l’argent et de la corruption est dénoncée par Rousseau dans l’article ÉCONOMIE ou ŒCONOMIE ainsi que « la mauvaise administration des deniers de l’État » :

la vénalité [est] poussée à tel excès, que la considération se compte avec les pistoles, & que les vertus mêmes se vendent à prix d’argent : telles sont les causes les plus sensibles de l’opulence & de la misere, de l’intérêt particulier substitué à l’intérêt public, de la haine mutuelle des citoyens, de leur indifférence pour la cause commune, de la corruption du peuple, & de l’affoiblissement de tous les ressorts du gouvernement. [...] La patrie ne peut subsister sans la liberté, ni la liberté sans la vertu, ni la vertu sans les citoyens : vous aurez tout si vous formez des citoyens ; sans cela vous n’aurez que de méchans esclaves, à commencer par les chefs de l’état. Or former des citoyens n’est pas l’affaire d’un jour ; & pour les avoir hommes, il faut les instruire enfans.

La dénonciation des privilèges est indissociable de celles des impôts iniques levés sur le peuple et dont noblesse et clergé sont exemptés. Voyez l’article Taille a volonté ou a discretion, a merci ou a misericorde de Jaucourt : « Un malheureux journalier qui ne possede aucun fonds dans une paroisse, qui manque de travail, ne peut aller dans une autre où il trouve de quoi subsister sans payer la taille en deux endroits pendant deux ans, & pendant trois s’il passe dans une troisieme élection. »

Quant à la terrible gabelle :

La douleur s’empare de notre cœur à la lecture de l’ordonnance des gabelles. Une denrée que les faveurs de la providence entretiennent à vil prix pour une partie des citoyens, est vendue chérement à tous les autres. Des hommes pauvres sont forcés d’acheter au poids de l’or une quantité marquée de cette denrée, & il leur est défendu, sous peine de la ruine totale de leur famille, d’en recevoir d’autre, même en pur don. (art. Sel, impôt sur le, Jaucourt)

Critique religieuse

On trouve, dans l’Encyclopédie, des articles strictement orthodoxes et favorables aux papes et au clergé, mais aussi de nombreuses mises en cause des institutions catholiques, par exemple celle du célibat des prêtres. « Les ministres Protestants trouvent fort bien le temps d’avoir des enfants, de les élever, de gouverner leur famille, et de veiller sur leur paroisse. Ce serait offenser nos ecclésiastiques que de n’en pas présumer autant d’eux. » (art. Célibat). Plus rarement, c’est le dogme même — ici celui de la résurrection des corps — qui est allusivement moqué : « Marcher, voir, entendre, parler, se mouvoir, quand on n’a plus ni piés, ni mains, ni yeux, ni oreilles, ni organes actifs ! Ceux qui sont morts le sont bien, & pour long-tems.  » (art. Revenant)

Dans les années 1750, les encyclopédistes furent attaqués par l’ordre religieux le plus puissant du Royaume, celui des jésuites, qui, dans leur hebdomadaire, menèrent ce qu’ils nommaient eux-mêmes « la guerre de l’Encyclopédie ». À l’époque, l’enseignement en France était majoritairement dispensé aux garçons par les jésuites, dans leurs collèges. D’Alembert conçoit donc un article Collège dans lequel il s’en prend, avec verve, aux fondements mêmes de l’enseignement jésuite, à savoir : la pure dévotion au latin, les « puérilités pédantesques de la rhétorique », en particulier les exercices dits amplifications, « nom très convenable en effet, puisqu’ils consistent pour l’ordinaire à noyer dans deux feuilles de verbiage ce qu’on pourrait et ce qu’on devrait dire en deux lignes ». D’Alembert plaide pour un tout autre cursus : « Commencer par la philosophie, car il faut penser avant que d’écrire ». Il dénonce également la « corruption des mœurs », entendons celle des jeunes garçons, de même que l’enseignement du préjugé nobiliaire : « On y élève beaucoup de jeune noblesse ; on leur parle à chaque instant de leur naissance et de leur grandeur, et par là on leur inspire, sans le vouloir, des sentiments d’orgueil à l’égard des autres. » (art. Collège) Enfin, D’Alembert raille la frivolité des sujets et des méthodes d’enseignement, notamment la pratique des ballets, autrement dit la chorégraphie jésuite...

Quant aux jansénistes, secte catholique opposée aux jésuites « molinistes », le même D’Alembert dénonce la violence de la « guerre insensée » qu’ils mènent entre eux :

La postérité aura-t-elle pour les auteurs de ces troubles de la pitié ou de l’indignation, quand elle saura qu’une dissension si acharnée se réduit à savoir, si les cinq propositions expriment ou non la doctrine de l’évêque d’Ypres [Jansenius] ? car tous s’accordent à condamner ces propositions en elles-mêmes. On appelle (très-improprement) Jansénistes, ceux qui refusent de signer que Jansénius ait enseigné ces propositions. Ceux-ci de leur côté qualifient (non moins ridiculement) leurs adversaires de Molinistes, quoique le Molinisme n’ait rien de commun avec le formulaire ; & ils appellent athées les hommes sages qui rient de ces vaines contestations. » (art. Formulaire).

Il s’attaque aussi à la croyance aux miracles de cette « secte de fanatiques » dans l’article Convulsionnaires.

« Fanatiques » ! Sans doute est-ce un des plus acharnés qu’elle ait mené que le combat de l’Encyclopédie contre la barbarie aux mille visages, à commencer justement par le fanatisme et l’intolérance. Les massacres des guerres de religion demeurent encore dans toutes les mémoires et, plus encore, la Révocation de l’Édit de Nantes, en 1685, par Louis XIV sur le conseil des jésuites, qui avait déclenché les persécutions subies par les protestants, contraints de se convertir au catholicisme ou de s’enfuir hors du royaume.

« Le mot intolérance s’entend communément de cette passion féroce qui porte à haïr et à persécuter ceux qui sont dans l’erreur. » Diderot poursuit :

L’intolérance écclésiastique consiste à regarder comme fausse toute autre religion que celle que l’on professe, & à le démontrer sur les toîts, sans être arrêté par aucune terreur, par aucun respect humain [...]

Tout moyen qui relache les liens naturels & éloigne les peres des enfans, les freres des freres, les sœurs des sœurs, est impie.

Tout moyen qui tendroit à soulever les hommes, à armer les nations & tremper la terre de sang, est impie.

Il est impie de vouloir imposer des lois à la conscience, regle universelle des actions. Il faut l’éclairer & non la contraindre. (art. Intolérance)

Pour prendre la mesure de l’audace d’un tel article, il faut savoir qu’à la même époque, dans le Dictionnaire de Trévoux, les jésuites revendiquaient l’intolérance en expliquant au mot « Intolérant » : « Il n’y a, à proprement parler, que les catholiques dont les principes soient intolérants parce qu’il n’y a qu’eux qui ont les vrais principes ».

L’auteur de l’article Tolérance de l’Encyclopédie, le pasteur Romilly, apostrophe les fanatiques :

Vous-même qui me persécutez, pourriez-vous jamais vous résoudre à renier votre croyance ? Ne feriez-vous pas aussi votre gloire de cette constance qui vous irrite & qui vous arme contre moi ? Pourquoi voulez-vous donc me forcer, par une inconséquence barbare, à mentir contre moi-même, & à me rendre coupable d’une lâcheté qui vous feroit horreur ?

Quant à la Révocation de l’Édit de Nantes, si elle a trouvé des défenseurs chez certains abbés encyclopédistes, comme l’abbé Mallet, elle est désignée par Diderot comme une faute majeure : « Louis XIV. en persécutant les Protestans, a privé son royaume de près d’un million d’hommes industrieux qu’il a sacrifiés aux vûes intéressées & ambitieuses de quelques mauvais citoyens, qui sont les ennemis de toute liberté de penser, parce qu’ils ne peuvent régner qu’à l’ombre de l’ignorance » (art. Réfugiés). Et Voltaire ne manque pas de souligner que le fanatisme religieux a frappé l’Encyclopédie elle-même :

On a voulu priver le public de ce Dictionnaire utile, heureusement on n’y a pas réussi.
Des ames de boue, des fanatiques absurdes, préviennent tous les jours les puissans, les ignorans, contre les Philosophes ; si malheureusement on les écoutoit, nous retomberions dans la barbarie dont les seuls Philosophes nous ont tirés. » (art. Heureux, heureuse, heureusement).

Fanatisme enfin, donne lieu à un long article qui analyse le phénomène à travers l’histoire :

Parcourez tous les ravages de ce fléau, sous les étendarts du croissant, & voyez dès les commencemens, un Calife assûrer l’empire de l’ignorance & de la superstition en brûlant tous les livres [...] Bientôt un autre calife contraindra les chrétiens à la circoncision, tandis qu’un empereur chrétien force les juifs à recevoir le baptême [...]

Deleyre, auteur de l’article, poursuit :

On ne sait guere quel parti prendre avec un corps de fanatiques ; ménagez-les, ils vous foulent aux piés ; si vous les persécutez, ils se soûlevent. [...] Il n’y a que le mépris & le ridicule qui puissent les décréditer & les affoiblir. On dit qu’un chef de police, pour faire cesser les prestiges du fanatisme, avoit résolu, de concert avec un chimiste célebre, de les faire parodier à la foire par des charlatans.

Conseil encyclopédique à méditer de nos jours...

L’article Juif, de Jaucourt, rappelle « combien, en tout lieu, on s’est joué de cette nation d’un siècle à l’autre. On a confisqué leurs biens, lorsqu’ils recevaient le christianisme; et bientôt après on les a fait brûler, lorsqu’ils ne voulurent pas le recevoir ». Et Jaucourt, citant Montesquieu, avertit son propre siècle : « si quelqu’un dans la postérité ose dire qu’au dix-huitieme siecle tous les peuples de l’Europe étoient policés, on citera l’inquisition pour prouver qu’ils étoient en grande partie des barbares » (art. Inquisition).

Dénonciation des barbaries

D’autres manifestations de barbarie hantent le xviiie siècle, à commencer par celle de l’esclavage. On trouve certes un article écrit par un « colon » qui traite du « commerce des nègres », mais l’Encyclopédie contient aussi le premier texte ouvertement abolitionniste publié en France, l’article Traite des nègres de Jaucourt : « Cet achat de negres, pour les réduire en esclavage, est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles, & tous les droits de la nature humaine », et qui tient des « usages arbitraires & inhumains des colonies ».

On dira peut-être qu’elles seroient bientôt ruinées ces colonies, si l’on y abolissoit l’esclavage des negres. [...] Il est vrai que les bourses des voleurs de grand chemin seroient vuides, si le vol étoit absolument supprimé : mais les hommes ont-ils le droit de s’enrichir par des voies cruelles & criminelles ? [...] Non.... Que les colonies européennes soient donc plutôt détruites, que de faire tant de malheureux !

Barbarie aussi, celle de la torture, dite « question ». Si un juriste y explique froidement les différents procédés utilisés par les bourreaux pour obtenir l’aveu, Jaucourt, lui, met en accusation la pratique elle-même :

[...] la loi de la nature crie contre cette pratique, sans y mettre aucune exception vis-à-vis de qui que ce soit. Indépendamment de la voix de l’humanité, la question ne remplit point le but auquel elle est destinée. Que dis-je, c’est une invention sûre pour perdre un innocent, qui a la complexion foible & délicate, & sauver un coupable qui est né robuste. Ceux qui peuvent supporter ce supplice, & ceux qui n’ont pas assez de force pour le soutenir, mentent également. Le tourment qu’on fait souffrir dans la question est certain, & le crime de l’homme qui souffre ne l’est pas ; ce malheureux que vous appliquez à la torture songe bien moins à déclarer ce qu’il sait, qu’à se délivrer de ce qu’il sent. (art. Question)

Quant à l’entreprise guerrière, Jaucourt la dénonce avec la même fermeté : « la guerre étouffe la voix de la nature, de la justice, de la religion, & de l’humanité. Elle n’enfante que des brigandages & des crimes ; avec elle marche l’effroi, la famine, & la desolation ; elle déchire l’ame des meres, des épouses, & des enfans ; elle ravage les campagnes, dépeuple les provinces, & réduit les villes en poudre. » (art. Guerre)

Et il ne s’agit pas seulement de proclamations d’indignation : c’est de situations bien concrètes, celle du sort des soldats, par exemple, que certains encyclopédistes se préoccupent : Saint-Lambert, poète et officier de l’armée royale, présente, dans son article Transfuge, un plaidoyer nourri et argumenté contre l’enrôlement de force et la peine de mort qui, en France, punissait les soldats qui désertaient par milliers.

Ce sont ces hommes plutôt enchaînés qu’engagés, qu’on punit de mort lorsqu’ils veulent rompre des chaînes qui leur pesent. [...] Quelles ont été jusqu’à présent les suites de vos arrêts sanguinaires & de tant d’exécutions ? Depuis que les déserteurs sont punis de mort en France, y en a-t-il moins qu’il y en avoit autrefois ? [...] non [...], la désertion est aussi commune dans vos troupes qu’elle l’étoit auparavant. (art. Transfuge)

Combats pour une autre morale

« Changer la façon commune de penser » implique bien sûr de nouvelles valeurs morales, fondées sur l’humanité, la bienveillance, la recherche du bonheur ; ainsi Diderot se préoccupe-t-il, très différemment des jésuites, de l’éducation des enfants, notamment de l’éveil de leur sensibilité à la justice : « Malheur aux enfans qui n’auront jamais vû couler les larmes de leurs parens au récit d’une action généreuse : malheur aux enfans qui n’auront jamais vû couler les larmes de leurs parens sur la misere des autres. » (art. Locke, philosophie de).

En opposition à l’austérité et au goût du malheur que professent certains moralistes chrétiens, Diderot s’exclame :

Ceux qui enseignent je ne sais quelle doctrine austere qui nous affligeroit [...] sur cette foule d’objets qui nous entourent & qui sont destinés à émouvoir cette sensibilité en cent manieres agréables, sont des atrabilaires à enfermer aux petites-maisons [l’hôpital pour les fous]. Ils remercieroient volontiers l’être tout-puissant d’avoir fait des ronces, des épines, des venins, des tigres, des serpens, en un mot tout ce qu’il y a de nuisible & de malfaisant ; & ils sont tout prêts à lui reprocher l’ombre, les eaux fraîches, les fruits exquis, les vins délicieux, en un mot, les marques de bonté & de bienfaisance qu’il a semées entre les choses. (art. Voluptueux)

S’étonnera-t-on, dès lors, de trouver dans ce dictionnaire des sciences et des métiers un éloge de l’amour et du plaisir amoureux ? On ira lire l’article Mariage (Médecine & Diète) du médecin Ménuret de Chambaud et, d’abord, l’évocateur article Jouissance de Diderot :

S’il y avoit quelqu’homme pervers qui pût s’offenser de l’éloge que je fais de la plus auguste & la plus générale des passions, j’évoquerois devant lui la Nature, je la ferois parler, & elle lui diroit. Pourquoi rougis-tu d’entendre prononcer le nom d’une volupté, dont tu ne rougis pas d’éprouver l’attrait dans l’ombre de la nuit ? Ignores-tu quel est son but & ce que tu lui dois ? Crois-tu que ta mere eût exposé sa vie pour te la donner, si je n’avois pas attaché un charme inexprimable aux embrassemens de son époux ? Tais-toi, malheureux, & songe que c’est le plaisir qui t’a tiré du néant.

Combats contre les interdits de pensée

La reconnaissance des découvertes scientifiques passe par le combat contre les interdits de pensée. D’Alembert, dans le « Discours préliminaire des éditeurs », dénonce « le despotisme théologique » dans l’histoire : « l’abus de l’autorité spirituelle réunie à la temporelle forçait la raison au silence ; et peu s’en fallut qu’on ne défendît au genre humain de penser ». Ainsi dans l’article Antipodes, D’Alembert rappelle avec ironie qu’un pape déclara hérétique un prêtre qui avait émis l’idée qu’il existait des hommes aux antipodes. Ailleurs il énumère les persécutions subies par les savants : « En Italie, il est défendu de soutenir le système de Copernic, qu’on regarde comme contraire à l’Écriture à cause du mouvement de la Terre que ce système suppose » ; quant au « grand Galilée », il « fut autrefois mis à l’inquisition, et son opinion du mouvement de la Terre condamnée comme hérétique. » (art. Copernic)

Les articles de mathématiques peuvent aussi servir à dégager la pensée des cadres répétitifs de l’apprentissage scolastique et à préparer un peuple à s’ouvrir à l’esprit philosophique. Ainsi s’achève l’article Géomètre de D’Alembert :

Mais indépendamment des usages physiques & palpables de la Géométrie, nous envisagerons ici ses avantages sous une autre face, à laquelle on n’a peut-être pas fait encore assez d’attention : c’est l’utilité dont cette étude peut être pour préparer comme insensiblement les voies à l’esprit philosophique, & pour disposer toute une nation à recevoir la lumiere que cet esprit peut y répandre. C’est peut-être le seul moyen de faire secoüer peu-à-peu à certaines contrées de l’Europe, le joug de l’oppression & de l’ignorance profonde sous laquelle elles gémissent. Le petit nombre d’hommes éclairés qui habitent certains pays d’inquisition, se plaint amerement quoiqu’en secret, du peu de progrès que les Sciences ont fait jusqu’ici dans ces tristes climats. Les précautions qu’on a prises pour empêcher la lumiere d’y pénétrer, ont si bien réussi, que la Philosophie y est à-peu-près dans le même état où elle étoit parmi nous du tems de Louis le Jeune.

Autre combat de grande ampleur que répercute l’Encyclopédie, celui qui milite pour l’inoculation contre la variole. D’importants théologiens la condamnaient comme pratique hérétique qu’il fallait interdire puisque c’était « usurper les droits de la Divinité, que de donner une maladie à celui qui ne l’a pas, ou d’entreprendre d’y soustraire celui qui, dans l’ordre de la Providence, y était naturellement destiné », comme le rapporte l’académicien des sciences et encyclopédiste La Condamine — qui lança une campagne pour l’inoculation en 1754 et dont l’Encyclopédie reproduit les arguments dans une première partie de l’article Inoculation ; Voltaire se joignit à cette campagne, ainsi que l’Encyclopédie sous les auspices de Tronchin, suscitant une véritable mobilisation de l’opinion publique.

Critique des savoirs et de leur transmission

L’Encyclopédie, loin de se limiter à accumuler les connaissances, est aussi un lieu de critique des savoirs et de leur diffusion. Cela passe d’abord par le choix des connaissances que contient l’Encyclopédie et la décision d’en exclure tout ce qui ne sert pas une transmission utile à la science et à la vertu — car l’une des préoccupations fondamentales des encyclopédistes a été de distinguer ce qui relève des talents et ce qui relève des titres de noblesse, et d’illustrer le mérite plutôt que la naissance. C’est ainsi que D’Alembert explique :

On ne trouvera donc dans cet Ouvrage [...] ni la généalogie des grandes Maisons, mais la généalogie des Sciences, plus précieuse pour qui sait penser ; [...] ni les Conquérans qui ont desolé la terre, mais les génies immortels qui l’ont éclairée ; ni enfin une foule de Souverains que l’Histoire auroit dû proscrire. Le nom même des Princes & des Grands n’a droit de se trouver dans l’Encyclopédie, que par le bien qu’ils ont fait aux Sciences ; parce que l’Encyclopédie doit tout aux talens, rien aux titres, & qu’elle est l’histoire de l’esprit humain, & non de la vanité des hommes. (« Avertissement » du vol. III).

Mais les connaissances elles-mêmes, telles qu’elles se forment et se diffusent, sont également soumises à un examen critique. Par exemple, dans Musique, article de tête de sa contribution entièrement rédigée en 1749, Rousseau discute notamment des mérites comparés de la musique de son temps et de la musique des anciens : il tend à relativiser le point de vue moderne qui postule un progrès de l’une à l’autre. Dans un paragraphe lié aux planches, il élargit encore ce point de vue relativiste en introduisant trois références à des musiques extra-européennes (voir illustration). Toutefois, les exemples qu’il présente, tirés de sources livresques françaises, sembleraient plutôt démontrer le contraire. D’où la réflexion critique de Rousseau qui — comme il le fera quelques années plus tard dans son Discours sur l’origine de l’inégalité à propos des récits de voyage et de la valeur de leurs observations — questionne le processus même de transmission d’une donnée exotique :

On a ajouté, dans la même planche, un air chinois tiré du père du Halde ; et, dans une autre planche, un air persan tiré du chevalier Chardin ; et ailleurs, deux chansons des sauvages de l’Amérique, tirées du P. Mersenne. On trouvera dans tous ces morceaux une conformité de modulation avec notre musique, qui pourra faire admirer aux uns la bonté et l’universalité de nos règles, et peut-être rendre suspecte à d’autres la fidélité ou l’intelligence de ceux qui ont transmis ces airs.

Extraits des planches de musique (volume VII).

Les connaissances consignées dans l’Encyclopédie proviennent parfois d’ouvrages de compilation, et donc de récits plus ou moins fiables de voyageurs lointains. D’où, chez Diderot, une critique ironique des sources du savoir, qui sont autant d’appels à douter de leur validité :

* AGUAPA, s. m. (Hist. nat. bot.), arbre qui croît aux Indes occidentales, dont on dit que l’ombre fait mourir ceux qui s’y endorment nuds, & qu’elle fait enfler les autres d’une maniere prodigieuse. Si les habitans du pays ne le connoissent pas mieux qu’il ne nous est désigné par cette description, ils sont en grand danger.

* ACACALIS, s. m. arbrisseau qui porte une fleur en papillon, & un fruit couvert d’une cosse. Voyez Ray, Hist. Plant. On lit dans Dioscoride [...]. Malgré toutes ces autorités, je ne regarde pas le sort de l’acacalis comme bien décidé ; sa description est trop vague, & il faut attendre ce que les progrès de l’Histoire Naturelle nous apprendront là-dessus.

À la recherche des mots aguapa ou acacalis, les lecteurs auront appris ici non ce que sont ces plantes lointaines et improbables, mais une forme supérieure de la critique : questionner leurs questionnements, et même parfois en rire !

« Il faut attendre »... Cette formule ne cesse de revenir dans le dictionnaire, comme un appel à la vigilance. Pour les encyclopédistes, l’inlassable recherche du savoir est inséparable d’une conscience : celle de la précarité des connaissances ou, plus exactement, de leur perpétuelle caducité et de leur éternel renouvellement.

III. Description des arts

Les arts et les métiers enfin reconnus


La vignette de cette planche publiée dans le volume VII (1769)
représente les compositeurs au travail dans un atelier d’imprimerie.

Répartie dans les articles et dans les volumes de planches, la description des arts et des métiers constitue une des innovations importantes de l’Encyclopédie. Elle procède d’un combat livré contre un ancien et durable préjugé qui affirmait alors (et affirme toujours ?) la « supériorité » des « arts libéraux » (comme les beaux-arts) sur les « arts mécaniques » (c’est-à-dire les métiers manuels). Dans l’article ART, Diderot nous en résume parfaitement les termes :

Rendons enfin aux Artistes la justice qui leur est dûe. Les Arts libéraux se sont assez chantés eux-mêmes ; ils pourroient employer maintenant ce qu’ils ont de voix à célébrer les Arts méchaniques. C’est aux Arts libéraux à tirer les Arts méchaniques de l’avilissement où le préjugé les a tenus si long-tems ; c’est à la protection des rois à les garantir d’une indigence où ils languissent encore. Les Artisans se sont crus méprisables, parce qu’on les a méprisés ; apprenons-leur à mieux penser d’eux-mêmes : c’est le seul moyen d’en obtenir des productions plus parfaites.

Il s’agit aussi, ce faisant, de redonner aux arts mécaniques la place qu’ils méritent dans l’Encyclopédie : « On a trop écrit sur les Sciences : on n’a pas assez bien écrit sur la plupart des Arts libéraux : on n’a presque rien écrit sur les Arts méchaniques », notait déjà Diderot dans le Prospectus. La Cyclopædia de Chambers, dans laquelle tout reste « à suppléer dans les arts mécaniques », n’échappe d’ailleurs pas à la règle. C’est sur cette volonté de reconnaissance qu’est bâtie la description des arts. On a parfois ironisé sur la propreté des ateliers, voire l’élégance des ouvriers représentés sur les planches, mais c’est ne pas comprendre que cette présentation participe elle aussi de la mise en valeur des métiers manuels dans l’Encyclopédie.

Le mépris qu’on a pour les Arts méchaniques semble avoir influé jusqu’à un certain point sur leurs inventeurs mêmes. Les noms de ces bienfaiteurs du genre humain sont presque tous inconnus, tandis que l’histoire de ses destructeurs, c’est-à-dire, des conquérans, n’est ignorée de personne. Cependant c’est peut-être chez les Artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience & de ses ressources. J’avoue que la plûpart des Arts n’ont été inventés que peu-à-peu ; & qu’il a fallu une assez longue suite de siecles pour porter les montres, par exemple, au point de perfection où nous les voyons. Mais n’en est-il pas de même des Sciences ? Combien de découvertes qui ont immortalisé leurs auteurs, avoient été préparées par les travaux des siecles précédens, souvent même amenées à leur maturité, au point de ne demander plus qu’un pas à faire ? (D’Alembert, « Discours préliminaire »)

Les précurseurs

En 1675, Colbert avait ordonné à l’Académie royale des sciences de travailler à un projet de Description des arts et des métiers, à la fois théorique et pratique, accessible à tous. Mis en chantier à la fin du xviie siècle par quatre de ses membres, l’abbé Bignon, des Billettes, le père Truchet et Jaugeon, puis poursuivi par Réaumur à partir de 1709 jusqu’à sa mort en 1757, ce projet donna naissance à de riches mémoires et recueils de planches gravées (par exemple sur le papier, l’or, la soierie, etc.). Les vues gouvernementales visant à protéger les procédés techniques nationaux imposaient cependant une prudence absolue dans la divulgation des savoir-faire et des secrets ; peu de ces travaux furent donc finalement publiés. Tandis que les métiers connaissaient une évolution très rapide dans les premières décennies du xviiie siècle, les recherches académiques souffraient en outre d’une extrême lenteur.

Avec le Dictionnaire des arts et des sciences de Thomas Corneille, revu et corrigé par Fontenelle en 1732, et surtout avec le Dictionnaire de commerce de Savary des Bruslons, dont le premier volume paraît en 1723, les travaux de l’Académie des sciences en vue d’une Description des arts et des métiers n’en figurent pas moins parmi les principaux précurseurs de l’entreprise impulsée par Diderot. Elles en influenceront d’ailleurs de nouveau le cours au début des années 1760.

La description encyclopédique

Dans l’article Encyclopédie, Diderot prône de fait la méthode inverse de celle qui a guidé le travail de l’Académie ; l’entreprise de description des arts doit être collective, menée le plus rapidement possible et sans contrainte :

Il seroit à souhaiter que le gouvernement autorisât à entrer dans les manufactures, à voir travailler, à interroger les ouvriers, & à dessiner les instrumens, les machines, & même le local. [...] Il y a peu de secrets qu’on ne parvînt à connoître par cette voie : il faudroit divulguer tous ces secrets sans aucune exception.

Cet appel à l’enquête et à la connaissance des secrets indique l’esprit même dans lequel est menée cette description des métiers : rendre hommage aux plus humbles artisans et à leurs procédés novateurs. Par exemple :

Le sieur Malisset, boulanger de Paris, artisan distingué, vient de prouver [...] que l’on pouvoit œconomiser par année 80000 liv. sur la dépense que sont les hôpitaux pour le pain qui se consomme par les pauvres, & cepen-​dant leur en fournir d’une qualité infiniment supérieure, plus nourrissant & sur-tout plus agréable, & aussi blanc que celui qui se mange dans toutes les maisons particulieres. [...] il faut donc savoir gré à celui qui s’est donné des soins pour en étendre la connoissance, & qui a eu assez de courage pour s’exposer à toutes les contrariétés qu’on doit s’attendre à éprouver lorsqu’on entreprend de changer d’anciens usages pour y en substituer des meilleurs. (art. Mouture)

Honorer les « artistes » donc, et aussi recueillir le savoir technique et le diffuser largement. Ceci demande en particulier un travail d’enquête dans les ateliers, que les encyclopédistes reprochent notamment à Chambers ne pas avoir conduit dans la Cyclopædia. Diderot insiste fortement sur ce point (en parlant des ouvriers « les plus habiles de Paris et du royaume ») :

On s’est donné la peine d’aller dans leurs Ateliers, de les interroger, d’écrire sous leur dictée, de déveloper leurs pensées, d’en tirer les termes propres à leurs professions, d’en dresser des tables, de les définir, de converser avec ceux dont on avoit obtenu des mémoires, & (précaution presqu’indispensable) de rectifier dans de longs & fréquens entretiens avec les uns, ce que d’autres avoient imparfaitement, obscurément, & quelquefois infidellement expliqué. (Prospectus)

Pour mener à bien ce travail, les encyclopédistes bénéficient de talents remarquables comme celui de Louis Jacques Goussier (1722-1799), principal collaborateur de Diderot pour les arts mécaniques : à la fois enquêteur (papier, forges, ancres, par exemple) et dessinateur fécond. Diderot, quant à lui, s’appuie sur le lancement d’enquêtes, de questionnaires, sur la lecture de traités spécialisés, et visite nombre d’ateliers, comme sa correspondance le montre.

On l’a déjà indiqué, ce travail sur la description a connu deux grandes étapes : la première, pratiquement achevée dès 1749, est suivie d’une autre phase plus ambitieuse, répondant à la concurrence de la Description des arts et métiers, finalement publiée par l’Académie après la mort de Réaumur. Cette seconde phase conduit en particulier à une intensification des enquêtes et des visites dans les manufactures ainsi qu’à une augmentation significative du nombre de planches prévues (au lieu des 2 volumes initialement prévus en 1749, 11 seront finalement publiés).

Le résultat dans l’Encyclopédie prend la forme de descriptions souvent très détaillées, dans une langue la plus claire possible. La seule vertu exigée des lecteurs, qui ne doivent être, selon Diderot, ni des « génies transcendants », ni des « imbéciles », est l’effort d’attention. Ainsi, devant expliquer la machine arithmétique, Diderot prévient que son article est destiné à « ceux qui ont quelque habitude de s’appliquer ». À la différence des mémoires académiques réservés aux artisans spécialisés, une des grandes innovations de l’Encyclopédie, comme le souligne l’historien Jacques Proust, a été « de s’adresser à un vaste public, en partie nouveau, qui va en principe de l’académicien au maître ouvrier ».

[...]

Diderot s’est chargé de la majeure partie des descriptions dédiées à la fabrication des textiles. Ci-dessus, le début et la fin de l’article qu’il consacre à la gaze et à la lisse qui permet sa fabrication, où il rend hommage à son inventeur, et ci-contre la planche publiée dans la section « Gazier » du volume XI (1772), à laquelle renvoie l’article, et qui représente le fonctionnement les lisses d’un métier à gaze.

Finalement, tous les métiers sont en principe recensés et, parmi les arts mécaniques, la part du lion est faite, comme il se doit à l’époque, à la fabrication des textiles. Sait-on toujours que l’Encyclopédie fut au xviiie siècle le plus riche recueil de mots des métiers, de l’artisanat, des fabriques, du vocabulaire de travail du petit peuple ? Sait-on aussi, comme le signale Jacques Proust, que c’est dans l’Encyclopédie (article Art) qu’est énoncée l’idée alors incontestablement neuve d’un système rationnel des poids et des mesures ?

IV. Organisation des savoirs

Le réseau des connaissances

Au début de l’entreprise, les deux jeunes éditeurs de l’Encyclopédie assignent un objectif très ambitieux au projet qu’ils dirigent. Il ne s’agit pas seulement de réunir de façon cumulative l’ensemble des connaissances de leur temps, il s’agit en plus d’en explorer les liens. Le début de leur « Discours préliminaire » est très explicite : « comme Encyclopédie, [l’ouvrage] doit exposer autant qu’il est possible l’ordre et l’enchaînement des connaissances humaines » ; ils insistent sur la « liaison que les découvertes ont entre elles », sur les secours que « les sciences et les arts se prêtent mutuellement », sur « la généalogie et la filiation » des connaissances. Pour mieux donner à voir cette ambition, leur présentation liminaire s’achève par l’exposition d’un « Système des connaissances humaines », doublé d’une version figurée sous forme d’un tableau arborescent. Inspiré du philosophe anglais Francis Bacon (1561-1626), ce système rattache l’ensemble des savoirs humains à l’exercice de trois facultés principales de l’entendement : la mémoire (dont dépendent les connaissances de type historique, celles fondées sur l’accumulation de données observées, ainsi que les savoirs pratiques) ; la raison (dont dépendent les connaissances qui organisent les données, cherchent des lois, construisent des systèmes) ; l’imagination (dont dépendent les pratiques artistiques et créatrices).

Si ce système dit bien l’ambition philosophique du projet, il n’en dessine pas le plan. D’ailleurs, Diderot avait été clair au moment de le présenter dans le Prospectus de l’entreprise, en 1750 : ce n’est qu’un « premier pas [...] vers l’exécution raisonnée » de l’Encyclopédie. Il s’agit donc d’une sorte d’expérience préliminaire, en modèle réduit, pour tester l’exploration des liaisons entre les connaissances et esquisser les paramètres permettant de penser et d’organiser ces liaisons. Cette maquette de laboratoire, où tout semble maîtrisé, ne doit donc pas être projetée sur l’expérience réelle qu’a été la longue et complexe mise en œuvre de l’Encyclopédie. De fait, dès que l’on confronte le « Système » aux volumes, il apparaît très vite qu’il n’en a pas été le programme : des connaissances mentionnées dans le tableau sont absentes des textes (pneumatologie, uranographie, géologie, pédagogie, etc.) et inversement (beaux-arts, horlogerie, géodésie, ichtyologie, etc.) ; les trois articles Imagination, Mémoire et Raison n’y font aucune allusion, bien que ces trois notions structurent le système ; etc.


Cette version du « Système figuré » parue avec le Prospectus
de novembre 1750 présente quelques différences avec celui du volume I,
qui témoignent d’une réflexion en mouvement.

En revanche, les volumes de l’Encyclopédie ont bel et bien été conçus pour permettre de tisser des liaisons entre les connaissances malgré la dispersion alphabétique qu’impose la forme du dictionnaire. L’un des procédés, d’ailleurs, était censé s’articuler au Système des connaissances initial. Il s’agit de la mention en italique qui complète le mot-vedette et désigne le domaine de savoir dont relève ce mot, élément que les spécialistes appellent aujourd’hui, par convention, des « désignants » (ex. Contemplation, Théologie ; Ferre, Verrerie ; Fétide, Médecine). Lorsque le mot-vedette est celui d’une connaissance, le désignant devrait retracer le chemin qui permet de la situer dans le Système (ex. Balistique, Ord. encyclop. Entendement, Raison, Philosophie ou Science. Science de la nature. Mathématiques. Mathématiques mixtes. Méchanique. Dynamique. Dynamique proprement dite. Balistique.). L’application du procédé tout au long de l’entreprise fait à son tour ressortir de nombreux écarts avec le Système initial : connaissances situées différemment (par exemple, la musique relève-t-elle de l’imagination ou de la raison ?), désignants qui n’ont pas d’équivalents dans le tableau (Belles-Lettres, Conchyliologie, Danse, Mythologie, etc.), connaissances du tableau qui ne servent jamais de désignant (Géologie, Ontologie, Orthographe, etc.), articles sans désignants… Ces dysfonctionnements ne manquent toutefois pas d’intérêt parce qu’ils signalent souvent des difficultés épistémologiques ou des hésitations dans la définition même des champs du savoir (rappelons que les connaissances n’ont pas encore, au xviiie siècle, la rigueur de disciplines constituées). De plus, le procédé a parfois suscité chez les encyclopédistes une réflexion sur les liaisons entre les connaissances, dont témoigne l’indexation complexe d’articles relatifs à certains objets ou à certaines notions : Tolérance a pour désignant Théolog. Morale, Politiq. ; Négation, Logique, Grammaire ; Delphes, Géog. anc. Littér. Hist. ; etc.

Le deuxième procédé qui permet de suggérer des liens entre les connaissances relève spécifiquement du travail de mise en ordre éditorial. Comme il arrive souvent que plusieurs articles aient le même mot-vedette et ne se distinguent que par leur désignant, les éditeurs se sont efforcés, dans la mesure du possible, de présenter l’ensemble dans un ordre correspondant à des relations de voisinage ou à une manière de généalogie d’une connaissance à l’autre. Ainsi la série Doigt commence-t-elle par un article d’Anatomie auquel s’enchaîne une entrée de Chirurgie (sens propre du mot : la description anatomique précède logiquement l’explication des difformités et accidents qui peuvent survenir aux doigts et des interventions propres à les soigner) ; ce premier groupe est suivi d’articles en Astronomie, Histoire ancienne et Commerce (où le doigt a servi ou sert de mesure) ; la série se clôt par un article d’Horlogerie (où le mot désigne métaphoriquement une pièce de mécanisme).

Le troisième procédé exploite les renvois entre articles. Dans leur première fonction, déjà mise en place par Chambers, les renvois compensent l’éclatement alphabétique des données relatives à un même savoir ; c’est ainsi par exemple qu’un lecteur tombant sur l’article Lichanos, Musique, terme spécialisé de la théorie musicale grecque antique, est invité à se reporter à l’article Tétracorde pour accéder aux explications détaillées sur ce système. À côté des renvois internes à une connaissance, les encyclopédistes introduisent des renvois qui créent des ponts entre connaissances différentes et qui, par conséquent, incitent le lecteur à réfléchir aux liens suggérés : ainsi l’article Curiosité renvoie-t-il à Astrologie ; Equilibre en Mécanique, à Roue et à Machine funiculaire ; Beau, Métaphysique, à Peine et Plaisir, à Sensation, à Bon, mais aussi à Abstraction, à Définition et même à Optimisme ; etc. Les lecteurs modernes ont beaucoup fantasmé sur les renvois encyclopédiques parce que Diderot évoque, dans son article Encyclopédie, ce qu’il appelle les renvois « philosophiques », dont la fonction est d’être dirigés « secrètement […] contre certains préjugés ». Hélas, le seul exemple probant qu’on avance (un renvoi à Eucharistie dans Anthropophages) se révèle procéder d’une lecture mal informée du texte, ce renvoi remontant en fait à l’article très orthodoxe du Dictionnaire de Trévoux, rédigé par les jésuites !

L’aventure d’une exploration

Que ce soit les désignants, l’ordre donné aux articles partageant le même mot-vedette ou la mise en place des renvois, tous ces procédés ayant pour finalité de permettre l’exploration des liaisons entre les connaissances ont une caractéristique pratique commune, liée au mode de fabrication de l’Encyclopédie : ils ont été appliqués ponctuellement, au cas par cas, pour ainsi dire « au ras » des matériaux rassemblés progressivement. C’est ce qui explique les nombreuses disparités, et parfois les contradictions, que l’on remarque souvent lorsqu’on y cherche une cohérence d’ensemble. Est-ce à dire que l’objectif que les éditeurs s’étaient proposé n’a pas été atteint ? Est-ce à dire qu’il est inutile de s’intéresser à l’exploration des liaisons entre les connaissances telle qu’elles se présentent dans l’épaisseur même des 17 volumes d’articles ?

Diderot donne une réponse très claire à ce sujet dans l’article Encyclopédie où, avec une acuité philosophique exceptionnelle, il réfléchit à l’expérience éditoriale qu’il est en train de mener, à ses difficultés et à sa portée exacte étant donné ces difficultés. Par contraste avec le projet encyclopédique initial, qui pouvait donner l’illusion d’une maîtrise surplombante de la matière (ce que suggère le « Système des connaissances »), l’éditeur formule d’abord d’une façon frappante ce qu’a représenté le passage à la réalisation concrète :

Nous avons vu, à mesure que nous travaillions, la matière s’étendre, la nomenclature s’obscurcir, des substances ramenées sous une multitude de noms différents, les instruments, les machines et les manœuvres se multiplier sans mesure, et les détours nombreux d’un labyrinthe inextricable se compliquer de plus en plus.

Mais ensuite, par un retournement qui correspond exactement à ce qu’est la philosophie des Lumières, Diderot assume la production défectueuse, voire monstrueuse, qu’il est en train de voir naître sous ses yeux. Par rapport à un ouvrage encyclopédique idéal « qui remplît le dessein qu’on avait formé quand on l’entreprit », il déclare : « nous avons vu que de toutes les difficultés, une des plus considérables, c’était de le produire une fois, quelque informe qu’il fût, et qu’on ne nous ravirait pas l’honneur d’avoir surmonté cet obstacle. » En d’autres termes, il donne à lire l’Encyclopédie comme le produit d’une mise en jeu aventureuse mais résolue dont le résultat est significatif dans son imperfection même. C’est toute la portée du mot tentative dans la revendication suivante : « Nous avons vu que l’Encyclopédie ne pouvait être que la tentative d’un siècle philosophe [et] que ce siècle était arrivé. »

Et c’est bien parce que l’Encyclopédie est labyrinthique plutôt que systématique qu’il y a du sens à réaliser une édition numérique critique en invitant un large collectif d’historiens, spécialistes des domaines de connaissance représentés dans l’œuvre, à débrouiller patiemment, au cas par cas, les enjeux de petits ensembles d’articles (avec leurs désignants parfois multiples, leurs renvois parfois problématiques) et la manière dont ces textes arpentent un champ de connaissance et le définissent, de façon parfois floue ou contradictoire. Diderot, par la liberté qu’il a laissée à ses nombreux collaborateurs, a voulu une Encyclopédie résolument inscrite dans l’enchevêtrement des discours de connaissance tels qu’ils circulaient vers 1750. Explorer ce labyrinthe donne par conséquent un accès privilégié au paysage complexe que formaient les savoirs au milieu du xviiie, fait d’héritages assumés ou rejetés, de connaissances en plein développement ou à peine émergentes, de tensions multiples entre des territoires aux frontières encore labiles.

Histoire de l’entreprise

I. Les prémices et les années de préparation

Sellius et Mills

En juin 1744, un Allemand, nommé Gottfried (Godefroy) Sellius, naturaliste et professeur de droit, propose au libraire parisien Le Breton de traduire la Cyclopædia d’Ephraïm Chambers. Il a un associé John Mills, féru d’agriculture et traducteur, qu’il présente comme un riche Anglais. Un contrat est très vite passé : Mills et Sellius doivent fournir au libraire une traduction augmentée de la Cyclopædia, soit quatre volumes d’articles et un volume de planches au nombre de cent-vingt. André François Le Breton, de son côté, obtient le privilège nécessaire pour la publication de l’ouvrage. Au printemps 1745, un Prospectus , destiné à attirer des souscripteurs, est distribué et il annonce un « Dictionnaire universel des arts et des sciences » (traduction exacte du second titre de la Cyclopædia or an universal dictionary od arts and sciences »). Mais très vite, les rapports se tendent entre le libraire et ses deux associés ; il est question d’argent non investi, de traduction de mauvaise qualité : ils finissent par échanger des coups de poings, puis par entrer en procès.

Le Chancelier d’Aguesseau met fin aux poursuites engagées des deux côtés. Mills quitte la France et le privilège que Le Breton avait obtenu est annulé. Cependant la curiosité publique à l’égard de ce dictionnaire s’est éveillée et le libraire veut reprendre le projet ; dès octobre 1745, il s’associe avec trois autres libraires parisiens, Antoine Claude Briasson, Michel Antoine David et Laurent Durand.

Indications bibliographiques

Franco Venturi, Le Origini dell’Enciclopedia, Roma-Firenze-Milano, Edizioni U, 1946.

John Lough, « Le Breton, Mills et Sellius », Dix-huitième siècle, 1, 1969, p. 267-287.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 17 mars 2015

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « L’Encyclopédie : entre héritages et innovations », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Le premier Prospectus (1745)

On sait que la Cyclopædia d’Ephraim Chambers a servi de modèle au projet initial du dictionnaire français, du moins durant les premières années préparatoires. Cette préhistoire de l’entreprise encyclopédique, encore mal éclairée, commence par l’apparition des deux étrangers, l’Allemand Godefroy Sellius et l’Anglais John Mills, qui proposèrent, probablement en janvier 1745, au libraire parisien André François Le Breton, la traduction française de la Cyclopædia. Le Breton, éditeur de l’Almanach Royal, associé avec son confrère Laurent Durand, préparait déjà la traduction du Dictionnaire de la médecine de Robert James, publiée en six volumes de 1746 à 1748, et dont les traducteurs étaient Denis Diderot, Marc Antoine Eidous et Francois Vincent Toussaint. Le nouveau projet était séduisant : la Cyclopædia de Chambers, publiée en 1728, avait connu un tel succès que les tirages s’étaient succédé jusqu’en 1742.

Le 5 mars 1745, Le Breton conclut un traité avec Mills et Sellius, et le 26 mars obtient un premier privilège pour un Dictionnaire des Arts et des Sciences, édition revue et corrigée de la Cyclopædia. Le projet comprend quatre volumes de texte et cent vingt planches alors que le modèle anglais ne comportait que deux volumes et trente planches. Un Prospectus est diffusé et attire l’attention de certains journalistes. Ce premier manifeste de l’Encyclopédie parisienne mérite notre attention, d’autant plus que contrairement au deuxième Prospectus de 1750, rédigé par Diderot et qui se montre assez ingrat à l’égard de Chambers, la modeste circulaire annonce simplement une traduction française de la Cyclopædia, en présentant comme échantillon une traduction partielle de quatre articles tirés du dictionnaire anglais.

Ce Prospectus, décrit par Douglas H. Gordon et Norman L. Torrey en 1947 (The Censoring on Diderot’s Encyclopédie and the Re-established Text), est le seul document qui puisse nous donner une idée approximative de la manière dont on traduisait la Cyclopædia tout au début de l’entreprise encyclopédique. John Lough soulignait déjà en 1969 (« Le Breton, Mills et Sellius ») la difficulté d’en trouver l’original et cette situation matérielle explique bien les raisons de la carence d’études sur cette première période.

Le Prospectus de 1745 est aujourd’hui disponible à l’Université Keio (Tokyo), à l’Université de Virginie (États-Unis) et à la Bibliothèque nationale de France. Le texte original se présente comme un ensemble de six feuillets, 12 p., in-folio (385×235 mm). On lit sur la page de titre :

TRADUIT DE L’ANGLOIS / D’EPHRAIM [sic] CHAMBERS, / MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE LONDRES. / [...] / CINQ VOL. IN-FOL. AVEC FIG. EN TAILLE-DOUCE, / PROPOSÉS PAR SOUSCRIPTION.

Le texte proprement dit du Prospectus se trouve aux pages 3 à 8, où l’on célèbre l’aspect synthétique de la Cyclopædia : « Il nous manquoit un Ouvrage qui embrassât & qui traitât à fond une si vaste étendue ; qui sçût rassembler & digérer tout ce qui concerne les Arts & les Sciences en général, & qui tendît à faire connoître & à perfectionner chacune de ses parties » (p. 3). Pages 4 à 5, l’auteur donne un long extrait de la préface de la Cyclopædia où Chambers explique le fameux système de renvois. Pour l’auteur du Prospectus, le « dessein » de Chambers « n’est pas tant de donner un Dictionnaire, qu’un Traité complet sur tous les Arts & sur toutes les Sçiences, & de montrer quels rapports, quelles liaisons les unes ont avec les autres » (p. 5). Ensuite, page 6, il reproduit la Table de Chambers sous la forme d’un arbre des connaissances qui se ramifie pour aboutir finalement à « quarante-sept principaux articles qui forment le fonds de l’Ouvrage ». En bas des pages 6 et 7, en notes, sont donnés comme exemples sept articles accompagnés de leurs nombreuses subdivisions « afin de faire connoître dans quels détails l’Auteur est entré sur chaque Matière » (p. 6). La première moitié de la page 8 est consacrée à la question des planches. Pour dispenser les lecteurs français de la tâche pénible de chercher, au fil de leur lecture, des figures dispersées dans plusieurs volumes, l’équipe parisienne a décidé d’« en former un volume séparé ». Dans la seconde partie de la même page, on précise les conditions proposées aux souscripteurs et on donne aussi la « Liste des Libraires des principales Villes de France & de l’Europe, chez qui on pourra souscrire ». Dans les quatre dernières pages (p. 9-12) se trouvent reproduits des extraits de quatre articles traduits en français : ATMOSPHÈRE, FABLE, SANG, TEINTURE. Ils correspondent dans l’original anglais respectivement aux articles suivants : ATMOSPHERE, FABLE, BLOOD, DYING, ce qui indique que les échantillons sont pris dans le premier tome de la Cyclopædia. Le Journal de Trévoux, en mai 1745, publia un article favorable à ce projet. C’était un beau début éditorial.

Mais se posent, au sujet de ce document unique sur le projet initial de l’Encyclopédie, deux questions importantes : qui a traduit les quatre articles choisis comme « échantillons » et quelle édition de la Cyclopædia a-t-on utilisé ?

Pour identifier le premier traducteur, les témoignages sont discordants. Selon Le Breton, c’est l’Allemand Sellius :

La traduction faite par Sellius de la préface et des quatre articles de l’ouvrage de Chambers qui devaient entrer dans le Prospectus, fut trouvée si défectueuse quant à la traduction et si peu correcte quant à la diction française, de l’aveu même de Mills, qu’il fut arrêté entre lui et le sieur Le Breton qu’ils auraient recours à d’autres traducteurs pour le corps de l’ouvrage. C’était là cependant une occasion favorable au sieur Mills de faire paraître sa science en donnant un échantillon de la traduction à laquelle il travaillait depuis deux ans, comme il a la hardiesse de l’avancer dans son mémoire. » (Mémoire pour André-François Le Breton [...] contre le sieur Jean Mills [...], Paris, Le Breton, 1745, p. 5-6, cité par J. Lough, The Encyclopédie, p. 11)

Mais un article paru dans le Mercure de France désigne l’Anglais Mills comme l’authentique traducteur de la Cyclopædia...

D’autre part, on ne trouve aucun indice fiable en ce qui concerne l’édition de Chambers qui a servi de modèle aux éditeurs parisiens. Les propos de Diderot qu’on lit dans le second Prospectus de 1750 (« La Traduction entière du Chambers nous a passé sous les yeux ») ne confirment-ils pas l’hypothèse selon laquelle l’on disposait à Paris depuis un certain moment d’un texte intégral traduit du Chambers qu’on pouvait mettre à profit à sa guise ? Or, au moment où l’on traduisait en français la Cyclopædia, celle-ci avait déjà connu sept éditions : 1728 (Londres), 1738 (Londres), 1738 [1739] (Londres), 1740 (Dublin), 1741 (Londres), 1741-1743 (Londres), 1742 (Dublin). Le Breton ne fournit aucune précision non plus. Une collation minutieuse de la traduction partielle des quatre articles choisis comme échantillons dans le premier Prospectus de 1745 avec diverses éditions de Chambers ne nous a pas permis d’identifier d’une manière convaincante l’édition utilisée comme texte de base. Voir Y. Sumi, « Atmosphere et Atmosphère — Essai sur la Cyclopædia et le premier Prospectus de l’Encyclopédie ».

En tout cas, l’une des plus grandes particularités de ce Prospectus, du moins en ce qui concerne les dernières pages consacrées aux quatre articles « échantillons », est qu’il s’agit d’une traduction presque littérale, et cela non seulement au niveau des mots, mais encore de la syntaxe, si bien qu’on pourra parler d’une espèce de « calque » : le traducteur respecte scrupuleusement les constructions grammaticales ainsi que la disposition des alinéas du texte original. L’impression d’ensemble est une fidélité qui n’exclut pas toujours l’idée de servilité. Peut-on mettre cette caractéristique sur le compte des traducteurs étrangers Mills et Sellius ?

Dans l’Avertissement du tome III, D’Alembert, signataire de l’article ATMOSPHÈRE du premier tome du dictionnaire parisien, publié en 1751, explique en ces termes la place toute particulière accordée à son texte dans le premier tome de l’Encyclopédie :

L’article Atmosphere est un des quatre que le projet de la traduction de Chambers offroit pour modele. Il a été conservé dans l’Encyclopédie Françoise avec deux additions de quelque conséquence. Nous supplions nos lecteurs de le comparer avec une foule d’autres articles, & de juger. Nous voudrions engager jusqu’aux détracteurs les plus ardens de cet Ouvrage à essayer du moins le parallele des deux Encyclopédies. C’est une invitation qu’on nous permettra de leur faire en passant, & que nous croyons devoir à la vérité, à nos Collegues, à notre nation, & à nous-mêmes. (Enc., III, p. v)

Cette explication est capitale : l’article ATMOSPHERE se distingue en effet par sa fidélité à la forme initiale de la traduction, parue dans le Prospectus de 1745, à l’exception de « deux additions de quelque conséquence ». La réflexion qui vient à l’esprit en lisant ces lignes est que l’article ATMOSPHERE de l’Encyclopédie, comme l’a bien dit l’encyclopédiste lui-même, n’est rien d’autre qu’un appât offert au regard vigilant des « détracteurs [...] ardens », texte laissé délibérément intact dans sa forme de traduction fidèle, afin de rehausser par contraste l’éclat et l’originalité des autres articles.

En définitive, le prospectus de 1745 s’avère être le témoignage par excellence de ce que fut la traduction de la Cyclopædia pour les premiers encyclopédistes.

Indications bibliographiques

Douglas H. Gordon and Norman L. Torrey, The Censoring on Diderot’s Encyclopédie and the Re-established Text, New-York, Columbia University Press, 1947.

Jean Haechler, L’Encyclopédie : les combats et les hommes, Paris, Les Belles Lettres, 1998.

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie. Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 375, Oxford, Voltaire Foundation, 1999.

John Lough, « Le Breton, Mills et Sellius », Dix-Huitième Siècle, 1, 1969, p. 267-287.

John Lough, The Encyclopédie, London, Longman, 1971.

Irène Passeron, « Quelle(s) édition(s) de la Cyclopædia les encyclopédistes ont-ils utilisée(s) ? », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 40-41, 2006, p. 287-292.

Jacques Proust, L’Encyclopédie, Paris, Armand Colin, 1965.

Yoichi Sumi, « Atmosphere et Atmosphère — Essai sur la Cyclopædia et le premier Prospectus de l’Encyclopédie », Verité et littérature au xviiie siècle, Mélanges offerts en l’honneur de Raymond Trousson, Paul Aron, Sophie Basch, Manuel Couvreur, Jacques Marx, Eric Van der Schueren et Valérie van Crugten-André (éd.), Paris, H. Champion, 2001, p. 271-284.

Franco Venturi, Le Origini dell’ Encyclopedia (1946), Torino, G. Einaudi, 1963.

Arthur M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, trad. de l’anglais par G. Chahine, A. Lorenceau, A. Villelaur (1985), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2014.

par Yoichi Sumi

Date de dernière mise à jour : 3 février 2015

Pour citer cette notice : Yoichi Sumi, « Le premier Prospectus de l’Encyclopédie (1745) », Qu’est-ce que l’Encyclopédie ?, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Jean Paul De Gua de Malves

L’imprécision règne dans les diverses notices sur le premier éditeur de l’Encyclopédie, qu’il faut lever une fois pour toutes.

Jean Paul De Gua de Malves, suivant sa signature telle qu’on la lit sur un acte notarié du 30 août 1747 (AN, MC/ET/XLIX/674 ou sur ses quelques lettres conservées (voir 8 mars 1747 Acad. Lyon ; 8 octobre 1750, Arch. Acad. sc. Paris), est né le 16 avril 1710 à Carcassonne, baptisé Jean Paul Degua le 19 (registre de la paroisse Saint-Vincent) et décédé le 2 juin 1786 à Paris (paroisse Saint-Eustache, scellés AN, Y//15680).

Il est le fils de Jean Degua, baron de Malves, marchand drapier devenu conseiller du roi et son receveur des tailles dans le diocèse de Carcassonne (en banqueroute vers 1725), et de Jeanne de Harrugue. Quatre de ses frères et sœurs nous sont connus : Bernard De Gua de Malves (c. 1708-1744), Jean-Philippe De Gua de Villepeyroux (mort en 1770), tous deux militaires à Saint-Domingue, sans descendance ; Jeanne De Gua, religieuse ; Anne De Gua, épouse de Marcellin de La Baume d’Angely, héritière des domaines familiaux. Son frère Bernard a épousé vers 1740 Élisabeth Adrienne Perine de Breda (1706-1754), alors veuve de Louis Dutrousset d’Hericourt (1694-1738) apparenté à la famille tutoriale de D’Alembert, les Camus Destouches.

Après avoir pris l’état ecclésiastique et reçu l’ordination, il est pourvu de bénéfices sur le prieuré de Capdenac (Lot) et les abbayes de Marœuil (près Arras) et de Ménigoute (Deux-Sèvres).

Membre de la Société des Arts de Paris (voir le dossier d’O. Courcelle), de l’Académie de Bordeaux, le 2 juin 1731, de la Royal Society de Londres en 1743, associé de l’Académie des beaux-arts de Lyon, le 27 juillet 1746, il est nommé adjoint géomètre à l’Académie royale des sciences, le 18 mars 1741 et y présente plusieurs mémoires et rapports entre le 5 juillet 1741 et le 6 septembre 1743. Il demande à passer géomètre adjoint vétéran le 3 juin 1745, demande accordée par le roi le 16 juin. Il avait une « petite pension d’astronome » qu’il perd alors et dont il demande en 1750 qu’on la lui rende (pochette de l’AdS, sept. 1750).

Titulaire de la chaire de philosophie grecque et latine au Collège royal de France, du 30 juin 1742 au 26 juillet 1748, De Gua traduit de nombreux textes anglais (de George Berkeley, George Anson, Matthew Decker) pour des libraires-imprimeurs entre 1744 et 1757, ce qui lui permet probablement de gagner sa vie.

En 1745, s’étant fâché avec son collègue Ferrein à l’Académie et ayant demandé, d’un coup d’humeur, à passer vétéran, il possède néanmoins une solide notoriété scientifique, entretenu par de nombreuses relations mathématiques. Il est en 1745 en bonnes relations avec D’Alembert et Clairaut, ses collègues, que l’on voit apparaître sur le registre de dépenses des libraires dès ses débuts. Ce statut et ses besoins financiers expliquent le choix des libraires, détenteurs d’un privilège pour la publication d’une édition française de la Cyclopædia de Chambers : il signe avec eux un contrat lui conférant la responsabilité scientifique de l’entreprise, le 27 juin 1746 (voir Cahier des charges De Gua). Le contrat est annulé treize mois plus tard, le 3 août 1747, et De Gua sera poursuivi en justice par les libraires pour restitutions et remboursements jusqu’en 1763 (avec emprise sur ses bénéfices ecclésiastiques). Ses déboires financiers se poursuivent toute sa vie.


Page de titre des instructions de De Gua
pour corriger la traduction de la Cyclopædia,
et en particulier y faire « l’exposition des sentiments
catholiques et orthodoxes, avec leurs principales preuves,
les réfutations des sentiments hérétiques ».

Subventionné pour exploiter les mines d’or dans les Cévennes en septembre 1751, il obtient un privilège de vingt ans pour cette exploitation en 1764, et se ruine en vaines tentatives. Ses malheurs ne sont pas que financiers : ainsi, dans le cadre de la « chasse aux abbés », il est arrêté le 2 novembre 1756 par la police chez « Marie Mouron dite Rozette fille de débauche » (voir L. Bongie, 1993).

Malgré toutes ces « tracasseries », son activité scientifique ne s’arrête pas : il est cosignataire de trois rapports d’expertise à l’Académie royale des sciences, sur un projet de prévention des accidents de la route (13 mars 1784), sur un projet d’étalon de mesure (22 mai 1784), sur un nouveau projet de distribution de l’eau de la Seine (17 novembre 1784), et nommé pensionnaire de la classe d’histoire naturelle et minéralogie lors de la réorganisation de l’Académie des sciences, 23 avril 1785.

Mort à Paris le 2 juin 1786 rue Neuve Saint-Eustache, en l’hôtel garni de Clovis où il habitait depuis plus de dix ans, ses obsèques sont célébrées le lendemain « à S. Joseph » (Affiches annonces et avis divers, no 156 du 5 juin 1786, p. 1504), chapelle qui dépendait de la paroisse Saint-Eustache.

Sa correspondance, en grande partie perdue, nous éclaire donc peu sur ses activités. Le « cahier des charges » (voir Cahier des charges De Gua) de la première traduction de la Cyclopædia envoyé à l’Académie des beaux-arts de Lyon, le 8 mars 1747, en remerciement de son élection, sur proposition de Quesnay, est donc une belle découverte. Après la rupture du contrat avec les libraires, De Gua eut beaucoup de mal à rembourser ses dettes et Diderot et D’Alembert ne le tenaient plus en grande estime.

Indications bibliographiques

Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, « Éloge de M. l’abbé de Gua », Œuvres, Paris, Firmin Didot frères, 1847, t. III, p. 241-258.

Jean Paul De Gua de Malves, Usages de l’analyse de Descartes pour découvrir, sans le secours du Calcul Differentiel, les Proprietés, ou Affections principales des Lignes Géométriques de tous les Ordres, Paris, Charles-Antoine Jombert, 1740. [consulter]

Jean Paul De Gua de Malves, Discours pour et contre la réduction de l’intérest naturel de l’argent, Wesel et Paris, Grangé et Hochereau, 1757. [consulter]

Jean Paul De Gua de Malves, Projet d’ouverture et d’exploitation de minières et mines d’or et d’autres métaux, aux environs du Cézé, du Gardon, de l’Eraut et d’autres rivières du Languedoc, Paris, Dessain junior, 1764.

Jean Paul De Gua de Malves, « Memoire circulaire des differentes choses que l’editeur de l’Encyclopédie demande à ceux qui voudront bien l’aider dans cet ouvrage », éd. R. Favre et M. Dürr, dans Mémoires de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, série III, t. 150, 2001, p. 50-68, et éd. C. Théré et L. Charles, RDE, 39, 2005, p. 105-122. [consulter]

Élisabeth Badinter, Les passions intellectuelles, Paris, Fayard, 1999-2007, 3 vol.

Larry Bongie, « La chasse aux abbés : l’abbé Gua de Malves et la morale diderotienne », RDE, 14, 1993, p. 7-22. [consulter]

Frank A. Kafker et Jeff Loveland, « La vie agitée de l’abbé De Gua de Malves et sa direction de l’Encyclopédie », RDE, 47, 2012, p. 187-205. [consulter]

Edgar Mass, « Les envers du succès. L’infortune du premier éditeur de l’Encyclopédie, Gua de Malves », dans L’Encyclopédie et Diderot, Edgar Mass et Peter-Eckhard Knabe (éd.), Köln, Verlag Dietmar/Möhlich, 1985, p.155-179 ;

René Taton, « Gua de Malves », Dictionary of scientific biography, vol. 5, 1972, p. 566-568.

par Irène Passeron et Françoise Launay

Date de dernière mise à jour : 15 mars 2015

Pour citer cette notice : Irène Passeron et Françoise Launay, « Jean-Paul De Gua de Malves (1710-1786) », Histoire de l’entreprise, chap. I : Les prémices et les années de préparation, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Le second Prospectus (1750)

Peu après la diffusion du premier Prospectus se produit une rupture tragi-comique de Le Breton avec Sellius et Mills (28 août 1745). Le Breton, déjà sûr de l’énorme profit que laissait présager le projet, se prend de passion pour l’élargissement de l’entreprise. Ainsi se forme un deuxième groupe, cette fois-ci de nationalité française, celui des « Libraires associés » réunissant Le Breton, Antoine-Claude Briasson, Michel-Antoine David aîné et Laurent Durand. Le Breton se taille la part du lion en se chargeant de la moitié des frais, ce qui lui promet une immense fortune au fur et à mesure de la publication des volumes du dictionnaire. Dès le début, les libraires tiennent un registre de délibérations et de comptes, et ce document, publié par Louis-Philippe May (Documents nouveaux sur l’Encyclopédie), est l’un des rares témoignages historiques qui nous permettent d’enrichir notre connaissance de la préhistoire du grand dictionnaire français. Les noms de D’Alembert et de Diderot y figurent déjà, entre décembre 1745 et février 1746. C’est ainsi que, dès 1746, l’entreprise, qui n’était au début qu’un modeste projet de traduction, va prendre une autre allure.

Les libraires confient la direction scientifique de l’entreprise à Jean-Paul De Gua de Malves, mathématicien, membre de l’Académie Royale des Sciences et professeur au Collège Royal de France. La lecture du registre de délibérations et de comptes nous montre que l’autorité de ce nouveau directeur a été beaucoup plus imposante qu’on l’a cru. Dès le mois de décembre 1745, à savoir six mois avant le traité avec les libraires, De Gua de Malves perçoit une importante rémunération mensuelle fixe. Mais leurs rapports se détériorent rapidement au point d’arriver à une rupture décisive, le 3 août 1747. Diderot et D’Alembert sont alors nommés co-directeurs de la publication, le 16 octobre 1747. Les libraires obtiennent un nouveau privilège (30 avril 1748) et le projet connaît un nouvel élargissement considérable. Le nouveau dictionnaire sera intitulé : Encyclopédie, ou Dictionnaire universel des Sciences, Arts et Métiers, traduit des Dictionnaires de Chambers, d’Harris et de Dyche et autres, avec des augmentations.

La période préparatoire qui suit le départ de De Gua de Malves a été capitale pour l’entreprise encyclopédique. Les libraires doivent procéder à une forte augmentation de capital, et les jeunes coéditeurs corrigent et regroupent les traductions, préparent gravures et dessins, et ramassent les matériaux imprimés et manuscrits. La gêne que cause aux libraires associés l’incarcération de Diderot au château de Vincennes, pour avoir publié la Lettre sur les aveugles, témoigne déjà de la grande importance qu’ils lui reconnaissent dans la direction éditoriale, et cela même au détriment de D’Alembert dont la responsabilité est déjà limitée aux « mathématiques ».


Page de titre du second Prospectus (1750).

En novembre 1750 paraît le second Prospectus, distribué à huit mille exemplaires. Signalons que les libraires interviennent au début et à la fin du Prospectus pour annoncer aux lecteurs les Conditions proposées aux souscripteurs. Le dictionnaire, selon ce Prospectus, aura dix volumes in-folio, dont huit d’articles, et six cents planches en taille-douce en deux volumes. La livraison se succèdera sans interruption. Les souscripteurs devront payer au total 280 livres pour l’ensemble de l’ouvrage.

Diderot y présente le contenu du dictionnaire, dont le second titre est désormais « dictionnaire raisonné des sciences des arts et des métiers », et sa politique éditoriale. D’Alembert, auteur du Discours préliminaire publié en tête du tome I de l’Encyclopédie, y insérera le texte du Prospectus légèrement remanié, et y reproduira avec quelques changements l’Explication détaillée du système des connaissances humaines et le Système figuré des connaissances humaines.

Après un court développement sur l’étymologie du mot « encyclopédie », peu familier à l’époque, Diderot insiste sur l’enchaînement et le recoupement des connaissances pour « former un tableau général des efforts de l’esprit humain dans tous les genres & dans tous les siecles » (Diderot, Prospectus 1750, p. 1a), ouvrage jamais conçu jusque-là, même par les grands philosophes du siècle précédent. C’est ici que Diderot se montre convaincu de sa supériorité sur le modèle anglais : malgré sa qualité, bien reconnue, la Cyclopaedia est en effet redevable à un grand nombre de prédécesseurs français ; la conception globalisante de Chambers est louable, mais demeure loin de la perfection : « En effet, conçoit-on que tout ce qui concerne les Sciences & les Arts puisse être renfermé en deux Volumes in-folio ? » (Ibid., p. 2a) Trop de choses sont à refaire, à suppléer, à retrancher, à corriger...

Diderot partage avec l’auteur anglais l’idée d’« un Arbre Généalogique de toutes les Sciences & de tous les Arts, qui marquât l’origine de chaque Branche de nos connoissances, les liaisons qu’elles ont entr’elles & avec la Tige commune, & qui nous servît a rappeller les différens articles à leurs chefs » (Ibid., p. 2a). La dette de Diderot à l’égard du chancelier Bacon pour le concept d’arbre des connaissances humaines est immense, et il la reconnaît ouvertement. Enfin, le travail collectif s’impose pour mener à bien ce projet ambitieux et cumulatif.

Diderot passe ensuite à trois principaux « chefs » auxquels peut se réduire toute la matière de l’Encyclopédie : les sciences, les arts libéraux et les arts mécaniques. Sur les deux premiers, il souligne « les secours obligeans » (Ibid., p. 3b) reçus de tous côtés : Formey de Berlin, l’abbé Sallier, garde de la Biliothèque du Roi, Dumarsais, le grammairien, etc. Le vrai mérite de l’entreprise, selon Diderot, consiste dans la nouveauté de la description des Arts, car « on n’a presque rien écrit sur les Arts méchaniques » (Ibid., p. 4a). D’où la nécessité d’interroger les ouvriers, d’étudier leur vocabulaire, de rédiger les mémoires, en un mot de « faire accoucher les esprits » (Ibid., p. 4b). On ne pourra pas se passer de figures : « Un coup d’œil sur l’objet ou sur sa représentation en dit plus qu’une page de discours », écrit Diderot (Ibid., p. 4b). Ainsi conçu et réalisé, l’ouvrage tiendra alors lieu de « Bibliothèque dans tous les genres » (Ibid., p. 5b).

La parution du second Prospectus ne manque pas de provoquer la vive réaction du Journal de Trévoux dirigé par le père Berthier, qui accusa les encyclopédistes d’avoir plagié Bacon pour le système des connaissances humaines (voir La campagne anti-encyclopédique). Diderot réplique, et c’est ainsi que le directeur de la grande entreprise éditoriale s’engage dans une longue suite de polémiques qui devait durer jusqu’à l’interdiction de la Compagnie de Jésus en 1762.

Ces polémiques virulentes, paradoxalement, ont eu pour résultat de piquer la curiosité du public : le 28 juin 1751 paraît le premier tome de l’Encyclopédie tant attendue et convoitée.

Indications bibliographiques

Douglas H. Gordon and Norman L. Torrey, The Censoring on Diderot’s Encyclopédie and the Re-established Text, New-York, Columbia University Press, 1947.

Jean Haechler, L’Encyclopédie : les combats et les hommes, Paris, Les Belles Lettres, 1998.

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie. Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 375, Oxford, Voltaire Foundation, 1999.

John Lough, « Le Breton, Mills et Sellius », Dix-Huitième Siècle, 1, 1969, p. 267-287.

John Lough, The Encyclopédie, London, Longman, 1971.

Irène Passeron, « Quelle(s) édition(s) de la Cyclopædia les encyclopédistes ont-ils utilisée(s) ? », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 40-41, 2006, p. 287-292.

Jacques Proust, L’Encyclopédie, Paris, Armand Colin, 1965.

Yoichi Sumi, « Atmosphere et Atmosphère — Essai sur la Cyclopædia et le premier Prospectus de l’Encyclopédie », Verité et littérature au xviiie siècle, Mélanges offerts en l’honneur de Raymond Trousson, Paul Aron, Sophie Basch, Manuel Couvreur, Jacques Marx, Eric Van der Schueren et Valérie van Crugten-André (éd.), Paris, H. Champion, 2001, p. 271-284.

Franco Venturi, Le Origini dell’ Encyclopedia (1946), Torino, G. Einaudi, 1963.

Arthur M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, trad. de l’anglais par G. Chahine, A. Lorenceau, A. Villelaur (1985), Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2014.

par Yoichi Sumi

Date de dernière mise à jour : 24 décembre 2014

Pour citer cette notice : Yoichi Sumi, « Le second Prospectus de l’Encyclopédie (1750) », Histoire de l’entreprise, chap. I : Les prémices et les années de préparation, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

II. Dynamique et aléas d’une parution progressive

L’Encyclopédie commence à paraître volume par volume. Cette édition progressive, couplée au succès et aux polémiques qu’elle soulève dès son début, enclenche une dynamique étonnante. Du côté du lectorat, les souscriptions affluent : près de 1 500 en juillet 1751, elles ont doublé deux ans plus tard et atteindront le chiffre impressionnant de 4 000 fin 1757. Les libraires-éditeurs, qui avaient initialement prévu un tirage à 1 625 exemplaires, en impriment déjà un peu plus de 2 000 dès le Ier volume ; ils passent à 3 100 pour le volume III (et réimpriment donc les exemplaires manquants des deux premiers) puis à 4 200 à partir du IVe (d’où nouvelle réimpression des trois premiers !).


Extrait de la liste des nouveaux contributeurs donnée
dans l'« Avertissement des éditeurs » du tome IV.

À cette dynamique commerciale répond une dynamique interne, tout aussi frappante. Aux contributeurs d’origine qui travaillent sur la base des articles traduits de Chambers relatifs à leur domaine, s’ajoutent progressivement de nouveaux collaborateurs réguliers qui rédigent leur partie plus indépendamment, comme Daubenton pour l’histoire naturelle, Boucher d’Argis pour la jurisprudence, Marmontel pour le théâtre et la littérature, Cahusac pour la danse, l’opéra et les spectacles, Bourgelat pour la médecine du cheval, d’Holbach pour la minéralogie, Jaucourt dans tous les domaines ; ils livrent des articles qui, parfois, prolongent voire redoublent ceux des premiers. Le succès de l’œuvre attire aussi une foule de contributions ponctuelles proposées par des spécialistes, souvent prestigieux ou occupant des postes officiels, comme Charles Duclos, historiographe de France et secrétaire de l’Académie française ou le scientifique et explorateur Charles Marie de La Condamine, mais aussi des spécialistes de leur domaine, comme le médecin montpelliérain Théophile de Bordeu ou l’horloger d’origine suisse Ferdinand Berthoud.

Du côté éditorial, l’expérience acquise par les premiers volumes entraîne Diderot et D’Alembert à modifier certaines de leurs options de départ. Si la nomenclature des volumes initiaux (c’est-à-dire le choix des mots-vedettes donnant lieu à des articles) reste largement tributaire de la Cyclopædia, dès la lettre C on voit apparaître un nouveau registre qui va étoffer la nomenclature et faire de l’Encyclopédie un dictionnaire de langue et pas seulement de sciences et des métiers, en utilisant cette fois largement la liste des mots du Dictionnaire de Trévoux. Cette transformation témoigne d’une réflexion sur le rôle du langage dans la transmission des connaissances, et dans la critique de l’usage, réflexion que les éditeurs formulent dans des articles comme Dictionnaire (D’Alembert) et surtout dans Encyclopédie (Diderot). D’autre part, la parution progressive leur permet d’intervenir au gré des volumes dans des textes d’introduction, parfois développés, où ils réagissent à l’actualité, répondent à leurs détracteurs, réaffirment les grands axes du projet, en éclairent parfois les coulisses.

Cette dynamique interne, qui amplifie le contenu de l’œuvre, finit par faire exploser les prévisions initiales relatives au nombre de volumes. Les libraires en avisent leurs souscripteurs fin 1757, sans pouvoir préciser le nombre exact ; ils assurent toutefois qu’« il en reste moins à paraître » qu’ils n’en ont publié, ce qui reste bien en dessous du total définitif !

Malgré les problèmes graves que l’Encyclopédie traverse en 1758 et 1759 — qui conduisent à son interdiction officielle et à l’impression clandestine des volumes ultérieurs —, la série définitive comptera 17 volumes d’articles. C’est dire que l’émulation mise en route entre 1751 et 1757 n’a pas été totalement annulée par le contrecoup de l’interdiction ni par la désertion de plusieurs collaborateurs (dont D’Alembert lui-même). Elle a en fait été prise en charge par une équipe en partie renouvelée, dans laquelle Jaucourt va jouer de plus en plus le rôle d’éditeur de substitution.

Par ailleurs, face à l’interdiction qui frappe les volumes de texte, les libraires-éditeurs misent sur la série des planches, qui ne tombe pas sous le coup de l’interdiction et dont la publication n’avait pas encore commencé. Diderot pilote ce second volet de l’entreprise, le Recueil des planches de l’Encyclopédie, qui va connaître à son tour un processus d’amplification extraordinaire, en raison de la situation critique de 1759 et du projet concurrent de Description des arts et métiers de l’Académie des sciences, qui va aussi avoir une influence importante, notamment par le biais de l’affaire « des plagiats ».

Chargé de diriger la gravure des planches de l’Encyclopédie entre 1757 et 1759, l’architecte Pierre Patte publie, le 23 novembre 1759, une lettre accusant Diderot et les libraires d’avoir mis la main, avec l’objectif de les utiliser dans l’ouvrage, sur une grande partie des matériaux réunis (mais non encore publiés) par Réaumur jusqu’à sa mort, survenue le 17 octobre 1757, pour la Description des arts et métiers de l’Académie. La dénonciation de « plagiat » est explicite et suffisamment grave pour que l’Académie ordonne deux inspections chez les libraires aux mois de décembre 1759 et janvier 1760, afin d’en vérifier le bienfondé. Si l’Académie n’a finalement pas retenu l’accusation, notamment grâce à l’engagement des libraires à lui soumettre l’ensemble des volumes avant publication, la stratégie initiale d’emprunt à la Description des arts et métiers ne fait cependant pas de doute. L’accusation de Patte a contraint Diderot et les libraires à faire réaliser de nouveaux dessins afin de prendre le maximum de distance avec les travaux de leur prédécesseur, mais aussi d’être en mesure de concurrencer et de surpasser la Description des arts et métiers dont la publication finit par se concrétiser dès la fin des années 1760.


Le certificat de l’Académie du volume I (1762) fait mention d’un total de 600 planches
pour l’ensemble du Recueil et l’approbation précise que toutes les planches
de ce premier volume ont été gravées à partir de dessins originaux.

Ce contexte de concurrence avec la Description des arts et métiers explique aussi, en partie, l’accroissement important du contenu du Recueil par rapport au projet initial, qui ne prévoyait que deux tomes d’illustrations gravées si l’on en croit le Prospectus de 1750, et qui ne prévoit toujours que deux volumes et un total de 600 dessins et gravures d’après le certificat daté du 10 juin 1760 (signé par les académiciens, De Parcieux, Nollet, Morand et Lalande) qui paraît en 1762 dans le premier volume du Recueil des planches de l’Encyclopédie.

Au terme de douze ans de travail, il en résultera finalement 11 volumes, combinant textes d’explication et planches gravées, parus eux aussi progressivement jusqu’en 1772. La série du Recueil des planches de l’Encyclopédie s’est donc développée de façon en partie indépendante de celle des articles (au moins pour les volumes déjà parus).

En 1768, au début du volume VI des planches, Diderot pensait en avoir bientôt fini. Il fait alors le bilan de l’aventure menée depuis le milieu des années 1740 — qu’il compare à une véritable épopée à travers l’allusion initiale au célèbre cri d’Énée apercevant les côtes, dans l’Énéide de Virgile :

Nous touchons au terme, & nous pouvons nous écrier aussi Italiam ! Italiam ! Il ne nous reste que quelques Volumes à publier, & le Public jouira bientôt du fruit de vingt-cinq années de travaux & de lutte. Nous éprouvons dès ce moment la surprise du voyageur, lorsqu’arrivé à une grande distance, au sommet de quelque haute montagne, il retourne la tête, & mesure de l’œil l’intervalle effrayant qui sépare le lieu d’où il est parti, du lieu qu’il occupe & où il se repose.

Si l’on compare ce dernier Volume avec ceux qui l’ont précédé ; si l’on considère l’importance & la diversité des matières qu’il renferme, on sera convaincu que cet ouvrage, au contraire de la plupart de ceux qu’on a souscrits jusqu’à présent, s’est perfectionné à mesure qu’il avançoit. [...] Nous aurions réussi au-delà de nos espérances, si nous estimions notre succès par la célérité avec laquelle les Souscripteurs ont retiré leurs exemplaires. [...]

III. La bataille de la publication

La parution, au rythme d’un volume par an, du Dictionnaire raisonné souleva une redoutable conjuration d’hostilités (voir La campagne anti-encyclopédique). Le Prospectus qu’écrivit Diderot pour annoncer l’ouvrage fut diffusé en 1750, alors que se préparait le premier volume. Ce Prospectus est un manifeste affirmant l’ambition et la nouveauté de l’entreprise ; son auteur y expose le système de classification du savoir adopté dans l’ouvrage (voir Le Systême figuré des connoissances humaines et son explication), l’Arbre de la connaissance humaine, inspiré du « génie extraordinaire » qu’était celui du Chancelier Bacon. Ce fut aussi le début de la polémique qui opposa Diderot au père Berthier, directeur du journal des jésuites nommé Mémoires (ou Journal) de Trévoux, qui reprocha aux encyclopédistes d’avoir trahi la pensée de Bacon. Diderot perçut, entre autres, dans cette attaque l’amertume de qui n’avait pas été sollicité pour collaborer à l’Encyclopédie : il fit paraître une réponse ironique à laquelle il joignit son article ART, également inspiré de Bacon, et l’affrontement donna lieu à un échange épistolaire, serré et virulent.

Dès la parution du premier volume, le Journal de Trévoux mena campagne et, tout en critiquant les plagiats dont l’ouvrage aurait été truffé (voir Le Dictionnaire de Trévoux ), lança contre lui une nouvelle accusation, combien plus redoutable, celle d’« impiété » : voir J. N. Pappas, Berthier’s Journal de Trévoux..., « Guillaume François Berthier » (p. 35-63) et surtout « Diderot and the Encyclopédie » (p. 163-196). À cela vint s’ajouter l’affaire de l’abbé de Prades, collaborateur de l’Encyclopédie, et dont la thèse, soutenue en Sorbonne, fut censurée a posteriori pour ce qu’on y découvrit de favorable au sensualisme et à la religion naturelle, idées qu’on créditait les encyclopédistes de répandre. Les dénonciations de l’ouvrage, dont celles parues dans les Réflexions d’un franciscain (avec une lettre préliminaire adressée à M.***, auteur en partie du Dictionnaire encyclopédique, 1752) se renforcèrent, à la Cour, de plaintes portées au roi lui-même.

Première interdiction

En février 1752, un arrêt royal déclare que l’Encyclopédie contient des maximes « tendant à détruire l’autorité royale, à élever les fondements de l’erreur, de la corruption des mœurs, de l’irréligion et de l’incrédulité » : il ordonne la suppression des deux premiers volumes.

La publication des tomes suivants reprend dans un climat de tension : des collaborateurs, les abbés Yvon et Pestré, sont contraints à l’exil ; mais l’Encyclopédie, à la surveillance de laquelle sont commis plusieurs censeurs, bénéficie du jugement favorable de certains périodiques, comme le Journal encyclopédique, et d’un large soutien des gens de lettres qui, comme Voltaire, voient dans cet affrontement le combat de l’esprit philosophique contre le pouvoir ecclésiastique, et le parti dévot. Surtout, les éditeurs purent compter sur la protection d’une partie de la cour hostile, comme Mme de Pompadour, au parti dévot et surtout de Malesherbes, alors directeur de la Librairie.

Les attaques ne cessèrent pas. En 1757, l’attentat de Damiens contre Louis XV fut l’occasion de renforcer la vigilance policière à l’égard de tout livre pouvant contribuer à saper l’autorité royale et la religion. L’article GENEVE de D’Alembert attire sur l’Encyclopédie les foudres des pasteurs genevois et la réprobation de Jean-Jacques Rousseau. La publication, en 1758, de l’ouvrage du philosophe matérialiste Helvétius, De l’Esprit, souleva un véritable scandale auquel fut associée l’Encyclopédie. La campagne de ses adversaires se renforce de nouvelles publications : La Religion vengée, les huit volumes du janséniste Abraham Chaumeix, intitulés Préjugés légitimes contre l’Encyclopédie ; enfin, le procureur général du Parlement de Paris est l’auteur d’un violent réquisitoire qui aboutit à l’interdiction de vendre le Dictionnaire raisonné.

L’Encyclopédie interdite

Quelques mois plus tard, en 1759, l’Encyclopédie est condamnée à être lacérée et brûlée par le bourreau et le privilège royal, donc l’autorisation d’imprimer, est révoqué. C’est Malesherbes lui-même qui prévint Diderot de l’ordre qu’il avait de faire saisir, le lendemain, les manuscrits des volumes suivants : il lui permit ainsi de mettre ces précieux papiers en sûreté et, selon la fille de Diderot, Angélique de Vandeul, Malesherbes aurait hébergé le précieux dépôt dans sa propre demeure (voir les Mémoires pour servir à l’histoire de la vie et des ouvrages de Diderot par Mme de Vandeul, sa fille, publiés dans la Correspondance littéraire de Meister, 1784). Peu après, en septembre 1759, intervint une condamnation papale dans les formes, « Damnatio et prohibitio » de l’Encyclopédie.

L’ouvrage était donc arrêté au tome VII, à la fin de la lettre G, et l’entreprise faillit être abandonnée. Les libraires, qui avaient investi des sommes considérables, arguèrent de la ruine qui les aurait menacés si l’édition était interrompue : un nouveau privilège leur fut alors accordé, mais qui concernait uniquement les volumes de planches ; ces onze volumes finiront de paraître en 1772. Quant aux dix derniers volumes de discours, ils furent, eux, continués et achevés en secret, imprimés hors de Paris et diffusés tous ensemble, six ans plus tard, en 1765 : le nom de l’éditeur, ainsi que celui des libraires, a disparu de la page de titre qui porte la mention fictive et protectrice « imprimé à Neufchâtel ».

Entre-temps, D’Alembert avait cessé d’assumer la codirection de l’ouvrage. Voltaire, en 1758, et, plus tard, Catherine II de Russie avaient proposé de faire continuer le Dictionnaire raisonné hors de France, l’un suggérant Lausanne, l’autre, Riga. Diderot s’y était obstinément refusé. C’est donc à la pugnacité de Diderot, qui demeura seul maître d’œuvre après la « désertion » de D’Alembert, que l’Encyclopédie dut d’être achevée, mais sans doute ce but n’aurait-il pas été atteint sans le concours essentiel du chevalier de Jaucourt, remarquable polygraphe dont les connaissances, l’activité et le dévouement furent sans limites. Diderot lui rend hommage dans la dernière préface, ou « Avertissement », de l’Encyclopédie (voir l’Avertissement du tome VIII) :

Si nous avons poussé le cri de joie du matelot, lorsqu’il apperçoit la terre, après une nuit obscure qui l’a tenu égaré entre le ciel & les eaux, c’est à M. le Chevalier de Jaucourt que nous le devons. Que n’a-t-il pas fait pour nous, sur-tout dans ces derniers tems ? Avec quelle constance ne s’est-il pas refusé à des sollicitations tendres & puissantes qui cherchoient à nous l’enlever ? Jamais le sacrifice du repos, de l’intérêt & de la santé ne s’est fait plus entier & plus absolu. (t. VIII, p. j)

D’autres obstacles, encore...

Bien d’autres difficultés encore avaient traversé l’entreprise. Le graveur Pierre Patte accusa les encyclopédistes d’avoir utilisé une partie des planches de l’Académie des sciences : la presse s’empara de l’accusation, notamment L’Année littéraire, hostile depuis toujours aux encyclopédistes. Mais rien sans doute ne fut plus douloureux pour Diderot, dans les dernières années de son travail harassant et clandestin, que de découvrir un jour, par hasard, que le principal libraire de l’édition, Le Breton, avait pratiqué une censure secrète de l’Encyclopédie : soucieux d’assurer des rentrées paisibles, il avait de lui-même cisaillé le texte pour éliminer les passages qui auraient pu prêter, selon lui, à de nouvelles attaques d’ordre politique ou religieux. Diderot, hors de lui en découvrant trop tard cette malhonnêteté, lui reproche de n’avoir rien compris, dans sa sottise avide, à ce qui faisait l’intérêt profond de l’Encyclopédie :

Vous avez oublié que ce n’est pas aux choses courantes, sensées et communes que vous deviez vos premiers succès ; qu’il n’y a peut-être pas deux hommes dans le monde qui se soient donné la peine de lire une ligne d’Histoire, de Géographie, de Mathématiques & même d’Arts & que ce qu’on y a recherché et qu’on y recherchera, c’est la philosophie ferme & hardie de quelques-uns de vos travailleurs. Vous l’avez châtrée, dépecée, mutilée, mise en lambeaux, sans jugement, sans ménagement, sans goût. [...] Vous avez banni de votre livre ce qui en a fait, ce qui en auroit fait encore, l’attrait, le piquant, l’intéressant, la nouveauté. (Lettre du 2 novembre 1764)

La faute était irréparable ; et, pour ne pas nuire à la réputation de l’œuvre dont les derniers volumes n’étaient pas encore parus, Diderot et ses amis ne rendirent pas l’affaire publique. Ce n’est qu’au xx e siècle, grâce à la découverte d’un exemplaire de l’Encyclopédie dans lequel le texte original de certains articles avait été rétabli, que l’on a pu apercevoir quel type de mutilations elle avait subies.

Bien plus tard, en 1774, Diderot écrira, dans son Mémoire pour Catherine II :

J’ai travaillé près de trente ans à cet ouvrage. De toutes les persécutions qu’on peut imaginer, il n’y en a aucune que je n’aie essuyée [...]. On fit du nom d’encyclopédiste une étiquette odieuse qu’on attacha à tous ceux qu’on voulait montrer au roi comme des sujets dangereux, désigner au clergé comme ses ennemis, déférer au magistrat comme des gens à brûler et traduire à la nation comme de mauvais citoyens.

Mais la grande œuvre était enfin achevée. Par la suite, à partir de 1776, parurent chez le libraire Panckoucke, un Supplément et une Table analytique et raisonnée de l’Encyclopédie (par le Pasteur Mouchon), entreprises auxquelles Diderot refusa sa collaboration. Il eut le souhait, en revanche, de refaire l’Encyclopédie en Russie, sous l’égide, cette fois, de la tsarine Catherine : sans doute escomptait-il, en imprimant hors de France, quelque tranquillité pour mener son travail, mais l’autocrate russe ne donna pas suite au projet.

L’achèvement de l’œuvre

Deux cent cinquante ans plus tard, nous avons souvent du mal à concevoir ce que fut la réalité de cette immense aventure, de cette lutte acharnée pour la publication de l’Encyclopédie. Et Jacques Proust, grand historien de l’Encyclopédie, a raison de nous mettre en garde : « le lecteur aujourd’hui n’imagine plus ce que ces trente-deux volumes représentent d’énergies, d’espoirs, de combats. Il oublie cette mobilisation spectaculaire d’hommes et de capitaux au service d’une seule œuvre, cette marche irrésistible, les obstacles vaincus un à un, lucidement, et somme toute sereinement. Et Diderot mérite bien d’être considéré comme le héros de cette épopée ».

Indications bibliographiques

Douglas H. Gordon et Norman L. Torrey, The Censoring of Diderot’s Encyclopédie and the re-established text, New York, Columbia University Press, 1947.

Pierre Grosclaude, Malesherbes témoin et interprète de son temps, Paris, Fischbacher, 1961.

John Lough, The Encyclopédie, London, 1971.

John N. Pappas, Berthier’s Journal de Trévoux and the philosophes, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 3, Oxford, Voltaire Foundation, 1957.

Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie (1962), Paris, Albin Michel, 1995.

Arthur M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, trad. de l’anglais par G. Chahine, A. Lorenceau, A. Villelaur (1985), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2014.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 26 juin 2015

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « La bataille de la publication », Histoire de l’entreprise, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

IV. Malesherbes et l’Encyclopédie

Fils du chancelier Guillaume de Lamoignon, Chrétien Guillaume de Malesherbes (1721-1794) occupa la charge de directeur de la Librairie de 1750 à 1763. Membre de l’Académie des sciences puis de l’Académie française, il fut 2 fois ministre sous Louis XVI.


Portrait de Malesherbes,
par Charles-Etienne Gaucher

Haut fonctionnaire, comme nous dirions aujourd’hui, magistrat scrupuleux et intègre, c’est de lui que dépendait la « librairie » (production et police des livres), notamment l’octroi des privilèges (entendons les autorisations d’imprimer) ainsi que la nomination des censeurs. Malesherbes était un esprit ouvert, curieux, attentif à la production intellectuelle de son temps. Selon Voltaire, il dirigea un véritable « ministère de la littérature ».

Son rôle dans l’entreprise encyclopédique fut fondamental, et il soutint tant qu’il le put les encyclopédistes attaqués par les dévots, tant du bord jésuite que du bord janséniste. Après la première interdiction de l’Encyclopédie, en 1752, il œuvra discrètement mais efficacement pour la levée de la sanction et D’Alembert lui rendit hommage en 1753, dans l’Avertissement du volume III en évoquant :

l’équité d’un magistrat ami de l’ordre & des gens de Lettres, homme de Lettres lui-même, qui cultive les Sciences par goût, & non par ostentation ; qui par l’appui qu’il leur accorde, montre qu’il sçait parfaitement discerner les limites de la liberté & de la licence, et dont l’éloge n’est point ici l’ouvrage de l’adulation & de l’intérêt (p. xij).

En 1754, au moment où la querelle autour de la bulle papale faisait rage et opposait le Parlement au Roi et à l’archevêque de Paris, Malesherbes convainquit Diderot de remplacer l’article Constitution Unigenitus , pour ne pas soulever une nouvelle tempête contre l’Encyclopédie (voir le dossier « Constitution Unigenitus »).

En 1757, l’article Genève de D’Alembert attirant les foudres des pasteurs genevois, l’ire des catholiques et les sarcasmes des anti-philosophes, Malesherbes s’interposa entre le journaliste Fréron et D’Alembert, au nom de la liberté de la presse.

Plus tard, en 1759, c’est Malesherbes qui permit le sauvetage de l’entreprise encyclopédique en prévenant Diderot qu’il avait l’ordre de faire saisir les manuscrits de l’Encyclopédie. Diderot raconte à Grimm :

La besogne avançait lorsqu’un de ces évènements auxquels on ne s’attend point m’a précipité dans les alarmes. Il a fallu tout à coup enlever pendant la nuit les manuscrits, se sauver de chez soi, découcher, chercher un asile et songer se pourvoir d’une chaise de poste et à marcher tant que la terre me porterait. (Lettre à Grimm [1er mai 1759], Correspondance II, 122)

Angélique de Vandeul, la fille de Diderot, pourra se permettre plus tard d’être plus précise :

Quelque temps après, l’Encyclopédie fut encore arrêtée. M. de Malesherbes prévint mon père qu’il donnerait le lendemain ordre d’enlever ses papiers et ses cartons. ‘Ce que vous m’annoncez là me chagrine horriblement ; jamais je n’aurai le temps de déménager tous mes manuscrits, et d’ailleurs il n’est pas facile de trouver en vingt-quatre heures des gens qui veuillent s’en charger et chez qui ils soient en sûreté. — Envoyez-les tous chez moi, lui répondit M. de Malesherbes, l’on ne viendra pas les y chercher.’ En effet, mon père envoya la moitié de son cabinet chez celui qui en ordonnait la visite. » (AT, I, xlv)

Enfin, l’arrêt du conseil du Roi révoquait le privilège de l’Encyclopédie, mais Malesherbes en accordant une permission tacite permit d’achever, dans la plus grande discrétion, les dix volumes de discours, les libraires ayant obtenu, par ailleurs, l’autorisation de publier les planches sous le nom, parfaitement anodin, de Recueil de planches, sur les sciences, les arts libéraux et les arts méchaniques.

Indications bibliographiques

Pierre Grosclaude, « Malesherbes et l'Encyclopédie », Revue des Sciences Humaines, 1958, p. 351-380.

Pierre Grosclaude, Malesherbes. Témoin et interprète de son temps, Paris, Fischbacher, 1961.

Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie (1962), Paris, Albin Michel, 1995, passim.

Arthur M. Wilson, Diderot. Sa vie et son œuvre, trad. fcse Paris, Laffont Ramsay, 1985, ré-éd. 2013, passim.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 17 juin 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Malesherbes et l’Encyclopédie », Histoire de l’entreprise, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

V. La campagne anti-encyclopédique

On sait que la publication de l'Encyclopédie a été contrariée par l'offensive conjuguée, sinon concertée, d'adversaires qui se recrutent aussi bien dans les rangs des jésuites que des jansénistes (voir La bataille de la publication). Le travail pionnier de John Lough (1968) a permis d'identifier et de présenter la liste des textes produits par ces adversaires, ainsi que les réponses qui leur ont été faites de la part des encyclopédistes ou de leurs partisans. On trouvera ci-dessous l'indication des liens vers la version numérisée en ligne des éditions des principaux textes participant de la campagne anti-encyclopédique, classés par ordre chronologique de leur publication, éventuellement précisée par les enseignements tirés du dépouillement systématique du journal de Joseph d'Hémery (BnF, f.fr. 22157-22165), inspecteur de la Librairie.

1751

Mémoires de Trévoux, janvier-février. [consulter]

Janvier, 1re livraison, p. 188-189.

Janvier, 2e livraison, p. 302-327 (Art. XIX, « Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, recueilli des meilleurs Auteurs, & particulièrement des Dictionnaires Anglois de Chambers, d'Harris, de Dyche &c. Par une Société de gens de Lettres ; mis en ordre par M. Diderot ; & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, & de l'Académie Royale de Berlin. Dix volumes in folio, dont deux de planches en taille-douce ; proposés par Souscription. A Paris, chez Briasson, David l'aîné, Durand ruë S. Jacques, le Breton ruë de la Harpe. M. DCC. LI »).

Février, Addition, p. 569-578 (« Lettre de M. Diderot au R. P. B. Jésuite &c. »).

Lettre de M. ***, l'un des XXIV, à M. Diderot, directeur de la manufacture encyclopédique, s.l., 1751 [à Paris, ce 14 février 1751]. Publication enregistrée par d'Hémery le 28 février.

Mémoires de Trévoux, mars-avril. [consulter]

Mars 1751, p. 708-737 (Art. XXXVII, « Parallele de la Branche Philosophique du systême de l'Encyclopédie, avec la partie Philosophique du livre de la Dignité & de l'accroissement des Sciences, Ouvrage du Chancelier Bacon »).

Mémoires de Trévoux, octobre-décembre. [consulter]

Octobre, p. 2250-2295 (Art. CXI, « Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers, par une Société de gens de Lettres ; mis en ordre & publié par M. Diderot de l'Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse ; & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, de celle de Prusse, de la Société Royale de Londres. Fol. Tome I. A Paris chez Briasson, David l'ainé, Durand, Ruë S. Jacques ; Le Breton, Ruë de la Harpe. M. DCC. LI »).

Novembre, p. 2419-2457 (Art. CXIX, « Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers. Par une Société de Gens de Lettres ; mis en ordre, & publié par M. Diderot de l'Académie Royale des Sciences & des belles Lettres de Prusse, & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, &c. A Paris, chez Briasson, David l'aîné, le Breton, Durand »).

Décembre, p. 2592-2623 (Art. CXXX, « Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers. Par une Société de gens de Lettres ; mis en ordre & publié par M. Diderot de l'Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse ; & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, &c. A Paris, chez Briasson, David l'aîné, le Breton, Durand »).

1752

Mémoires de Trévoux, janvier-mars. [consulter]

Janvier, p. 146-190 (Art. IX, « Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts, & des Métiers. Par une Société de gens de Lettres ; mis en ordre & publié par M. Diderot de l'Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse ; & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, &c. A Paris, chez Briasson, David l'aîné, Durand, le Breton, &c. in-fol. pag. 914. M. D. CC. LI »).

[Jean-Baptiste Geoffroy, d'après d'Hémery ?, François Marie Hervé ?], Réflexions d'un franciscain, avec une lettre préliminaire, adressées à Monsieur *** Auteur en Partie du Dictionnaire Encyclopédique, s.l. Publication enregistrée par d'Hémery le 13 janvier. [consulter]

Christophe de Beaumont, Mandement de monseigneur l'archevêque de Paris, portant condamnation d'une Thèse soutenue en Sorbonne le 18. Novembre 1751. par Jean-Martin de Prades, Prêtre du Diocèse de Montauban, Bachelier en Théologie de la Faculté de Paris, Paris, Claude Simon et Cl.-Fr. Simon, 1752. [consulter]

Charles-Daniel-Gabriel de Thubières de Caylus, évêque d'Auxerre, Instruction pastorale de monseigneur l'évêque d'Auxerre, Sur la vérité & la sainteté de la Religion, méconnue & attaquée en plusieurs chefs, par la Thèse soutenue en Sorbonne, le 18. Novembre 1751, s.l. [consulter]

Censure de la Faculté de Théologie de Paris, contre une thèse appellée majeure ordinaire, Soutenue en Sorbone le 18. Novembre 1751. par M. Jean-Martin de Prades, Prêtre de Montauban, Bachelier de ladite Faculté, Paris, Jean-Baptiste Garnier, 1752. [consulter]

Mémoires de Trévoux, janvier-mars. [consulter]

Février, p. 296-322 (Art. XVI, « Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts & des Métiers ; Par une Société de Gens de lettres, mis en ordre & publié par M. Diderot de l'Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse ; & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, &c. A Paris, chez Briasson, David l'aîné, Durand, le Breton, &c. Fol. pag. 914. M. DCC. LI »)

Mars, p. 424-469 (Art. XX, « Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts, & des Métiers ; Par une Société de gens de Lettres, mis en ordre & publié par M. Diderot de l'Académie Royale des Sciences & des Belles-Lettres de Prusse ; & quant à la partie Mathématique, par M. d'Alembert de l'Académie Royale des Sciences de Paris, &c. T. I. A Paris, chez Briasson, David l'aîné, Durand, le Breton, &c. »)

1754

[F.-P. Fruchet ? Pierre Bonhomme ?] Réflexions d'un franciscain sur les trois volumes de l'Encyclopédie, avec une lettre préliminaire aux éditeurs, Berlin, 1754. Publication enregistrée par d'Hémery le 17 octobre.

1757

[Charles Palissot de Montenoy], Petites lettres sur de grands philosophes, Paris, 1757. [consulter]

Mercure de France, octobre-décembre. [consulter]

Octobre, p. 15-19 : « Avis utile » [Premier Mémoire sur les Cacouacs]
Voir aussi L'Affaire des Cacouacs, éd. Gerhardt Stenger, Saint-Étienne, PUSE, 2004, p. 27-29.

[Jacob-Nicolas Moreau], Nouveau mémoire pour servir à l'histoire des Cacouacs, Amsterdam, 1757. [consulter]
Voir aussi L'Affaire des Cacouacs, éd. Gerhardt Stenger, Saint-Étienne, PUSE, 2004, p. 31-58.

1758

Abraham-Joseph de Chaumeix, Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie, et essai de réfutation de ce dictionnaire [avec un examen critique du livre De l'Esprit], Bruxelles et Paris, Hérissant, 1758. Publication enregistrée par d'Hémery le 2 novembre.

Tome I [consulter]
Tome II [consulter]
Tome III [consulter]

1759

[Joseph Giry de Saint-Cyr], Catéchisme et décisions de cas de conscience, à l'usage des Cacouacs ; avec un discours du Patriarche des Cacouacs, Pour la Réception d'un nouveau Disciple, A Cacopolis, 1758. Publication enregistrée par d'Hémery le 25 janvier. [consulter]
Voir aussi L'Affaire des Cacouacs, éd. Gerhardt Stenger, Saint-Étienne, PUSE, 2004, p. 59-120.

Arrests de la cour de Parlement, portant condamnation de plusieurs Livres & autres Ouvrages imprimés. Extrait des Registres de Parlement. Du 23 Janvier 1759, Paris, P. G. Simon, 1759. [consulter]

Abraham-Joseph de Chaumeix, Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie, et essai de réfutation de ce dictionnaire. Seconde Partie. Contenant la réfutation des principes rapportés dans la première Partie, avec l'exposition des vrais principes de la Métaphysique, de la Morale & de la Religion, démontrés contre les paradoxes impies & extravagans des Incrédules, Bruxelles et Paris, Hérissant, 1759.

Tome IV [consulter]
Tome V [consulter]
Tome VI [consulter]
Tome VII [consulter]
Tome VIII [consulter]

Lettres sur le VIIe volume de l'Encyclopédie, s.l. Publication enregistrée par d'Hémery le 8 février.

1760

[Jean-Nicolas-Hubert Hayer], La Religion vengée ou Réfutation des auteurs impies ; dédiée à Monseigneur le Dauphin, Par une Société de Gens de Lettres, Paris, Chaubert et Hérissant, 1760.

Tome X [consulter]
Tome XI [consulter]
Tome XII [consulter]

[Abraham-Joseph de Chaumeix], Les Philosophes aux abois, ou Lettres de M. de Chaumeix, à Messieurs les Encyclopédistes, au sujet d'un Libelle anonime intitulé : Justification de plusieurs Articles du Dictionnaire Encyclopédique, ou Préjugés légitimes contre Ab. Jos. de Chaumeix, Bruxelles et Paris, Veuve Lamesle, 1760. Publication enregistrée par d'Hémery le 29 mai. [consulter]

Indications bibliographiques

John Lough, Essays on the « Encyclopédie » of Diderot and D'Alembert, London/New York/Toronto, 1968.

Olivier Ferret, La Fureur de nuire : échanges pamphlétaires entre philosophes et antiphilosophes, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 2007:03, Oxford, Voltaire Foundation, 2007, Annexe 1, p. 433-455.

par Olivier Ferret

Date de dernière mise à jour : 6 avril 2015

Pour citer cette notice : Olivier Ferret, « La campagne anti-encyclopédique », Histoire de l’entreprise, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les acteurs

I. Une œuvre collective

Avant le Dictionnaire raisonné, les auteurs d’ouvrages à visée encyclopédique, comme Furetière, Chambers, le père Souciet (principal auteur du Dictionnaire de Trévoux) avaient été essentiellement des solitaires, qui copiaient, rapportaient des savoirs livresques, produits de seconde main. L’Encyclopédie, elle – et ce fut une innovation considérable –, entendit recourir autant que possible aux savants eux-mêmes.

Quand on vient à considérer la matiere immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on apperçoive distinctement, c’est que ce ne peut être l’ouvrage d’un seul homme [...] ; qui est-ce qui définira exactement le mot conjugué, si ce n’est un géometre ? le mot conjugaison, si ce n’est un grammairien ? le mot azimuth, si ce n’est un astronome ? le mot épopée, si ce n’est un littérateur ? le mot change, si ce n’est un commerçant ? le mot vice, si ce n’est un moraliste ? le mot hypostase, si ce n’est un théologien ? le mot métaphysique, si ce n’est un philosophe ? le mot gouge, si ce n’est un homme versé dans les arts ? (Diderot, article ENCYCLOPEDIE)

Ainsi, D’Alembert est responsable de la partie mathématique, secondé par l’abbé de La Chapelle ; les médecins Fouquet, Tarin, Vandenesse, Bordeu, Ménuret de Chambaud, traitent de leur art ; Louis prend en charge la chirurgie ; Daubenton s’occupe de l’histoire naturelle ; Rousseau de la musique, avec Cahusac puis Grimm ; Venel, de la chimie, Blondel de l’architecture ; Marmontel de la littérature ; Dumarsais puis Beauzée, de la grammaire générale ; d’Holbach de la minéralogie ; l’avocat Boucher d’Argis de la jurisprudence ; Voltaire, de l’histoire et des lettres. On compte aussi les compétences de Turgot, Morellet, La Condamine, Saint-Lambert, Quesnay, D’Amilaville, du comte de Tressan. Parmi les artistes et artisans qui contribuèrent aux articles sur les arts et métiers, Goussier sur la taille des pierres, les horlogers J. B. Le Roy ou Berthoud, le libraire David sur la propriété littéraire, etc.

Supervisés par Diderot, les contributeurs impliqués dans la réalisation des onze volumes du Recueil des planches sont au nombre d’une cinquantaine environ. Ce chiffre, qui englobe les auteurs d’explications, les dessinateurs et les graveurs, inclut uniquement ceux pour lesquels l’Encyclopédie contient au moins une mention explicite de leur travail. Parmi ces cinquante collaborateurs, certains, souvent en charge des domaines correspondants dans les volumes de discours, n’ont contribué qu’à la rédaction d’explications de planches : c’est le cas d’Antoine Allut, auteur des explications de la plupart des planches des « Manufacture des glaces » (vol. IV), de D’Alembert, qui rédige la majeure partie des explications de la section « Sciences mathématiques » (vol. V), de d’Holbach pour l’« Histoire naturelle, règne minéral » (vol. VI), ou encore d’Antoine Louis pour la « Chirurgie » (vol. III), etc.

Beaucoup des dessinateurs et graveurs de l’Encyclopédie sont par ailleurs encore très mal connus. Certains n’ont travaillé que sur une ou quelques planches, d’autres sur un chapitre entier. Ils peuvent à la fois avoir contribué comme dessinateur et comme auteur des explications correspondantes, comme dessinateur et comme graveur, les cas de figures sont multiples. Plusieurs d’entre eux sont des hommes de métier, experts dans leur domaine : citons par exemple Bellin, ingénieur hydrographe, pour la Marine, ou Delacroix et Viallet ingénieurs des Ponts et Chaussées pour la « Minéralogie, ardoiserie d’Anjou » et la « Minéralogie, ardoiserie de la Meuse.


L’« Etat des Planches & des Explications relatives aux Arts compris
dans ce onzieme et dernier volume » (vol. XI, 1772)
précise que les « Explications sont de ceux qui ont dessiné les planches ».

Cinq artistes se dégagent cependant nettement du lot, au regard de l’importance de leurs contributions : Goussier, Lucotte et Radel, dessinateurs ; Prévost et Defehrt, dessinateurs et graveurs. Principal collaborateur de Diderot entre 1747 et 1768, Goussier dessine à lui seul près de 1 300 planches et rédige 74 sections d’explications dans les onze volumes du recueil. On doit à Lucotte 653 planches (ainsi que quelques explications). Radel est le dessinateur de 182 planches dans les volumes VIII et X. Prévost, graveur du frontispice dessiné par Cochin, est l’auteur de sept sections d’explications (dont « Dessein » et « Gravure ») et le dessinateur ou graveur de 384 planches réparties dans les onze volumes. Quant à Defehrt, il dessine ou grave 399 planches pour les volumes I à VII, avant de quitter l’entreprise en 1766.

Au total, volumes de discours et volumes de planches confondus, on a pu dénombrer près de 200 noms, et bien d’autres découvertes restent à faire. Ces collaborateurs, techniciens ou praticiens, issus pour la plupart de la bourgeoisie d’Ancien Régime, sont quasiment tous liés à l’activité productive de leur temps. Notons en outre que ces collaborateurs viennent d’horizons très différents : l’abbé Mallet est un théologien catholique, Romilly est pasteur, Saint Lambert et d’Holbach sont athées, Beauzée est catholique fervent, Voltaire est déiste, Morellet est sceptique, etc. C’est une véritable polyphonie qui s’élève de l’Encyclopédie, jusque parmi les trois éditeurs puisque si Diderot et D’Alembert sont athées, Jaucourt est protestant.

II. Les éditeurs

Diderot, un maître d’œuvre de génie

Celui que ses amis puis la postérité nommèrent « le Philosophe » occupe une place unique dans l’entreprise : il fut en effet à la fois collaborateur dans des domaines particuliers (voir ci-dessous) et éditeur de l’ensemble, du début à l’extrême fin de l’entreprise. Mais, quand la compagnie des libraires associés, proposa, en 1747, à Diderot et à D’Alembert de travailler à l’édition de l’Encyclopédie, Denis Diderot, né à Langres, en 1713, d’un père coutelier, n’était encore qu’un jeune homme connu pour avoir traduit de l’anglais une Histoire de la Grèce ainsi que l’Essai sur le mérite et la vertu de Shaftesbury. Il avait également publié, anonymement, des Lettres philosophiques, aussitôt condamnées par le parlement de Paris. De fait, à sa formation initiale aux « humanités » classiques, Diderot adjoignit, au cours des années, de nombreuses études faites notamment dans les domaines des mathématiques, de la chimie, de l’histoire naturelle, de l’anatomie, de la musique. Pour les libraires qui firent appel à lui, il se recommandait essentiellement alors pour sa participation à la traduction du Dictionnaire de Médecine de l’Anglais James, ce qui lui conférait une expérience en matière d’édition de vastes répertoires dans le domaine des arts et des sciences.


Portrait de Diderot (vers 1760),
dessin de Jean-Baptiste Garand,
gravure de Pierre Chenu.

Après cet engagement, Diderot publie des Mémoires sur différents sujets de mathématiques en 1748, et, anonymement, un roman philosophico-grivois, Les Bijoux indiscrets, avant, en 1749, de donner la Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, vaste réflexion athée sur la perception et la matière, suggérant non seulement que nos idées proviennent de nos sens mais surtout que le monde, en perpétuelle évolution, n’est pas la création d’une divinité. L’ouvrage fut aussitôt interdit et son auteur incarcéré au donjon de Vincennes. Il dut essentiellement sa libération aux démarches des libraires-éditeurs de l’Encyclopédie, soucieux d’assurer la continuation de leur entreprise.

À partir de cette date, Diderot s’engage dans la grande œuvre qui l’occupera plus de vingt-cinq ans : la biographie du directeur de l’Encyclopédie et celle de l’homme deviennent inséparables. Il vécut, et fit vivre sa famille, des maigres « honoraires » que lui consentaient les libraires jusqu’à ce que, en 1765, il finisse par vendre son abondante bibliothèque à la tsarine Catherine II de Russie, assurant ainsi aux siens une très relative aisance.

Diderot s’est souvent plaint d’avoir sacrifié à l’Encyclopédie, et au travail de « forçat » qu’il y mena, son temps, son goût et son talent. Il écrit ainsi à son amante et confidente Sophie Volland, en juillet 1765 :

Dans huit ou dix jours je verrai donc la fin de cette entreprise qui m’occupe depuis vingt ans ; qui n’a pas fait ma fortune à beaucoup près ; qui m’a exposé plusieurs fois à quitter ma partie ou à perdre ma liberté et qui m’a consumé une vie que j’aurais pu rendre plus utile et plus glorieuse [...]. Mais pour une femme, pour des enfants à quoi ne se résout-on pas ? Si j’avais à me faire valoir je ne leur dirais pas « j’ai travaillé trente ans pour vous », mais je leur dirais : « J’ai renoncé pour vous, toute ma vie, à la vocation de ma nature et j’ai préféré de faire contre mon goût ce qui vous était utile à ce qui m’était agréable ». (Correspondance, éd. G. Roth, t. V)

Le bilan de ces années de labeur fut-il pourtant aussi négatif pour Diderot ? Il est permis d’en douter, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que, durant les décennies encyclopédiques, il ne cessa de créer ! Ce sont ses œuvres philosophiques novatrices comme la Lettre sur les sourds et les muets, ou De l’interprétation de la nature. Côté scène, il révolutionne la pratique et la théorie du théâtre, avec Le Fils naturel en 1757, Le Père de famille en 1758, et le Discours sur la Poésie dramatique ! Il s’engage, à partir de 1759, dans la voie tout à fait neuve de la critique d’art en rendant compte des « Salons » de peinture parisiens pour la Correspondance littéraire de son ami Grimm. D’autres œuvres majeures furent écrites ou entreprises durant cette même période : La Religieuse, Le Neveu de Rameau, même si Diderot, contraint à la prudence, les garda secrètes ou n’en fit qu’une communication confidentielle. On le voit, sa période encyclopédique fut loin d’être stérile sur plan créatif, au contraire ! Il faut enfin remarquer qu’une fois le dernier volume de l’Encyclopédie publié – ce qu’il appelait le « boulet » déposé –, on retrouve pourtant le même Diderot proposant à la tsarine de refaire une nouvelle fois la grande œuvre : il est clair que, quels qu’aient été les tourments endurés, et ils furent bien réels, Diderot n’a jamais abandonné l’Encyclopédie !

La contribution de Diderot, encore en partie énigmatique...

On ne sait exactement combien d’articles il rédigea pour le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, car une grande part d’entre eux sont restés anonymes. Comment sont identifiés les autres ? Sur la page de titre de l’ouvrage, on lit la mention : « Mis en ordre et publié par M. Diderot, de l’Académie royale des Sciences et des Belles Lettres de Prusse et pour la partie Mathématiques par M. d’Alembert de l’Académie royale des Sciences de Paris, de celle de Prusse et de la Société royale de Londres ». Il s’agit là des éditeurs. Mais, à la grande différence des dictionnaires antérieurs, l’Encyclopédie indique également les auteurs des articles, ce que stipule l’Avertissement du tome I :

Tous ceux qui ont travaillé à cette Encyclopédie devant répondre des articles qu’ils ont revûs ou composés, on a pris le parti de distinguer les articles de chacun par une lettre mise à la fin de l’article. [...] Les articles qui n’ont point de lettre à la fin, ou qui ont une étoile au commencement, sont de M. Diderot : les premiers sont ceux qui lui appartiennent comme étant un des Auteurs de l’Encyclopédie ; les seconds sont ceux qu’il a suppléés comme Editeur. (Enc., I, p. xlvj)

Les auteurs sont ainsi identifiables grâce aux signatures des articles par le biais de lettres de l’alphabet attribuées à chacun : D’Alembert signe d’un (O), Rousseau d’un (S), d’Holbach, d’un tiret (–), etc. Quant au maître d’ouvrage, une marque à part lui est réservée : l’astérisque, ou étoile, placée en début d’article signale une intervention de l’éditeur Diderot ; quant à l’auteur Diderot, il est désigné, nous dit cet Avertissement, par l’absence de signature. Mais il ne faut pas accorder un grand crédit à ce système apparemment si précis.

L’astérisque, ou l’étoile, tout d’abord, a des usages multiples : elle peut, certes, ne marquer qu’une ligne ou deux d’ajout éditorial, mais elle peut aussi flanquer plusieurs colonnes de texte qui constituent un apport fondamental de Diderot au sujet traité ; c’est le cas, par exemple du supplément éditorial à l’article consacré à l’âme, qui contient une série de réflexions essentielles sur l’unité de la matière. Diderot intervient-il ici en tant qu’éditeur ou en tant qu’auteur ? La discrimination des statuts est, en fait, souvent impossible.

Quant à l’absence de signature censée indiquer que Diderot est auteur d’un article, dès le tome II elle devient totalement inopérante puisqu’il n’est plus le seul désormais à ne pas signer ses textes. On lit en effet dans l’Avertissement de ce deuxième volume : « Les articles dont l’Auteur n’est ni nommé ni désigné, sont de M. Diderot, ou de plusieurs Auteurs qui ont fourni les matériaux, ou de différentes personnes qui n’ont pas voulu être connues » (Enc., II, p. [872]). Et plus tard encore, dans les années postérieures à 1758, lorsque l’Encyclopédie sera interdite, la solidarité des gens de lettres s’exprimera par l’envoi de contributions diverses, mais celles-ci seront, par nécessité, anonymes : « Que ne nous est-il permis », s’écrie Diderot dans l’Avertissement du tome VIII, « de désigner à la reconnoissance publique tous ces habiles & courageux auxiliaires ! » (Enc., VIII, p. j) Enfin, à partir du tome X, même l’astérisque disparaît, et rien ne vient plus, dans les sept derniers volumes du texte encyclopédique, signaler, d’une marque quelconque, les articles fournis par Diderot.

Un certain nombre ont pourtant déjà été identifiés, grâce à des traces autobiographiques, comme l’article NATIF, qui contient la formule : « je suis natif de Langres » (Enc., XI, p. 36a) ; mais ce cas est rarissime. Naigeon, secrétaire et ami fidèle du philosophe, a pour sa part cité, plus tard, dans l’Encyclopédie méthodique ou dans son introduction aux Œuvres de Denis Diderot, un certain nombre d’articles ; si précieux que soit le témoignage de Naigeon, il ne porte cependant que sur un petit nombre d’articles et non sur la totalité de la contribution. Enfin, des attributions ont été permises par la confrontation avec d’autres œuvres de Diderot : ainsi, par exemple, l’article JOUISSANCE est le décalque quelque peu aménagé de l’Épître dédicatoire que Diderot écrivit pour sa pièce, Le Père de Famille ; l’article INTOLÉRANCE est le double d’une lettre de Diderot à son frère, l’intolérant chanoine Diderot ; l’article NAITRE, lui, reprend un passage d’une lettre à Sophie Volland, avant de réapparaître dansLe Rêve de d’Alembert.

La connaissance approfondie de la façon de faire de Diderot permet de lui attribuer sans doute aucun un nombre important d’articles qu’il rédigea pour les derniers volumes de l’Encyclopédie. Le projet ENCCRE permettra de les faire découvrir, accompagnés de leurs sources.

Diderot, enfin, assura également le rôle directeur de la publication des onze volumes de planches. Le 31 août 1771, il écrivait à Le Breton, dans le cadre du procès intenté aux libraires associés par Luneau de Boisjermain :

Quant à la partie des arts et des planches qui me concerne seul, je suis fâché que vous soyez mêlés de me défendre. J’ai fait faire les dessins comme il m’a plu. [...] Votre unique affaire a été de payer les travailleurs que j’occupais, et j’aurais trouvé fort mauvais que vous prissiez un autre soin quand vous l’auriez pu ou voulu.

Diderot a donc supervisé l’ensemble du travail : il donnait ses consignes aux dessinateurs, corrigeait les planches et signait les « bons à tirer », ainsi qu’en témoignent les rares documents conservés, portant la mention autographe « vu bon Diderot ». Il est également l’auteur d’un grand nombre d’explications mais, là encore, les indications manquent souvent, et la question consistant à savoir quelles parties peuvent lui être attribuées reste donc encore largement indéterminée (voir R. N. Schwab, Inventory of Diderot's Encyclopedie, t. VII, 1984, p. 20-24).


Gravure in-folio, « Hydraulique, Machine de Marli », planche II (Recueil de planches, vol. V, 1767) dessinée par Goussier, gravée par Defehrt, portant le dernier contrôle de l’éditeur avant impression, « Vu bon Diderot ».

La contribution de Diderot : dans quels domaines ?

Quels champs du savoir Diderot a-t-il abordé dans l’Encyclopédie ? On répondra un peu vite : tous ou presque !

Il faut, en effet, se représenter la fabrication d’un immense répertoire comme l’Encyclopédie. Une nomenclature générale, c’est-à-dire l’ensemble des mots qui demandent une définition, donc un article, est établie. À partir de là, est confiée à chaque collaborateur spécialisé la partie qui lui échoit. Mais, dans l’Encyclopédie, il y eut loin de ce principe à la réalité, et on lit, dans l’article ENCYCLOPÉDIE, bien des réflexions tirées de cette difficile expérience de l’éditeur Diderot : d’abord, parce que les collaborateurs ne se sont pas tous acquittés de l’ensemble de leur tâche ; il y eut des lacunes, ou des articles nuls que le responsable d’édition a parfois dû refaire totalement. Ensuite, parce que la nomenclature elle-même s’est modifiée au cours des vingt-cinq années que dura le travail. Des articles n’avaient pas été prévus au commencement qui s’avéraient pourtant indispensables ; et l’édition n’attendait pas : chaque année, un volume devait paraître, au fil de l’ordre alphabétique. C’est, dans ces différents cas, l’éditeur, largement secondé par le précieux chevalier de Jaucourt, qui, bien souvent, dut combler les lacunes et rédiger les articles manquants.

Heureusement, on dispose d’abord, pour comprendre le rôle très particulier de l’éditeur Diderot, d’un article capital pour l’histoire même de la « manufacture » encyclopédique, selon l’expression de Jacques Proust, et qui est sans doute aussi l’un des plus beaux textes philosophiques du xviiie siècle, l’article ENCYCLOPÉDIE (voir l’article de Georges Benrekassa, 1995).

Diderot éditeur : l’article ENCYCLOPÉDIE

L’Encyclopédie fut présentée par Diderot en 1750 dans le Prospectus , puis au début du premier volume, en 1751, dans le grand texte inaugural, le « Discours préliminaire des éditeurs », rédigé en majeure partie par D’Alembert. L’article ENCYCLOPÉDIE, lui, parut en 1755. Lorsque Diderot l’écrit, il y a huit ans qu’il travaille au Dictionnaire raisonné, et cinq volumes sont publiés. C’est dire que l’article est le produit de son expérience. Le philosophe y expose ce qu’est selon lui « le projet d’un Dictionnaire universel & raisonné de la connoissance humaine ; [...] sa possibilité ; sa fin ; ses matériaux ; l’ordonnance générale & particuliere de ces matériaux ; le style ; la méthode ; les renvois ; la nomenclature ; le manuscrit ; les auteurs ; les censeurs ; les éditeurs, & le typographe » (Enc., V, p. 648b). Ne serait-ce que pour l’intérêt de ce programme, l’article demeurerait le plus important du dictionnaire.

Retour sur le travail accompli, sur ses difficultés et ses réussites, conseils aux continuateurs, critique rigoureuse et lucide des lacunes et des manques, Diderot aborde dans cet article tous les domaines de son expérience d’éditeur, depuis les aspects les plus minutieux – que les auteurs aient soin d’écrire en majuscules les mots peu courants pour éviter les erreurs de lecture des compositeurs et typographes –, jusqu’aux plus vastes fonctions assignées à l’ouvrage : « rassembler » et « transmettre » les connaissances (Enc., V, p. 635a), et « changer la façon commune de penser » (p. 642b).

Cependant, il y eut d’abord trois grands domaines qui furent particulièrement de son ressort : la Description des arts et des métiers, l’Histoire de la philosophie, et la langue commune, ou « grammaire ». En outre, ce fut Diderot qui s’occupa principalement de faire réaliser les onze volumes d’illustrations de l’Encyclopédie, les « Planches », qui détaillent, grâce aux gravures, l’anatomie, l’histoire naturelle, les arts et les métiers.

La Description des arts et des métiers

Rendons enfin aux Artistes la justice qui leur est dûe. Les Arts libéraux se sont assez chantés eux-mêmes ; ils pourroient employer maintenant ce qu’ils ont de voix à célébrer les Arts mechaniques. (Enc., I, p. 717a)

Cet appel que Diderot lance dans l’article ART, tout inspiré de Bacon et notamment de son Novum Organum, indique l’esprit même dans lequel fut menée la description des métiers. Dans les dernières lignes d’ENCYCLOPÉDIE, Diderot s’en prend à ce qu’il nomme « l’esprit de corps » qu’il qualifie de « petit » et de « jaloux » (Enc., V, p. 648Ab). Il avait en tête, entre autres « sociétés » ou « compagnies », celle formée par l’Académie royale des sciences. Le travail de description des arts et des métiers dans le Dictionnaire raisonné est en effet profondément opposé aux pratiques de l’Académie, au savoir jalousement consigné dans des Mémoires, précieux mais infinis et peu accessibles : le savoir technique et scientifique, l’entreprise encyclopédique vise au contraire à le trier, le vivifier et surtout à le diffuser largement. Diderot, en ce sens, fut et demeure « le pionnier de la vulgarisation scientifique et technique moderne » (J. Proust, Diderot et l’Encyclopédie, p. 507).

Bien que le Prospectus les évoque, on sait désormais que la visite des ateliers, l’observation in situ ne jouèrent qu’un rôle restreint dans la collecte des informations à laquelle procéda Diderot, et c’est généralement par la lecture des traités, les questions posées aux artisans, le souci de se faire communiquer rapports ou exposés que Diderot a procédé, obtenant même parfois des maquettes de machines. Plus que de reportage sur le vif, il s’agit ici, comme l’a écrit J. Proust, de « l’art de mener une enquête rigoureuse et complète sur les matières, les objets et les procédés d’une technique, d’en ordonner les résultats de la manière la plus adéquate, d’en restituer le détail dans une langue à la fois propre et compréhensible, dans un style vif et coloré qui ne cesse pourtant d’être simple ».

Dans les articles traitant de la production manufacturée, Diderot fut confronté à la nécessité de rendre compte d’opérations complexes, des mouvements, synchrones ou enchaînés, de la machine et des gestes de l’ouvrier. L’ordre d’exposition, le choix à faire entre descriptions statiques ou dynamiques de la machine, l’emploi des termes adéquats, toutes les questions posées par l’exposition et la transmission de la fabrication d’un objet manufacturé supposent autant de recherches et d’innovations dans l’expression. Et Diderot fut, citons encore J. Proust, « le premier homme de lettres qui ait considéré la technologie comme une partie de la littérature » (p. 000). Dans les arts mécaniques, la part du lion est faite à l’industrie textile qui connaît à l’époque l’essor que chacun sait. L’intérêt du philosophe, auteur de plusieurs articles traitant du tissage, et notamment de celui de la soie, est aussi dans une certaine mesure un intérêt intellectuel et esthétique. On lisait dans l’article ART :

Dans quel système de Physique ou de Métaphysique remarque-t-on plus d’intelligence, de sagacité, de conséquence, que dans les machines à filer l’or, faire des bas, & dans les métiers de Passementiers, de Gaziers, de Drapiers ou d’ouvriers en soie ? (Enc., I, p. 716b)

Et si on consulte, par exemple, l’article GAZE, on assiste en quelque sorte à l’émerveillement du descripteur devant la conception de la lisse à perle, création d’un homme qui possédait le « génie de son art » (Enc., VII, p. 533a) : la lisse à perle fut sans nul doute, pour Diderot, une de ces merveilles qu’il évoque dans ART, « merveilles qui frapperont dans les manufactures ceux qui n’y porteront pas des yeux prévenus, ou des yeux stupides » (Enc., I, p. 717a). Voir la Planche correspondante.

Dans sa description des arts et des métiers, Diderot ne manque jamais de procéder à la critique des corporations et des règlements qui régissent les différents corps de métiers. C’est sur le critère de l’utilité que se fonde Diderot, utilité pour l’avancement et la diffusion des savoir-faire et des techniques. Quels rapports les différentes contraintes corporatistes ont-elles avec le bien public ? D’où notamment, sa critique circonstanciée d’une institution réputée vénérable, celle du Chef-d’œuvre...

L’Histoire de la philosophie

Pour produire cet important massif encyclopédique qu’est l’Histoire de la philosophie, Diderot s’est essentiellement appuyé sur des ouvrages comme le Dictionnaire historique et critique de Bayle ou l’Histoire critique de la philosophie de Boureau-Deslandes. Mais c’est l’œuvre du pasteur Jacob Brucker Historia critica philosophiæ a mundi incunabulis ad nostram usque ætatem deducta, qui avait paru à Leipzig en 1744, qu’il utilisa principalement.

Ainsi, il traduisit et « dépeça » l’ouvrage considérable de Brucker, qui représentait alors la première véritable histoire de la philosophie, passant en revue tous les courants philosophiques depuis l’Antiquité jusqu’au temps modernes.

Tout en suivant son modèle, Diderot trie, élague, propose ses propres commentaires, s’engage parfois dans de soudaines digressions où il nous livre souvent le fond de sa pensée et qui donnent à ces articles sa marque, sa griffe. L’histoire de la philosophie fut, en réalité, « le prétexte et le support d’une critique fondamentale de la religion » (J. Proust, Diderot et l’Encyclopédie, p. 257) et les commentateurs de l’Encyclopédie l’ont, en son temps, parfaitement perçu. L’article MACHIAVELISME, par exemple, commence par une formule d’exécration, tout à fait attendue à l’époque et destinée avant tout à se mettre à couvert ; mais la suite de l’article propose une lecture politique neuve et positive du Prince et s’achève sur une allusion incisive, transparente pour ses contemporains, au belliqueux empereur Frédéric II de Prusse qui se piquait de philosophie et avait publié, en 1740, un Anti-Machiavel.

La langue commune ou « Grammaire »

« Rendre toute la langue intelligible », fixer les sens pour ce temps inéluctable où « la langue sera morte » est une des missions de l’Encyclopédie, écrit Diderot (Enc., V, p. 688b, 640a). On peut s’étonner aujourd’hui de constater que l’Encyclopédie comprenne ainsi un dictionnaire de langue usuelle. Pour nous en effet – relisons l’actuelle définition du Petit Robert – une encyclopédie ne doit contenir que des renseignements sur les choses, les idées, mais non sur la langue. Diderot, au contraire, fit entrer la langue usuelle dans le cercle des connaissances, pensant l’Encyclopédie comme une totalité ouverte, capable de relier le sujet à l’objet, la transmission à son vecteur, la pensée à son cadre, le livre à son matériau même.

Il composa des centaines d’articles consacrés à définir les mots communs ; ces articles apparaissent en général accompagnés de la mention « grammaire », car il n’existait pas d’autre dénomination, dans le système des connaissances de l’Encyclopédie, que « grammaire » pour désigner non seulement le savoir grammatical mais ce que nous appelons la lexicographie.

Si, comme Diderot l’écrit dans l’article ENCYCLOPÉDIE, le « caractere » d’un « bon dictionnaire » est de « changer la façon commune de penser » (Enc., V, p. 642b), le premier pas à faire est d’interroger les mots, les préjugés qu’ils véhiculent, de repenser leur usage quotidien et banal, mais aussi de laisser dériver la rêverie sur leurs significations. Les articles de Diderot fournissent de nombreux exemples de cette entreprise de la pensée critique (BASSESSE, abjection ; INDIGENT ; NAITRE), de la rêverie sur les mots sous la plume d’un de nos plus grands écrivains (DÉLICIEUX).

Autres domaines de la contribution de Diderot

« Expliquer ce que c’est qu’un falbala ou qu’un pompon » (Enc., V, p. 646a)

L’inventaire des connaissances ne saurait mépriser les savoirs réputés banals ou triviaux : aux reproches émis à l’égard de « certains traits historiques, de la cuisine, des modes », sujets perçus comme frivoles et indignes de figurer dans une encyclopédie, Diderot répond par le souci de la postérité : « le plus succinct de nos articles en ce genre épargnera peut-être à nos descendans des années de recherches & des volumes de dissertations » (Enc., V, p. 646a). Et il n’y a rien abstrait dans cette réflexion : Diderot fut confronté lui-même, pour la rédaction des articles en histoire ancienne, en mythologie, à tant de termes devenus obscurs… Il n’est qu’à lire l’article sur l’AMPHIPHON, ce gâteau consacré à Diane, dont aucun des Anciens n’a pris la peine d’indiquer ce qu’il était et dont nous ne savons plus rien. Ainsi, les termes les plus communs en un temps donné susciteront un jour la perplexité et deviendront objets d’enquête. Dès lors, détailler la recette des BISCOTINS s’inscrit non seulement dans l’inventaire des savoir-faire contemporains mais aussi dans cette volonté de renseigner les générations futures.

Pareillement, écrit Diderot, « un écrit sur nos modes, qu’on traiteroit aujourd’hui d’ouvrage frivole, seroit regardé dans deux mille ans, comme un ouvrage savant & profond, sur les habits François » (Enc., V, p. 646a). Il s’est donc occupé d’expliquer pour la lointaine postérité ce qu’était alors, par exemple, une CHAUSSETTE ; de même nous décrit-il, et avec un visible plaisir cette fois, quels étaient, en son temps, les usages du FICHU...

L’« esprit de combinaison », les « conjectures » de « l’homme de génie »
(Enc., V, p. 642b)

Diderot a pensé le dictionnaire non seulement comme le lieu de sauvegarde des connaissances mais aussi comme un moteur d’invention. Dans ENCYCLOPÉDIE, il distingue, parmi plusieurs sortes de renvois, « ceux qui en rapprochant dans les sciences certains rapports, dans des substances naturelles des qualités analogues, dans les arts des manœuvres semblables, conduiroient ou à de nouvelles vérités spéculatives, ou à la perfection des arts connus, ou à l’invention de nouveaux arts, ou à la restitution d’anciens arts perdus » (Enc., V, p. 642Ab). Ce sont les renvois dont est capable « l’homme de génie », doué de l’« esprit de combinaison ». Et, dans l’Encyclopédie, Diderot a saisi toutes les occasions, renvois ou pas, d’ouvrir ainsi de nouveaux champs à la découverte.

Ainsi, l’article consacré aux grottes d’ARCY parvient, alors qu’il est composé à partir d’un mémoire demandé par Colbert, à une description étonnamment vivante du cheminement souterrain et de la découverte des merveilles naturelles que le lieu recèle : en fin d’article, Diderot échafaude une série d’hypothèses, proposant, entre autres, l’utilisation et la production des stalactites, idée qui réapparaîtra dans De l’interprétation de la nature, Pensée XXXVII.

Mais l’esprit de combinaison et d’invention est indissociable de la capacité de douter et l’exercice de la raison critique.

Le « caractere » d’un « bon dictionnaire » est de
« changer la façon commune de penser » (Enc., V, p. 642b)

La « hardiesse » d’« esprit » demandée aux auteurs de l’Encyclopédie implique d’abord, selon Diderot, de « secouer le joug de l’autorité » (Enc., V, 636a). Si la critique de l’autorité, notamment aristotélicienne, après Montaigne, Descartes, Port-Royal, n’était certes pas neuve, l’Encyclopédie l’a portée à un niveau alors inégalé. La contribution de Diderot, en particulier, atteste continuellement du souci de mettre en garde contre les égarements auxquels conduit la reprise docile de la pensée d’autrui. On évoquera le plaidoyer contre les autorités qui compose le célèbre article AGNUS SCYTHICUS, où se trouvent confondus les Scaliger, Kircher, et même le très respecté Chancelier Bacon (« notez bien ce témoignage », insiste Diderot, Enc., I, p. 179b), qui tous ont ajouté foi à une pure fable, celle de l’arbrisseau-agneau. Lisons également article l’BESANÇON, dont le but manifeste est d’« apprendre » aux hommes « à douter », et qui retrace les témoignages qu’apportèrent, sur une grotte merveilleuse qui glaçait en été, les Mémoires de l’Académie et « M. de Fontenelle » (Enc., II, p. 212b). À l’auteur de l’Origine des Fables, qui se retrouva lui-même, dans l’affaire, à expliquer les raisons d’un phénomène inexistant, Diderot renvoie son ironie et conclut :

la grotte est dans notre voisinage ; [...] ce ne sont point des voyageurs qui y descendent ; ce sont des philosophes, & ils nous en rapportent des faits faux, des préjugés, de mauvais raisonnemens que d’autres philosophes reçoivent, impriment, & accréditent de leur témoignage. (Enc., II, p. 212b-213a)

Oser penser hors des dogmes c’est pouvoir s’affranchir du premier d’entre eux, le dogme religieux. Ainsi la définition du verbe CROIRE récapitule les fondements mêmes de la démarche critique : « c’est être persuadé de la vérité d’un fait ou d’une proposition, ou parce qu’on ne s’est pas donné la peine de l’examen, ou parce qu’on a mal examiné, ou parce qu’on a bien examiné » (Enc., IV, p. 502b).

Lutte antireligieuse

Dans ENCYCLOPÉDIE, Diderot désigne les dogmes religieux par périphrase : « préjugé national », « édifice de fange » (Enc., V, p. 642a), « certaines notions particulieres, locales & passageres » (p. 648b). La réflexion et la connaissance scientifiques passent par la lutte contre les interdits de pensée ; celle qui s’affronte au respect des vérités révélées du christianisme anime bien des articles dans l’Encyclopédie, notamment chez D’Alembert : Chaumeix, un des adversaires jansénistes les plus prolixes des encyclopédistes, avait sur ces questions une formule qui en résume bien d’autres : il n’y a de « bonne physique [que] celle qui s’accorde avec les Écritures, puisqu’elles ne peuvent être fausses » (cité par J. Proust, Diderot et l’Encyclopédie, p. 259).

La dénonciation du versant politique de la tutelle religieuse, l’intolérance et le fanatisme, traverse, elle, tout l’article ENCYCLOPÉDIE jusqu’à ses derniers paragraphes. Mais c’est surtout dans les articles appartenant aux derniers volumes que Diderot multiplie les analyses et les exemples de l’esprit de persécution qui donna notamment, durant des décennies, toute sa violence à la lutte des catholiques contre les protestants puis des jésuites contre les jansénistes : lisons le grand article INTOLÉRANCE, dénonciation plus actuelle que jamais, ou l’article RÉFUGIÉS, en référence aux persécutions subies par les protestants en France.

Indications bibliographiques

Georges Benrekassa, « Penser l’encyclopédique : l’article “Encyclopédie” de l’Encyclopédie », dans Le Langage des Lumières : concepts et savoirs de la langue, Paris, PUF, 1995.

Denis Diderot, Correspondance, éd. Georges Roth, Paris, Les Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol.

Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie, Paris, A. Colin, 1962.

Arthur M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, trad. de l’anglais par G. Chahine, A. Lorenceau, A. Villelaur (1985), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2014.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 25 octobre 2015

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Denis Diderot (1713-1784) », Les acteurs, chap. I : Les éditeurs, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

D’Alembert (1717-1783), le savant philosophe

Si D’Alembert n’a été coéditeur de l’Encyclopédie qu’entre 1747 et 1758, laissant Diderot (et Jaucourt) terminer l’ouvrage, l’entreprise a cependant joué un rôle central dans sa vie et son œuvre, et sa présence a été essentielle aux premiers succès de l’ouvrage.

En effet, lorsque les libraires rompent leur engagement avec De Gua, le 3 août 1747, D’Alembert et Diderot sont loin de leur être inconnus : certes, le second n’est encore admiré que dans un cercle restreint, mais le premier a déjà son nom publié dans l’Almanach royal depuis 1742 (comme membre de l’Académie royale des sciences) et peut se prévaloir de la publication chez l’un des libraires associés, David, de deux importants ouvrages physico-mathématiques, le Traité de dynamique (1743) et le Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides (1744).


« le regard vif, un sourire très fin, [...]
et je ne sais quoi d’impérieux... »
dit Grimm de D’Alembert
(pastel de Quentin De La Tour).

Son « nom », D’Alembert, n’est d’ailleurs qu’un nom d’emprunt, que le savant ne porte vraisemblablement que depuis 1739. Enfant trouvé sur les marches de l’église Saint-Jean-Le-Rond, « nouvellement né » le 16 novembre 1717, c’est le nom de cette église, « Le Rond », qu’il porte officiellement, comme en témoignent les extraits baptistaires qu’il doit produire en diverses occasions de sa vie. En particulier lorsque, élève en dernière année au Collège Mazarin (ou des Quatre-Nations, aujourd’hui palais de l’Institut, sur le quai Conti à Paris), il doit fournir cet extrait pour obtenir sa maîtrise ès arts en 1735. Il déclare à cette occasion qu’il a toujours cru s’appeler « Jean Baptiste Louis d’Aremberg » et le docteur Molin, médecin qui a accouché sa mère, Mme de Tencin, doit venir confirmer devant notaire qu’il s’agit bien du même enfant, confié à une nourrice, Mme Rousseau, à laquelle D’Alembert restera très attaché toute sa vie et chez qui il demeure, rue Michel-le-Comte (à l’actuel no 22, comme l’a démontré F. Launay), de 1735 jusqu’à 1765.

Une identité complexe donc, que reflète la variation des noms et des graphies, y compris sur la majuscule de son nom : « D’Alembert », suivant sa signature et ses manuscrits (et la page de titre de l’Encyclopédie), ou « d’Alembert », comme aiment à l’imprimer les éditeurs (y compris parfois ceux de l’Encyclopédie), voire Dalembert. Aucune preuve d’ascendance ne peut venir nous éclairer ici, D’Alembert étant loin d’être un noble, bâtard, de surcroît non reconnu, ni par son père, ni par sa mère.

Bien que « nec pater, nec res » (voir l’Affaire Tolomas), c’est-à-dire sans « sans père ni fortune », D’Alembert est dès 1741 bien introduit dans le milieu académique et plus encore à partir de 1746 où d’un même mouvement, fortement soutenu par Maupertuis, il obtient le prix et le statut d’associé de l’Académie des sciences et belles-lettres de Berlin. Il est alors également à son aise, voire choyé dans les salons de Mme Geoffrin et Mme Du Deffand, et fréquente de nombreuses « sociétés » moins connues aujourd’hui, celle de sa famille tutoriale, les Destouches, celles de Mme de Crequÿ et de Mlle Lemery  (voir l’introduction du vol. 2, Correspondance générale 1741-1752, de la série V de l’édition des Œuvres complètes de D’Alembert). D’Alembert offrait donc toutes les garanties de respectabilité et d’entregent académiques.

Lorsqu’il devient éditeur, son travail va aller bien au-delà, non seulement de sa première participation comme traducteur, mais aussi de la partie de mathématique et de physique pour laquelle il a été engagé : il va rédiger plus de 1800 articles, certains entièrement neufs où il appose son empreinte de savant, des « Avertissements » qui participent à la polémique autour de l’ouvrage, et avant tout le fameux « Discours préliminaire des éditeurs » qui ouvre le premier volume par un panorama des savoirs humains, tout à la fois genèse et synthèse, un texte d’emblée célèbre qui le fait naître comme philosophe.

On trouve dans certains de ses articles de mathématiques pures, d’astronomie, d’optique, d’hydrodynamique, de mécanique, de physique (comme Allées de jardin, Courbe, Différentiel, Dynamique, Figure de la Terre, Fluide, Géométrie, Hydrodynamique, Lune, Méchanique, Précession des equinoxes, Statique), des informations et des synthèses que l’on chercherait en vain dans le reste de son œuvre, même si celle-ci entretient un rapport fécond avec ses articles pendant toute la période 1750-1758 (et même un peu plus largement, puisque D’Alembert, s’il n’est plus éditeur, continue à fournir de la matière jusqu’en 1762). Plus généralement, sa vision philosophique des sciences s’est exprimée au détour de multiples notions, et l’occasion ne lui manque pas de promouvoir une langue scientifique la plus claire possible, comme dans l’article Élémens des sciences :

Les mots nouveaux, inutiles, bizarres, ou tirés de trop loin, sont presque aussi ridicules en matière de science qu’en matière de goût. On ne saurait, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, rendre la langue de chaque science trop simple et, pour ainsi dire, trop populaire ; non seulement c’est un moyen d’en faciliter l’étude, c’est ôter encore un prétexte de la décrier au peuple, qui s’imagine ou qui voudrait se persuader que la langue particulière d’une science en fait tout le mérite, que c’est une espèce de rempart inventé pour en défendre les approches : les ignorants ressemblent en cela à ces généraux malheureux ou malhabiles qui, ne pouvant forcer une place, se vengent en insultant les dehors.

Cet intérêt pour la langue, que manifestent aussi ses articles de synonymes et l’article Dictionnaire, va de pair avec son entrée à l’Académie française en 1754. Il a également mis son ironie au service de la bataille contre l’autorité de la pensée scolastique et le poids de la superstition sur l’éducation, critiquant les vaines discussions autour de l’existence des Antipodes, raillant la croyance, manipulée par les imposteurs, en l’Influx des astres, ou encore proposant des réformes des Collèges jésuites dont il savait fort bien qu’elles ne plairaient pas :

ce n’est point aux hommes que je fais la guerre, c’est aux abus, à des abus qui choquent et qui affligent comme moi la plupart même de ceux qui contribuent à les entretenir, parce qu’ils craignent de s’opposer au torrent. La matière dont je vais parler intéresse le gouvernement et la religion, et mérite bien qu’on en parle avec liberté, sans que cela puisse offenser personne.

Mais l’article qui, probablement, fut le plus reproduit est bien celui qu’il fit à l’instigation de Voltaire en 1757, l’article Genève qui, sous couvert de vanter les mœurs et la tolérance de ses pasteurs (pour mieux leur reprocher d’interdire le théâtre), en donnait une image si peu orthodoxe qu’elle scandalisa le clergé genevois et eut tout le contraire de l’effet escompté :

On peut dire encore, sans prétendre approuver d’ailleurs la religion de Genève, qu’il y a peu de pays où les théologiens et les ecclésiastiques soient plus ennemis de la superstition. Mais en récompense, comme l’intolérance et la superstition ne servent qu’à multiplier les incrédules, on se plaint moins à Genève qu’ailleurs des progrès de l’incrédulité, ce qui ne doit pas surprendre : la religion y est presque réduite à l’adoration d’un seul Dieu, du moins chez presque tout ce qui n’est pas peuple : le respect pour J. C. et pour les Écritures sont peut-être la seule chose qui distingue d’un pur déisme le christianisme de Genève.

D’Alembert n’a pas alors, comme Diderot, une famille à faire vivre, et la tâche encyclopédique doit commencer à lui peser. Il a publié, dès 1753, le « Discours préliminaire » dans ses Mélanges dont l’édition augmentée en 1759 lui permettra d’actualiser ses réflexions sur les savoirs et leur organisation. Entré à l’Académie française fin 1754, au faîte de sa carrière scientifique, il peut se permettre de se fâcher avec les libraires, et même avec son ami Diderot, comme il peut se permettre de refuser les offres d’emploi de Frédéric II et Catherine II. Il « rend » aux libraires sa contribution pour les derniers volumes et prétend ne plus y intervenir. Il n’est cependant pas certain qu’il n’ait quand même pas glissé quelques derniers articles entre 1760 et 1765.

La contribution de D’Alembert :
1700 articles mathématiques, plus ou moins

Sans même parler de la définition d’un encyclopédiste (voir Qu’est-ce qu’un « encyclopédiste » ?), la question des attributions dans l’Encyclopédie est, on le sait, une question épineuse. Le cas de Diderot, le plus difficile sans doute, doit être traité en détail : voir la contribution de Diderot. Celui de D’Alembert est plus simple, puisque sa marque, le (O) annoncé dès le premier tome, semble courir tout au long des dix-sept volumes de texte, sur les articles de mathématique et de physique, comme l’annoncent toutes les pages de titre :

Mis en ordre et publié par M. Diderot, de l’Académie royale des Sciences et des Belles Lettres de Prusse et pour la partie Mathématiques par M. d’Alembert de l’Académie royale des Sciences de Paris, de celle de Prusse et de la Société royale de Londres.

Ou plus exactement, on comprend que D’Alembert-éditeur a supervisé toute cette partie, et qu’un certain nombre d’articles, plus personnels, portent même sa marque. De fait, la contribution de D’Alembert à l’Encyclopédie, de 1746 à 1759-1760, présente plusieurs facettes, qui se répondent mais que nous allons distinguer pour plus de clarté : D’Alembert traducteur, D’Alembert éditeur (voir Le travail éditorial sur les articles), D’Alembert auteur d’articles, du « Discours préliminaire », d’Avertissements et enfin d’explications de planches.

D’Alembert traducteur

Si l’activité de traducteur de Diderot, de Toussaint, de De Gua est bien connue par leur production antérieure à l’Encyclopédie, celle de D’Alembert n’a pas de manifestation tangible autre que ce que ses lettres nous apprennent. En effet, la mention de sa rétribution dès le début du « Livre de dépense » des libraires, tenu à partir de décembre 1745 seulement (« [le] 17 Payé à M. Dalembert sur son reçu . . . 105 », AN, U//1051, et G. May, « Documents nouveaux sur l’Encyclopédie », p. 31), ne précise pas à quelle tâche le savant est employé. Le détail donné par la correspondance est donc essentiel puisque l’académicien nous apprend qu’en avril 1746 il se livre à une activité tranquille, censée ne pas lui attirer d’« ennemis » (lettre 46.03) : la traduction « à la colonne » de parties de la Cyclopædia de Chambers, au moins depuis décembre 1745. De ce qu’il écrit dans la lettre 46.04, nous pouvons reconstituer qu’il est rétribué 12 livres tournois pour cinq colonnes et qu’il traduit une colonne par jour (voir I. Passeron, « Quelle(s) édition(s) de la Cyclopædia les encyclopédistes ont-ils utilisée(s) ? », p. 288). Comment ce travail est-il organisé, qui répartit les articles et comment, quelle(s) édition(s) de la Cyclopædia sont utilisées, nous l’ignorons et ne pouvons en avoir une idée qu’en comparant l’état final des articles de D’Alembert à ces éditions. Sans doute cette traduction s’est-elle faite en plusieurs étapes, puisque le projet des libraires se modifie sous la houlette de De Gua pendant un an, de juin 1746 à juillet 1747 (voir O.C., vol. V/2, Introduction, § X.1).

D’Alembert éditeur et auteur d’articles
« mathématiques »

Par la lettre de De Gua à Formey du 29 avril 1747, on sait que dès cette période (avant la signature du contrat du 16 octobre 1747), c’est « M. d’Alembert qui s’est chargé de la mécanique, des physico-mathématiques et de la physique particulière [...] » (citée par E. Badinter, Les Passions intellectuelles, t. I, p. 325-326). Ce qui se trouvait résumé sur les pages de titre de l’Encyclopédie : « … quant à la partie mathématique, par M. D’Alembert ».

Dans la même lettre d’avril 1747, De Gua disait s’être réservé la logique, la métaphysique, la morale, la physique générale et les mathématiques pures. En quoi consistait exactement cette charge, et comment s’est-elle modifiée lorsque De Gua abandonne la direction de l’édition à D’Alembert et Diderot, quelques mois plus tard, nous l’ignorons. Mais il est certain qu’un grand nombre des prescriptions de la « Circulaire » se retrouvent dans les articles de l’Encyclopédie, en particulier ceux de D’Alembert signés de sa marque (O) (voir Le travail éditorial sur les articles). Que ce soit en tant qu’éditeur ou en tant qu’auteur, D’Alembert est donc, après le désengagement de De Gua, seul maître de la partie mathématique et physique, comme il le résume dans le Discours préliminaire (Enc., I, p. xliij), puis, vingt ans plus tard, dans son « Mémoire sur lui-même » (p. 11, éd. citée, p. 23) :

Il a revu toute la partie de mathématique et de Physique generale de l’Encyclopedie, et il a meme refait en entier ou presque en entier plusieurs articles considerables relatifs à ces sciences, & qui contiennent, même sur des objets elementaires, des choses nouvelles, qu’on chercheroit inutilement ailleurs [...].

Cette partie couvre les mathématiques pures, à savoir l’arithmétique et la géométrie, et les mathématiques dites « mixtes », la mécanique l’astronomie, l’optique, l’acoustique, l’analyse des jeux de hasard (voir Le Systême figuré des connoissances humaines et son explication). La musique fait traditionnellement partie des mathématiques mixtes (même si elle n’apparaît pas comme telle dans le Systême figuré, dont on connait l’arbitraire), et D’Alembert, auteur des Elemens de musique (1752), est le commissaire usuel qui examine les nombreux mémoires de musique théorique parvenant à l’Académie royale des sciences. Seuls certains articles de mathématiques élémentaires sont signés de l’abbé Vieillot de La Chapelle. Ce que couvre la partie que D’Alembert nomme « physique générale » est plus flou, et pour cause, le statut et les limites de la physique étant alors en pleine recomposition. Pierre Crépel (« La “physique” dans l’Encyclopédie ») appelle à étudier plus en profondeur la façon dont D’Alembert a sans cesse ajouté son « grain de sel » aux meilleures sources de l’époque, Musschenbroeck, ou celles compilées par Chambers dans la Cyclopædia , voire, sans que l’on puisse savoir à quel degré, les papiers vendus par Formey aux libraires, parfois mentionnés en référence des articles signés du (O) de D’Alembert.

Enfin, D’Alembert, on le sait, ne s’est pas interdit d’intervenir dans d’autres domaines, comme celui des synonymes.

À Diderot, le reste et même l’essentiel du travail éditorial (partagé après 1758 avec Jaucourt), puisqu’il consiste à enrichir et à modifier substantiellement la nomenclature de Chambers (voir M. Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie), à contrôler les attributions, comme le montre la lettre à Le Breton de février 1751 (DPV, t. XXVIII, lettre 1751-3, Roth, t. I, p. 110-111), à revoir toutes les autres matières, et surtout, les arts.

Pendant les six ans de préparation et la sortie des premiers tomes de l’Encyclopédie (1747-1752), seule la lettre de Rousseau (51.09) atteste d’un échange direct entre D’Alembert et les collaborateurs qui rédigeaient sous sa responsabilité. On ne trouve même que fort peu de traces indirectes de cette activité, la plus frappante étant la lettre de colère écrite à Le Breton à propos de l’article BOUSSOLE (51.20). Les instructions et le travail considérable d’ajustement qu’elles supposent n’affleurent jamais dans les lettres de D’Alembert à son ami Cramer, pourtant au fait de ses chagrins et tracasseries, et à peine, une seule fois, dans une lettre à Mme de Crequÿ avec laquelle il aime pourtant à plaisanter sur ses journées bien remplies :

Je m’amuse à vous ecrire, à condition que c’est pour vous seule, j’ay pourtant assez d’ouvrage ; quatre epreuves à corriger, un avertissement a achever, l’Errata du second volume à composer, les Jesuites à batonner, les jansenistes à fustiger [...] (51.24).

C’est donc essentiellement les contributions mêmes de D’Alembert qui nous apprennent comment il a travaillé, à partir d’une traduction de la Cyclopædia qu’il a nécessairement remaniée, si ce n’est faite (d’après les dates et les montants des rétributions perçues). De nombreuses parties de ses ouvrages scientifiques (Traité de dynamique, 1743 ; Traité des fluides, 1744 ; Précession des équinoxes, 1747 ; Recherches sur le système du monde, 1754-1756, etc.) sont sollicitées, sans que l’ordre de rédaction soit toujours facile à restituer. Et sur un certain nombre de points importants, comme il le déclare lui-même, D’Alembert a fait la synthèse, à la fois des connaissances de l’époque, et de ses propres réflexions épistémologiques.

Pour établir la liste des articles qui peuvent lui être attribués, il faut partir de la liste de tous les articles ou parties d’articles qui portent, en fin d’article ou de partie, sa marque d’attribution, le (O). Il faut y ajouter, d’après le Discours préliminaire (Enc., I, p. xlvi), les articles précédant cette marque et « appartenant à la même matiere », ce qui ne va pas sans une certaine subjectivité. Il faut enfin y ajouter tous les articles de mathématiques ou de physique générale, ou les synonymes, non attribués et dont il peut être l’éditeur ou l’auteur (comme CONTINGENCE, cité par J. Lough, Essays on the Encyclopédie, p. 232), sans compter les erreurs d’attribution, parfois rectifiables avec certitude, comme l’article ALLÉES DE JARDIN (voir F. Ferlin, « D’Alembert et l’optique »). Certains articles ne sont que des renvois. Suivant ces différentes façons de compter, on arrive ainsi à une quantité qui avoisine les 1700 articles, s’étendant sur toutes les lettres de l’alphabet, bien que la contribution aux dix derniers volumes soit plus mince, reflet de sa défection après 1758. On peut consulter la liste établie par J. Lough (Essays on the Encyclopédie, p. 233-249), ou celle de Schwab, Rex et Lough de leur Inventory. Une liste peu différente se trouve dans l’ouvrage de M. Groult (D’Alembert et la mécanique de la vérité, p. 400-445). L’édition ENCCRE en fournira une approche plus documentée.

Nous avons déjà cité quelques-uns de ses articles les plus connus ou dont il a tiré le plus de fierté, bien qu’ils aient contribué, comme GENEVE, tout à la fois aux difficultés et aux succès de l’entreprise. Hormis ce dernier, fort peu d’articles de D’Alembert ont été publiés par les éditeurs successifs de D’Alembert.

D’Alembert auteur du Discours préliminaire,
d’avertissements, d’éloges, d’Errata

Mais D’Alembert reste pour la postérité l’auteur du Discours préliminaire , maintes fois reproduit ensuite hors de son contexte. Ce texte a sans doute directement contribué à son entrée à l’Académie française, fin 1754, comme son intérêt pour les éloges contribue, en 1772, à lui ouvrir les portes convoitées du secrétariat de cette compagnie.

Il est également l’auteur du très politique « Avertissement des éditeurs » du tome III, et des éloges de Montesquieu, Lenglet-Dufresnoy, Mallet et Dumarsais (en tête des tomes V, VI et VII), et il a probablement participé à un certain nombre d’Errata, comme le montre la lettre 51.24 citée plus haut et la publicité qu’il aime à faire de la correction ridicule imposée par la censure à l’article Amour des Sciences et des Lettres (Avertissement du tome III, réécrit dans ses Mélanges, voir R. N. Schwab, Inventory, t. I, p. 193). On le voit, comme pour ses articles qu’il juge lui-même les plus importants, ses interventions les plus marquantes se situent dans les sept premiers volumes, avant l’interdiction de 1759.

D’Alembert auteur d’explications de planches

D’Alembert est l’auteur d’une partie des explications des planches sur les « sciences mathématiques » d’après le « Nota » de Diderot qui les termine (Recueil de Planches, t. V, p. 6). Dans le cas des planches relatives à l’air, M. Pinault-Sørensen (« L’air dans les planches de l’Encyclopédie ») a précisé les relations qu’entretiennent les articles, les explications et l’état détaillé des planches, rédigés à des moments forts différents de l’histoire de l’Encyclopédie. Elle a également précisé ce que l’on peut reconstituer, à partir de la connaissance des sources et des acteurs, de la façon dont le « dessinateur intelligent », Goussier, a travaillé pour constituer ces figures, dont pratiquement aucune n’est à proprement parler, originale.

Indications bibliographiques

Jean Le Rond D’Alembert, Correspondance générale 1741-1752, éd. Irène Passeron, Œuvres complètes, vol. V/2, à paraître en 2015.

Jean Le Rond D’Alembert, « Le mémoire de D’Alembert sur lui-même », éd. Irène Passeron, RDE, 38, avril 2005, p. 17-31 [consulter].

Denis Diderot, Correspondance, éd. Georges Roth, Paris, Les Éditions de Minuit, 1955-1970, 16 vol.

Élisabeth Badinter, Les Passions intellectuelles, Paris, Fayard, 1999-2007, 3 vol.

Pierre Crépel, « La “physique” dans l’Encyclopédie », RDE, 40-41, octobre 2006, p. 251-283 [consulter].

Fabrice Ferlin, « D’Alembert et l’optique : l’Encyclopédie comme banc d’essai de recherches originales », RDE, 43, 2008, p. 127-144 [consulter].

Martine Groult, D’Alembert et la mécanique de la vérité, Paris, H. Champion, 1999. [Sur la contribution de D’Alembert, voir p. 400-445.]

Françoise Launay, « D’Alembert et la femme du vitrier Rousseau, Etiennette Gabrielle Ponthieux (ca. 1683-1775) », RDE, 45, 2010, p. 100-106 [consulter].

Françoise Launay, « Les identités de D’Alembert », RDE, 47, 2012, p. 243-289 [consulter].

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie. Diderot, de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 375, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, rééd. 2008.

John Lough, Essays on the Encyclopédie of Diderot and D’Alembert, London/New York/Toronto, 1968. [Sur la contribution de D’Alembert, voir p. 230-251.]

Louis-Philippe May, « Documents nouveaux sur l’Encyclopédie », Revue de synthèse, en plusieurs livraisons : t. XV-1, février 1938, p. 5-30 ; t. XVI-1, avril 1938, p. 31-46 ; t. XV-2, juin 1938, p. 47-70 ; t. XVI-2, octobre 1938, p. 71-86 ; t. XV-3, décembre 1938, p. 87-110, d’après le manuscrit U//1051 des Archives nationales.

Irène Passeron, « Quelle(s) édition(s) de la Cyclopædia les encyclopédistes ont-ils utilisée(s) ? », RDE, 40-41, 2006, p. 285-290 [consulter].

Irène Passeron, « Un traité entre Diderot et Le Breton », RDE, 39, 2005, p. 179-182 [consulter].

Madeleine Pinault-Sørensen, « L’air dans les planches de l’Encyclopédie », RDE, 44, 2009, p. 183-204 [consulter].

Richard N. Schwab, Walter E. Rex, John Lough, Inventory of Diderot’s Encyclopédie, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century 80, 83, 85, 91, 92, 93, 223, Genève/Oxford, Voltaire Foundation, 1971-1972, 1984, 7 vol : t. I (SVEC, 80, 1971) ; t. II (SVEC, 83, 1971) ; t. III (SVEC, 85, 1972) ; t. IV (SVEC, 91, 1972) ; t. V (SVEC, 92, 1972) ; t. VI (SVEC, 93, 1972) ; t. VII (SVEC, 223, 1984).

par Irène Passeron

Date de dernière mise à jour : 20 juin 2015

Pour citer cette notice : Irène Passeron, « D’Alembert, le savant philosophe », Les acteurs, chap. I : Les éditeurs, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Jaucourt, l’encyclopédiste par excellence

Le chevalier de Jaucourt est une figure méconnue bien que centrale de l'Encyclopédie. Il en est le principal collaborateur, puisqu'il a donné plus de 17 000 articles et qu'il a porté les derniers volumes de textes, en rédigeant plus de la moitié des articles à une époque où, D'Alembert ayant démissionné de la direction, Diderot, considérablement occupé par le travail sur les Planches, ne pouvait pas diriger seul les derniers volumes. En fait, Jaucourt en a été l'infatigable éditeur et il a signé jusqu'au dernier article de l'ouvrage. C'est pourquoi les connaisseurs, dont le grand historien Jacques Proust, parlent de « l'Encyclopédie de Diderot, d'Alembert et Jaucourt ».

Homme de lettres et de sciences, érudit, apte à circuler entre les savoirs avec élan, voire hardiesse, Jaucourt apparaît aujourd'hui comme une figure exemplaire de l'aventure encyclopédique. Vraisemblablement né à Paris d'une famille huguenote contrainte à la conversion, Jaucourt étudie en Suisse, en Angleterre puis en Hollande avant de rentrer en France. Attiré par l'entreprise avant même qu'elle n'existe, comme en témoigne sa Vie de Mr Leibnitz (1734 et 1747), dans laquelle il appelle de ses vœux une refonte du projet encyclopédique leibnizien, Jaucourt ne pouvait que s'enthousiasmer, lors de la parution du premier volume de l'Encyclopédie, pour un tel ouvrage, alors devenu projet collectif.

C'est dans l'« Avertissement » du tome II de l'Encyclopédie que ce nouveau collaborateur est présenté :

M. le Chevalier de Jaucourt, que la douceur de son commerce & la variété de ses connoissances ont rendu cher à tous les gens de Lettres, & qui s'applique avec un succès distingué à la Physique & à l'Histoire Naturelle, nous a communiqué des articles nombreux, étendus, & faits avec tout le soin possible. On en trouvera plusieurs dans ce Volume, & nous avons eu soin de les désigner par le nom de leur Auteur. Ces articles sont les débris précieux d'un Ouvrage immense, qui a péri dans un naufrage, & dont il n'a pas voulu que les restes fussent inutiles à sa patrie. (Enc., II, p. j)

On doit à Jaucourt plusieurs milliers d'articles de géographie, dans lesquels il insère souvent la biographie d'une figure locale d'importance, donnant ainsi à l'Encyclopédie une nouvelle dimension biographique et historique. Mais, comme Diderot, il s'occupe de toutes sortes de domaines et de savoirs : jurisprudence, morale, histoire, économie, politique, belles-lettres, peinture, cuisine, description des métiers, ainsi qu'histoire naturelle ou médecine, art qu'il avait étudié auprès de Boerhaave, obtenant le titre de docteur sans jamais exercer. Sans doute la multiplicité de ses contributions a-t-elle amené l'Encyclopédie à se tourner de plus en plus vers les sciences expérimentales et morales.


Dès la parution du premier volume, Jaucourt offre ses services. La lettre du 10 septembre 1751 par laquelle Diderot le remercie de lui avoir transmis des articles montre combien l’apport de ce nouveau contributeur a paru important au principal directeur.

Pour mesurer l'ampleur et la variété de l'écriture jaucourtienne, il faut entrer dans un réseau intertextuel complexe. Car Jaucourt n'a guère donné d'articles de son propre cru. En érudit de l'âge classique, soucieux à la fois de la rigueur et de l'ampleur des points de vue, il a recours aux grands auteurs et aux traités spécialisés, et il pratique l'extrait et la compilation de façon constante et intensive. Ses sources sont multiples, mais on note son attachement particulier à Voltaire, à Montesquieu et à Rousseau.

Issu d'une grande famille de la noblesse protestante, Jaucourt a été un soutien discret mais efficace de l'entreprise encyclopédique, et sa signature qui figure systématiquement, semble-t-il, à la fin de ses articles, avait aussi la fonction de rappeler à ses adversaires que l'Encyclopédie avait en Jaucourt un contributeur de haute lignée, familier de Montesquieu et auquel Voltaire portait une estime qu'il exprime plusieurs fois dans sa correspondance. Le dévouement de Jaucourt à l'Encyclopédie a été rare : il a même vendu sa maison pour payer ses copistes, et l'acheteur en a été Le Breton lui-même !

Homme des Lumières, sa hardiesse doit aussi beaucoup à ses convictions protestantes et à son appartenance à une communauté persécutée. C'est Jaucourt qui fait entendre dans l'Encyclopédie la dénonciation de l'esclavage (ESCLAVAGE, Enc., V, p. 934a-939a), de même qu'il produit l'un des premiers textes ouvertement abolitionnistes publiés en France, l'entrée Traite des nègres (Enc., XVI, p. 532b-533a). On lui doit aussi, entre autres, les fermes plaidoyers contre la guerre (Guerre, Droit naturel & Politique, Enc., VII, p. 995b-998a), la superstition (SUPERSTITION, Enc., XV, p. 669b-670a), ou l'Inquisition (INQUISITION, Enc., VIII, p. 773b-776a). Il faut d'ailleurs signaler que ce sont essentiellement les articles de Jaucourt qui, avec ceux de Diderot, ont été censurés par le libraire Le Breton (voir Gordon et Torrey, The Censoring of Diderot's Encyclopédie and the Re-established Text).


Le dernier article de l’Encyclopédie,
ZZUÉNÉ (vol. XVII, 1765),
signé par Jaucourt.

Au tome VIII, dans le dernier avertissement de l'Encyclopédie, Diderot rend à Jaucourt l'hommage qui lui est dû :

Jamais le sacrifice du repos, de l'intérêt & de la santé ne s'est fait plus entier & plus absolu. Les recherches les plus pénibles & les plus ingrates ne l'ont point rebuté. Il s'en est occupé sans relâche, satisfait de lui-même, s'il pouvoit en épargner aux autres le dégoût. Mais c'est à chaque feuille de cet Ouvrage à suppléer ce qui manque à notre éloge ; il n'en est aucune qui n'atteste & la variété de ses connoissances & l'étendue de ses secours. (Enc. , VIII, p. j)

Après l'Encyclopédie, Jaucourt poursuivit son entreprise historique commencée dans le Dictionnaire raisonné. Si l'on en croit D'Alembert, Jaucourt, en 1777, soit 2 ans avant sa mort survenue à Compiègne (Oise actuelle) le 3 février 1780 (registre de la paroisse Saint-Jacques de Compiègne où l'acte de sépulture précise qu'il a été inhumé le surlendemain dans le cimetière de la paroisse), âgé d'environ 74 ans (sic), travaillait encore à un « Dictionnaire historique » qui ne vit pas le jour.

Très symboliquement, c’est Jaucourt qui signe le tout dernier article du dictionnaire (ZZUÉNÉ) en le complétant d’une ultime citation, extraite de Bacon. On peut y voir un triple hommage : à la compilation, puisque le dernier mot de l’œuvre est emprunté ; à l’inspirateur lointain de l’Encyclopédie mis en avant par les éditeurs dès les textes préliminaires (l’Encyclopédie se referme sur elle-même !) ; enfin, par le contenu même de l’extrait, à l’idée des Lumières comme entreprise philosophique collective.

Ouvrages de Jaucourt (y compris sous le pseudonyme de Neuville, ou Neufville)

Ludovicus de NEUFVILLE, Disquisito physiologica de Fontium origine… [Recherches sur l'origine des fontaines...], Genève, Du Villard et Jacquier, 1723.

Louis de NEUVILLE, Dissertatio medica inaugularis, de Allantoide humana quam [Thèse de doctorat de médecine], sous la direction de Boerhaave, Leyde, 1730.

Essais de Théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme, et l'origine du mal. Par M. Leibnitz. Nouvelle Edition [1re éd., 1734, publiée sous le pseudonyme de L. de Neuville], Augmentée de l'Histoire de la Vie & des Ouvrages de l'Auteur, Par M. le Chevalier de JAUCOURT, Amsterdam, chez François Changuion, 1747, 2 vol. La Vie de Mr. Leibnitz se trouve dans le premier tome.

Jaucourt a en outre contribué au Code de l'humanité dirigé par De Felice, Yverdon, 1778, 13 vol.

Indications bibliographiques :

Gilles Barroux et François Pépin (éd.), Le Chevalier de Jaucourt. L'homme aux 17 000 articles, Paris, Société Diderot, Société Diderot, 2015.

Geneviève Cammagre, « L’Encyclopédie, de Jaucourt et la mythologie », dans Jean-Pierre Aygon et al. (éd.), La Mythologie de l’Antiquité à la modernité. Appropriation, adaptation, détournement, P. U. Rennes, 2009, p. 281-293.

Luigi Delia, « Jaucourt, Montesquieu et la discipline Droit naturel dans l’Encyclopédie », dans Gérard Chazal (éd.), Les Lumières et l’idée de nature, Dijon, Editions universitaires de Dijon, 2011, p. 139-153.

James Doolittle, « Jaucourt's Use of Source Material in the Encyclopédie », Modern Language Notes, Vol. 65, No. 6, June 1950, p. 387-392.

Olivier Ferret, Voltaire dans l'Encyclopédie, Paris, Société Diderot, 2016, « Voltaire et Jaucourt », p. 121-218.

Jean Haechler, L'Encyclopédie de Diderot et de... Jaucourt (essai biographique sur le chevalier de Jaucourt), Paris, Champion, 1995.

John Lough, « Louis, chevalier de Jaucourt (1704-1780). A Biographical Sketch », dans E. T. Dubois et al. (éd.), Essays presented to C. M. Girdlestone, Newcastle-upon-Tyne, 1960, p. 195-217.

John Lough, « Louis, Chevalier de Jaucourt, Some Further Notes », French Studies, XV (4), 1961, p. 350-357.

Madeleine F. Morris, Le chevalier de Jaucourt. Un ami de la terre (1704-1780), Genève, Droz, 1979.

Richard N. Schwab, « The Chevalier de Jaucourt and Diderot's Encyclopédie », Modern Language Forum, 1957, p. 44-51.

Richard N. Schwab, « The extent of the chevalier de Jaucourt's contribution to Diderot's Encyclopédie », Modern Language Notes, Vol. 72, No. 7 (Nov. 1957), p. 507-508.

Richard N. Schwab, « The Chevalier de Jaucourt, Physician and Encyclopedist », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, XIII (2), 1958, p. 256-259.

Richard N. Schwab, « Un Encyclopédiste huguenot : le chevalier de Jaucourt », Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme français, 1962, p. 45-74.

par Marie Leca-Tsiomis, François Pépin et Alain Cernuschi
avec les compléments biographiques de Françoise Launay

Date de dernière mise à jour : 5 septembre 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, François Pépin et Alain Cernuschi, avec les compléments biographiques de Françoise Launay, « Louis, chevalier de Jaucourt (circa 1704-1780) », Les contributeurs, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

III. Les contributeurs

Liste des contributeurs

Le tableau qui suit réunit les contributeurs dont la collaboration est explicitement indiquée dans les 17 volumes de discours et les 11 volumes de planches de l’Encyclopédie (par des marques d’attribution, des signatures explicites ou des annonces dans les textes d’escorte), et des contributeurs que la recherche a pu identifier. Nous y distinguons les encyclopédistes ayant contribué aux articles, aux explications de planches, ainsi qu'aux planches comme dessinateurs et comme graveurs.

Contributeur Rédacteur d'article(s) Rédacteur d'explication(s) de planches Dessinateur de planche(s) Graveur de planche(s)
ABBES [DE CABREROLES], Guillaume d' (1718-1802)
ALLARD (?-?)
ALLUT, Antoine (1743-1794)
ANVILLE, Jean Baptiste BOURGUIGNON d' (1697-1782)
ARGENVILLE, Antoine Joseph DESALLIER d' (1680-1765)
ARNAULD, Louis Roch Antoine Charles (1703 ?-1779 ?)
AUBIN fils (?-1765)
AUMONT, Arnulphe d' (1721-1800)
AUTHVILLE DES AMOURETTES, Charles Louis d' (1716-?)
BARTHEZ, Paul Joseph (1734-1806)
BARTHEZ DE MARMORIÈRES, Guillaume (1707-1799)
BEAUZÉE, Nicolas (1717-1789)
BELLIN, Jacques Nicolas (1703-1772)
BENARD, Robert (1734 - ?)
BERTHOUD, Ferdinand (1727-1807)
BERTRAND, Elie (1713-1797)
BLONDEL, Jacques François (1705-1774)
BOISSIEU, Jean-Jacques de (1736-1810)
BORDEU, Théophile de (1722-1776)
BOUCHARDON, Edme (1698-1762)
BOUCHAUD, Mathieu Antoine (1719-1804)
BOUCHER, Juste Nathan (ou Juste François), dit Boucher fils (1736-1782)
BOUCHER d'ARGIS, Antoine Gaspard (1708-1791)
BOUCHU, Etienne Jean (1714-1773)
BOUFFLERS, Stanislas Catherine (1738-1815)
BOUILLET, Jean (1690-1777)
BOUILLET, Jean Henri Nicolas (1729-1790)
BOULLANGER, Nicolas Antoine (1722-1759)
BOURGELAT, Claude (1712-1779)
BOURGEOIS (?-?)
BRISSON, Antoine François (1728 - apr. 1791)
BROSSES, Charles de (1709-1777)
BRULLÉ, Louis Claude (1693-1772)
CAHUSAC, Louis de (1706-1759)
CARESME DESGÉRANTINS (ca 1729-1776)
CHARPENTIER, Pierre Laurent (vers 1720 ? - ap. 1781)
COCHIN, Charles Nicolas, dit Cochin fils (1715-1790)
COLLOT, Jean François Henry (1716-1804)
COCQUELLE, Claude (? – 1768)
D'ALEMBERT, Jean LE ROND dit (1717-1783)
D’AMILAVILLE, Etienne Noel (1723-1768)
DAUBENTON, Edme Louis (1730-1785)
DAUBENTON, Louis Jean Marie (1716-1800)
DAUBENTON, Pierre (1703-1776)
DAVID, Michel Antoine, dit DAVID l'aîné (circa 1707-1769)
DECOMPS, Jacques Joseph (?-?)
DEFEHRT, Antoine Jean (après 1733 - après 1774)
DELACROIX ou LA CROIX de (?-?)
DELEYRE, Alexandre (1726-1797)
DELUSSE
DELUSSE, Madame (?-?)
DESMAHIS, Joseph François Edouard de CORSEMBLEU (1722-1761)
DESMAREST, Nicolas (1725-1815)
DHEULLAND, Guillaume (?-1770)
DIDEROT, Denis (1713-1784)
DOUCHET, Jean Philippe Augustin (?-?)
DUBUISSON, Pierre Paul (1727-1762)
DUCLOS, Charles PINOT (1704-1772)
DUFOUR (?-?)
DU MARSAIS, Cesar CHESNEAU (1676-1756)
DUMONT Gabriel Pierre Martin (1720-1791)
DUPIN, Jean Pierre Julien (?-?)
DURIVAL, Jean Luton (1725-1810)
DURIVAL, Nicolas Luton (1713-1795)
EIDOUS, Marc Antoine (circa 1724 - circa 1790)
FAIGUET de VILLENEUVE, Joachim (1703-1780 ?)
FALCONET, Etienne Maurice (1716-1791)
FALCONET, Pierre Etienne (1741-1791)
FENOUILLOT de FALBAIRE de QUINGEY, Charles Georges (1727-1800)
FORBONNAIS, François VÉRON DUVERGER de (1722-1800)
FORMEY, Jean Henri Samuel (1711-1797)
FOUQUET, Henri (1727-1806)
FOURNIER, Pierre Simon (1712-1768)
FRAGONARD, Jean-Honoré Nicolas (1732-1806)
FRANQUE François II (1710-1793)
GAULTIER de VINFRAIS, Charles, dit VINFRAIS l'ainé (1704-1797)
GENSON (?-?)
GIRAULT, Louis Alexandre (1724-1777)
GOUSSIER, Louis Jacques (1722-1799)
GRIMM, Frederic Melchior (1723-1807)
GROSLEY Pierre Jean (1718-1785)
GUENEAU de MONTBEILLARD, Philibert (1720-1785)
GUILLOTTE, François Jacques (1697-1766)
HARGUINIER, Etienne (1733-1775)
HOLBACH, Paul THIRY d' (1723-1789)
JAUCOURT, Louis de (1704-1780)
KURDWANOWSKI, Jean Etienne LIGENZA (1680-1780)
LA BASSÉE (?-?)
LACHAUSSÉE, Laurent Pierre (? – 1782)
LA CONDAMINE, Charles Marie de (1701-1774)
LA FOSSE, Philippe Etienne de (1738-1820)
LA GUÉPIÈRE, Pierre Louis Philippe de (c. 1715-1773)
LA MOTTE CONFLANS, Antoine Claude Pierre MASSON de (1727 ?-1801 ?)
LANDOIS, Paul Louis (1696 - après 1769)
LANGES de MONTMIRAIL, Charles-Benjamin de, baron de LUBIÈRES (1714-1790)
LA RUE aîné (1751 ?-) ou LA RUE cadet (1760- ?)
LAURENT (?-?)
LAVIROTTE, Louis Anne (1725-1759)
LE BLOND, Guillaume (1704-1781)
LE BRETON, André François (1708-1779)
(LE) CANU, Augustin René (1726-1764)
LE CARPENTIER, Antoine Mathieu (1709-1773)
LEFEBVRE, André (1718-1768)
LE MONNIER, Louis Guillaume (1717-1799)
LENGLET DU FRESNOY, Nicolas (1674-1755)
LE ROUX DESHAUTERAYES, Michel Ange André (1724-1795)
LE ROY, Charles (1726-1779)
LE ROY, Charles Georges (1723-1789)
LE ROY, Jean Baptiste (1720-1800)
LE SAGE, Georges Louis (1724-1803)
LEZAY MARNESIA, Claude François Adrien de (1735-1800)
LIEBAULT (?-?)
LITTRET de MONTIGNY, Claude Antoine (1735-1775)
LOUIS, Antoine (1723-1792)
LUCOTTE, Jacques Raymond (circa 1733-1804)
MAGIMEL, Philippe Antoine (?-?)
MALLET, Edme François (1713-1755)
MALOUIN, Paul Jacques (1701-1778)
MARGENCY, Adrien CUYRET de (1727-1802)
MARMONTEL, Jean François (1723-1799)
MARTINET, François Nicolas (ca 1725-après 1804)
MENURET DE CHAMBAUD, Jean Joseph (1739-1815)
MILLOT, Charles (circa 1717-1769)
MONNOYE (?-?)
MONTAMY, Didier François D'ARCLAIS de (1702-1765)
MONTDORGE, Antoine Gautier de (1701-1768)
MONTESQUIEU, Charles Louis de SECONDAT de (1689-1755)
MONTET, Jacques (1722-1782)
MONLOVIER, Jean Denis de (1733-1804)
MORAND, Sauveur François (1697-1773)
MOREAU, Jean-Michel, dit Moreau le jeune (1741-1814)
MORELLET, André (1727-1819)
NAIGEON, Jacques André (1735-1810)
NECKER de GERMANY, Louis (1730-1804)
NIODOT, Claude Honoré (ca 1737/1738 - avant 1810)
OGINSKI, Michal Kazimierz (1728-1800)
PAILLASSON, Charles (1718-1789)
PAPILLON, Jean Michel (1698-1776)
PÂRIS de MEYZIEU, Jean Baptiste (1718-1778)
PATTE, Pierre (1723-1814)
PENCHENIER (?-1761 ?)
PERRINET d'ORVAL, Jean Charles (1707 ?-?)
PERRONET, Jean Rodolphe (1708-1794)
PESSELIER, Charles Etienne (1712-1763)
PESTRE, Jean (1723-1821)
PETIT, Antoine (1722-1794)
PETIT-RADEL, Louis François (1739-1818)
PEZAY, Alexandre Frederic Jacques, MASSON de (1741-1777)
POLIER de BOTTENS, Antoine Noé (1713-1783)
PRADES, Jean Martin de (1724-1782)
PREVOST, Bonaventure Louis (1733-1816)
QUESNAY, François (1694-1774)
RALLIER DES OURMES, Jean Joseph (1701-1771)
RAST de MAUPAS, Jean Jacques (1698-1773)
RATTE, Etienne Hyacinthe de (1722-1805)
RIOLET, Claude Charles (ca 1718-1750)
ROBERT de VAUGONDY, Didier (1723-1786)
ROGEAU DE VAL, François (fl. 1730-1751)
ROMAIN, Jean Baptiste Pierre (?-1780)
ROMILLY, Jean (1714-1796)
ROMILLY, Jean Edme (1739-1779)
ROUSSEAU, Jean Jacques (1739-1779)
ROUX, Augustin (1726-1776)
SAINT LAMBERT, Jean François de (1716-1803)
SANCHES, António Nunes Ribeiro (1699-1783)
SAUVAGES, Pierre Augustin de BOISSIER de (1710-1795)
SCHENAU, Johann Eleazar Zeissig dit Schönau ou Schenau (1737-1806)
SEGUIRAN (?-?)
SOUBEYRAN, Pierre (1709-1775)
SOUFFLOT, Jacques-Germain (1713-1780)
TARIN, Pierre (1721-1793)
THOMAS (?-?)
TOUSSAINT, François Vincent (1715-1772)
TRESSAN DE LA VERGNE, Louis Elisabeth de (1705-1783)
TRONCHIN, Theodore (1709-1781)
TURGOT DE L'AULNE, Anne Robert Jacques (1727-1781)
VANDENESSE, Urbain de (?-1753)
VENEL, Gabriel François (1723-1775)
VIALLET, Guillaume (circa 1727-1772)
LA CHAPELLE, Jean Baptiste VIEILLOT, dit de (1710-1791)
VILLIERS, Jacques François de (1727-1790)
VOGLIE, Jean Baptiste BENTIVOGLIO, dit de (circa 1723-1777)
VOLTAIRE, François Marie AROUET dit de (1694-1778)
WATELET, Claude Henri (1718-1786)
WILLERMOZ, Pierre Jacques (1735-1799)
YVON, Claude (1714-1789)

Table récapitulative des marques

Ce tableau rapproche l’ensemble des explications que les éditeurs donnent des marques entre le volume I et le volume VII. Pour la présence effective des marques au fil des volumes, voir les tableaux donnés dans la section Les modes de collaboration.

I, xlvj II, [872] III, 905 IV, [i]-ij V, [i]-ij VI, viij VII, xiv Nom du contributeur
****au commencement de l'article, M. Diderot / III : M. Diderot
(—)(—)(—)à la fin de l’article, la Personne dont il est parlé dans l’Avertissement / VI et VII : M. le B. D. H.
(C.D.J.) ou (D.J.)(D.J.)M. le Chevalier de Jaucourt
(A)(A)(A)(A)M. Boucher d'Argis
(a)(a)M. l'Abbé Lenglet du Fresnoy
(B)(B)(B)(B)M. de Cahusac
(b)(b)(b)(b)(b)M. Venel
(C)(C)M. l'Abbé Pestre
(c)(c)(c)(c)(c)M. Daubenton, Subdelegué de Montbard
(D)(D)(D)(D)(D)M. Goussier
(d)(d)(d)(d)M. d'Aumont
(E)(E)(E)(E)(E)M. l'Abbé de la Chapelle
(e)(e)(e)M. Bourgelat
(f)M. de Villiers
(F)(F)(F)(F)(F)M. du Marsais / VII : Feu M. du Marsais, dont il y a encore quelques articles dans ce Volume
(G)(G)(G)(G)(G)M. l'Abbé Mallet / VII : Feu M. l'Abbé Mallet
(g)(g)M. Barthes
(H)(H)(H)M. Toussaint
(h)(h)VI : M. *** / VII : M. l'Abbé Morellet, annoncé ci-dessus
(I)(I)(I)(I)(I)M. Daubenton [III : de l’Académie des Sciences]
(K)(K)(K)(K)(K)M. d'Argenville
(L)(L)(L)(L)(L)M. Tarin
(M)(M)(M)M. Malouin
(N)(N)M. de Vandenesse / III : M. de Vandenesse qui avoit la lettre N, est mort ; & il ne se trouve plus rien de lui dans les Volumes suivans.
(O)(O)(O)(O)(O)M. d'Alembert
(P)(P)(P)(P)(P)M. Blondel
(Q)(Q)(Q)(Q)(Q)M. le Blond
(R)(R)(R)(R)(R)M. Landois
(S)(S)(S)(S)(S)M. Rousseau, de Geneve
(T)(T)(T)(T)(T)M. le Roy [VI : de l'Académie des sciences]
(V)(V)(V)M. Eidous
(X)(X)M. l'Abbé Yvon / III : M. l'Abbé Yvon qui avoit la lette X, est absent.
(Y)(Y)(Y)(Y)(Y)M. Louis
(Z)(Z)(Z)(Z)(Z)M. Bellin
(E.R.M.)MM. Douchet & Beauzée : annoncés ci-dessus

IV. Les libraires

Antoine Claude Briasson (1700-1775)

Antoine Claude Briasson naît à Lyon le 5 avril 1700, baptisé le 7 (extrait annexé à la tontine du 6 août 1734, Archives nationales, MC/ET/XLIX/573[74] et registres paroissiaux, paroisse Saint-Nizier), fils de Claude, marchand épicier, lui-même fils d’un marchand libraire (mariage de Claude le 12 février 1697, registres paroissiaux de Lyon Saint-Nizier). Il est aussi le neveu d’Antoine Briasson, marchand libraire décédé à Lyon le 15 janvier 1721 à l’âge de 63 ans (registres paroissiaux, Lyon Saint-Nizier), qui lui avait en particulier légué par testament « tout ce qui lui reste de marchandises de librairie etant dans son domicille », place des Jacobins (testament du 6 décembre 1720 annexé à un acte de notoriété du 3 septembre 1761, Archives nationales, MC/ET/XLIX/731). Il meurt à Paris le 28 février 1775 (paroisse St-Séverin, inventaire après décès du 27 juillet 1775, Archives nationales, MC/ET/XLIX/819) et est inhumé le 2 mars suivant (Petites Affiches).

Arrivé jeune à Paris, il est reçu maître libraire en juillet 1724 après avoir fait un premier apprentissage chez Nicolas Simart (à partir de 1720) et un second chez Antoine Gandouyn (à partir de 1722). Marié en 1725 à Marie Anne Pochard, belle-fille du libraire parisien Jacques Estienne, il a au moins trois enfants, dont seul Antoine Claude (1745-1778), écuyer, conseiller secrétaire du roi, lui survivra.

Au cours de sa vie, Briasson a occupé les postes les plus élevés parmi la Communauté des libraires et imprimeurs de Paris : adjoint en 1739, consul en 1758, juge-consul en 1765, et syndic en 1768. Libraire rue Saint-Jacques, « à la Science et à l’Ange gardien », il publie des livres de toutes sortes, notamment des ouvrages des sciences naturelles, de médecine, de théâtre, de référence et de bibliographie ainsi que des titres périodiques. Au service d’une clientèle venant de toutes les régions de France comme de Russie, de Prusse et d’autres pays, il est l’un des libraires les plus riches de son temps. Son inventaire après décès révèle que son seul stock de livres valait plus de 300 000 livres, et cela ne représentait qu’une petite partie de sa fortune. Un rapport de police de 1752 le trouve « dans de fort belles entreprises [...]. On l’appelle le corsaire de la librairie, parce qu’il vend exclusivement cher » (BnF, f.fr. 22106, f. 242).

Au début de la publication de l’Encyclopédie, Briasson ne possédait qu’un sixième des parts de la société qui l’attachait aux libraires André François Le Breton, Michel Antoine David et Laurent Durand. Il n’a pas signé d’articles pour l’Encyclopédie, contrairement à Le Breton et à David, mais il s’est acquitté assidûment des charges que lui ont confié ses associés ; il a travaillé dur pour que l’entreprise réussisse ; et il est devenu, après la mort de Durand (1763), la retraite de David (1769) puis celle de Le Breton (1772), l’unique éditeur de l’Encyclopédie, et le détenteur de son privilège à partir du neuvième tome des planches (1771). Depuis longtemps déjà, et non sans raison, Voltaire l’appelait « l’imprimeur de l’Enciclopédie » (à Etienne Noël D’Amilaville, 26 juillet 1764, D12013), et l’Encyclopédie « son livre » (à D’Alembert, 13 novembre [1756], D7055). Voir Œuvres complètes, éd. Besterman, t. 112, p. 44 ; t. 101, p. 366.

Briasson est associé au projet de publication de l’Encyclopédie le 18 octobre 1745 au même titre que David et Durand. Il est peu probable qu’il ait participé à la sélection du premier rédacteur en chef, l’abbé Jean Paul De Gua de Malves : « Cet ouvrage [...] avait avant mes vues, passé, pour la direction, entre les mains de M. l’abbé de Gua [...]. » (Correspondance passive de Formey, p. 34). En 1747, Diderot et D’Alembert remplacent De Gua et assument la place qu’on leur connaît à la tête de l’entreprise. Mieux choisi que De Gua, Diderot avait sans doute progressé grâce à ses travaux antérieurs pour les mêmes libraires. En 1742, Briasson avait publié une Histoire de Grèce de Temple Stanyan, traduite par Diderot et à l’heure même de l’Encyclopédie naissante, Diderot travaillait avec Marc Antoine Eidous et François Vincent Toussaint à une traduction du Medicinal Dictionary de Robert James – projet mené par Briasson, et dont les fruits ont été publiés de 1746 à 1748 par lui et ses associés de l’Encyclopédie. Malheureusement, la part prise par Briasson dans le recrutement de Diderot reste inconnue.

Dans le ralliement de Jean Henri Samuel Formey à l’Encyclopédie, le rôle prépondérant de Briasson ressort clairement. Il se peut également que Briasson ait été pour quelque chose dans la participation de Pierre Tarin et Auguste-François Jault à l’Encyclopédie. Pourtant, recruter des auteurs, c’était peut-être le moindre des services que Briasson effectuait pour l’Encyclopédie. « Je suis le directeur de la Compagnie », annonçait-il à Formey en 1748 (Correspondance passive de Formey, p. 41). Son office de « directeur » suggère qu’il s’entendait bien avec ses associés et qu’il leur inspirait confiance. On lui a certes accordé de lourdes responsabilités : c’est lui qui maintientt le livre des comptes dès l’accord du 18 octobre 1745. Cette tâche exige qu’il enregistre de nombreuses dépenses et, en particulier, qu’il tienne compte de l’argent reçu des souscripteurs et payé à des auteurs, des artisans, des papetiers et d’autres participants à l’entreprise.

En outre, les associés de Briasson le nomment gardien du stock de l’Encyclopédie, et il s’occupe de la plupart des ventes – fardeaux énormes, puisqu’il s’agit de grosses sommes d’argent : pour l’édition in folio, on tire quelque 4 225 exemplaires des dix-sept tomes de discours et quelque 4 000 exemplaires des onze tomes de planches. Des centaines de souscripteurs à travers la France et l’Europe réclament son attention. Il doit rappeler leur contrat à ceux qui ne paient pas et envoyer des exemplaires encombrants à divers endroits.

Si la sixième part d’intérêt de Briasson dans l’Encyclopédie le dédommageait suffisamment de tous ces devoirs, lui et David ont dû regarder d’un autre œil leur voyage à Londres en 1751 pour négocier avec des libraires entreprenant une contrefaçon : « Comme il s’agit de quitter ses affaires pour s’y transporter, la Compagnie a décidé que le proffit qui pourra luy avenir desdites négociations sera partagé pour quart [...]. » (Louis-Philippe May, Documents nouveaux sur l’Encyclopédie, p. 25-26). En effet les associés pensaient non seulement détourner les libraires anglais de leur projet de reproduction de l’Encyclopédie mais encore faire affaire dans d’autres domaines. Le bilan du voyage est loin d’être clair. Un seul volume d’une édition londonienne de l’Encyclopédie paraît en 1752. Entre-temps, Briasson et David sont rentrés après environ deux mois de pourparlers en décembre 1751, satisfaits pour le moins d’une « affaire des Transactions philosophiques » qu’ils venaient de conclure. Il est probable que les négoces conclus s’élevaient à plus de six mille livres pour les Français.

La description de Briasson élaborée par la police est plutôt flatteuse, comme celle de Le Breton. Alors que la police trouvait David et Durand suspects ou pires, Briasson n’attirait que leur admiration : « Il ne vend que de bons livres et est tres riche ; c’est un homme tres assidu chez luy et attaché à son commerce qu’il entend parfaitement […]. ». Pour D’Alembert, Briasson est avant tout un homme d’affaires. À la différence de Le Breton et David, signataires d’une poignée d’articles pour l’Encyclopédie, et à la différence encore plus marquée de leur héritier Charles Joseph Panckoucke, auteur de textes carrément philosophiques, Briasson tenait ferme derrière son comptoir, peu tenté, semble-t-il, par la gloire intellectuelle. Dans le Neveu de Rameau, dont la rédaction remonte probablement aux années 1760 et 1770, Diderot est en accord avec le jugement de la police, évoquant par l’intermédiaire du personnage MOI un Briasson rigoureusement professionnel et honnête homme.

On peut noter qu’il rachète à Louis Etienne Ganeau le privilège de l’Imprimerie de Trévoux et les parts de la société formée pour son exploitation en juin 1760.

L’Encyclopédie a survécu et prospéré. Briasson, pour sa part, y a participé plus longtemps que ses trois associés, et il a sans doute ressenti une certaine satisfaction à voir paraître, en 1765, les dix derniers tomes de discours et, en 1772, les derniers tomes de planches. Unique propriétaire de l’Encyclopédie à cette époque, il voyait s’achever le projet auquel il concourait depuis presque trente ans, et qui lui avait fait gagner toute une fortune. Dès 1769, malheureusement, il a dû se défendre dans le procès lancé contre les libraires associés par Pierre-Joseph Luneau de Boisjermain, souscripteur vexé par l’augmentation du prix du recueil au cours de son évolution. Briasson enrage de la restitution proposée. Diderot tente de réconcilier les deux parties, mais Briasson se montre inflexible, de même que Le Breton. En fin de compte, le procès est réglé en faveur de l’Encyclopédie, mais seulement en 1778, trois ans après la mort de Briasson.

Le succès de l’Encyclopédie dérivait d’une vaste collaboration – d’auteurs, de libraires, même de certains ministres – mais le nom de Briasson mérite d’être retenu dans la liste de ceux qui y ont le plus contribué.

Indications bibliographiques

Jean Henri Samuel Formey, Correspondance passive, éd. Martin Fontius et al. , Genève, Slatkine, 1996.

Voltaire, Correspondence and related documents, éd. Theodore Besterman, Les Œuvres complètes de Voltaire, t. 85-135, Oxford, Voltaire Foundation, 1968-1977.

« BRIASSON, Antoine Claude », dans Dictionnaire des imprimeurs, libraires et gens du livre à Paris, 1701-1789, éd. Frédéric Barbier et al. , t. I, Genève, Droz, 2007, p. 308-315.

Frank A. Kafker et Jeff Loveland, « Antoine-Claude Briasson et l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 35, 2003, p. 131-142. [Consulter]

Louis-Philippe May, Documents nouveaux sur l’Encyclopédie : histoire et sources de l’Encyclopédie d’après le registre de délibérations et des comptes des éditeurs, et un mémoire inédit, Revue de synthèse, 15, 1938, p. 7-110.

Françoise Weil, « L’impression des tomes VIII à XVII de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 1, 1986, p. 85-93. [Consulter]

par Frank A. Kafker et Jeff Loveland,
avec les compléments biographiques de Françoise Launay

Dernière mise à jour : le 16 mars 2015

Pour citer cette notice : Frank A. Kafker et Jeff Loveland, avec les compléments biographiques de Françoise Launay, « Antoine Claude Briasson (1700-1775) », Les acteurs, chap. IV : Les Libraires, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Michel Antoine David

Michel Antoine David, ou David l’aîné, comme on l’appelle par la suite, naît vers 1707. Des membres de sa famille exerçaient le métier de libraire depuis des générations, y compris son grand-père Michel David, son père Michel Étienne David et son frère cadet également Michel Étienne David.

David devient un maître-libraire dans la Communauté des libraires et imprimeurs de Paris le 2 mai 1732 ; en 1742, il épouse Marie-Scholastique Witte, fille d’un libraire ayant joué un rôle important dans le commerce des livres franco-hollandais, et il sert d’adjoint dans la Communauté de 1751 à 1753. En 1755, il possède quatre librairies. Dès 1768, il prend sa retraite de la librairie.

Dans ses catalogues de libraire figurent de nombreux ouvrages de D’Alembert : le Traité de dynamique (1743), le Traité de l’équilibre et du mouvement des fluides (1744), les Réflexions sur la cause générale des vents (1746), les Recherches sur la précession des équinoxes (1749), les Élemens de musique (1752), l’Essai d’une nouvelle théorie de la résistance des fluides (1752) et les Recherches sur différens points du systême du monde (1754-1756). Au milieu des années 1740, David, Antoine Claude Briasson et Laurent Durand s’associent pour publier, entre autres livres, la traduction (1746-1748) du Medicinal Dictionary de Robert James par Diderot, Marc Antoine Eidous et François Vincent Toussaint. André François Le Breton se charge de l’imprimer. En outre, David s’occupe avec Charles Palissot de Montenoy de la vente exclusive de plusieurs journaux, y compris les Papiers anglais, journal subventionné par le gouvernement français afin d’avancer la politique étrangère d’Étienne-François, duc de Choiseul, pendant la guerre de Sept Ans.

Le projet le plus ambitieux et le plus lucratif de la carrière de David est celui de la publication de l’Encyclopédie, dans lequel il s’engage en 1745. Le Breton mène le projet, tandis que David, Briasson et Durand y entrent chacun pour une sixième part de l’intérêt. Comme pour Diderot, le rapport qu’entretient David avec l’entreprise est ambivalent. D’une part, elle lui attire bien des ennuis. En 1748, il craint que la publication du roman licencieux de Diderot, Les Bijoux indiscrets, ne compromette l’Encyclopédie ; trois ans plus tard, il doit se rendre à Londres dans le but de déjouer une édition contrefaite ; et en 1759, il effectue un voyage en Hollande pour voir si l’Encyclopédie, qu’on venait de condamner en France, devrait s’y poursuivre. Dès 1759, dans sa correspondance avec Chrétien-Guillaume de Malesherbes, directeur de la Librairie, il évoque l’Encyclopédie avec la même morosité que Diderot : lui et les autres libraires ont sacrifié des années de leurs vies à ce « malheureux ouvrage » ; l’Encyclopédie l’a fait souffrir plus que toute autre chose. Il a même essayé de vendre ses parts de l’ouvrage : « je souhaite que mes associés acceptent mon offre, je n’ai pas besoin de fortune pour être heureux, je n’ai besoin que de repos, ma santé a toujours été dans un mauvais état et tout ceci ne la fortifie pas » (BnF, n.a.fr. 3345, f° 115-116 ; n.a.fr. 3348, f° 120-121). Les polémiques ultérieures suscitées par l’Encyclopédie continuent à l’inquiéter. Par exemple, en 1764, quand il entend parler de la censure secrète de l’Encyclopédie par Le Breton, il la jugea, d’après Diderot dans une lettre à Sophie Volland, « infâme, injurieuse à ses associés, aux auteurs, à l’éditeur, au public. Il [David] en sent toutes les suites. Il m’a remercié du silence que j’ai gardé ; il est plus effrayé de l’éclat qu’il prévoit ; il est dans des transes » ([18 août 1765], dans Correspondance, t. V, p. 92).

D’autre part, de même que Diderot, David reste fidèle à l’Encyclopédie, à laquelle il contribue par deux articles, informatifs sinon originaux, dans les tomes II et V. L’article CATALOGUE, long de six pages, esquisse deux systèmes pour classer les livres. Pour la rédaction de l’article, David reconnaît (t. II, p. 765b) qu’il exploite un manuscrit de « feu M. l’abbé Girard », « intitulé Bibliotheque générale ou Essai de Littérature universelle », que celui-ci avait légué à son libraire Le Breton. L’autre article de David, Droit de copie, d’une page et demie, explique les différents moyens par lesquels un libraire acquérait les droits d’un livre. Dans les deux articles David exprime de la fierté pour l’Encyclopédie : il suggère en particulier, dans CATALOGUE, que le « Système figuré des connaissances » à la tête de l’Encyclopédie pourrait « servir d’introduction & de modele » pour une meilleure classification bibliographique (t. II, p. 765b), et il évoque, dans Droit de copie, « les soins qu’on a pris & les dépenses qu’on a faites, afin que cette Encyclopédie devînt un ouvrage nouveau » et un monument national (t. V, p. 147a).

À en juger par Droit de copie, David serait conservateur : il y affirme que « nos rois [...] ont sagement établi des lois sur le fait de l’Imprimerie, dont l’objet a été de conserver dans le royaume la pureté de la religion, les mœurs & la tranquillité publique » (t. V, p. 146a). Cette affirmation s’accorde pourtant mal avec un rapport de police du 1er janvier 1752, d’après lequel David est « un garçon d’esprit et qui entend bien son commerce. C’est malgré cela un impudent. Il est un peu suspect, puisqu’il a imprimé l’Esprit Despinosa » (BnF, f.fr. 22106, f° 270). Le livre mentionné doit être La Vie et l’esprit de M. Benoit de Spinosa (1719), réédité par la suite sous le titre de Traité des trois imposteurs (1721). Que David eût publié ce classique de la littérature clandestine n’est pas aussi étonnant qu’il n’y paraît au premier abord : des libraires parisiens, même les mieux réputés, vendaient des livres interdits s’ils y voyaient la possibilité de faire des bénéfices.

Dans l’affaire de la censure de l’Encyclopédie ainsi qu’à l’occasion d’une querelle avec Le Breton en 1769, David joue le rôle d’intermédiaire entre Diderot et les autres associés. De même, en 1765, c’est lui qui est chargé de négocier le salaire du directeur de l’entreprise. À ce moment-là Diderot le qualifie de « dur, avare, mais juste » dans une lettre à Sophie Volland ([18 août 1765], dans Correspondance, t. V, p. 92). Il l’avait considéré avec plus de bienveillance auparavant, car en 1759 il encourage Grimm et Voltaire à donner des conseils à David pour l’aider à créer un journal à succès. Diderot ignorait sans doute que son ennemi Palissot fût le partenaire de David dans cette entreprise. Plus tard, dans Le Neveu de Rameau, composé dans les années 1760 et 1770, Diderot répand, par l’intermédiaire d’un personnage, la rumeur malicieuse selon laquelle Palissot prétendait avoir couché avec l’épouse de David, à la grande humiliation de celui-ci.

En 1769, peu avant sa mort en 1770, David vend à Briasson sa part de l’Encyclopédie pour 166 000 livres.

Indications bibliographiques

Frank A. Kafker et Serena L. Kafker, The Encyclopedists as Individuals: A Biographical Dictionary of the Authors of the Encyclopédie, Oxford, Voltaire Foundation, 1988, p. 93-95.

Madeleine Pinault Sørensen, « DAVID, Michel-Antoine », Dictionnaire de Diderot, Roland Mortier et Raymond Trousson (éd.), Paris, Honoré Champion, 1999, p. 125-126.

par Frank A. Kafker et Jeff Loveland

Dernière mise à jour : le 16 mars 2015

Pour citer cette notice : Frank A. Kafker et Jeff Loveland, « Michel Antoine David (circa 1707-1770) », Les acteurs, chap. IV : Les Libraires, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Laurent Durand

Laurent Durand naît en 1712, fils d’un laboureur près d’Auxerre selon un rapport de police du 1er janvier 1752, ou fils d’un marchand de la même ville selon son contrat de mariage. À partir de 1730, il travaille pour le libraire et imprimeur parisien Jacques Chardon. D’abord alloué, il devient prote et enfin apprenti en 1738. Le 23 juin de la même année, il est reçu libraire. Sept mois plus tard, le 31 janvier 1739, il épouse Élisabeth Carbonnier, nièce du libraire François Jouenne, dont il hérite, avec son beau-frère Jacques Lambert, à la mort de Jouenne en 1740. La mort de Lambert en 1741 l’en rend maître à part entière moyennant la prise en charge de la fille orpheline de Lambert jusqu’en 1761.

Entre autres activités, Durand est l’éditeur principal de Diderot. En effet, selon Robert Niklaus, il débute comme éditeur en publiant sa traduction commentée (1745) de l’Inquiry concerning Virtue or Merit (1699) d’Anthony Ashley-Cooper, troisième comte de Shaftesbury. De 1745 à 1749, il publie seul ou en association au moins cinq autres ouvrages de Diderot, dont trois paraissent sans recevoir ni approbation ni permission du gouvernement : les Pensées philosophiques (1746), Les Bijoux indiscrets (1747) et la Lettre sur les aveugles (1749). À une époque où l’Église et l’État fixaient des limites étroites à la liberté d’expression, il a fallu du courage non seulement à Diderot pour écrire de tels livres mais aussi à Durand pour les publier. La plupart des libraires parisiens préféraient encourir moins de risques.

Au milieu des années 1740, Diderot contribue à la rédaction d’une traduction révisée (1746-1748) du Medicinal Dictionary (1743-1745) de Robert James. Pour la publier, Durand s’est joint à deux autres libraires, Antoine Claude Briasson et Michel Antoine David, chacun des trois possédant un tiers d’intérêt. Le libraire-imprimeur André François Le Breton s’occupe de l’impression. Ainsi se constitue le groupe des quatre associés de l’Encyclopédie.

L’Encyclopédie se prépare depuis 1745. Au début, Le Breton travaille avec deux hommes de lettres, l’Allemand Godefroy Sellius et l’Anglais John Mills, dans le but de publier une traduction révisée et augmentée de la Cyclopædia (1728) d’Ephraïm Chambers. Il obtient un privilège, mais une dispute avec Sellius et Mills brise l’association. Pour relancer le projet, Le Breton s’allie aux trois libraires qui l’avaient aidé à publier le Dictionnaire de James, Durand compris. Les quatre associés signent un contrat en octobre 1745 et reçoivent des privilèges pour l’Encyclopédie en janvier 1746 et en avril 1748. De même que Briasson et David, Durand possède une sixième part d’intérêt dans l’entreprise, l’autre moitié revenant à Le Breton.

En 1749, mécontentes de leur audace, et surtout de la Lettre sur les aveugles, les autorités civiles se dressent contre Durand et Diderot. Le 1er août, Durand est interrogé par la police : il avoue avoir publié les Pensées philosophiques, Les Bijoux indiscrets et la Lettre sur les aveugles, ainsi qu’un livre de François Vincent Toussaint, Les Mœurs (1748) ; il va même jusqu’à identifier les auteurs et imprimeurs des quatre ouvrages clandestins. La police choisit de ne pas l’arrêter, probablement parce qu’il était vite passé aux aveux et promettait d’obéir à la loi à l’avenir, et peut-être aussi parce qu’il comptait des protecteurs en place. Les conséquences pour Diderot sont moins heureuses : il est emprisonné du 24 juillet au 3 novembre 1749.

Les démêlés de Durand et de Diderot avec la justice compromettent leurs rapports, mais leur lien affectif perdure puisque, en septembre ou octobre 1750, Diderot choisit Durand pour être le parrain de son fils Denis Laurent, décédé peu après. Pourtant, Diderot se rend bientôt compte qu’il ne peut plus compter sur Durand comme auparavant, et il se tourne vers d’autres libraires pour publier la Lettre sur les sourds et les muets (1751) et la Suite de l’apologie de M. l’abbé de Prades (1752). Toutefois, après 1749, Durand publie au moins un ouvrage de Diderot selon Niklaus, les Pensées sur l’interprétation de la nature (1753) en plusieurs éditions, et les deux hommes restent en contact jusqu’à la mort de Durand, le 11 mai 1763. Il n’est pas exclu que celui-ci ait été favorablement disposé à l’égard des idées de Diderot ou des Lumières en général, mais nous n’en avons pas trouvé de preuves. Dans sa correspondance et dans Le Neveu de Rameau, composé dans les années 1760 et 1770, mais resté inédit de son vivant, Diderot effectue des commentaires narquois sur Briasson, David et Le Breton, mais il s’abstient de dénigrer Durand en particulier, ce qui est peut-être significatif.

Le projet de l’Encyclopédie finit par devenir l’un des meilleurs investissements des libraires associés. À la mort de Durand, l’équipe responsable de son inventaire après décès estime la valeur de sa sixième part d’intérêt à 70 000 livres, chiffre supérieur à celui de tous les autres titres en sa possession. Cependant le rôle de Durand dans la publication de l’Encyclopédie n’est pas très clair. Certes, il prend part avec ses associés aux démarches pour faire libérer Diderot de prison en 1749, à la réception des souscriptions, aux négociations avec Chrétien-Guillaume de Malesherbes pour la continuation de l’Encyclopédie, et à la défense de l’entreprise en 1759-1760 contre les accusations de plagiat relatives aux planches.

Mais Durand se montre moins actif que ses associés pour faire avancer l’Encyclopédie. Le Breton est responsable de l’impression ; Briasson garde le stock, tient le registre de comptes, vérifie les paiements des souscripteurs et leur livre les volumes. Ni David ni Durand n’accomplissent de fonctions aussi bien définies, mais David négocie le salaire de Diderot et il écrit deux articles pour l’Encyclopédie. De plus, avec Briasson, David recrute des auteurs d’articles et voyage à Londres en 1751 pour tenter de faire échouer une entreprise de contrefaçon. En revanche, Durand participe à la publication de l’édition parisienne de 1752 du Dictionnaire de Trévoux , le grand rival commercial et intellectuel de l’Encyclopédie, et nous ne connaissons que peu d’initiatives personnelles de sa part pour servir l’Encyclopédie, toutes se situant vers la fin de sa vie. Presque en même temps que David, il se rend en Hollande en 1759. Il se peut que les deux associés y aient entamé des négociations avec Marc-Michel Rey et d’autres libraires afin d’envisager de reprendre chez eux la publication de l’Encyclopédie. Dans ses lettres à Malesherbes, pendant le voyage, David exprime ses craintes devant la « persécution » affligeant l’Encyclopédie en France, sans doute afin que le directeur de la librairie ne perde pas de vue la possibilité d’un déménagement, en Hollande ou ailleurs. Tout autre est l’unique lettre que nous connaissons de Durand à Malesherbes écrite de Hollande : apparemment préoccupé par d’autres affaires, Durand n’y fait même pas mention de l’Encyclopédie. En 1760, Durand distribue une défense de l’Encyclopédie due à l’abbé Charles-Antoine-Joseph Leclerc de Montinot, la Justification de plusieurs articles du Dictionnaire encyclopédique. Il est possible que Durand ait joué un rôle dans la publication de cet ouvrage ostensiblement publié à Bruxelles, et imprimé à Lille avec une permission tacite selon l’inspecteur de la librairie Joseph d’Hémery. Enfin, en avril 1762, les associés prient Durand de « se donner la peine de veiller à la révision des planches » de l’Encyclopédie (L.-P. May, Documents nouveaux sur l’Encyclopédie, p. 530), tâche qu’il devait partager avec Diderot, pour que David puisse en ordonner l’impression.

Mort en mai 1763, avant la publication des dix derniers volumes de discours et de la plupart des onze volumes de planches, Durand a moins de temps que ses associés à consacrer à la réalisation de l’Encyclopédie, mais son engagement paraît faible, même pour la période de 1745 à 1763. Ce manque d’activité est d’autant plus difficile à expliquer que les rapports personnels entre les associés demeurent obscurs en général. Se peut-il que ses associés l’eussent trouvé difficile ou peu digne de confiance, et eussent évité de s’adresser à lui pour certains services ? Ou bien le voulaient-ils moins actif, de crainte qu’une participation plus nette de sa part n’éveillât les soupçons du gouvernement ?

En définitive, aucune de ces explications n’est satisfaisante. Entre les années 1740 à 1763, chacun de ses trois associés collabore régulièrement avec Durand. Briasson et David, sinon Le Breton, se fient assez à lui pour lui faire crédit. D’ailleurs, s’ils regrettent leur association avec un libraire suspect lorsque l’Encyclopédie commence à soulever des polémiques, ils doivent s’inquiéter beaucoup plus de leur dépendance essentielle vis-à-vis d’un directeur et d’auteurs aussi suspects que Durand mais plus connus du public.

Durand reste-t-il à l’écart de l’Encyclopédie afin d’éviter des rapports trop intimes avec Diderot, auteur qui lui avait causé des ennuis, et qui était de surcroît imprévisible, difficile et controversé ? Cela est douteux : Durand, on l’a vu, publie au moins un titre de Diderot après 1749. Plus généralement, il ne paraît pas s’être laissé intimider facilement, que ce soit par des auteurs ou par le danger que représentaient leurs écrits – témoin sa publication de De l’esprit de Claude-Adrien Helvétius en 1758. Il est plus probable que Durand, entrepreneur de nombreux projets, dont certains considérables, a tout simplement préféré consacrer son temps et son énergie à ses autres activités. Ses trois associés, pour leur part, ont toléré son inactivité, peut-être parce qu’il leur fournissait de l’argent, de l’expérience ou des protecteurs.

Indications bibliographiques

Frank A. Kafker et Jeff Loveland, « Diderot et Laurent Durand, son éditeur principal » RDE, 39, 2005, p. 29-40.

Frank A. Kafker et Jeff Loveland, « The Elusive Laurent Durand, a Leading Publisher of the French Enlightenment », SVEC 2005:12, p. 223-258.

Louis-Philippe May, Documents nouveaux sur l’Encyclopédie : histoire et sources de l’Encyclopédie d’après le registre de délibérations et des comptes des éditeurs, et un mémoire inédit, Revue de synthèse, 15, 1938, p. 7-110.

par Frank A. Kafker et Jeff Loveland

Dernière mise à jour : le 17 mars 2015

Pour citer cette notice : Frank A. Kafker et Jeff Loveland, « Laurent Durand (1712-1763) », Les acteurs, chap. IV : Les Libraires, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

André François Le Breton

André François Le Breton naît à Paris le 2 septembre 1708 (il est baptisé le 2 septembre 1708, paroisse St-Séverin, AN, X1a/8468 f° 330v° et 331 r°) et y meurt le 4 octobre 1779 (paroisse St-Séverin, IAD du 11/10/1779, AN, MC/ET/XXVII/406), inhumé le lendemain (St-Séverin, Petites affiches). Ses parents meurent pendant son enfance, de sorte qu’on le met sous la tutelle de son oncle maternel Charles Maurice d’Houry, fils du libraire-imprimeur Laurent d’Houry. Ayant atteint sa majorité, Le Breton a le choix de devenir libraire ou d’assumer le poste mineur de feu son père, un poste juridique traitant des impôts. Sa décision d’entrer dans le monde du livre résulte en grande partie de la mort de Laurent d’Houry en 1725, alors que Le Breton n’a que dix-sept ans. S’ensuit une querelle familiale sur les droits à la propriété la plus importante du libraire : l’Almanach royal, un guide semi officiel des notables du pays entre autres informations. L’oncle et beau-père de Le Breton, Charles Maurice, revendique le droit exclusif à l’Almanach contre les souhaits de la veuve de Laurent. La dispute passe à l’adjudication, et le verdict donne raison à celle-ci. Elle déshérite son fils et désigne son petit-fils Le Breton comme héritier.

Rapidement, Le Breton manifeste ambition, astuce et détermination dans la poursuite du profit. Bien avant la mort de sa grand-mère en 1757, il endosse maintes responsabilités dans la publication de l’Almanach. Pendant son apprentissage chez l’imprimeur Claude Louis Thiboust, de 1727 à 1732, il réagence l’Almanach, y ajoute de nouvelles matières, et augmente ses bénéfices. Accéder à une mention dans l’Almanach devient la marque d’un statut social. Comme Louis Sébastien Mercier le remarque à la fin du siècle : « Ceux qui se sont jetés dans les routes de l’ambition, étudient l’almanach royal avec une attention sérieuse. [...] Malheur à qui n’est pas dans ce livre ! Il n’a ni rang, ni charge, ni titre, ni emploi » (Tableau de Paris, t. IV, p. 9).

Comme Laurent d’Houry auparavant, Le Breton et sa grand-mère protégent leur investissement dans l’Almanach en essayant de surpasser son rival principal, le Calendrier de la cour. En plus de l’édition habituelle, ils en publient un abrégé qui ressemble au Calendrier par le fond et le format. En réponse, les propriétaires du Calendrier l’augmentent pour empiéter sur le marché de l’Almanach. Dans une série de procès, chaque parti accuse l’autre d’avoir publié un ouvrage différent de celui dont le gouvernement lui a accordé le privilège.

Pendant que la dispute se poursuit sans aboutir, la carrière de Le Breton prend son essor. En 1733, il acquiert une place de maître libraire parmi plus d’une centaine de collègues dans la Communauté des libraires et imprimeurs de Paris ; en 1740, on le nomme imprimeur ordinaire du roi ; en 1744, il obtient le contrôle exclusif de l’Almanach ; en 1746, l’administration royale le fait entrer dans le petit cercle des maître imprimeurs de Paris, invitation exceptionnelle, car les trente-six places sont déjà toutes occupées ; et, de 1747 à 1750, il sert d’adjoint à la Communauté des libraires et imprimeurs. On mesure son habileté au fait que même la police, qui se méfiait de libraires, le présente dans un rapport du 1er janvier 1752 comme un homme d’affaires à la fois honnête, riche et compétent.

L’entreprise centrale de la carrière de Le Breton est la publication de l’Encyclopédie. L’affaire commence en janvier 1745 lorsque Le Breton se lie avec deux hommes de lettres, l’Allemand Godefroy Sellius et l’Anglais John Mills, dans le but de publier une traduction révisée et augmentée de la Cyclopædia (1728) d’Ephraïm Chambers. Le Breton reçoit un privilège, mais il ne parvient pas à s’entendre avec ses partenaires : il les soupçonne d’escroquerie, et lui et Mills finissent par en venir aux mains. Au terme de plusieurs procès, le chancelier de la France, Henri-François d’Aguesseau, dissout le contrat. Pour relancer le projet, Le Breton s’associe aux trois libraires qui l’avaient aidé à publier une traduction remaniée (1746-1748) du Medicinal Dictionary (1743-1745) de Robert James. Les quatre associés signent un contrat en octobre 1745 et reçoivent des privilèges pour l’Encyclopédie en janvier 1746 et en avril 1748. Tandis que Antoine Claude Briasson, Michel Antoine David et Laurent Durand possèdent chacun une sixième part d’intérêt dans l’entreprise, Le Breton en retient la moitié et s’occupe seul de l’impression. Pour lancer le projet, les quatre associés investissent des milliers de livres et en empruntent d’autres. En même temps, ils rassemblent un petit personnel, parmi lequel figurent déjà Diderot et D’Alembert ; et, en juin 1746, ils nomment un directeur, l’abbé Jean-Paul De Gua de Malves. Celui-ci se révèle inefficace et irresponsable, au grand dam des associés, et il démissionne en août 1747 après quatorze mois de travail.

Deux mois plus tard, les associés donnent la place de De Gua à Diderot et D’Alembert, décision qui bouleversera l’entreprise. À cette époque, les associés pensent toujours terminer en trois ans et demi une encyclopédie sans controverse. Entre autres choses, dans un plan inédit pour l’Encyclopédie, De Gua affirme sa volonté de respecter l’orthodoxie catholique. Au-delà de leur tendance à semer de l’hétérodoxie, les nouveaux directeurs augmentent le nombre des collaborateurs et les encouragent à soumettre des articles longs. Le manuscrit de l’Encyclopédie ne cesse de s’accroître, et sa publication connaît des délais additionnels en raison de l’emprisonnement de Diderot pendant 102 jours en 1749 pour avoir écrit des livres scandaleux. En attendant l’arrivée des souscriptions après la parution du Prospectus en octobre 1750, Le Breton craint de voir disparaître des dizaines de milliers de livres d’investissements.

Les ventes de l’Encyclopédie décollent au cours des sept années suivantes. Au début, les libraires pensent imprimer 1 625 exemplaires de chaque volume. Ils augmentent le tirage à 2 075 exemplaires au moment de la publication du premier tome, et puis à un maximum de 4 225 exemplaires en février 1754 pour le tome IV : il faut alors imprimer de nouveaux exemplaires des premiers trois tomes pour égaler ce chiffre. Dès la fin de 1754, la valeur des souscriptions s’élève à plus de 500 000 livres.

Malheureusement, le succès même de l’Encyclopédie encourage des contrefaçons. En 1751, le libraire hollandais J. Néaulme annonce un projet de réimpression de l’Encyclopédie avec des ajouts, qui n’a pas de suite. Le Breton et ses collègues prennent plus au sérieux le plan d’une réimpression non autorisée de quelques libraires anglais. David et Briasson partent en Angleterre vers la fin de l’année dans le but de l’arrêter : ils négocient avec leurs rivaux anglais, apparemment avec succès, bien que le premier volume d’une contrefaçon en français paraisse à Londres l’année suivante. Toujours en 1752, Sir Joseph Ayloffe lance une traduction en anglais de l’Encyclopédie, qui échoue peu après. Quatre ans plus tard, Le Breton et ses associés passent de nouveau à l’action devant la menace d’une réédition de l’Encyclopédie par Jean Henri Samuel Formey, qui devait être un abrégé, corrigé et expurgé. À la demande des libraires, D’Alembert persuade Chrétien-Guillaume de Malesherbes, directeur de la librairie, d’interdire la publication ou la circulation d’un tel abrégé en France, mais Formey finit par publier son Dictionnaire instructif en 1764 chez Jean-Justin Gebauer de Halle.

Comme son collègue David, Le Breton fournit à l’Encyclopédie de sa propre contribution : il signe l’article Encre noire à l’usage de l’Imprimerie dans le tome V, un article technique de deux pages sur la composition et la manufacture de plusieurs encres d’imprimeur.

Depuis la parution des premiers volumes, Le Breton s’inquiète du fait que Diderot, D’Alembert et d’autres collaborateurs offensent des gens en place par des remarques religieuses et politiques peu orthodoxes. Pour les faire passer par la censure, il fallait de la tromperie de la part de Le Breton et ses deux directeurs. L’administration royale avait suspendu le projet pendant quelque temps en 1752 à cause de son association avec la thèse (1751), jugée hérétique, de l’abbé Jean Martin de Prades, et à cause de passages contraires à l’Église et l’État relevés dans les deux premiers tomes (voir La bataille de la publication). Il semble ainsi possible qu’on arrête l’Encyclopédie pour de bon et qu’on sévisse contre les libraires ainsi que les directeurs.

L’orage que Le Breton craignait arrive cinq ans plus tard, déclenché vers la fin de 1757 par l’article GENÈVE de D’Alembert dans le tome VII. Non seulement cet article impie provoque un incident international, mais ces difficultés contribuent à la décision que prend D’Alembert d’abandonner son poste de codirecteur de l’Encyclopédie. La parution du livre De l’esprit de Claude-Adrien Helvétius l’année suivante aggrave la situation, lorsque les ennemis des philosophes brandissent la menace d’un complot contre le catholicisme (voir La campagne anti-encyclopédique). Dès 1759, le parlement de Paris et l’administration royale condamnent les deux ouvrages : les libraires perdent le privilège de l’Encyclopédie, et ils doivent rembourser 72 livres à chacun des quelque quatre milles souscripteurs, somme qui se serait élevée à plus de 275 000 livres. Seules l’habileté des libraires et la complaisance de différents ministres royaux, surtout Malesherbes, leur permettent d’échapper à cette débâcle. On parvient à un accord selon lequel les libraires évitent la plupart des remboursements et continuent la publication de l’Encyclopédie : ils doivent imprimer en cachette les volumes de discours et les publier en une seule fois, tandis que les volumes de planches peuvent paraître ouvertement et être distribués au public au fur et à mesure.

Pourtant, les inquiétudes de Le Breton ne cessent de monter : des accusations de plagiat à propos des planches de l’Encyclopédie pèsent sur l’entreprise ; il dépense à nouveau son propre argent pour la financer ; et il participe pleinement à une conspiration extralégale. C’est dans cette perspective qu’on peut comprendre, sinon pardonner, sa censure clandestine des dix derniers volumes de discours. En effet, lui et son assistant Louis-Claude Brullé retouchent au moins quarante articles dans les épreuves, éliminant ou changeant des affirmations politiques ou religieuses jugées subversives. Dans des circonstances semblables, d’autres libraires parisiens recouraient à la censure, et comme le constate la fille de Diderot, Le Breton « craignait la Bastille plus que la foudre » (Diderot, Œuvres complètes, éd. Herbert Dieckmann et al., t. I, p. 23). En même temps, d’un esprit pratique et cupide, il cherche tout simplement à protéger son investissement. La portée de sa censure demeure incertaine. Évidemment, il n’a pas détruit l’Encyclopédie, car elle reste un entrepôt de savoir, de bijoux littéraires, d’érudition et d’hétérodoxie. Diderot, pour sa part, découvre quelques-uns des caviardages et des révisions de Le Breton en 1764, probablement en examinant les feuilles imprimées de l’article Sarrasins ou Arabes, philosophie des. Il manifeste un accès de fureur justifiable, n’a jamais pardonné à Le Breton une telle trahison, et le traite avec mépris à partir de ce moment. Avant cette rupture, les deux hommes avaient joui de rapports cordiaux, même si Diderot reprochait parfois à Le Breton d’être avare, susceptible et ennuyeux, et trouvait sa femme contradictoire, à la fois dévote et osée, généreuse et avide, intelligente et inintéressante. Désormais Le Breton supporte difficilement la présence de Diderot.

Quelque embarras qu’il ressente vis-à-vis de son directeur, Le Breton persévère dans son travail pour l’Encyclopédie. C’est vers le début de 1766, pendant qu’il fait office de syndic, le premier poste exécutif de la Communauté des libraires et imprimeurs, que Le Breton pense livrer les dix derniers tomes de discours aux souscripteurs. Pourtant, un obstacle survient : la police lui demande d’en différer la distribution à Paris et à Versailles pour ne pas porter ombrage à une assemblée du Clergé qui se déroule au même moment. Le Breton ne peut toutefois pas s’empêcher d’envoyer quelques exemplaires de l’Encyclopédie complète à des personnes influentes à la cour. La police le conduit donc en prison durant la semaine du 23 au 30 avril 1766, mais les conditions de sa détention indiquent que le gouvernement ne cherche qu’à sauver les apparences : en particulier, on ne l’interroge pas, et on lui permet de disposer d’un serviteur, de livres et d’avoir de quoi écrire.

Les six ou sept années suivantes sont les plus calmes de l’histoire de l’Encyclopédie : en définitive, les dix derniers tomes de discours ainsi que les sept derniers tomes de planches sont distribués. L’Encyclopédie suscite une telle demande qu’elle se vend bientôt au-dessus du prix de souscription de 980 livres, malgré l’existence d’autres éditions francophones en cours de publication à Genève (voir Les rééditions de l’Encyclopédie), à Yverdon, à Lucques et à Livourne. Chacun des quatre libraires associés réalise des bénéfices de centaines de milliers de livres : il se peut que le profit net total s’élève à plus de deux millions de livres ; en 1768, on vend les planches et le droit de réimprimer l’Encyclopédie pour 200 000 livres de plus. Dans toutes ces affaires, Le Breton empoche plus que la moitié des bénéfices après la mort de Durand en 1763. De 1766 à 1772, le seul problème sérieux que les libraires doivent affronter est une lutte juridique prolongée à l’initiative du souscripteur et homme de lettres Pierre-Joseph Luneau de Boisjermain en 1769. Celui-ci prétend que les libraires ont trop fait payer les souscripteurs pour l’Encyclopédie. Le cas de Luneau s’enlise au tribunal dès 1772.

En 1773, âgé de soixante-cinq ans, Le Breton prend une semi-retraite, vendant son office de maître imprimeur mais conservant sa librairie, son titre d’imprimeur ordinaire du roi et ses droits à l’Almanach royal. Il pouvait considérer sa carrière avec satisfaction. Les hommes d’affaires parisiens l’avaient choisi comme consul en 1767 et puis comme juge-consul en 1770, les deux offices ayant un mandat d’un an ; ils lui avaient aussi confié le pouvoir de juger des disputes commerciales. Surtout, il avait mené l’Encyclopédie à son achèvement. Le Breton n’est pas pour autant en paix. En particulier, sa publication de l’Almanach, qui lui rapporte des dizaines de milliers de livres par an, l’angoisse aussi. En 1774, pendant que la France souffre d’une grave disette de grain, attribuée par certains aux spéculations du gouvernement, l’Almanach enregistre pour la première et la dernière fois le nom, le titre et l’adresse de l’acheteur de grain de Louis XV. Il est très peu probable que Le Breton ait pensé critiquer ou nuire à l’administration royale, mais on le réprimande sévèrement et son atelier d’imprimeur est fermé pendant trois mois. Dès l’année suivante, il est rentré dans les bonnes grâces du roi, car on lui permet de présenter un exemplaire de l’édition de 1775 de l’Alamanch à Louis XVI en personne. Mais deux ans plus tard, Le Breton s’attire de nouveau des ennuis lorsque l’Almanach paraît au beau milieu d’un conflit politique : les magistrats parisiens s’offusquent de ce que l’Almanach de 1777 traite d’anciens membres du parlement de Paris quelques membres du « parlement Maupeou », c’est-à-dire des personnes que le ministre René-Nicolas de Maupeou avait imposées à l’institution contre la volonté des parlementaires. Selon les Mémoires secrets du 5 janvier 1777, « l’imprimeur est d’autant plus répréhensible, qu’au lieu de soumettre son ouvrage à la censure de monsieur [Mathieu-François] de Mairobert, auquel il avoit été adressé, il a jugé à propos de se choisir monsieur [Prosper Jolyot] de Crébillon : ce qui annonce de la manœuvre & de la mauvaise foi ». Le Breton réussit à étouffer la controverse en réimprimant l’édition sans les mentions offensantes. Entre-temps, Luneau avait relancé son procès en 1776 ; et on ne rejette le cas que deux ans plus tard, l’année qui précède la mort de Le Breton.

On considère souvent Le Breton comme l’un des scélérats du dix-huitième siècle, car il s’est arrogé le droit de censurer les dix derniers tomes de discours de l’Encyclopédie, action que Diderot présente comme l’une des plus infâmes de l’histoire de l’imprimerie. Néanmoins, les actions de Le Breton n’ont pas toutes été ignobles. Entre autres choses, il a publié au moins cinq rapports juridiques en faveur de l’annulation du jugement contre Jean Calas, protestant exécuté à la suite d’un procès injuste, et il a offert une partie, sinon l’intégralité, des bénéfices à la veuve Calas. Quoi qu’il en soit, il convient de se souvenir de Le Breton comme de l’un des libraires les plus accomplis de son siècle. Comme tous ses collègues, il avait du mal à jouer au plus fin avec des rivaux français et étrangers spécialisés dans la contrefaçon ; et il devait constamment spéculer sur les désirs du public et sur les limites de la tolérance de l’Église et l’État, deux tâches dignes d’un diseur de bonne aventure. Par conséquent, sa carrière était dangereuse et pour ses finances et pour sa personne, mais, à la longue, elle s’est révélée très bénéfique. À sa mort, il possédait une fortune de plus d’un million de livres.

Indications bibliographiques

Denis Diderot, Œuvres complètes, éd. Herbert Dieckmann et al., Paris, Hermann, 1975-2004, 25 vol.

Louis Sébastien Mercier, Tableau de Paris, nouvelle édition, Amsterdam, 1782-1783, 8 vol.

Frank A. Kafker, « The Fortunes and Misfortunes of a Leading French Bookseller-Printer: André François Le Breton, Chief Publisher of the Encyclopédie », Studies in Eighteenth-Century Culture, t. V, 1976, p. 371-385.

Frank A. Kafker et Serena L. Kafker, The Encyclopedists as Individuals: A Biographical Dictionary of the Authors of the Encyclopédie, Oxford, Voltaire Foundation, 1988.

par Frank A. Kafker et Jeff Loveland,
avec les compléments biographiques de Françoise Launay

Dernière mise à jour : le 17 mars 2015

Pour citer cette notice : Frank A. Kafker et Jeff Loveland, avec les compléments biographiques de Françoise Launay, « André François Le Breton (1708-1779) », Les acteurs, chap. IV : Les libraires, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

La fabrique de l'œuvre

L’Encyclopédie est une œuvre amplement collective dont la rédaction s’est étalée sur près de vingt ans (sans tenir compte de la confection du Recueil des planches). Ses dix-sept volumes d’articles ne sont donc homogènes ni textuellement, ni temporellement. Une lecture informée de l’Encyclopédie, même d’une seule de ses entrées, suppose par conséquent la prise en considération des conditions réelles de sa fabrication, de ce que Jacques Proust, dans un article pionnier, appelait « la pratique concrète des encyclopédistes » (J. Proust, « Questions sur l’Encyclopédie »).

Les notices de cette rubrique donnent quelques indications sur plusieurs aspects de cette « fabrique » et de ses acteurs.

La nomenclature de l’Encyclopédie

Le premier élément constitutif d’un dictionnaire est sa nomenclature.

Lorsqu’on compose un dictionnaire, la première question qui se pose est en effet celle du choix des adresses et donc des articles qui vont y figurer. La liste de ces adresses constitue ce qu’on nomme la nomenclature du dictionnaire, terme qui, dans ce sens précis, apparut pour la première fois dans l’histoire de la langue sous la plume de Diderot, dans l’article ENCYCLOPÉDIE.

L’étude de la nomenclature d’un dictionnaire révèle toujours certains des aspects majeurs de l’ouvrage. Et la comparaison des nomenclatures de différents dictionnaires est une des démarches les plus profitables qui soient si l’on veut cerner les caractéristiques des uns et des autres.

Ainsi, lorsqu’on observe la nomenclature de l’Encyclopédie, on s’aperçoit que tous les mots de langue ne font pas l’objet de définitions et d’articles dans l’ouvrage. On s’en rend d’autant mieux compte, qu’on compare cette nomenclature avec celle d’un autre dictionnaire universel français de la même époque, l’Universel de Trévoux de 1752 : l’Encyclopédie présente moins d’adresses que le dictionnaire des jésuites. À cela plusieurs raisons, dont une réside dans une volonté manifeste d’économie qui mène souvent des encyclopédistes, notamment Diderot, Voltaire, Jaucourt, à regrouper les mots dérivés dans un même article. Pourquoi ?

Abrègement de la nomenclature par regroupement des adresses

Dans l'article ENCYCLOPÉDIE, l’éditeur Diderot aborde la question fondamentale pour tout dictionnariste qui est celle de la multiplication des adresses et, donc, des moyens d’éviter les redites :

Ce moyen d'abréger la nomenclature, c'est de ne pas distribuer en plusieurs articles séparés, ce qui doit naturellement être renfermé sous un seul. Faut-il qu'un dictionnaire contienne autant de fois un mot qu'il y a de différences dans les vues de l'esprit ? l'ouvrage devient infini, et ce sera nécessairement un cahos de répétitions [...]. Je ne ferois donc de précipitable, précipiter, précipitant, précipitation, précipité, précipice, et de toute autre expression semblable, qu'un article auquel je renverrois dans tous les endroits où l'ordre alphabétique m'offriroit des expressions liées par une même idée générale et commune (V, 640 verso, a)

Signalons que le point de vue exprimé ici est un mixte de deux pratiques antérieures, et dont les principes sont, en apparence, parfaitement antithétiques : ceux du premier Dictionnaire de l'Académie française (1694) qui regroupait les mots par racines et ceux de Chambers et du regroupement de ce qu'il appelait « various states of the same word » (Cyclopædia, Preface, p. xx). L'option « radicaliste » de l'Académie française recoupait, en effet, par l'économie réalisée celle, purement terminologique, de Chambers.

Quand Diderot parle du « cahos de répétitions » qui surcharge une nomenclature, il est parfaitement clair qu'il a en tête la nomenclature d'un dictionnaire comme le Trévoux, qui augmentait de volume, d’édition en édition, en détaillant avec gourmandise chaque dérivé, chaque adverbe et, surtout, chaque participe passé.

Le regroupement encyclopédique est parfois indiqué dans la vedette elle-même : c’est le cas de l’article CONNEXION & CONNEXITÉ, ou INTEGRE, INTEGRITÉ, ou mieux encore, de l’article MODIFICATION, MODIFIER, MODIFICATIF, MODIFIABLE de Diderot. Voltaire regroupe HEUREUX, HEUREUSE, HEUREUSEMENT ou IDOLE, IDOLATRE, IDOLATRIE. Jaucourt semble habité du même souci : il donne ainsi MENER, REMENER, AMENER, RAMENER, EMMENER, REMMENER ou PORTER, APPORTER, TRANSPORTER, EMPORTER.

Mais le plus souvent, le regroupement se fait à l’intérieur de l’article, sans signalement particulier dans l’adresse : ainsi, en Grammaire, chez Diderot, dans l’article INDÉCENT, trouve-t-on indécence, décence et décent ; à INDIGENT, indigence ; à JOUISSANCE, jouir, etc. ; de même, chez Voltaire, trouve-t-on à FINESSE, fin, affiné, à FÉCOND, faux, à FAUSSETÉ, fécondité, etc.

La marque de ce travail de synthèse des encyclopédistes, on la voit aussi en amont dans le fait que les emprunts de définitions ou d'exemples au Trévoux viennent souvent d'articles que l'Universel consacrait pour sa part à des dérivés des mots en question.

D’Alembert n’eut visiblement pas souvent le même souci : on a de lui GÉOMÉTRAL, GÉOMETRE, GÉOMÉTRIE, mais aussi GÉOMÉTRIQUE, et GÉOMÉTRIQUEMENT ou HYDROGRAPHE, HYDROGRAPHIE et HYDROGRAPHIQUE. Aux dalembertistes de nous dire pourquoi...

Indications bibliographiques

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, SVEC, Oxford, (1999) rééd. 2008. Voir par exemple les comparaisons des nomenclatures du Trévoux et de l’Encyclopédie, p. 149 et sv. ; sur la nomenclature grammaticale de Diderot, p. 317 et sv.

Bernard Quemada, Les Dictionnaires du français moderne (1539-1863), Paris, Didier, 1968. Voir les chapitres I : « La nomenclature », p.267 et II : « Le Classement des adresses », p. 322.

par Marie Leca-Tsiomis

Dernière mise à jour : le 31 août 2018

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « La nomenclature de l’Encyclopédie », La fabrique de l'œuvre, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Le travail éditorial sur les articles

Les articles tels qu’on les lit dans les volumes de l’Encyclopédie ont été mis en forme et « mis en ordre » (selon l’indication de la page de titre) par les éditeurs : cette tâche par rapport aux contributions qu’ils recevaient consistait à réviser les textes de leurs collaborateurs, en leur soumettant éventuellement des corrections, puis à composer les volumes en réunissant l’ensemble des articles. (Pour la production rédactionnelle de Diderot et D’Alembert spécifiquement liée à leur fonction d’éditeurs, voir Les textes d’escorte.)

Mais leurs responsabilités ne sont pas exactement les mêmes et le travail éditorial a évidemment été fortement modifié lorsque D’Alembert quitte l’entreprise après la parution du tome VII. C’est d’ailleurs là l’un des facteurs principaux provoquant l’hétérogénéité des dix-sept volumes. De plus, Jaucourt a probablement assumé une fonction éditoriale dans les derniers volumes, auxquels sa conception propre de l’encyclopédisme donne un visage encore différent.

Les rôles respectifs des deux éditeurs d’origine sont définis dans la page de titre. Diderot y apparaît en première place et comme éditeur général. La fonction éditoriale de D’Alembert est en revanche explicitement liée à « la Partie Mathématique » (au sens large du terme, incluant ce qu’on appelait alors les « mathématiques mixtes », soit toutes les branches des sciences physico-mathématiques : la mécanique, l’optique, l’astronomie, etc.). Cette direction bicéphale n’est pas allée sans difficultés, comme en témoigne une lettre de Diderot au libraire Le Breton que nous citons plus bas.

Révision des articles

Il reste très peu de documents attestant la révision des articles par les éditeurs. Mais une lettre de Rousseau à D’Alembert de juin 1751 (Leigh, 162 ; D’Alembert, O.C. , V/2, lettre 51.09) montre toutefois la réalité de ce travail et permet d’en saisir certaines modalités.

Avec cette lettre, Rousseau renvoie à l’éditeur ses articles musicaux de « la lettre C » ; il écrit qu’il accepte « les changemens » que D’Alembert a « jugé à propos de faire » mais explique qu’il a pourtant « rétabli un ou deux morceaux » supprimés : « il m’a semblé que ces morceaux faisoient à la chose, ne marquoient point d’humeur et ne disoient point d’injures ». Sans doute les règles éditoriales qui transparaissent ici en filigrane sont-elles plus liées à la matière particulière en question (Rousseau cherche souvent à égratigner Rameau dans ses articles) que générales. Il n’en reste pas moins que ce document témoigne :

– d’un travail méticuleux de relecture par l’éditeur ;

– du fait que ce travail est effectué par lettres alphabétiques et non par volumes ;

– de possibles interventions sur les textes de collaborateurs ;

– de la soumission de ces interventions à l’auteur.

D’Alembert faisait-il de même avec les autres contributeurs dont il était chargé ? Faute de documents, il est difficile de rien affirmer à ce propos. En tous les cas, il est certain qu’au moment où il se détache de l’entreprise, il n’a plus mené ce travail de contrôle lettres par lettres.

Diderot procédait-il d’une manière analogue ? De son côté aussi, la documentation est très lacunaire. Mais on sait, par exemple, qu’il pouvait se charger lui-même d’articles dont il était mécontent, comme en témoigne l’entrée COMPOSITION, en Peinture (Enc., III, p. 772a-774b) – dont il raconte l’origine dans l’article ENCYCLOPÉDIE : « Nous avions espéré d’un de nos amateurs les plus vantés, l’article composition en Peinture, (M. Watelet ne nous avoit point encore offert ses secours). Nous reçumes de l’amateur, deux lignes de définition, sans exactitude, sans style, & sans idées, avec l’humiliant aveu, qu’il n’en savoit pas davantage ; & je fus obligé de faire l’article Composition en Peinture, moi qui ne suis ni amateur ni peintre. » (Enc., V, p. 641b)

Composition des volumes

Aucun des manuscrits livrés par les collaborateurs réguliers ne subsistant, du moins à notre connaissance, il est impossible de comparer les deux états d’une contribution : telle qu’elle a été rédigée par l’encyclopédiste et telle qu’elle est effectivement éditée dans les volumes imprimés. On est donc réduit aux indices qu’offre le texte même de l’Encyclopédie pour repérer les interventions que la composition des volumes a pu entraîner sur le matériel reçu. On distinguera deux façons différentes d’intervenir de la part des éditeurs : ajouts ponctuels dans un article ; modifications diverses liées à l’articulation d’articles partageant le même mot-vedette.

Additions

Les éditeurs peuvent adjoindre des compléments à un article ou ajouter des éléments (en particulier des renvois) à l’intérieur même des textes de leurs collaborateurs.

Les suppléments éditoriaux sont le plus souvent repérables grâce aux marques de Diderot et de D’Alembert. Ils interviennent à la suite d’un article (par exemple : l’ajout de Diderot à ACATALEPSIE d’Yvon, introduit par son astérisque, Enc., I, p. 59a) et parfois dans le cours même du texte (par exemple : les interventions de D’Alembert à l’intérieur de l’article Cadence, en Musique, de Rousseau, signalées par l’alternance des marques (S) et (O), Enc., II, p. 513b-515a).

Après le retrait de D’Alembert et lorsque la marque de Diderot disparaît (après le tome X, qui n’en contient déjà plus qu’une seule), certains paragraphes non signés ajoutés à des articles peuvent lui être attribués avec plus ou moins de certitude, comme par exemple l’éloge de Frédéric II qui complète l’article PRUSSE, (Géog. mod.) de Jaucourt (Enc., XIII, p. 533a). Sur cette question particulière d’attribution, on consultera les listes établies par John Lough et Jacques Proust (Diderot, DPV, t. V, p. 207-220).

Dans les derniers volumes, Jaucourt lui-même est susceptible d’intervenir avec un statut assez analogue. L’article TARENTULE ou TARANTULE, dans l’histoire naturelle (Enc., XV, p. 905b-908a) offre un exemple intéressant ; il porte la marque de Jaucourt mais seule la deuxième partie lui appartient, qui commence par ce paragraphe : « Je n’ajouterai que quelques réflexions sur ce grand article » (p. 907a) ; tout ce qui précède se révèle traduit de l’article « TARANTULA, or TARENTULA, in Natural History » de Chambers.

Les insertions ponctuelles que les éditeurs sont susceptibles d’opérer dans les articles de leurs collaborateurs, en particulier des ajouts de renvois, ne sont évidemment pas signalées. Ici, ce n’est que par déduction qu’il est possible de reconstituer de telles adjonctions, de façon plus ou moins certaine.

Voici un exemple. On sait que D’Alembert a rédigé tardivement son important article FONDAMENTAL, Musique moderne du tome VII (p. 54b-63b), qui ne fait l’objet d’aucun renvoi dans les volumes précédents. On sait par ailleurs que Rousseau, lui, a composé la totalité de sa contribution en 1749. Or, son article MÉLODIE en Musique contient, juste avant sa marque (S), le renvoi suivant, visiblement ajouté aux renvois qu’il avait prévus : « Voyez aussi l’article Fondamentale [sic] sur cette question, si la mélodie vient de l’harmonie. » (Enc., X, p. 320a). Cette phrase a donc été ajoutée par D’Alembert.

Articulations

Au moment où les éditeurs réunissent l’ensemble des contributions d’un volume, le rapprochement des articles partageant le même mot-vedette demande un travail spécifique de leur part : les classer ; puis, éventuellement, opérer des collages ou des fusions d’articles très proches.

D’abord, dans tous les cas, ils doivent en organiser la succession. Le contexte immédiat de chaque article dépend donc de cette « mise en ordre » éditoriale que les contributeurs n’ont pas pu contrôler.

Diderot s’est expliqué sur ce travail dans son article ENCYCLOPÉDIE sous le titre de « quatrième ordre » encyclopédique (Enc., V, p. 641d-642a). De fait, les éditeurs ménagent souvent des appariements liés aux différents sens d’un mot (par exemple : la série Eponge, Enc., V, p. 823b-825a, où l’article de tête, classé en Hist. nat. est immédiatement suivi d’une entrée en Pharmacie. Matière médicale avant qu’interviennent des entrées de Manège, Maréchall. liées à un autre sens du mot éponge), ou à une logique qui peut être rattachée à la genèse des connaissances (par exemple : l’article FRAGILITÉ en Physique précède l’entrée Fragilité (Morale), Enc., VII, p. 273a-b). Mais il arrive aussi souvent que l’ordre alphabétique des désignants soit la seule règle (ainsi la série des entrées Languette, Enc., IX, p. 274a-b : Gramm. & Art. mécaniq.Hydr.terme d’Imprim.Luth.en Maçonnerieterme d’Orfèvredans les OrguesPotier d’étain).

Par ailleurs, face à des articles qui, sous le même mot-vedette, traitent de sujets très proches, les éditeurs peuvent intervenir de différentes manières. On peut distinguer au moins quatre modes de faire dont l’impact sur les textes des collaborateurs varie grandement :

– mettre en évidence les apports respectifs reçus ; exemple : à l’intérieur de l’article Goût (Gramm. Littérat. & Philos. ), le paragraphe en italique qui fait le lien entre l’« excellent article » signé Voltaire et « le fragment sur le goût » que Montesquieu « destinoit à l’Encyclopédie », Enc., VII, p. 761b-762a ; puis, à la fin de ce fragment, le paragraphe portant la marque de Diderot soulignant la fierté que l’ouvrage ait bénéficié de l’apport de ces deux grands écrivains ;

– procéder à des panachages ; exemple : les articles CHANSON, (Litt. & Mus.), Enc., III, p. 139a-140b, ou Chœur, en Musique, Enc., III, p. 362a-b, dans lesquels les marques de Cahusac et de Rousseau alternent de paragraphe en paragraphe ;

– fondre ensemble plusieurs contributions ; exemples : l’article BRUNISSOIR (Art méchan. en métaux), Enc., II, p. 450b-451b, qui porte la marque de Diderot, fait apparaître une succession de paragraphes chaque fois liés à un métier différent : argenteur, coutelier, doreur, horloger, orfèvre, facteur d’orgues et potier d’étain ; parfois, la compression est telle qu’on ne repère plus exactement les contributions d’origine, comme dans l’article HAPPE (Arts & Métiers), Enc., VIII, p. 40b, également conçue par Diderot ;

– voire, supprimer les articles redondants ! On connaît par exemple la note, sur les fameuses épreuves de Le Breton, figurant en marge d’un article Tolérance de Jaucourt qui faisait suite à l’article TOLERANCE de Romilly : « [Rayez] cet art. Il est en foible la repetit. du 1er et fait double employ ; d’ailleurs consenti par M. Did. » (Gordon et Torrey, The Censoring of Diderot’s Encyclopédie, p. 95, note 23).

Mais signalons aussi qu’il arrive aussi assez souvent que des redondances n’aient pas été repérées. Ainsi trouve-t-on deux articles Inoculation (Enc., VIII, p. 755a-769a et 769a-771b), ou une entrée Sacquebute et une autre orthographiée Saquebute (il est vrai qu’elles sont à plus de cent pages de distance : Enc., XIV, p. 474a et 631b).

C’est d’ailleurs à ce propos que Diderot se plaignait du manque de coordination qu’entraînait la double direction de l’entreprise, un problème en partie dû aux libraires :

On néglige de m’envoyer les articles que M. d’Alembert fait passer à l’imprimerie après que j’ai remis de la copie. Il arrive de là que ces articles sont doubles, qu’il faut raccommoder sur la copie, ôter à l’un, ajouter à l’autre ce qui ne fait jamais que très mal. Voilà ce qui est arrivé à Conte et à Conteur, et à Contentement. Je vous prie d’engager Mr Brûlé [le prote de Le Breton] à y faire attention, et à me renvoyer avec soin les articles surajoutés, afin que je voie s’ils cadrent ou non avec ce qui est fait. (lettre non datée à Le Breton, Correspondance, éd. Roth, Varloot, t. IV, p. 14)

En théorie, le travail des éditeurs est parfaitement distinct des apports des collaborateurs. Toutefois, notre présentation suggère qu’en pratique il peut être parfois difficile de repérer une intervention éditoriale à l’intérieur d’un article ou, au contraire, de distinguer la part d’un collaborateur dans un article refondu. Un autre facteur tend à rendre floue la frontière entre les deux niveaux rédactionnels : le fait que Diderot et D’Alembert sont également des contributeurs dans des domaines précis mais qu’ils utilisent les mêmes marques dans leurs deux rôles.

Indications bibliographiques

Jean Le Rond D’Alembert, Œuvres complètes, Série V « Correspondance générale », vol. 2, 1741-1752, éd. Irène Passeron, Paris, CNRS Éditions, 2015.

Denis Diderot, Correspondance, éd. Georges Roth et Jean Varloot, Paris, Les Éditions de Minuit, 1955-1972, 16 vol.

Denis Diderot, Œuvres complètes, t. V, « Encyclopédie I », éd. John Lough et Jacques Proust [DPV], Paris, Hermann, 1976.

Jean-Jacques Rousseau, Correspondance complète, éd. Ralph A. Leigh, Oxford, Voltaire Foundation, 1965-2003, 52 vol.

Douglas H. Gordon et Norman L. Torrey, The Censoring of Diderot’s Encyclopédie and the Re-established Text, New-York, Columbia UP, 1947.

Jacques Proust, « Questions sur l’Encyclopédie », RHLF, 72, 1972, p. 36-52.

par Alain Cernuschi

Dernière mise à jour : le 15 juin 2015

Pour citer cette notice : Alain Cernuschi, « Le travail éditorial sur les articles », La fabrique de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les modes de collaboration

La grande variété des modes de collaboration à l’Encyclopédie constitue l’un des facteurs qui expliquent l’hétérogénéité des volumes dits « de discours ». On peut distinguer différents types de collaboration — régulière vs occasionnelle, constante vs évolutive, etc. — mais il convient de préciser d’emblée qu’il ne s’agit pas de catégories étanches : les cas intermédiaires abondent ! Ajoutons que ces modes de collaboration se déduisent d’indices textuels internes plus souvent qu’ils ne se dégagent d’une documentation de première main. C’est dire que la présentation qui suit vaut comme un état provisoire de la question, que l’ENCCRE devrait permettre d’affiner au fur et à mesure de l’édition des articles et des études qu’elle rend désormais possibles.

Contributeurs réguliers ; contributeurs occasionnels

Cette première distinction entre contributeurs s’impose en fonction de deux critères : le nombre d’articles et la signature. Globalement, les contributeurs réguliers ont droit à une marque, le plus souvent une lettre en italique entre parenthèses qui figure à la fin de chaque texte qu’ils ont fourni, et dont la clé est donnée dans différents volumes. En revanche, les contributions occasionnelles sont signées explicitement par des formules du type « Cet article est de M. (...) », le nom de celui qui a communiqué l’article étant parfois complété par l’un de ses titres. Ces apports ponctuels sont fréquemment mentionnés dans les Avertissements des volumes, jusqu’au VIIe compris, et accompagnés de remerciements de la part des éditeurs. Les signatures explicites ne disparaissent pas dans les volumes VIII à XVII, produits clandestinement et publiés en une fois, mais ces collaborations ne font plus l’objet d’annonces.

Théoriquement, cette distinction répond à des processus rédactionnels bien différents : un collaborateur régulier élabore une contribution d’ensemble, un corpus d’articles envisagé comme un tout ; un collaborateur occasionnel rédige au coup par coup. Remarquons toutefois qu’il existe des contributeurs dont la signature est explicite mais qui collaborent régulièrement : par exemple Marmontel, qui fournit 31 articles dans les volumes III à VII, ou Watelet, signataire de 27 articles (vol. IV à VII). À l’inverse, certains collaborateurs bénéficiant d’une marque n’ont contribué qu’occasionnellement, comme Pestré, dont on ne trouve que 8 articles portant sa marque (C) dans les volumes II et III, ou Morellet dont la marque (h) ne ponctue que trois articles des volumes VI et VII (même s’il en a fourni un peu plus). La disparition d’une signature explicite ou d’une marque à partir du volume VIII n’est d’ailleurs pas forcément facile à interpréter : si elle est souvent la conséquence du retrait d’un contributeur au moment où l’Encyclopédie est interdite, il reste possible que l’un ou l’autre ait simplement demandé que ses articles paraissent anonymement.

L’opposition entre les deux types de signature s’estompe également pour quelques contributeurs dont les articles sont tantôt signés d’une manière, tantôt de l’autre. Le cas de Rousseau est simple et, en fait, confirme le sens de ces marques distinctives : sa contribution régulière pour la musique, entièrement rédigée avant la parution du premier volume, est toujours signalée par la marque (S) alors que son article ÉCONOMIE ou ŒCONOMIE, (Morale & Politique.), qu’il rédige exceptionnellement pour le volume V, est signalé comme tel par l’indication « Article de M. Rousseau, citoyen de Genève ». Le cas de Le Blond est très proche : seuls deux de ses 750 articles sont munis d’une signature explicite ; il s’agit de deux entrées consécutives, extrêmement développées et articulées à de nombreuses figures, sous la vedette d’adresse EVOLUTIONS (les), dans l’Art militaire qui les introduit. Peut-on penser que cette série d’articles a été rédigée indépendamment des autres et donnée après coup, comme pour ÉCONOMIE de Rousseau ? On note en tous les cas que Le Blond renvoie à plusieurs reprises à une ordonnance toute récente du 6 mai 1755. Des analyses similaires pourraient être menées pour Bellin, dont un seul article, l’entrée Marées, (Marine.), est signé explicitement, ou pour J. B. Le Roy avec TÉLESCOPE, (Optiq. & Astr.).

Le cas de Jaucourt est beaucoup plus complexe, même si l’évolution des différentes façons dont ses articles lui sont attribués semble refléter les phases successives de sa collaboration tout au long de l’entreprise (voir Les signatures de Jaucourt). D’autres situations demanderaient des enquêtes précises pour comprendre ce que recouvre le double système de signature, comme pour Pierre Daubenton, dont la marque (c) apparaît jusqu’à la lettre L comprise puis est remplacée par une signature explicite.

Dans l’Avertissement du premier volume, les éditeurs donnent une indication qui constitue sans doute un critère pour distinguer les contributeurs réguliers des occasionnels :

Tous ceux qui ont travaillé à cette Encyclopédie devant répondre des articles qu’ils ont revûs ou composés, on a pris le parti de distinguer les articles de chacun par une lettre mise à la fin de l’article. (I, p. xlvj)

La formule « revûs ou composés » est très significative. Les contributeurs présents dès le premier volume avec une marque d’identification ne sont pas des auteurs qui rédigent entièrement leur partie : leur tâche est d’abord de revoir des articles. On peut comprendre qu’ils sont responsables de domaines (qui viennent d’ailleurs d’être énumérés en face de leur nom à la fin du « Discours préliminaire », p. xlj-xliij) et que les éditeurs leur ont donné, comme canevas initial de leur contribution, la traduction des articles de Chambers relatifs à la connaissance dont ils sont chargés. Leur expertise consiste à décider s’il est possible de les garder tels quels ou s’il faut les augmenter, éventuellement les réécrire plus ou moins complètement. Ils ont évidemment encore la latitude d’ajouter de nouveaux termes à la nomenclature de leur domaine.

Il est intéressant, d’ailleurs, de remarquer qu’après avoir présenté dans le Discours préliminaire ces contributeurs-là (ceux qui ont une marque et à qui un domaine est confié), les éditeurs introduisent des collaborateurs ayant un autre statut avec la formule suivante :

Outre les Savans que nous venons de nommer, il en est d’autres qui nous ont fourni pour l’Encyclopédie des articles entiers & très-importans, dont nous ne manquerons pas de leur faire honneur. (I, p. xliij)

Ici, il s’agit d’avoir « fourni [...] des articles entiers » : comme si la rédaction ne reposait pas sur la traduction de Chambers à « revoir ». Cette annonce du volume I ne concerne que Cahusac (qui intervient en fait à partir du volume II, mais avec une marque) et Le Monnier (qui ne fournira au total que trois articles, chaque fois signés explicitement).

Le fait de disposer des articles de Chambers comme base semble donc bien distinguer les collaborateurs réguliers de la première heure avec les collaborateurs occasionnels. Mais nous aurons à nous demander s’il s’agit aussi d’un critère qui différencie les vingt contributeurs initiaux (présentés et présents dès le premier volume) et les nouveaux contributeurs ayant une marque qui apparaissent dans les volumes suivants ?

Contributeurs réguliers de la première heure ; contributeurs réguliers ultérieurs

En l’état actuel des recherches, il n’est pas possible de savoir si ces deux groupes de contributeurs correspondent à des modes de rédaction clairement distincts. L’ENCCRE, à travers l’édition critique progressive des articles, permettra d’en savoir plus dans quelques années. Nous n’esquissons ici que quelques pistes de réflexion.

Les vingt premiers contributeurs ayant une marque

On peut dresser le tableau du nombre d’articles des collaborateurs initiaux ventilés sur les 17 volumes (tableau n° 1). Ce tableau donne bien à voir certaines des disparités déjà mentionnées dans la section précédente : seuls six encyclopédistes signent des articles du début à la fin de l’entreprise (La Chapelle, d’Argenville, D’Alembert, Rousseau, Le Blond et Louis) ; tous les autres présentent des contributions interrompues, certains très rapidement (la marque d’Yvon disparaît après le volume II suite à l’affaire de Prades et à son exil ; Tarin est remplacé par Boucher d’Argis pour la jurisprudence ; Vandenesse meurt en 1753), d’autres plus tardivement (comme pour Blondel, Bellin, Landois ou Tarin).

Notons une fois encore que la disparition d’articles portant la marque d’un collaborateur ne signifie pas nécessairement l’interruption totale de sa contribution. Les articles déjà rédigés par Yvon, par exemple, paraissent anonymement au-delà du IIe volume (Proust, 1995, p. 157-158).

Inversement, la mort d’un collaborateur n’implique pas nécessairement la disparition immédiate de sa marque : si le décès de Du Marsais en juin 1756 entraîne un brusque coup d’arrêt dans sa contribution, celui de Mallet en 1755 n’empêche pas que l’on retrouve sa marque jusqu’au XIVe volume (mais ses articles peuvent avoir été retravaillés, comme Rex l’a montré pour Liberté de penser, (Morale.), Rex, 2001). C’est là un indice de deux manières différentes de travailler : on peut penser que Du Marsais composait au fur et à mesure et livrait sa contribution volume par volume alors que Mallet avait visiblement rédigé à l’avance plus de 300 articles (et peut-être plus, des textes de Mallet ayant très probablement servi de bases anonymisées à des articles comme LUTHÉRANISME, (Théol.) ou LUTHÉRIEN, (Théol.) (Cernuschi, 2017, p. 93).

La fluctuation importante du nombre d’articles au cours des volumes représente un autre indice révélant des manières différentes de travailler. On sait par exemple que Rousseau avait livré sa contribution en une fois en 1749. Cela transparaît dans le tableau par le fait que le nombre d’articles portant sa marque oscille autour d’une moyenne stable (en l’occurrence, un peu plus d’une vingtaine par volumes). A l’inverse, on voit que certains collaborateurs ont commencé en rédigeant de nombreux articles avant de revoir leur contribution à la baisse (d’Argenville, Daubenton, Mallet, Tarin, par exemple). L’exemple contraire d’une participation croissante n’est pas attesté pour l’équipe qui a commencé avec le volume I, mais Jaucourt l’illustrera de façon insurpassable !

On pourrait se demander si d’autres contributeurs de la première heure ont livré toute leur contribution au début de l’entreprise. L’indice d’une moyenne constante ne se retrouve que pour Louis (moyenne de 27 à 28 articles par volumes) et, avec des oscillations plus grandes, pour La Chapelle (moyenne de 15 à 16 articles) et Le Blond (moyenne de 44 articles). Seules des études internes à ces corpus devraient permettre de confirmer ou non l’hypothèse d’une rédaction d’ensemble préalable.

L’exemple de la contribution de Rousseau, qui a déjà fait l’objet d’analyses (Cernuschi, 2000), suggère au moins un autre critère révélateur d’un corpus conçu de façon globale : les renvois internes n’y sont jamais évolutifs, autrement dit, il y a autant de renvois vers des lettres ultérieures de l’alphabet que de renvois vers des lettres antérieures. Ce qui n’est pas le cas d’une contribution rédigée progressivement puisque l’encyclopédiste n’a pas forcément prévu tous les articles qu’il finira par livrer. Pour illustrer ce cas, on peut prendre l’exemple de Cahusac, parce que l’interruption brutale de sa contribution due à sa mort en 1759 fait bien ressortir le fait qu’il rédigeait de façon progressive. On voit en effet qu’au fur et à mesure de son travail il projetait des articles sans les rédiger d’avance puisque ses renvois “prospectifs” qui dépassent la lettre H restent lettres mortes après sa disparition (comme Maître à chanter, annoncé dans les articles Chanter, Egalité et Etendue ; ou de nombreuses entrées relatives au domaine des décorations théâtrales, par exemple Manœuvre ou Vol, annoncées dans des articles comme Char, Chassis, Ciel, etc.). Mais à l’inverse certains de ses articles importants conçus pour le volume VI (en particulier, la série relative aux diverses Fêtes) ne font l’objet d’aucun renvoi préalable à ce volume, comme si Cahusac n’avait pas anticipé la rédaction de ces entrées-là.

Revenons aux contributeurs de la première heure. Il reste la question générale de savoir si les articles de la Cyclopædia correspondant à leur(s) domaine(s) ont toujours constitué leur point de départ, comme semble l’indiquer Diderot dans son article ENCYCLOPÉDIE, (Philosoph.) (§ 113, lorsqu’il évoque le « rouleau de papiers, qu’il ne s’agissoit que de revoir, corriger, augmenter »). Là encore, l’exemple de Rousseau peut servir de référence, mais il incite à une certaine prudence puisque le Genevois n’a utilisé la traduction de Chambers que pour une cinquantaine des 384 articles portant sa marque (Cernuschi, 2000, p. 713-714), et qu’il ne mentionne jamais cette source au cours de sa contribution.

L’édition critique de ces corpus étant à peine commencée, on ne peut s’appuyer ici que sur un rapide sondage que permet le moteur de recherche avancé de l’ENCCRE, en cherchant quels contributeurs se réfèrent explicitement à Chambers au moins une fois. Sur les vingt collaborateurs de ce premier groupe, onze sont concernés (pour la plupart, la référence apparaît quasi toujours en position de mention de source terminale) :

– Mallet, dans 306 articles (sur 2171) ;

– D’Alembert, dans 214 articles (sur 1483) ;

– La Chapelle, dans 105 articles (sur 268) ;

– Le Blond, dans 63 articles (sur 750) ;

– Tarin, dans 26 articles (sur 374) ;

– Eidous, dans 18 articles (sur 451) ;

– Louis, dans 10 articles (sur 471) ; les mentions sont réparties de A à R, notamment dans des formules du type : « Tout ce qui vient d’être dit est traduit de Chambers » qui font transition avec une seconde partie de l’article (ici, en l’occurrence, RHACHITIS [v14-765-0]) ;

– Diderot, dans une dizaine d’articles (sur 5637), en positions diverses ; il est toutefois intéressant de noter que « Chambers » comme mention de source figure dans plusieurs articles de Diderot relatifs aux arts et métiers, comme CARROSSE, (ouvrage de Sellier-Carrossier, de Charron, de Serrurier, &c.) ou FOULON, ou FOULONIER, (Draperie.) ;

– Blondel, dans 4 articles (sur 505) ;

– J. B. Le Roy, dans 3 articles (sur 127) ;

– Malouin, une fois, à la fin de sa contribution vite interrompue (article CONGELATION, terme de Physique) ;

– Toussaint, une seule fois dans le volume IV, soit à la toute fin de sa contribution.

En résumé, plus de la moitié des contributeurs engagés avant la parution du volume I mentionnent explicitement Chambers comme l’une de leur source, ce qui semble attester qu’ils disposaient bien des traductions de la Cyclopædia comme point de départ de leur travail. Mais l’exemple de Rousseau montre que les autres peuvent très bien s’être fondés sur la même base sans le dire.

Les quinze contributeurs ultérieurs ayant une marque

Comme pour le groupe précédent, on peut ventiler sur l’ensemble des volumes le nombre d’articles des collaborateurs dont la marque n’apparaît au plus tôt qu’à partir du deuxième (tableau n° 2). Ce tableau montre d’abord que l’engagement de tels collaborateurs ne s’est fait qu’entre les volumes II et VIII, soit avant l’interdiction de l’Encyclopédie. Le système des marques n’est plus utilisé pour les contributeurs recrutés au-delà, à l’exception notable de Menuret (dont les premiers articles, dans les volumes VIII et IX, sont signés explicitement).

Par comparaison avec les collaborateurs de la première heure, on peut relever que le taux de fidélité à l’entreprise est ici plus élevé : sept d’entre eux fournissent des articles jusqu’à la fin, soit quasi la moitié (il n’y en a que six sur vingt dans le premier groupe). Il est également intéressant de souligner que le profil de ces contributions durables atteste d’un travail régulier. Seul Boucher d’Argis semble avoir revu à la baisse la quantité d’articles qu’il livre au-delà du volume IX (mais cela reste à vérifier en tenant compte de toutes les entrées de jurisprudence consécutives et sans marque qui lui sont attribuables grâce à la marque qui clôt les séries).

Pour les contributeurs de ce groupe dont la marque disparaît au cours de l’entreprise, à l’exception de Pestré (impliqué dans l’affaire de Prades), de Lenglet et de Cahusac (qui décèdent, l’un en 1755, l’autre en 1759), il semble que ce soit la crise de 1758-59 qui ait chaque fois entraîné l’interruption des collaborations. Le cas particulier de Villiers est très différent et expliqué un peu plus bas.

Pour ce groupe également, la frontière n’est pas étanche entre contributeurs ayant une marque et contributeurs, normalement occasionnels, dont les apports sont munis d’une signature explicite. Mais ici, dans la plupart des cas, on assiste à un simple passage d’un statut à l’autre. Venel est le premier concerné : ses articles initiaux, dans le volume II, sont tous signés par une formule du type « Cet article est de M. Venel » mais, dès le volume suivant, il a droit à une marque ; autrement dit, il devient rapidement un contributeur régulier. Même scénario avec d’Aumont au volume suivant, avec Barthez au VIe et avec Menuret aux VIIIe et IXe. Le cas de Jaucourt est parallèle mais plus complexe (voir Les signatures de Jaucourt).

En revanche, d’autres situations de double signature sont plus particulières. Quatre articles de Beauzée lui sont soudain explicitement attribués dans le volume VIII ; on peut penser qu’il s’agit d’une sorte de transition entre la marque (E. R. M.) utilisée dans le volume VII (qui vaut pour Beauzée et Douchet, tous deux « Professeurs de Grammaire à l’Ecole Royale Militaire » comme l’indiquent les éditeurs, VII, xiij) et la marque (B. E. R. M.) utilisée depuis le huitième volume pour le seul Beauzée. En revanche, d’autres cas sont plus difficiles à comprendre, mais semblent attester que le système des marques d’auteurs n’a pas toujours été facile à gérer. Villiers, par exemple, a droit à une marque (f) dans le volume V, en parallèle avec des articles à signature explicite, mais elle n’intervient que trois fois avant de disparaître totalement des volumes suivants ! À l’inverse, les deux Daubenton, qui ont droit à des marques dès le début de leur collaboration, voient soudain certains de leurs articles tardifs munis de signatures explicites (4 articles pour Louis Jean Marie dans volumes IX et X ; 12 articles des volumes X à XVI pour Pierre).

Il reste à se demander si les contributeurs engagés après le début de l’entreprise ont bénéficié ou non des articles traduits de la Cyclopædia comme canevas initial. La recherche des mentions de Chambers dans leurs articles donne un résultat contrasté qui montre que ce groupe n’a rien d’homogène. Trois d’entre eux mentionnent Chambers ; même si tous les trois interviennent dès le deuxième volume, chaque cas semble correspondre à une pratique rédactionnelle différente :

– D’Holbach se réfère à Chambers dans 7 articles (sur 429), mais seulement à partir de la lettre E ; on remarque de plus que ses mentions sont évolutives puisque, à partir de la lettre G, il mentionne le Supplément du dictionnaire de Chambers (paru en 1753) ; on peut faire l’hypothèse de consultations ponctuelles : la Cyclopædia n’est pour lui qu’une source parmi d’autres ;

– Venel se réfère à Chambers dans 4 articles (sur 751), limités aux lettres C et D, soit au début de sa contribution (pour l’article DIGESTEUR, c’est un Errata qui lui attribue l’article, qui porte par erreur la marque de d’Aumont) ; comme il prend le relais de Malouin, on peut se demander s’il a reçu à son tour les traductions de Chambers relatives à sa matière ;

– Jaucourt se réfère à Chambers dans 14 cas (sur ses 17 425 articles), dispersés de la lettre C à la lettre T et dans tous les domaines, souvent en situation de commentaire ; visiblement, il ajoute des compléments à des articles existants, dans une fonction d’éditeur.

La recherche donne encore des résultats pour trois autres collaborateurs, mais sans pertinence parce que liés à des articles munis de plusieurs signatures (pour Boucher d’Argis et Morellet, la mention de Chambers relève en fait d’un article préalable de Mallet ; pour d’Aumont, d’un article de Tarin) ou à un article dont la signature est erronée. Seul cas à part : l’article ENGASTREMITHE, ENGASTRIMYTHUS ou ENGASTREMANDE de d’Aumont où la mention « Dictionn. de Trévoux & Chambers » ponctue les sept premiers paragraphes avant trois autres paragraphes de réflexions critiques sur les « ventriloques » ; cette différence de vocabulaire pourrait suggérer que la marque finale (d) ne vaut que pour les trois derniers paragraphes, peut-être additionnés par les éditeurs à l’article traduit de Chambers.

Au total, le taux de présence explicite de Chambers est nettement plus bas dans ce groupe que dans celui des contributeurs initiaux, ce qui incite à penser que leurs pratiques rédactionnelles ont été différentes. Mais, ici encore, seule l’édition critique de ces contributions apportera des données solides pour voir plus clair dans cette question.

Il convient encore de préciser que, même si la Cyclopædia n’a peut-être plus servi de base à ces contributions, le recours à un “canevas lexical” de référence a souvent été la règle pour les collaborateurs réguliers, notamment à travers les éditions les plus récentes du Dictionnaire de Trévoux ou du Dictionnaire universel de commerce de Savary (voir nos notices consacrées à ces sources).

Synthèse provisoire

Ce parcours exploratoire a fait ressortir quelques traits caractéristiques qui permettent de différencier, dans la durée et selon les modalités de la rédaction, des modes distincts de collaboration. Caractéristiques qui peuvent se combiner de façon variable pour chacun des contributeurs.

Selon la durée, la collaboration peut être occasionnelle ou régulière, et celle-ci avoir été engagée dès le début de l’entreprise ou en cours de route, continuée jusqu’à la fin ou interrompue.

Deux grands types de collaboration s’opposent selon que le contributeur se voit confier un domaine de connaissance ou qu’il intervient ponctuellement. Pour une collaboration régulière, impliquant la responsabilité d’un domaine, plusieurs modalités rédactionnelles sont attestées. D’abord selon que le contributeur a disposé ou non des articles traduits de Chambers comme canevas de départ. Ensuite, selon qu’il a rédigé l’entier de sa contribution comme un tout, éventuellement donné dès le début de l’entreprise, ou de façon progressive. On repère enfin des contributions dont le rythme rédactionnel n’a pas varié au cours du temps ou, au contraire, a fait l’objet de réglages en cours de route, à la baisse ou à la hausse.

par Alain Cernuschi

Dernière mise à jour : le 9 septembre 2017

Pour citer cette notice : Alain Cernuschi, « Les modes de collaboration », La fabrique de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

La place de la compilation

Jacques Proust, un des plus grands historiens de l’Encyclopédie, écrivait :

Tous les articles de l’Encyclopédie, même les plus « originaux » sont faits de matériaux en partie empruntés. Ce ne sont parfois que de longues citations mises bout à bout, avec ou sans indication de source ( Proust, 1972 , p. 40.)

Toute étude sur un article doit donc partir de ce constat auquel elle finira, de toute façon, par aboutir. L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné procède en effet du genre particulier qui est celui des dictionnaires, et l’emprunt est la première des « lois » du genre lexicographique. Emprunt de passages, découpage d’ouvrages, remaniement de citations, réécriture sont ainsi parmi les pratiques obligées de l’écriture lexicographique depuis que les dictionnaires existent.

Dans l’Encyclopédie, les sources de ces emprunts sont variées : les encyclopédistes ont puisé aux Dictionnaires, aux Traités, aux Mémoires (notamment à ceux de l’Académie des Sciences, aux Philosophical transactions), etc. Vous trouverez des informations sur quelques-unes de ces sources sur cette page.

La tradition de l’emprunt

Chambers, dont on sait que la Cyclopædia fut à l’origine de l’Encyclopédie, expliquait, dans sa Preface en 1728, qu’il avait été l’héritier d’un patrimoine dû aux efforts de ses prédécesseurs :

I come, like an heir, to a large patrimony gradually raised by industry and endeavours of a long race of ancestors. What the French and Italian Academists, the abbé Furetière, the editors of Trévoux, Savary, Chauvin, Harris, Wolsius, Daviler and the others have done been subservient to my propose. (Cyclopædia, Preface, p. ii)

Et il écrivait avec malice :

I have already assumed the bee for my device; and who ever brought an action of trover or trespass against that avowed free-booter? » (Cyclopædia, Preface, p. xxiv ; souligné par nous).

Se moquant par avance des accusations de plagiat qu’on pourrait lui intenter, il revendiquait la flibuste, esquissant ainsi une sorte de « poétique » de la compilation. Chambers cite rarement les sources de ses compilations, puisque le « privilège du lexicographe » est de butiner et que sa devise est l’abeille ! Il rappelait que la Cyclopædia (1728) a elle-même puisé dans les sources françaises : Dictionnaire universel de Trévoux de 1721, Dictionnaire de Commerce de Savary, d’Architecture de Daviler, ainsi que dans le Lexicon de Chauvin, dans celui de Harris, dans les ouvrages de Wolsius et dans bien d’autres qu’il ne cite pas, mais parmi lesquels on trouve le Dictionnaire historique de Moréri, les Mémoires de l’Académie des Sciences, etc.

Ce que cette Préface de Chambers nous rappelle donc avec simplicité c’est qu’il nomme ironiquement la flibuste est inhérente au genre même du Dictionnaire : l’art de chacun n’est que dans la manière dont il traite, legs ou pillage, son héritage ; en conséquence, le travail critique sur ces textes se doit donc de considérer cette circulation des articles comme une donnée générale, ce qui entraîne comme conséquence de faire de la recherche des sources lexicographiques, non un but en soi, mais un simple, quoiqu’indispensable, moyen d’approcher la manière de faire spécifique de chacun des auteurs de dictionnaire. Sous peine de naïveté, on ne s’offusquera donc pas dans les annotations de constater la « copie mot pour mot » de tel ou tel ouvrage puisque c’est là une donnée du genre.

Les encyclopédistes, à leur tour, ont pris, en la matière, le même parti que leurs prédécesseurs ; et, venant les derniers, face à ce tissu serré d’articles auxquels tant de mains avaient travaillé, il leur a été de même souvent impossible de rendre à chacun son dû.

L’Encyclopédie innova absolument en s’attirant le concours des savants spécialisés, qui fournirent certains de ces grands articles où se lit l’état le plus avancé de leurs sciences respectives ; c’est le cas de beaucoup des contributions des savoirs vivants : D’Alembert, Quesnay, Daubenton, Bordeu, Turgot, Dumarsais, Tronchin, Rousseau, etc. Pour une très grande partie des autres articles, les encyclopédistes demeurèrent dans la nécessaire tradition des abeilles et donc de la compilation livresque.

Et il faut ne jamais s’être demandé comment on a pu écrire les dix-sept volumes de discours de l’Encyclopédie pour s’en étonner encore.

La pratique encyclopédique

Plutôt que de sources, il convient souvent de parler d’outils de travail. Selon les domaines sur lesquels interviennent les encyclopédistes, chacun a ses outils de prédilection, notamment les dictionnaires. Ainsi l’Abbé Mallet utilise particulièrement le Trévoux pour ce qui concerne l’histoire ecclésiastique, les rites ; le Dictionnaire historique de Moréri ou celui de Chauffepié sont des outils de travail pour Jaucourt et pour ses biographies abritées dans les articles de géographie, le Trévoux, encore, pour Diderot et son dictionnaire de langue, les Synonymes français de Girard pour tous ceux qui se sont occupés d’article de synonymes, etc.

On distinguera, dans la pratique encyclopédique, la compilation pure, qu’on peut appeler la « copie conforme », de tout ce qui implique intervention même minime du rédacteur : condensation, abrègement, suppression ou, au contraire, ajout sont autant de marques éventuellement signifiantes. Ainsi, quand Diderot recopie les définitions de son Trévoux, dans l’article DAMNATION, il supprime : Trévoux, « Peine éternelle de l’enfer qu’on a méritée » / Diderot, « Peine éternelle de l’enfer » ; au contraire, dans l’article INCRÉÉ, il ajoute : Trévoux, « Qui n’a point eu de commencement » / Diderot, « Qui n’a point eu de commencement et conséquemment n’aura point de fin ».

Presque imperceptibles modifications, mais ô combien chargées de sens, et dont l’annotation doit rendre au lecteur moderne tous les enjeux.

Outre les dictionnaires, c’est aux traités et aux ouvrages fondamentaux de chaque science que les différents encyclopédistes s’adressèrent. Dans l’article ENCYCLOPEDIE, le principal éditeur, Diderot, explicite les exigences du travail de compilation, qui commence par la nécessité de se procurer les ouvrages importants :

Il faut analyser scrupuleusement & fidelement tout ouvrage auquel le tems a assûré une réputation constante [...]
Mais il y a des ouvrages si importans, si bien médités, si précis, en petit nombre à la vérité, qu’une Encyclopédie doit les engloutir en entier. Ce sont ceux où l’objet général est traité d’une maniere méthodique & profonde, tels que l’essai sur l’entendement humain, quoique trop diffus ; les considérations sur les mœurs, quoique trop serrées ; les institutions astronomiques, bien qu’elles ne soient pas assez élémentaires, &c. [...] Il faut distribuer les observations, les faits, les expériences, &c. aux endroits qui leur sont propres [...]
Il faut savoir dépecer artistement un ouvrage, en ménager les distributions, en présenter le plan, en faire une analyse qui forme le corps d’un article (Enc. V, p. 645v).

Recommandation que le travail du chevalier de Jaucourt illustre parfaitement. Jaucourt parce qu’il fut le plus prolifique des rédacteurs de l’Encyclopédie, fut aussi un compilateur hors-pair. Médecin de formation, esprit curieux et inlassable, il sut choisir, lire, résumer, trier, extraire, découper, recomposer un nombre incalculable d’ouvrages pour rédiger les 17 000 articles que l’Encyclopédie lui doit. Dans l’Avertissement du volume III, D’Alembert rappelait :

L’Encyclopédie n’est & ne doit être absolument dans sa plus grande partie qu’un Ouvrage recueilli des meilleurs Auteurs (p. vij).

Si un contributeur a entendu le sens de cette déclaration, publiée dès le Prospectus de 1750, ce fut bien Jaucourt. Comme le dit justement Olivier Ferret qui l’a particulièrement étudiée, la compilation chez Jaucourt « relève sinon d’un art, du moins d’une praxis » ( Ferret, 2016 , p. 334). On regardera avec profit un exemple passionnant de l’art de Jaucourt qui, pour composer l’article MAHOMETISME, se sert de 10 chapitres différents de l’Essai sur les Mœurs de Voltaire (ibid., p. 146-156). Il s’agit là de compilation virtuose !

Il va de soi – et ce sera aussi le cas pour Montesquieu dont l’œuvre est également « dépecée » pour fournir à Jaucourt nombre d’articles – que le seul montage des sources infléchit toujours le propos original et qu’il constitue ainsi une prise de position du rédacteur peu ou prou différente de celle de l’auteur de l’ouvrage utilisé (voir par exemple, le cas de l’article PETERSBOURG étudié par G. Dulac pour ENCCRE et dans ( Ferret, 2016 , p. 199 et suiv.). Percevoir dans ces élaborations nouvelles les infléchissements ou les altérations, c’est là un des grands intérêts du travail d’édition critique.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 8 décembre 2016

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « La place de la compilation », La fabrique de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

La question des attributions

Qui a écrit quoi dans l’Encyclopédie ? Quels sont les auteurs de tel article ou de tel autre ?


Cette version-là de la table des marques figure à la fin du volume III.

La première réponse à cette question pour les volumes de texte se trouve au début de l’« Avertissement », publié en tête du tome I, où les encyclopédistes précisent que « tous ceux qui ont travaillé à cette Encyclopédie devant répondre des articles qu’ils ont revûs ou composés, on a pris le parti de distinguer les articles de chacun par une lettre mise à la Fin de l’article ». Suit une table où l’on apprend que D’Alembert a signé ses articles de la marque (O), Goussier de la marque (D), Daubenton de la marque (I), ou Rousseau de la marque (S), etc. L’équipe des collaborateurs réguliers ayant évolué au cours de l’entreprise, on trouve de fait, dans les volumes successifs, plusieurs versions différentes de cette table : la signature (e) de Bourgelat apparaît ainsi dans la table placée à la fin du volume V, ou celles (D.J.) ou (C.D.J.) du Chevalier de Jaucourt dans la rubrique « Nom des auteurs » consultable au début du tome VI (voir notre table récapitulative des marques). À ces marques s’ajoutent enfin de nombreuses signatures explicites : par exemple « Article de M. de Voltaire », qui ne possède pas de marque dans l’ouvrage, ou « Article de M. le Chevalier de Jaucourt », qui ne fait pas systématiquement usage de la sienne. Ces mentions sont nombreuses et complètent donc significativement le système des marques. Jusqu’ici, rien de compliqué, du moins en apparence.

Entre les lignes, la table des marques du volume I nous informe en effet que la signature (G), de l’abbé Mallet, a été oubliée à la fin des articles Acte et Alcoran, que celle (L) de Tarin a été mise par erreur à la place de la marque (M) de Malouin à la fin de l’article Antimoine, etc. Plusieurs des autres tables indiquent de même d’autres erreurs.


Extrait de l’« ERRATA pour le quatrième volume ».

Les sept premiers volumes contiennent en outre plusieurs errata, parfois bien cachés, avec leur lot de nouveaux correctifs sur les signatures : ainsi l’« ERRATA pour le quatrième volume », publié dans le volume VI, nous demande-t-il d’ôter la lettre (d), marque d’Aumont, à la fin de l’article Digesteur et, a contrario, d’ajouter la lettre (b) de Venel à la fin de Diascordium.

Le système est surtout loin de couvrir l’intégralité des contributions, puisque sur les plus de 74 000 articles que compte l’Encyclopédie, 30 000 environ ne portent pas de signature. A qui peut-on les attribuer ? Pour quelques-uns, la réponse figure dans les textes liminaires d’un des volumes, comme la section du volume III intitulée « Nom des personnes qui ont fourni des articles ou des secours pour ce volume et les suivants ». Pour d’autres articles, on peut avoir recours à la remarque qui précise, à la toute fin de l’« Avertissement » du volume I, que « l orsque plusieurs articles appartenant à la même matiere, & par conséquent faits ou revûs par la même personne, sont immédiatement consécutifs, on s’est contenté quelquefois de mettre la lettre distinctive à la fin du dernier de ces articles ».

Dans la plupart des cas cependant, la question de l’attribution demeure ouverte. Elle devient l’objet d’étude du chercheur, qui établit des critères permettant d’attribuer tel ou tel article à tel ou tel contributeur, en fonction d’indices intérieurs et extérieurs à l’Encyclopédie, avec des degrés de certitudes divers. Auteur de 429 articles signés, le baron d’Holbach est ainsi crédité de plus 200 jusqu’à près de 600 articles supplémentaires, selon les chercheurs et les critères retenus.

Le problème des attributions dans l’Encyclopédie constitue une question aussi complexe qu’essentielle, face à laquelle l’ENCCRE a pris le parti de donner l’information la plus complète aux lecteurs, en repérant les signatures dans le texte, en explicitant les correspondances entre les marques et les contributeurs, en signalant les erratas et en indiquant les attributions possibles, systématiquement accompagnées des éléments et des références aux recherches permettant de les justifier.

par Alexandre Guilbaud

Date de dernière mise à jour : 12 juillet 2017

Pour citer cette notice : Alexandre Guilbaud, « La question des attributions », La fabrique de l’œuvre, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

La parution progressive et ses effets

Le travail de rédaction des 17 volumes de discours (articles) se poursuivit durant près de deux décennies. En effet, si le volume I parut, en 1751, sa préparation avait commencé 4 ans plus tôt au moins, soit en 1747 – date de l’engagement de Diderot et de D’Alembert dans l’entreprise –, tandis que le dernier volume de discours parut fin 1765, le dernier des planches paraissant en 1772.

Il est important de garder en mémoire le fait que, du tome I au tome VII, le dictionnaire encyclopédique a été publié à raison d’un volume par an et que, très souvent, la rédaction des articles eux-mêmes suivit le même rythme. Si certains collaborateurs, comme c’est le cas de Jean Jacques Rousseau pour la musique, rendirent la totalité de leurs articles en tout début d’entreprise, beaucoup d’autres contributeurs les rendirent volume par volume, c’est-à-dire année par année, au fil de l’alphabet. Et comme le nombre des contributeurs augmenta, les volumes grossirent au-delà des prévisions, et c’est ainsi que D’Alembert se trompa en annonçant à Maupertuis (dans sa lettre du 4 août 1752) la parution au volume III de son article COSMOLOGIE qui, en fait, ne put paraître qu’au volume IV !

Cette parution progressive de l’Encyclopédie fut tout à la fois un défaut et un avantage.

Un défaut, d’abord, car cet échelonnement temporel ne permit jamais à Diderot de réaliser le vœu de tout éditeur : « posséder toute sa copie » ! Or, pouvoir considérer l’ensemble des articles aurait permis de pallier les lacunes éventuelles de la nomenclature et les omissions, parfois importantes, qu’elles soient dues à la négligence, au décès, ou à l’abandon des contributeurs ; surtout, disposer de la totalité des articles aurait permis à l’éditeur d’organiser les renvois entre eux, ce qui manqua particulièrement, comme tout lecteur peut le constater. De tout cela, Diderot s’est bien expliqué dans l’article ENCYCLOPÉDIE :

La prélecture réitérée du manuscrit complet, obvieroit à trois sortes de supplémens, de choses, de mots, & de renvois. Combien de termes, tantôt définis, tantôt seulement énoncés dans le courant d’un article, & qui rentreroient dans l’ordre alphabétique ? Combien de connoissances annoncées dans un endroit où on ne les chercheroit pas inutilement ? Combien de principes qui restent isolés, & qu’on auroit rapprochés par un mot de réclame ? […] J’insiste d’autant plus fortement sur la nécessité de posséder toute la copie, que les omissions sont, à mon avis, les plus grands défauts d’un dictionnaire. Il vaut encore mieux qu’un article soit mal fait, que de n’être point fait. Rien ne chagrine tant un lecteur, que de ne pas trouver le mot qu’il cherche. (art. ENCYCLOPÉDIE)

Mais un avantage aussi, car cette parution au fil du temps et de l’alphabet permit à l’Encyclopédie de conserver un caractère d’actualité. Il arrive ainsi que des auteurs « se reprennent », reviennent sur ce qu’ils avaient écrit plus tôt, ou ajoutent des compléments à des articles publiés antérieurement, actualisant ainsi leur contribution.

Ces corrections, faites au fur et à mesure de la publication, relèvent souvent des Errata qui paraissaient dans un des volumes qui suivent celui où une erreur ou une lacune a été remarquée. C’est pourquoi la consultation des Errata est toujours nécessaire.

Les Errata permettent aussi de répondre à des critiques portées sur les volumes antérieurs. Par exemple, D’Alembert, dans les Errata, dans le volume II, pour répondre aux critiques faites par les jésuites à son article ANTIPODES, paru au volume I, glisse ironiquement ce paragraphe :

A l’article Antipodes, p. 513, lig. 50, après ces mots, du côté du fait, ajoûtez : Je dois avertir au reste que, selon plusieurs auteurs, ce Virgile n’étoit que prêtre, au moins dans le tems de cette affaire, & qu’il n’a été évêque de Saltzbourg que depuis ; que selon d’autres enfin, il n’a jamais été évêque ; question très-peu importante dans le cas dont il s’agit (vol. II, « Corrections et Additions pour le Premier Volume », p. iv)

Parfois, c’est dans l’Avertissement du volume, plutôt que dans les Errata, que paraît la mention de l’erreur commise et sa correction. On lit ainsi, par exemple, dans l’Avertissement du tome III, que « certains lecteurs ont regretté que le sujet de l’Affinité en chimie ait été oublié », et qu’« il sera traité à l’article Rapport » (vol. III, « Avertissement », p. x).

Quand survint l’interdiction de l’Encyclopédie, en 1758, les choses changèrent, évidemment. Les premiers volumes avaient eu une parution annuelle (vol. I, en 1751, vol. II, 1752, vol. III, 1753, IV, 1754, V, 1755, VI, 1756, VII, 1757). Arrêté après ce tome VII, l’ouvrage ne continua que de façon discrète sinon secrète et les 10 derniers volumes parurent tous ensemble et portant tous la même date : 1765. Mais cela n’empêcha pas les auteurs de se relire et de compléter des articles antérieurs. Ainsi Diderot se corrige et écrit, au vol. XVII, à l’article ZENDA VESTA (Philos. & Antiq.) :

cet article est destiné à réparer les inexactitudes qui peuvent se rencontrer dans celui où nous avons rendu compte de la philosophie des Parsis en général, & de celle de Zoroastre en particulier (XVII, p. 700b)

Autre exemple, celui du docteur Roux, qui écrit au vol. XV, dans l’article SUCCIN :

Cette substance est la même que celle qu'on appelle ambre jaune ; elle a été décrite dans le premier volume de ce Dictionnaire sous ce nom ; cependant on a cru devoir suppléer ici à ce qui peut manquer à cet article, afin de présenter aux lecteurs quelques observations sur cette substance, qui paroît avoir été méconnue de la plupart des naturalistes (XV, p. 601a)

Citons aussi le début de l'article REGULE d'ANTIMOINE, où d'Holbach corrige et met à jour ce qui avait été écrit à ANTIMOINE :

Dans l’article Antimoine, qui se trouve dans le premier volume de ce Dictionnaire, on n’a donné que des idées incompletes de cette substance ; on a donc cru devoir suppléer ici à ce qui manque à cet article, & traiter l’antimoine de la même maniere qu’on a suivie depuis pour tous les autres demi-métaux & métaux (XIV, p. 38a)

Enfin, le dernier volume comporte des « articles omis » : nouvelle occasion de réparer des erreurs ou d’ajouter de nouvelles informations. Jaucourt y donne, par exemple, un article ÉTAT en droit politique qui vient compléter celui qu’il avait fourni au volume VI et qu’il présente ainsi :

ETAT, (Droit politique.) il faut ajouter les réflexions suivantes de Bacon, à l’article du Dictionnaire (XVII, p. 771a)

Sans la scansion de la parution annuelle, il n’est pas aisé de savoir comment et quand furent rédigés ces derniers volumes, de VIII à XVII. Grâce à certains indices repérés dans les articles, on peut estimer cependant qu’ils furent pour beaucoup composés en suivant l’ordre alphabétique. Mais la recherche a encore beaucoup à découvrir notamment par le repérage systématique des dates livrées par les rédacteurs eux-mêmes.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 12 août 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « La parution progressive et ses effets », La fabrique de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les sources de l’Encyclopédie

L’histoire de l’Encyclopédie, si riche soit-elle, ne se limite pas aux années 1751-1772. Les ouvrages dont elle dérive constituent ses sources et, parmi elles, de nombreux Traités et surtout de nombreux Dictionnaires dont on donnera progressivement l’inventaire dans cette rubrique. Car la loi lexicographique d’emprunt général et réciproque s’est appliquée ici comme ailleurs. Ainsi l’Encyclopédie procède en partie du Dictionnaire de Trévoux de 1752 et de la Cyclopædia anglaise d’Ephraïm Chambers, qui procède elle-même du Dictionnaire de Trévoux de 1721, qui, lui-même, etc. : c’est un véritable matériau lexicographique commun qui circule en Europe au xviiie siècle (voir Les dictionnaires Uuniversels et La fabrique de l’Encyclopédie : la place de la compilation).

Il en est de même des volumes de l’Académie royale des sciences de Paris, dont l’histoire et les mémoires alimenteront aussi le contenu de multiples articles de l’Encyclopédie, à la fois directement et par le biais de ses emprunts à la Cyclopaedia et au Trévoux qui y ont déjà beaucoup puisé.

Les dictionnaires universels

Les Dictionnaires universels, de la fin du xviie siècle à l’Encyclopédie, ont constitué, de France en Hollande et en Angleterre, un genre en pleine expansion dont le Dictionnaire de Trévoux a été, avant l’Encyclopédie, la réalisation la plus achevée (voir M. Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie).

Remontons un bref instant à l’origine de ces dictionnaires. Le Dictionnaire Universel contenant généralement tous les mots français et les termes de toutes les sciences et des arts [...] d’Antoine Furetière, abbé de Chalivoy, paraît en 3 volumes in-folio en 1690, en Hollande. Pour la première fois dans l’histoire du français, et dans l’histoire alors encore très récente des dictionnaires monolingues (voir B. Quemada, Les Dictionnaires du français moderne), un recueil alphabétique visait à la fois l’universalité de l’idiome et le savoir sur les choses. Pierre Bayle, préfaçant l’ouvrage de Furetière, le soulignait : « Ce ne sont pas de simples mots qu’on nous enseigne, mais une infinité de choses, mais les principes, les regles & les fondemens des Arts & des Sciences » (non paginé, p. [2]).

La formule inventée par Furetière inaugura une longue série d’ouvrages. En voici une chronologie très succincte :

1690   Dictionnaire Universel de Furetière, Leers, La Haye, Rotterdam, 3 vol.
1701   Dictionnaire Universel, revu, augmenté par Basnage de Bauval, Rotterdam, 3 vol.
1704   Dictionnaire Universel Français et Latin, Ganeau, à Trévoux, 3 vol.
1704   Universal English Dictionary of sciences and arts, le Lexicon technicum, de Harris, London, 1 vol.
1708   Dictionnaire Universel de Basnage de Bauval, nouvelle éd.
1721   Dictionnaire Universel de Trévoux augmenté, 5 vol.
1727   Dictionnaire Universel de Brutel de la Rivière, La Haye, 4 vol.
1728   Cyclopædia or an universal dictionary of arts and sciences, d’Ephraïm Chambers, Londres, 2 vol.
1743   Dictionnaire Universel de Trévoux, 6 vol.
1752   Dictionnaire Universel de Trévoux, 8 vol., dont un de Supplément.

En 1751 avait paru le premier volume de l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers dont le titre a d’abord été Encyclopédie ou Dictionnaire universel des arts et des sciences.

En 1771, paraîtra la dernière édition du Trévoux.

Ces Dictionnaires universels se signalent par quelques caractéristiques récurrentes.

Des dictionnaires des sciences et des arts

Les Universels sont tous des dictionnaires des sciences et des arts, et non de purs dictionnaires de langue comme on le pense parfois des Trévoux. Plus on avance dans le siècle d’ailleurs, plus le contenu technique et scientifique de ces ouvrages augmente et s’affirme : ainsi le Trévoux de 1752 contient un article CONGELATION, de plus de dix colonnes (5 pages in-fol.), rapportant les expériences de l’Académie de Florence en matière de congélation artificielle, ou un article INDEFINI, de six pages, qui est un véritable traité de l’indéfinition en grammaire.

Ces recueils d’arts et de sciences se sont développés, au fil de leurs éditions, en faisant appel à des sources très diverses. Ce sont d’abord, bien sûr, les dictionnaires spécialisés, qui prolifèrent à l’époque comme le Dictionnaire historique de Moréri, le Dictionnaire Œconomique de Chomel, le Dictionnaire des termes de l’Architecture de d’Aviler, le Dictionnaire des Sciences et des Arts de Thomas Corneille, le Dictionnaire universel de Commerce de Savary, le Dictionnaire universel de Médecine de James (traduit de l’anglais par Diderot, Eidous et Toussaint), etc. Ce sont aussi les traités spécialisés (le Traité de police de De La Mare, l’Antiquité expliquée du père Montfaucon, etc.). L’actualité scientifique, elle, est intégrée par la mise à contribution, d’une part, des Mémoires des différentes académies (Furetière utilisait déjà les Mémoires de l’Académie royale des sciences, comme Chambers, plus tard, qui a utilisé aussi les Philosophical Transactions de la Royal Society), par le recours à l’extrait de journaux savants, d’autre part. On trouve d’ailleurs parfois les mêmes hommes, ou les mêmes groupes, à la tête de dictionnaires universels et de périodiques savants : Henri Basnage de Bauval, premier continuateur de Furetière, publiait l’Histoire des Ouvrages des Savants ; les auteurs du Dictionnaire de Trévoux collaboraient au journal jésuite, les Mémoires de Trévoux.

Le principal auteur du Dictionnaire de Trévoux de 1721, le père Étienne Souciet, utilisait aussi nombre d’outils dont disposait alors la Compagnie de Jésus : la riche bibliothèque du Collège Louis le Grand dont il devient responsable, la correspondance avec les Bollandistes, les relations de voyages des jésuites, parfois rédigées par le père Souciet lui-même, comme c’est le cas, par exemple, avec les Observations mathématiques, astronomiques, géographiques [...] faites nouvellement aux Indes et à la Chine par les Pères de la Compagnie de Jésus, Paris, 1729.

Certes, il s’agit là de savoirs hétérogènes, produits de la seconde main et accumulés par des polygraphes. Et c’est l’Encyclopédie qui innove, en s’attirant le vaste concours de savants spécialisés, Daubenton, Dumarsais, Boucher d’Argis, et tant d’autres. Pourtant, dès 1701, l’idée d’une nécessaire collaboration de spécialistes était apparue. Le savant oratorien Richard Simon l’avait énoncée, lors de son éphémère collaboration au premier Dictionnaire Universel de Trévoux :

[...] il n’étoit pas possible qu’un homme seul pût executer un si vaste dessein. Pour bien réüssir, il faudroit y employer au moins vingt personnes qui fûssent de differentes professions. Le Grammairien y expliqueroit ce qui regarde la Grammaire, le Philosophe ce qui regarde la Philosophie, le Théologien ce qui appartient à la Théologie [...]. (Mémoires de Trévoux, mars 1701, p. 100-101)

Cinquante ans plus tard, Diderot aura quasiment les mêmes mots dans l’article ENCYCLOPEDIE :

Quand on vient à considérer la matiere immense d’une Encyclopédie, la seule chose qu’on apperçoive distinctement, c’est que ce ne peut être l’ouvrage d’un seul homme. [...] qui est-ce qui définira exactement le mot conjugué, si ce n’est un géomètre ? le mot conjugaison, si ce n’est un grammairien ? [...] le mot hypostase, si ce n’est un théologien ? le mot métaphysique, si ce n’est un philosophe ? (Enc., V, p. 635b)

Il demeure que, pour se constituer en dictionnaires des arts et des sciences, les Universels ont utilisé des sources auxquelles, à leur tour, recourront souvent les polygraphes de l’Encyclopédie : on aura reconnu, parmi elles, mémoires, journaux, chacun des traités ou des dictionnaires mentionnés plus haut.

Des dictionnaires de langue

À la suite du Furetière, les Dictionnaires Universels en langue française sont aussi des dictionnaires de langue, plus riches et fournis d’ailleurs que le Dictionnaire de l’Académie française. Au contraire, le Lexicon technicum de Harris, la Cyclopædia de Chambers sont réservés aux arts et aux sciences, c’est-à-dire à la terminologie. En fait, en début d’ouvrage, c’est l’option purement terminologique de Chambers qui a été essentiellement suivie par les Encyclopédistes, limitant la nomenclature aux arts et aux sciences.

Mais, par la suite, à partir notamment du tome III, les Encyclopédistes ont donc très visiblement modifié une de leurs options de départ qui réservait l’ouvrage à la terminologie, et renoué avec la formule de Furetière et des Trévoux : dictionnaire de choses et dictionnaire de mots, ou, en parlant un langage plus contemporain, discours sur le monde et discours sur les signes. Pourquoi ? Sans entrer ici dans l’analyse de cette vaste problématique, on citera un passage, capital, de l’article ENCYCLOPÉDIE. Diderot, évoquant le but ultime de l’ouvrage, la sauvegarde pour le très lointain futur des connaissances acquises, s’arrête soudain :

Mais la connoissance de la langue est le fondement de toutes ces grandes espérances ; elles resteront incertaines, si la langue n’est fixée & transmise à la postérité dans toute sa perfection ; & cet objet est le premier de ceux dont il convenoit à des Encyclopédistes de s’occuper profondément. Nous nous en sommes apperçus trop tard [...]. (Enc., V, p. 637b)

Transmettre la langue pour transmettre les connaissances, définir ce qui sert à définir... Si Furetière revendiquait d’avoir écrit « l’Encyclopédie de la langue française », Diderot, soixante ans plus tard, au cœur du labeur encyclopédique, découvre que cette première des ambitions de Furetière est aussi une tâche philosophique majeure : « rendre toute la langue intelligible » (Enc. , V, p. 638b), fixer les sens pour ce temps inéluctable, où écrit-il, « la langue sera morte » (Enc. , V, p. 640[A]a). Il demeure que l’Encyclopédie est donc aussi un dictionnaire de langue commune, comme l’étaient alors les Universels en langue française, en opposition complète sur ce plan avec ce que nous appelons aujourd’hui « encyclopédie ».

Des ouvrages de combat

Les Dictionnaires universels, tout au moins de ce coté-ci de la Manche, sont très clairement inscrits dans une logique de combat. Furetière, en effet, avait eu une descendance contradictoire. Son œuvre interdite de publication en France et éditée en Hollande, a d’abord été recueillie par les huguenots du Refuge. Henri Basnage de Bauval, tout en augmentant et perfectionnant l’ouvrage, procède à une véritable calvinisation du dictionnaire : il corrige systématiquement les définitions marquées par le catholicisme de Furetière, abbé de Chalivoy. C’est, selon le compte rendu publié dans les Mémoires de Trévoux, un Dictionnaire infecté du « venin de l’Hérésie » (janvier-février 1701, p. 224) qui paraît donc en 1701. En 1704 est publié le premier Trévoux : l’ouvrage, anonyme, est en fait une contrefaçon du Furetière de Basnage, moyennant quelques transformations, dont les équivalents latins des mots, et la « re-catholicisation ».

Une guerre des dictionnaires universels est dès lors engagée pour l’hégémonie lexicographique, entre calvinistes de Hollande et jésuites de Paris. La guerre se mène également entre de puissants libraires côté hollandais et côté français. Cette guerre, qui durera plus de vingt ans, est livrée pour la maîtrise d’une des grandes voies neuves de diffusion du savoir, le Dictionnaire universel, dans une langue alors dominante, le français.

À partir de 1727, le Trévoux demeure maître du domaine en langue française. Sa circulation est si vaste, son usage, si répandu que D’Alembert, dans l’Avertissement du tome VI, en note, le désigne d’une périphrase : « un Dictionnaire qui est entre les mains de tout le monde » (Enc., VI, p. v). Cette hégémonie du Trévoux, seule, la parution de l’Encyclopédie viendra la remettre en cause, dans les années 1750, ouvrant une nouvelle phase aiguë dans la longue guerre des dictionnaires (voir La bataille de la publication).

Le matériau commun et ses traitements

Enfin une caractéristique dérive des précédentes : tous les Dictionnaires universels procèdent les uns des autres. Le dictionnaire de Basnage est nourri du Furetière, le Trévoux est nourri du Basnage, voire du Lexicon Technicum de Harris. Chambers, quant à lui, utilise largement les ouvrages de Harris, de Basnage, et particulièrement le Trévoux de 1721. Quant à l’Encyclopédie, hormis la Description des arts, et l’Histoire de la Philosophie (voir J. Proust, Diderot et l’Encyclopédie), et hormis bien sûr les grandes contributions originales des Bordeu, Turgot, Rousseau, D’Alembert, etc., elle utilise à son tour la Cyclopædia et le très copieux Trévoux.

Car on peut aisément suivre le trajet, et les transformations, de nombreux articles de Furetière, réformés par Basnage, revus par les Trévoux, traduits et adaptés par Chambers, et revenant en traduction aux mains des Encyclopédistes, qui avaient par ailleurs le Trévoux sous les yeux. C’est pourquoi il est particulièrement comique de voir aujourd’hui certains néophytes prétendre avoir découvert que les Encyclopédistes ont « pillé » le Trévoux ! En revanche, ce qui est intéressant, c’est de constater l’existence d’un véritable matériau lexicographique européen commun aux Dictionnaires universels de la fin du xviie siècle à l’Encyclopédie (et plus tard encore, mais c’est une autre histoire...).

Indications bibliographiques

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie. Diderot, de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 375, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, rééd. 2008.

Marie Leca-Tsiomis, « De Furetière à l’Encyclopédie : naissance et critique du Dictionnaire universel », L’Encyclopédie, du réseau au livre et du livre au réseau, Philippe Roger et Robert Morrissey (éd.), Paris, Champion, 2001, p. 37-49.

Marie Leca-Tsiomis, « L’Encyclopédie et ses premiers épigones : le Grand vocabulaire français de Panckoucke et le dernier Trévoux », Le travail des Lumières, Hommage à G. Benrekassa, Nicole Jacques-Lefèvre, Yannick Séité et al. (éd.), Paris, Champion, 2002, p. 455-472.

Marie Leca-Tsiomis, « Les dictionnaires comme vecteurs de savoir », La Construction des savoirs, Lise Andries (éd.), Lyon, Presses de l’École normale Supérieure de Lyon, 2009, p. 29-42.

Jean Macary, « Les Dictionnaires universels de Furetière et de Trévoux et l’esprit encyclopédique moderne », Diderot Studies, 16, 1973, p. 145-158.

Robert Morin, « Diderot, l’Encyclopédie et le Dictionnaire de Trévoux », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 7, octobre 1989, p. 71-119.

Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie (1962), Paris, Albin Michel, 1995.

Bernard Quemada, Les Dictionnaires du français moderne (1539-1863), Paris, Didier, 1968.

Daniel Teysseire, Pédiatrie des Lumières, maladie et soins des enfants dans l’Encyclopédie et dans le Dictionnaire de Trévoux, Paris, Vrin, 1982.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 30 décembre 2014

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Les dictionnaires universels », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Le Dictionnaire universel de Trévoux

L’origine de l’Encyclopédie est à chercher dans le Dictionnaire universel d’Antoine Furetière, publié en 1690, à La Haye et Rotterdam, grâce aux soins de Pierre Bayle, réfugié en Hollande, après la révocation de l’Édit de Nantes (voir A. Rey, Antoine Furetière).

Les deux éditions du Trévoux les plus utilisées par les encyclopédistes

Dictionnaire universel françois et latin, Paris, 1743
t. I [A-CHASNAH] / t. II [CHE-EZT] / t. III [F-KZEL] / t. IV [L-PAZZI] / t. V [PE-SZEKELI] / t. VI [T-ZYTHUM].

Dictionnaire universel français et latin, Paris, 1752
t. I [A-BYZ] / t. II [C-DES] / t. III [DET-FY] / t. IV [G-LYT] / t. V [M-PIR] / t. VI [PIS- TEZ] / t. VII [THA-ZYT].

L’ouvrage de Furetière a constitué en son temps une totale innovation : recueil « universel », c’était un dictionnaire de langue, de grande ampleur, intégrant la langue populaire et la langue ancienne, mais aussi un dictionnaire des sciences et des arts, pour la première fois dans l’histoire du français – et dans l’histoire alors très récente des dictionnaires monolingues – et, plus largement encore, dans l’histoire des langues en Europe (Voir Dictionnaires en Europe, éd. M. Leca-Tsiomis).

Le Dictionnaire universel de Furetière obtient un succès considérable en France ; il est continué et augmenté d’abord en Hollande, en 1701, par l’ami de Bayle, Henri Basnage de Bauval. Côté français, des jésuites, soutenus par le duc du Maine dans sa juridiction de Trévoux, organisent anonymement le rapt de cet ouvrage de grande diffusion : le Dictionnaire universel de Furetière continué par Basnage de Bauval est donc catholicisé et, moyennant l’ajout de mots latins, publié, en 1704, sous le titre de Dictionnaire universel français-latin. Comme les jésuites ont nié en être auteurs, on nomme donc les éditions successives du dictionnaire par son premier lieu d’édition : « Trévoux ». (Sur l’histoire des Universels en Hollande et sur l’histoire des Trévoux, voir M. Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, 1re partie).

Débute alors, sur fond de guerre entre la France et les Provinces-Unies, une guerre entre dictionnaristes protestants et jésuites, engendrant elle-même une guerre entre libraires éditeurs des deux côtés. De part et d’autre, les éditions se répondent : à l’Universel de Trévoux de 1704 réplique l’Universel de Basnage de 1708 ; puis paraissent le Trévoux de 1721, considérablement augmenté et qui ouvre la voie aux grandes éditions suivantes, et enfin, en 1727, le dernier Universel hollandais, du pasteur Brutel de La Rivière (voir M. Leca-Tsiomis, « De Furetière à Panckoucke... »). Après 1727, le Trévoux demeure donc maître de la lexicographie universelle en langue française.


Page de titre du Dictionnaire de Trévoux,
dans son édition de 1743.

Avant la publication de l’Encyclopédie en 1751, le Trévoux a connu notamment trois éditions importantes, chacune augmentée – 1721 (5 vol.), 1743 (7 vol.), 1752 (8 vol.) –, dont le principal auteur est le jésuite Étienne Souciet, bibliothécaire du collègue Louis le Grand (voir les Dictionnaires universels). Le seul autre « Dictionnaire universel » à voir le jour dans l’espace européen est la Cyclopædia, or, an Universal Dictionary de Chambers , en 1728 ; cependant, non seulement il est de moindre ampleur (2 volumes in folio contre 5 pour le Trévoux de 1721) mais aussi, malgré son nom, il s’agit d’un ouvrage réservé à la seule terminologie des sciences et des arts (voir M. Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, 2e partie, chap. 2).

Dans les années 1750, la circulation du Trévoux est si vaste, et son usage si répandu, que D’Alembert, dans l’Avertissement du tome VI de l’Encyclopédie, le désigne d’une périphrase : « un Dictionnaire qui est entre les mains de tout le monde » (Enc., VI, p. v, n.**). La parution de l’Encyclopédie – qui a d’abord comme second titre « Dictionnaire universel » – change la donne en 1751, et donne lieu à une nouvelle bataille dans la longue guerre des dictionnaires (voir La bataille de la publication).

Très vaste répertoire tant de termes techniques que de mots du lexique courant, traversé par la plupart des conflits religieux et politiques du temps, le Dictionnaire universel de Trévoux est mis à contribution par Chambers d’abord, puis par les encyclopédistes eux-mêmes pour lesquels il constitue non seulement une source d’informations mais aussi un véritable instrument de travail sur la critique duquel se construit l’Encyclopédie. La nomenclature de l’Encyclopédie, en particulier, c’est-à-dire la liste des mots à définir, provient, moyennant des exclusions et des apports originaux, de celle des éditions du Trévoux de 1743 puis 1752. (Sur le détail des usages encyclopédistes du Trévoux, voir M. Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, 2e partie, chap. 1). C’est qu’à l’horizon des dictionnaires, au milieu du XVIIIe siècle, la place occupée par le Trévoux en fait à la fois, pour les auteurs du Dictionnaire raisonné, une source incontournable (voir La place de la compilation), mais aussi une cible intellectuelle et quelque chose comme une étape déjà dépassée…

Comme il est de bonne (ou de mauvaise) guerre, le jésuite Berthier dans ses Mémoires de Trévoux, accuse, dès 1751, les encyclopédistes d’avoir copié le Trévoux, à quoi les éditeurs répondent, dans l’Avertissement du tome III de l’Encyclopédie, que le Trévoux lui-même n’était que le fruit d’un plagiat... Il est amusant de voir aujourd’hui des recherches très informatisées mais fort peu informées relayer l’accusation jésuite ! (voir M. Leca-Tsiomis, « Du bon usage de l’informatique... »).

En 1771, donc après l’interdiction des jésuites et la fin des volumes de discours de l’Encyclopédie, paraît une dernière édition du Trévoux ; et, comme le veut la logique lexicographique, elle est elle-même très largement inspirée par... l’Encyclopédie ! (Voir M. Leca-Tsiomis, « L’Encyclopédie et ses premiers épigones ».)

Principales éditions du Dictionnaire de Trévoux

On retiendra ici, outre la première qui n’est guère qu’un plagiat de Basnage de Bauval, mâtiné de latin, les éditions qui constituent, à partir de 1721, la série des grands Trévoux parisiens. Il existe des éditions intermédiaires comme celles qui parurent à Nancy en 1734 et en 1740, et qui, conformes aux éditions parisiennes ont déclenché une guerre entre les possesseurs parisiens du privilège et le libraire de Nancy (voir P. Rétat, « L’âge des dictionnaires »).

1704 : Dictionnaire universel français et latin, à Trévoux, chez Estienne Ganeau, 3 vol.

1721 : Dictionnaire universel français et latin, imprimé à Trévoux se vend à Paris, chez Florentin Delaulne, Hilaire Foucault, Michel Clousier, Jean-Geoffroy Nyon, Estienne Ganeau, Nicolas Gosselin, 5 vol.

1743 : Dictionnaire universel français et latin (vendu par souscription), à Paris, chez Veuve Delaulne, veuve Ganeau, Gandoin, Le Gras, Cavelier, Vincent, Coignard, Mariette fils, Giffart, Guérin, Rollin fils, Le Mercier et Boudet, 6 vol.

1752 : Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, à Paris, Vve Gandouin, Le Gras, Vve Cavelier, Vincent père, Gillart père, Le Mercier, Gissey, Desaint et Saillant, Hérissant, Bordelet, Savoye, Ganeau, Bauche fils, Durand, D’Houry, Le Prieur, 7 vol. + 1 vol. de supplément (contenant les ajouts déjà intégrés dans le corps du dictionnaire).

1771 : Dictionnaire universel français et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux, à Paris, par la Compagnie des Libraires associés, 8 vol.

Indications bibliographiques

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie. Diderot, de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 375, Oxford, Voltaire Foundation, 1999, rééd. 2008.

Marie Leca-Tsiomis, « De Furetière à Panckoucke : les joutes confessionnelles des dictionnaires et encyclopédies », L’Encyclopédie d’Yverdon et sa résonance européenne : contextes, contenus, continuités, éd. A. Cernuschi, J.-D. Candaux, C. Donato et J. Häseler, Genève, Slatkine, 2005, p. 13-29.

Marie Leca-Tsiomis, « L’Encyclopédie et ses premiers épigones. Le Dictionnaire de Trévoux de 1771 et le Grand vocabulaire français », Le Travail des Lumières. Hommage à G. Benrekassa, éd. Y. Séité et al., Paris, H. Champion, 2002, p. 455-472.

Marie Leca-Tsiomis, « Du bon usage de l’informatique dans la recherche littéraire et historique », Dix-huitième siècle, 46, 2014, p. 189-202.

Jean Macary, « Les Dictionnaires universels de Furetière et de Trévoux, et l’esprit encyclopédique moderne avant l’Encyclopédie », Diderot Studies, 16, 1973, p. 145-158.

Bernard Quemada, Les Dictionnaires du français moderne (1539-1863), Paris, Didier, 1968.

Pierre Rétat, « L’âge des dictionnaires », Histoire de l’édition française, t. II : Le livre triomphant 1660-1830, éd. Roger Chartier et Henri-Jean Martin, Paris, 1984.

Alain Rey, Antoine Furetière. Un précurseur des Lumières sous Louis XIV, Paris, Fayard, 2006.

Daniel Teysseire, Pédiatrie des Lumières. Maladies et soins des enfants dans l’Encyclopédie et le Dictionnaire de Trévoux, Paris, Vrin, 1982.

Chantal Wionet, « L’esprit des langues dans le Dictionnaire universel de Trévoux (1704-1771) », Dictionnaires en Europe, éd. M. Leca-Tsiomis, Dix-huitième siècle, 38, 2006, p. 283-302.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 17 octobre 2015

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Le Dictionnaire universel de Trévoux », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

La Cyclopædia de Chambers


Page de titre de la Cyclopædia,
dans son édition de 1728.

Cyclopædia, or, an Universal Dictionary of Arts and Sciences: Containing the Definitions of the Terms, and Accounts of the Things Signify’d Thereby, in the Several Arts, both Liberal and Mechanical, and the Several Sciences [...]. La première édition de la Cyclopædia éditée par Ephraïm Chambers est publiée à Londres en 1728 en deux volumes in-folio. Elle offre un prototype d’encyclopédie moderne tant dans son contenu que dans sa forme.

La Cyclopædia de Chambers connaît plusieurs rééditions à Londres et Dublin (1738, 1740, 1741, 1741-1743, 1742, 1750, 1751-1752) suivies par un supplément publié à Londres en 1753. Le nombre élevé de rééditions pendant une période assez courte témoigne du succès du dictionnaire anglais dans les milieux intellectuels d’outre-Manche.

La réputation de la Cyclopædia ne laisse pas d’atteindre rapidement le continent européen et bien des libraires trouvent dans ce dictionnaire novateur une veine commerciale. Une traduction italienne (1748-1749) est ainsi publiée à Venise. On a aussi tenté une traduction en français avant la parution de la traduction italienne. Mais cette traduction française de la Cyclopædia, qui ne verra finalement pas le jour, inspirera pourtant l’Encyclopédie, ce dictionnaire encyclopédique d’une tout autre envergure.

La traduction de Chambers, point de départ de l’Encyclopédie

En 1745, un traducteur nommé Gottfried Sellius propose à l’important libraire parisien Le Breton de traduire la Cyclopædia en français avec l’aide d’un certain John Mills. Les deux traducteurs signent le contrat, mais ils s’avèrent rapidement incompétents. Le Breton rompt avec eux et, s’associant avec Briasson, David et Durand, il confie la direction scientifique de l’Encyclopédie d’abord à l’abbé De Gua de Malves et finalement, en 1747, à Diderot et D’Alembert. Le reste de l’histoire est bien connu...

L’Encyclopédie dépasse de très loin une simple traduction de la Cyclopædia. Il est probable que Diderot et D’Alembert aient eu à leur disposition une première traduction des articles de la Cyclopædia et qu’ils aient fait retraduire ou retraduire eux-mêmes ceux qu’ils jugèrent inacceptables. Le livre de comptes des libraires associés (publié par Louis-Philippe May en 1938 et conservé aux Archives nationales, Paris) fait apparaître de nombreux paiements à divers savants à partir de 1745. Dans ses deux lettres à Adhémar d’avril et mai 1746 (lettres 46.03 et 46.04 dans l’édition des Œuvres complètes de D’Alembert), D’Alembert décrit explicitement son travail :

si je n’avois tous les jours une certaine tâche d’ecriture a faire, qui est la traduction d’une colomne par jour du dictionnaire anglois des arts (c’est ce que je vous ay dit qui me vaut trois louis par mois) je serois actuellement homme de lettres sans plume ny ancre » (Lettre de D’Alembert à Adhémar, mi-mai 1746).

Quelle édition de la Cyclopædia a été utilisée par les encyclopédistes ?

L’identification de l’édition ou des éditions qui servirent à la traduction est une tâche extrêmement séduisante mais délicate, la première traduction de la Cyclopædia, que Diderot appelle « un rouleau de papiers, qu’il ne s’agissoit que de revoir, corriger, augmenter » (art. ENCYCLOPÉDIE, Enc., t. V, p. [644b]), étant introuvable, voire perdue. Yoichi Sumi, en s’appuyant sur une comparaison rigoureuse de plusieurs éditions de la Cyclopædia portant sur un certain nombre d’articles, estime que l’édition la plus probablement employée pour la traduction est la cinquième édition, de 1742. La question reste complexe : il se pourrait, par exemple, que les traducteurs employés par les libraires et nos deux éditeurs se soient servis de plusieurs éditions à la fois et, selon la disponibilité, des nouvelles éditions ou suppléments. Nous vous renvoyons à l’article d’Irène Passeron (2006) qui effectue une petite synthèse sur ces questions en donnant l’état présent des travaux sur le sujet.

L’originalité de l’Encyclopédie par rapport à la Cyclopædia

Dans le Prospectus de l’Encyclopédie, Diderot, en admettant tout ce qui est dû à Chambers (ordre alphabétique, arbre de la connaissance humaine et système de renvois, etc.) souligne qu’une simple traduction de la Cyclopædia aurait été inutile. La raison en est que Chambers lui-même avait beaucoup emprunté à des dictionnaires et des ouvrages français tels que le Furetière , le Trévoux et le Dictionnaire de commerce de Savary, etc. (voir Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, « L’Encyclopédie et la Cyclopædia », p. 184-229). En analysant la traduction de la Cyclopædia, Diderot identifie de nombreuses lacunes dans les articles sur les sciences et les arts libéraux. Chambers n’ayant puisé ses sources que dans des livres, Diderot juge aussi nécessaire de refaire la totalité des articles sur les métiers qui demandaient à être complétés par l’exposé des connaissances pratiques provenant des artistes eux-mêmes, ainsi que par des planches. Tout en s’inspirant de l’arbre de la connaissance humaine de Francis Bacon employé par Chambers, il invente le Systême figuré des connoissances humaines qui permet d’ordonner les connaissances humaines selon l’ordre métaphysique des opérations de l’esprit en les attachant aux embranchements des trois facultés de l’entendement humain (mémoire, raison et imagination), ce qui constitue une des originalités de l’Encyclopédie, sous-titrée « dictionnaire raisonné des sciences et des arts ».

L’usage de la Cyclopædia dans l’Encyclopédie

Ressources en ligne

Cyclopaedia, or, an universal dictionary of arts and sciences, 1st éd., London, 1728
t. I / t. II.

Cyclopaedia, or, an universal dictionary of arts and sciences, 5th éd., London
t. I (1741) / t. II (1743).

Pour accéder à d’autres éditions de la Cyclopaedia, suivez ce lien.

Parmi les sources de la Cyclopaedia de Chambers, l’édition de 1721 du Dictionnaire universel de Trévoux :
t. I / t. II ; t. III / t. IV / t. V.

Pour savoir dans quelle mesure l’Encyclopédie emprunte à la Cyclopædia, il faut entreprendre de comparer les deux dictionnaires tome par tome et mot par mot, en commençant par les articles homonymes ou correspondants. L’ingratitude apparente de cette lourde tâche explique peut-être pourquoi, comme Marie Leca-Tsiomis le remarque après John Lough, « il n’existe, à notre connaissance du moins, aucun travail de comparaison systématique des contenus des deux ouvrages » (Écrire l’Encyclopédie, p. 184-185). Nous pouvons néanmoins dessiner une première esquisse de la façon dont certains encyclopédistes ont utilisé Chambers grâce à de nombreux cas concrets d’emprunt étudiés par les chercheurs au cours des dernières décennies.

Les emprunts de la Cyclopædia dans l’Encyclopédie sont de deux types, explicites ou non selon que le collaborateur réfère ou non à Chambers ou non dans l’article (les emprunts explicites portent souvent la mention « Chambers » en fin d’article ou de paragraphe). Mais on peut également noter différents degrés d’emprunt. Ce peut être la traduction entière d’un article, l’ajout de quelques phrases de commentaire, la traduction de la seule définition du mot accompagnée d’arguments originaux, ou encore le résumé d’un article, avec renouvellement des informations par des faits et des références récents.

D’Alembert, qui se charge des domaines mathématiques et physico-mathématiques, fait beaucoup d’emprunts explicites ou implicites à Chambers. Dès qu’il s’agit néanmoins de questions sur lesquelles il a travaillé, le savant donne son point de vue et l’argumente en ajoutant des informations nouvelles. Ainsi, l’article ATTRACTION, ATTRACTIO OU TRACTIO est pour une large part tiré de Chambers qui fournit un résumé de la philosophie naturelle newtonienne. Mais D’Alembert complète Chambers en y résumant des expériences tirées de l’ Essai de physique de Musschenbroek favorables à la thèse de l’attraction newtonienne. Il n’hésite pas, par ailleurs, à s’engager dans des controverses scientifiques en ajoutant au texte anglais des éléments polémiques, comme cette critique des tourbillons cartésiens, système auquel il juge préférable de renoncer au profit de celui de Newton.

Le cas de Diderot est un peu différent. Il ne se contente pas de traduire tels quels les articles de Chambers, mais remonte souvent aux dictionnaires français comme le Trévoux et le Furetière, voire le Moréri auxquels Chambers avait puisé, ou renouvelle les informations en utilisant des monographies ou traités de différents auteurs. Les articles CERTITUDE ou INCORPOREL, entre autres, nous montrent la difficulté d’identifier les « sources » d’un article dans la mesure où ils sont composés d’emprunts d’origines diverses et à divers degrés. Le cycle d’emprunts remontant par exemple de Chambers au Trévoux, etc., et le caractère hybride des emprunts faits par Diderot dans ses articles sont de nature à remettre en question la définition du « pillage » imputé à l’Encyclopédie par ses adversaires comme le P. Berthier, rédacteur des Mémoires de Trévoux (voir M. Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, p. 206).

Pour un plus grand détail sur le cycle d’emprunts réciproques faits par l’Encyclopédie, la Cyclopaedia de Chambers, les éditions du Trévoux, du Furetière, etc., et sur la difficulté de déterminer leurs « sources », voyez l’étude fondatrice de Marie Leca-Tsiomis (1999) et les articles d’Alain Cernuschi (2010) et Motoichi Terada (2012) qui retracent les circuits d’emprunts qui relient l’Encyclopédie, Chambers et l’ Histoire et mémoires de l’Académie royale des sciences .

Indications bibliographiques

Lael Ely Bradshaw, « Ephraim Chambers’s Cyclopædia », Notable encyclopedias of the seventeenth and eighteenth century: nine predecessors of the « Encyclopédie », Frank A. Kafker (éd.), Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 194, Oxford, Voltaire Foundation, 1981, p. 123-140.

Alain Cernuschi, « Un intermédiaire entre les Mémoires de l’Académie des sciences et l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 45, 2010, p. 129-143. [consulter]

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie. Diderot : de l’usage des dictionnaires à la grammaire philosophique, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 375, Oxford, Voltaire Foundation, 1999.

John Lough, The Encyclopédie, London, 1971 (Slatkine Reprints, 1989).

Louis-Philippe May, Documents nouveaux sur l’Encyclopédie : histoire et sources de l’Encyclopédie d’après le registre de délibérations et des comptes des éditeurs, et un mémoire inédit, Revue de synthèse, 15, 1938, p. 7-110.

Irène Passeron, « Quelle(s) édition(s) de la Cyclopædia les encyclopédistes ont-ils utilisée(s) ? », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 40-41, 2006, p. 287-292.

Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 37, décembre 2004, consacré à la préface de la Cyclopædia de Chambers, traduite par Michel Malherbe. [consulter]

Yoichi Sumi, « De la Cyclopædia à l’Encyclopédie : traduire et réécrire », Sciences, musiques, Lumières. Mélanges offerts à Anne-Marie Chouillet, Ulla Kölving et Irène Passeron (éd.), Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du xviiie siècle, 2002, p. 409-419.

Motoichi Terada, « Une “façon” copiée-collée de l’Encyclopédie ? : avatars de texte des HMARS à l’Encyclopédie par l’intermédiaire de E. Chambers », Recueil d’études sur l’Encyclopédie et les Lumières, 1, 2012, p. 1-40.

par Hisashi Ida

Date de dernière mise à jour : 17 octobre 2015

Pour citer cette notice : Hisashi Ida, « La Cyclopædia d’Ephraïm Chambers », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Le Dictionnaire universel de commerce de Savary

Le Dictionnaire universel de commerce, premier dictionnaire spécialisé traitant du commerce en Europe, fut édité par les frères Jacques Savary des Brûlons (1657-1716) et Philémon-Louis Savary (1654-1727), dont le père était déjà l’auteur d’un traité nommé le Parfait négociant. Depuis sa publication, en 1723, ce dictionnaire a connu non seulement plusieurs éditions, revues et augmentées, mais aussi plusieurs traductions en différents pays. Il constitue l’une des références importantes concernant le commerce au xviiie siècle, et permet de disposer de beaucoup d’informations sur les mœurs et les coutumes commerciales de l’époque. Son nom est bien sûr cité dans l’Encyclopédie.

Le travail du Dictionnaire de commerce

À l’origine, ce dictionnaire ne visait pas le public ; il était simplement le manuel personnel de Savary des Brûlons, inspecteur général de la douane à Paris. Mais peu à peu, par la mise en ordre alphabétique des informations sur le commerce et sur l’industrie, en France et à l’étranger, Savary ébaucha un lexique. Ce lexique, au départ privé, a pris de l’ampleur et son domaine s’est élargi grâce au secours des inspecteurs de provinces. Beaucoup de documents furent envoyés par les chambres de commerce de France, l’auteur bénéficiant d’un vaste réseau de renseignements.

En 1713, soit trente ans après que Savary a entrepris son travail, parut l’annonce de son dictionnaire qui devait compter un volume. Mais la parution eut lieu en réalité en 1723 et comportait alors deux volumes in-folio. Entre-temps, en 1717, Savary des Brûlons était mort, confiant son ouvrage à son frère Philémon-Louis qui l’aidait, tout en remplissant ses fonctions ecclésiastiques. En 1730 parut un supplément d’après les documents inédits des frères Savary. Ces trois volumes constituent la première édition de Dictionnaire universel de commerce.


Page de titre du Dictionnaire universel
de commerce
, dans son édition de 1750.

Le dictionnaire renferme de vastes connaissances sur les produits et les relations commerciales établies du milieu du xviie au début du xviiie siècle. Parmi ses autres sources importantes, citons un ensemble de documents légués par son père, Jacques Savary ; des ordonnances et des règlements que des hommes politiques puissants lui ont permis de consulter, notamment grâce à l’appui du Chancelier d’Aguesseau et du marquis d’Argenson, alors lieutenant général de la Police ; des mémoires de l’Académie et des récits de voyage ; des ouvrages contemporains enfin, comme, par exemple, ceux de Jean-Pierre Ricard, auteur du Négoce d’Amsterdam, du grand botaniste Tournefort (1656-1708), etc.

Ce dictionnaire fut très bien reçu en France, ainsi qu’en Suisse francophone. Il fut traduit en italien (en 1770) et en anglais, la traduction anglaise ayant connu quatre éditions (en 1750, 1757, 1766, 1774). Au fur et à mesure des réimpressions du Savary, deux séries différentes prirent naissance : l’édition parisienne et l’édition genevoise. La première est une pure et simple réédition de la première édition (Paris en 1741, 1748 et à Amsterdam en 1726-1732), tandis que la seconde fut revue et augmentée (à Genève en 1742, 1750 et à Copenhague en 1759-1765). Si « la veuve Estienne » apparaît comme maison d’édition dans l’édition de 1750, il s’agit en fait de la réimpression de celle de 1742 parue à Genève.

Le Dictionnaire de Savary et l’Encyclopédie

L'édition utilisée par les encyclopédistes est celle de 1748

Jacques Savary des Brûlons et Philémon-Louis Savary (éd.), Dictionnaire universel de commerce, Paris, Veuve Estienne et Fils, 1748 :
t. I (A-B) / t. II (C-Kru) / t. III (L-Z).

Pour les liens vers les autres éditions, voir plus bas.

On rencontre très souvent des emprunts au Dictionnaire universel de commerce dans l’Encyclopédie, avec ou sans citation de l’ouvrage. Les encyclopédistes consultèrent et utilisèrent l’édition parisienne de 1748 : autrement dit, des connaissances réunies autour des années 1700, tandis que les éditions genevoises avaient commencé à actualiser leurs informations au début des années 1740. On peut dire, par conséquent, qu’un grand nombre d’informations provenant de Savary se sont maintenues jusqu’au milieu du xviiie siècle par l’intermédiaire de l’Encyclopédie.

Mais au fur et à mesure de ses rééditions, le Dictionnaire universel de commerce emprunta lui-même à l’Encyclopédie. Entre 1742 et 1765, de plus en plus d’articles ont été revus et augmentés : dans l’édition de Copenhague, considérée comme définitive, et composée en cinq volumes in-folio, la plus volumineuse dans sa série, on trouve des articles marqués « * » ou « ** » indiquant les modifications ou augmentations, souvent accompagnées du mot « Encyclopédie ». Le Dictionnaire de Savary a ainsi contribué à répandre, dans l’Europe du Nord, les connaissances réunies dans l’Encyclopédie.

En outre, une autre édition de l’Encyclopédie, celle de Lucques, utilisa le Dictionnaire universel de commerce pour la rédaction des notes en bas de pages. La collation de la pagination mentionnée permet de voir que les rédacteurs lucquois ont consulté l’édition genevoise de 1742 du Savary. Ces emprunts ne font pas apparaître d’intention critique de l’éditeur lucquois à l’égard de l’Encyclopédie parisienne : il ne s’agissait que de poursuivre le renouvellement des informations liées au commerce dans un souci de développement de la ville.

Le Dictionnaire universel de commerce cessa de paraître à partir des années 1770, après s’être acquitté de sa mission. Mais son nom n’a pas pour autant rapidement disparu. Au xviiie siècle, l’abbé Morellet (1727-1819) envisagea un « Nouveau Dictionnaire de commerce », dont il ne donna que le Prospectus (1769), et Jacques Peuchet (1758-1830) donna un Dictionnaire universel de la géographie commerçante (1799-1800).

Les éditions du Dictionnaire universel de commerce

1723 [-1730]. Dictionnaire universel de commerce, Paris, J. Estienne. 3 vol. in-folio.

1726 [-1732]. Dictionnaire universel de commerce, Amsterdam, Les Jansons, 4 vol. in-4o.

1741. Dictionnaire universel de commerce, Paris, La veuve Estienne, 3 vol. in-folio.

1742. Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle, & des arts & métiers, Genève, Les héritiers Clamer et frères Philibert, 4 vol. in-folio.

1748. Dictionnaire universel de commerce, Paris, La veuve Estienne et fils, 3 vol. in-folio.

1750. Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle, & des arts & métiers, Paris [Genève], La veuve Estienne, 4 vol. in-folio.

1751 [-1755]. The universal dictionary of trade and commerce, Londres, John and Paul Knapton, 2 vol. in-folio.

1757. The universal dictionary of trade and commerce, Londres, John Knapton, 2 vol. in-folio.

1759 [-1765]. Dictionnaire universel de commerce, d’histoire naturelle, & des arts & métiers, Copenhague, Les frères Cl. et Ant. Philibert, 5 vol. in-folio.

1766. The universal dictionary of trade and commerce, Londres, H. Woodfall [etc.], 2 vol. in-folio.

1770. Dizionario di commercio, Venise, Gianbatista Pasquale, 4 vol. in-4o.

1774. The universal dictionary of trade and commerce, Londres, W. Strahan [etc.], 2 vol. in-folio.

Indications bibliographiques

André Morellet, Prospectus pour un nouveau Dictionnaire de Commerce, Paris, Frères Estienne, 1769. [consulter]

Georges Matore, Histoire des dictionnaires français, Paris, Larousse, 1967.

Jean-Claude Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique : XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1992.

Léon Vignols, « Le dictionnaire Universel de Commerce de Jacques Savary des Bruslons », Annales de Bretagne, t. XXXVIII, 1929, p. 742-751.

par Ryuji Kojima

Date de dernière mise à jour : 22 décembre 2014

Pour citer cette notice : Ryuji Kojima, « Le Dictionnaire universel de commerce des frères Savary », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les Mémoires de l'Académie royale des sciences de Paris

Une source directe et indirecte

Les volumes annuels d’Histoire et Mémoires de l’Académie des sciences de Paris constituent une source importante, directe et indirecte, de l’Encyclopédie. Source indirecte à travers la Cyclopædia, Chambers ayant abondamment puisé dans la collection française pour nourrir ses articles scientifiques. Source directe lorsque les contributeurs de Diderot et D’Alembert exploitent eux-mêmes la série, par citations, résumés ou références, mais aussi au niveau éditorial lorsque Diderot insère dans les volumes successifs des « extraits des meilleurs mémoires de l’Académie des sciences » selon un traité particulier qui le lie avec Le Breton (Passeron, 2005 ; voir le document retranscrit à la fin de la notice).

Il convient donc de prendre garde au fait que les innombrables références à ces volumes qui apparaissent dans l’Encyclopédie, sous différentes formes abrégées du type « Mém. de l’Acad. des Sciences, 1712 » (I, 312b), peuvent renvoyer à des processus référentiels très dissemblables : consultation directe d’une part, soit à l’initiative d’un encyclopédiste en fonction des besoins de la matière dont il traite, soit liée à cette sorte de campagne d’extraction organisée voulue par Le Breton pour enrichir les volumes ; présence médiate, d’autre part, supposant un cycle complet de traduction (du français à l’anglais par Chambers ; par rétroversion en français lors de la phase préparatoire de l’Encyclopédie, durant la seconde moitié des années 1740). L’étude attentive des textes peut même, dans certains cas, révéler des situations plus complexes où l’encyclopédiste français retravaillant un article traduit de Chambers remonte à la source académique pour l’exploiter à neuf (Cernuschi, 2010, p. 138, exemple de l’article Réticule, en Astronomie).

Une série née avec le siècle. Forme et histoire éditoriales

L’importante série des Mémoires de l’Académie des sciences trouve son origine dans la réorganisation de l’institution conduite par Pontchartrain et conçue par l’abbé Jean-Paul Bignon au début de 1699. L’article XL de son Règlement prévoit la diffusion des travaux académiques : « à la fin de décembre de chaque année, [le secrétaire de l’Académie] donnera au public un extrait de ses registres, ou une histoire raisonnée de ce qui se sera fait de plus remarquable dans l’Académie » (cité par Brian 1996, p. 113). La nomination de Fontenelle comme secrétaire en 1697, confirmé comme secrétaire perpétuel en 1699, témoigne d’une volonté d’assurer une diffusion des travaux académiques au-delà du cercle savant. C’est en 1702 que paraît le premier volume (pour l’année 1699). Chaque volume comprend deux parties : une section « Histoire », rédigée par le secrétaire, qui résume par domaine les différentes interventions académiques faites durant l’année écoulée ; une section « Mémoires » qui propose un choix des mémoires présentés. La première section contient également les « Eloges » des membres décédés. Fontenelle fonctionna comme secrétaire perpétuel jusqu’en décembre 1740 et assura ainsi la publication de 42 volumes de la série, incluant 69 éloges. Dortous de Mairan assura une sorte d’intérim avant que Grandjean de Fouchy ne prenne le relais en septembre 1743 (jusqu’en 1776).

La première fondation de l’Académie des sciences remontant à 1666, les travaux menés avant 1699 furent édités selon une forme analogue en une série de 11 tomes (en 14 volumes) publiés entre 1729 et 1734.

L’histoire éditoriale de ces séries est complexe. Pour la série annuelle, certains volumes ont connu plusieurs tirages avec des variantes ; par ailleurs, les volumes des années 1699-1705 ont fait l’objet de trois éditions différentes, ceux pour 1706-1718 de deux ; enfin, il existe des rééditions non autorisées et une édition abrégée conçues dans la seconde moitié du siècle, notamment par Panckoucke. Pour les volumes relatifs aux années 1666-1699, la situation n’est pas plus simple… On consultera sur ces points le très utile Guide de recherches dirigé par Eric Brian et Christiane Demeulenaere-Douyère (1996, en particulier p. 114-116).

Mentionnons que Chambers a participé à la traduction abrégée de nombreux mémoires parus entre 1700 et 1720 pour une anthologie en 5 volumes parue à Londres en 1742 (deux ans après sa mort) sous le titre de Philosophical History & Memoirs of the Royal Academy of Sciences at Paris (voir Moerman 2003, 36-40).

Un aspect de la manufacture encyclopédique à explorer

Lorsqu’un encyclopédiste, que ce soit Chambers ou un contributeur français, exploite un volume d’Histoire et Mémoires, il est intéressant de déterminer s’il puise dans la première ou la seconde section, voire panache l’une et l’autre. Le choix est significatif du degré de technicité ou de précision qu’il entend donner à l’article mais aussi, pour les volumes dus à Fontenelle, de la volonté de relayer ou non les réflexions épistémologiques plus générales que le secrétaire perpétuel ne manquait pas de développer pour introduire, commenter ou prolonger son « histoire raisonnée » de l’année écoulée. De premiers pointages ont montré que Chambers dose de façon variable ses emprunts aux deux parties mais semble rejeter systématiquement les développements généraux de Fontenelle ; en revanche, les pratiques des encyclopédistes français, qu’ils retravaillent un article tiré de la Cyclopædia ou compilent directement les volumes académiques, apparaissent beaucoup plus diverses.

L’ENCCRE permettra progressivement d’en savoir plus sur les modalités d’exploitation de cette série académique au fur et à mesure que s’accumuleront l’annotation des articles concernés — qui dépendent de nombreux contributeurs et touchent à des domaines multiples : anatomie, architecture, arithmétique, algèbre, astronomie, botanique, chimie, chirurgie, conchyliologie, coupe des pierres, économie rustique, géographie, géométrie, histoire naturelle, ichtyologie, insectologie, jardinage, mécanique, médecine, minéralogie, ophiologie, optique, ornithologie, pharmacie, physiologie, physique, teinturerie, zoologie (la liste n’est sans doute pas exhaustive !).

Par ailleurs, les extraits tirés des Mémoires académiques dans les articles de l’Encyclopédie pouvant relever d’insertions éditoriales, en vertu du traité singulier qui lie

Le Breton et Diderot, la question se pose de savoir s’il y a des indices qui permettraient de départager ces insertions de ce qui relève d’un geste référentiel imputable au contributeur.

Voici le texte, extrait d’un autographe signé de Diderot et daté du 26 avril 1752, qui atteste d’un traité entre lui et Le Breton, antérieur de quatre ans :

J’ai recu de monsieur Le Breton les quinze cent Livres convenues par le traité fait entre nous double, le 4 avril 1748, et dont la condition est d’inserer dans l’encyclopedie des extraits des meilleurs memoires de l’academie des sciences, ce que j’ai executé dans les deux premiers volumes et ce que je m’engage d’executer dans les volumes suivants [...] a mesure que les autres volumes de l’Encyclopedie se feront.
(Fond des manuscrits de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, folio isolé, Ms 3050, f. 62, retrouvé par Jean-Daniel Candaux et publié par Irène Passeron, 2005)

Ressources en ligne

Pour établir la liste de liens donnés ci-dessous, nous avons privilégié, lorsqu’il s’agissait bien de l’édition originale, le site Biodiversity Heritage Library ou Gallica ; à défaut, Googlebooks (Bayerstaatsbibliothek ou Oxford University), puis HathiTrust Digital Library (exemplaire numérisé par Google, conservé à Universidad Complutense de Madrid). Pour les premières années, les éditions originales sont difficiles à trouver, ce qui peut laisser supposer qu’elles sont rares et donc justifier les rééditions ou éditions pirates. Comme l'indique Anne-Marie Chouillet dans sa notice du Dictionnaire des journaux : « Très nombreuses contrefaçons, en particulier chez Panckoucke en France et en Hollande (chez J. Schreuder et Pierre Mortier le jeune, chez Pierre Mortier). Les éditions de Hollande accusent celles de Paris d'être fautives, celles de Paris accusent celles de Hollande d'être incomplètes... ».

Inventaire des liens établis par
Irène Passeron, Hugues Chabot et Malou Haine
(27 août 2019)

Histoire... avec les Mémoires... pour l’année

Année de l’édition originale

Lien vers l’édition originale

1699

1702

Édition originale non trouvée
Gallica = Biodiversity = 3e édition « revue, corrigée et augmentée », chez Martin Coignard Guérin, 1732 :
[Biodiversity Heritage Library]

1700

1703

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1701

1704

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1717-1718

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Suite des mémoires [Biodiversity Heritage Library]

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Suite des mémoires [Biodiversity Heritage Library]

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Suite des mémoires [Biodiversity Heritage Library]

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Suite des mémoires [Biodiversity Heritage Library]

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[Biodiversity Heritage Library] (première partie)

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[Biodiversity Heritage Library] (seconde partie)

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1787

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1788

1791

[Biodiversity Heritage Library]

1789

1793

[Biodiversity Heritage Library]
N.B. La date de la publication est imprimée erronément 1785, mais elle est biffée à la main et corrigée « 1793 ? ».

1790

1797

[Biodiversity Heritage Library]

Indications bibliographiques

Eric Brian et Christiane Demeulenaere-Douyère (dir.), Histoire et mémoire de l’Académie des sciences. Guide de recherches, Londres – New-York – Paris, Tec & doc-Lavoisier, 1996.

Alain Cernuschi, « La Cyclopædia, un intermédiaire entre les Mémoires de l’Académie des sciences et l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 45, 2010, p. 129-143.

Anne-Marie Chouillet, « Histoire et Mémoire de l’Académie Royale des sciences », notice n° 0608 du Dictionnaire des journaux. 1600-1789 [consulter].

Florence Greffe, « Une institution royale officialisée », dans Pascal Griset et Florence Greffe, 350 Ans de l’Académie des sciences. Une compagnie en son siècle, Paris, Le Cherche Midi, 2016, p. 38-71.

Ellen Ruth Moerman, « Ephraïm Chambers : de la source étrangère à la synthèse encyclopédique », in Martine Groult (dir.), L’Encyclopédie ou la création des disciplines, Paris, CNRS Editions, 2003, p. 25-43.

Irène Passeron, « Un traité entre Diderot et Le Breton », RDE n° 39, 2005, p. 179-182 (Section “Chroniques, comptes rendus…”) [consulter].

Maria Susana Seguin, « Fontenelle et l’Histoire de l’Académie royale des sciences », Dix-huitième siècle, n° 44, 2012, p. 365-379 [consulter].

par Alain Cernuschi

Date de dernière mise à jour : 29 mai 2017

Pour citer cette notice : Alain Cernuschi, « Les Mémoires de l'Académie royale des sciences de Paris », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Autres sources de l’Encyclopédie

Le Dictionnaire géographique portatif de Vosgien

C’est à la géographie que l’Encyclopédie consacre le plus grand nombre de ses articles (environ 16 000 entrées, soit 22 %). La plupart portent comme vedette un nom propre, et ne dépassent guère cinq lignes. Il s’agit d’un vaste catalogue de toponymes du monde entier qui n’ont certainement pas été visités par les encyclopédistes ; ceux-ci ont donc dû, pour la rédaction de ces articles, recourir à des sources variées.

On peut distinguer trois séries parmi les articles sur les noms de lieux. D’abord, c’est Diderot qui s’en occupe en tant qu’éditeur : dans les premiers volumes, les vedettes d’articles géographiques sont précédés de l’astérisque caractéristique. Mais ces marques disparaissent très tôt : dès la page 258 du tome II, les articles géographiques ne sont plus signés. Ces articles anonymes forment le deuxième groupe. Enfin, la présence du chevalier de Jaucourt devient dominante à partir de la lettre F (tome VI), et ce jusqu’à la fin.

Diderot reste trop souvent muet sur ses sources. Mais on connaît son caractère moqueur : il ne peut s’empêcher de persifler les écrits qu’il trouve ridicules ou douteux. C’est en pareil cas qu’il laisse parfois entrevoir l’auteur ou le titre des ouvrages dont il s’inspire, par exemple dans l’article ANSICO, « royaume d’Afrique sous la ligne » :

On lit dans le Dictionnaire géographique de M. Vosgien, que les habitans s’y nourrissent de chair humaine ; qu’ils ont des boucheries publiques où l’on voit pendre des membres d’homme ; qu’ils mangent leurs peres, meres, freres, & sœurs aussi-tôt qu’ils sont morts ; & qu’on tue deux cens hommes par jour, pour être servis à la table du grand Macoco, c’est le nom de leur Monarque. Plus ces circonstances sont extraordinaires, plus il faudra de témoins pour les faire croire. (Enc., I, p. 490a)

La confrontation du Dictionnaire de Vosgien et de l’Encyclopédie montre avec netteté que Diderot reproduit (en copiant ou en résumant, selon les cas) presque tous les articles de ce Dictionnaire, du moins au début. L’absence, dans la première édition (1747), de quelques vedettes suggère que le choix de Diderot s’est porté sur la deuxième et dernière édition (Paris, Didot, 1749).

Ressources

François-Léopold Vosgien, Dictionnaire géographique portatif, 2e éd., Paris, Didot, 1749 [consulter]

Ce petit dictionnaire se présente comme « traduit de l’Anglois » d’un ouvrage de Laurent Echard, ce qui n’est pas vrai. Il s’agit en réalité d’un abrégé du Grand Dictionnaire géographique, historique et critique de Bruzen de La Martinière. C’est l’auteur lui-même qui avoue cet emprunt en écrivant, dans l’« Avis pour cette nouvelle Edition » : « J’ai fait aussi marquer d’une étoile (*) les articles qui ne se trouvent pas dans le Dictionnaire de M. de la Martiniere » (p. xij). Et la plupart des articles ne portent pas d’astérisque. Dix ans plus tard, l’auteur de l’Abregé portatif du Dictionnaire géographique de La Martinière, dans un « Avertissement », justifie son entreprise et critique le Dictionnaire de Vosgien : « je me serois volontiers épargné ce travail, si le Dictionnaire Portatif qui a paru sous le nom de Vosgien avoit été plus exact » (t. I, p. iii).

L’identité de l’auteur du Dictionnaire géographique portatif reste incertaine. La page de titre nomme « Monsieur VOSGIEN, Chanoine de Vaucouleurs », mais on ne sait presque rien sur ce personnage. Les biographes affirment que c’est un pseudonyme de Jean-Baptiste Ladvocat : la Biographie universelle de Michaud est de cet avis (t. XXVIII, p. 648-650, article « LADVOCAT (Jean-Baptiste) »), que suivent également Quérard (La France littéraire, t. IV, p. 386) et Grente (Dictionnaire des lettres françaises : Le xviiie siècle, p. 659-660). Mais un bibliothécaire anonyme de la Bibliothèque nationale de France conteste cette attribution ; on lit sur le volume du Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale : Auteurs : « attribué à tort à Ladvocat, par Quérard » (t. 85, p. 685, conservé dans la salle X du site Tolbiac). La même main ajoute le nom de Vosgien comme auteur (t. 215, p. 307). On ignore d’où vient cette information, mais il semble peu probable que l’intervention d’un bibliothécaire ne soit fondée sur rien.

Le Dictionnaire de Vosgien n’est pas la seule source des articles géographiques de l’Encyclopédie. Diderot utilise au moins trois autres dictionnaires pour rédiger ses articles dans ce domaine : Dictionnaire de Trévoux (éd. 1743), le Grand Dictionnaire historique de Moréri (éd. 1732) et le Dictionnaire de commerce de Savary Des Bruslons (éd. 1748). L’usage de ces quatre dictionnaires, y compris celui de Vosgien, s’observe aussi dans le second groupe des articles géographiques. Cette particularité pourrait laisser penser que ces articles non signés sont de la main de Diderot.

Les sources de Jaucourt, quant à elles, restent incertaines. La liste des articles géographiques rédigés par le chevalier ne coïncide pas avec celle du Dictionnaire de Vosgien. Il en est de même pour les trois autres. Le Grand Dictionnaire géographique de Bruzen de La Martinière aurait pu être consulté, mais la description y est trop détaillée pour être compilée par Jaucourt qui, lui, recourt le plus souvent à des textes plus ramassés.

Indications bibliographiques

Abrégé portatif du Dictionnaire géographique de La Martinière, Paris, Le Mercier, 1759, 2 vol., t. I [consulter] ; t. II [consulter].

Georges Grente, Dictionnaire des lettres françaises : Le xviii e siècle, édition revue et mise à jour sous la direction de François Moureau, Paris, Fayard, 1995.

Louis-Gabriel Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne, Paris, Michaud, 1811-1828, 52 vol.

Joseph-Marie Quérard, La France littéraire ou dictionnaire bibliographique des savants historiens et gens de lettres de la France, Paris, F. Didot, 1827-1839, 10 vol.

par Takeshi Koseki

Date de dernière mise à jour : 17 juin 2015

Pour citer cette notice : Takeshi Koseki, « Le Dictionnaire géographique portatif de Vosgien », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les Élémens de physique de Musschenbroeck

À la page xliij du « Discours préliminaire », D’Alembert écrit :

J’ai fait ou revû tous les articles de Mathématique & de Physique, qui ne dépendent point des parties dont il est parlé ci-dessus.

Le terme « Physique » désigne, dans cette phrase, à peu près la même chose que pour nous. Au sein de l’Encyclopédie, D’Alembert n’intervient pratiquement pas dans les domaines non mathématiques, voisins de la physique, comme la chimie, la pharmacie ou la médecine. La chimie est traitée par Malouin dans les premiers volumes, puis par Venel et d’Holbach. Les matières médicales sont à la charge de Vandenesse, qui va bientôt être remplacé, après sa mort, par d’Aumont, puis par Menuret de Chambaud.

À la fin de la décennie 1740, D’Alembert a déjà derrière lui une œuvre considérable dans les sciences physico-mathématiques, c’est-à-dire en mécanique du point, du ciel, des solides et des fluides, en acoustique, mais pas encore en optique. Il est intervenu, de façon créative, dans la plupart de ceux des domaines physiques où les phénomènes ont pu être mis en équation, ce qui se retrouve dans les articles correspondants de l’Encyclopédie.

Bien entendu, il a dû, pour cela, réfléchir aux fondements scientifiques et philosophiques de la physique : les corps, les liens entre théorie et expérience, le rôle des principes, la question des « causes » et des « effets », la contingence et la nécessité, voire l’instrumentation. Il s’est exprimé sur ces sujets dans les préfaces de ses grands traités, à commencer par celle du Traité de dynamique (1743) et du Traité des fluides (1744), mais, en 1751, quand sort le premier tome, il n’a encore écrit aucun essai ou ouvrage séparé à cet égard : son « Essai sur les élémens de philosophie » paraîtra seulement en 1759, dans le tome IV de ses Mélanges. Le « Discours préliminaire » de l’Encyclopédie, puis quelques grands articles comme CARTÉSIANISME, CORPS, DYNAMIQUE, ELÉMENS DES SCIENCES, EXPÉRIMENTAL, FEU, FLUIDE, vont soit reprendre des préfaces de ses travaux antérieurs, soit constituer sa première expression publique sur de nombreuses grandes questions de physique. En optique, ce dictionnaire est aussi l’occasion d’aborder pour la première fois la lumière et la vision. Il va s’y pencher de façon plus approfondie dans les Opuscules, en particulier dans le tome I (1761), dans le tome III (1764) pour les lunettes achromatiques, puis dans divers autres tomes.

Sciences physico-mathématiques et philosophie des sciences, ou métaphysique, ne constituent qu’une partie de ce qu’on peut et doit dire de « la physique » dans un dictionnaire encyclopédique. Il reste tout l’aspect concret, notamment de physique expérimentale et qualitative : le chaud et le froid, le feu, la lumière, l’électricité, le magnétisme, les frottements, l’élasticité, qui à l’époque sont très peu mathématisés. D’Alembert, qui ne méprise pas l’expérience, n’en a pratiquement jamais exécuté lui-même. Comment va-t-il donc s’y prendre ? Avant d’y répondre, il nous faut évoquer brièvement quelques autres collaborateurs de l’Encyclopédie.

Les autres auteurs de physique

Le principal d’entre eux est Samuel Formey (1711-1797), secrétaire de l’Académie de Berlin, auteur prolixe, à qui les directeurs de l’Encyclopédie ont acheté de nombreux manuscrits, qu’ils ont utilisés à leur façon. Beaucoup de ces textes traitent de physique et de métaphysique, sachant introduire des idées de Wolff ou de la marquise du Châtelet, par exemple. Outre Formey, il existe d’autres collaborateurs importants qui ont rédigé plusieurs articles de physique : Le Roy, Le Monnier (médecin), Étienne Hyacinthe de Ratte, Louis Necker, Barthez... Ils sont proches de D’Alembert et citent en général à peu près les mêmes sources.

D’Alembert ajoute, dès le « Discours préliminaire », que les articles Aiguille aimantée, AIMANT et ELECTRICITÉ sont de « M. Le Monnier », médecin, c’est-à-dire Louis Guillaume, le frère cadet de l’astronome Pierre Charles. Et, bien entendu, Jaucourt en rédige de nombreuses entrées, soit pour boucher les trous, soit parce qu’il a quelque chose de particulier à exprimer. Néanmoins, D’Alembert reste l’auteur principal des articles de physique.

Les sources des articles de physique expérimentale

Les articles de l’Encyclopédie qui traitent des grandes questions physico-mathématiques sont en général de D’Alembert, originaux et personnels ; ceux qui concernent la physique plus qualitative sont largement de seconde main et les deux sources principales sont Chambers et Musschenbroek. Pour Chambers, il s’agit, dès le départ, d’une constante de toute l’Encyclopédie ; pour Musschenbroek, divers collaborateurs de l’ouvrage puisent chez le savant hollandais, mais c’est D’Alembert qui détient le record. Celui-ci en dit souvent le plus grand bien, comme nous le verrons plus loin. Il convient maintenant de dire quelques mots du savant hollandais et de présenter son Essai de physique.

Musschenbroek

Ressources en ligne

Essai de physique par Mr. Pierre van Musschenbroek, Professeur de Philosophie & de Mathématiques à Utrecht ; Avec une Description de nouvelles sortes de machines pneumatiques, et un Recueil d’Expériences par Mr. J. V. M. [Jan van Musschenbroek, son frère] Traduit du Hollandois par Mr. Pierre Massuet, Docteur en Médecine, Leyden, Samuel Luchtmans, 1739.
Tome I / tome II.

Peter van Musschenbroek ou Musschenbroeck (mais il existe au xviiie siècle peut-être dix autres façons de l’écrire, en général par des gens qui ne connaissent pas un mot de néerlandais et ne cherchent pas à l’apprendre) est né le 14 mars 1692 à Leyde, où il est mort le 19 septembre 1761. Il a un frère, Jan, avec lequel il travaille et qui l’aide en particulier pour les machines et instruments. C’est un produit de l’école hollandaise de physique et de médecine, qui a donné Herman Boerhaave (1668-1738), Willem Jacob ‘s Gravesande (1688-1742). Musschenbroek était l’élève et l’ami de ce dernier. Il diffuse les idées de Newton aux Pays-Bas et sur le Continent, surtout en matière de physique expérimentale. Ses travaux les plus connus portent sur la résistance des matériaux, le frottement, la raideur des cordes, l’électricité (la fameuse bouteille de Leyde, c’est-à-dire les condensateurs), etc. Il a publié de nombreux ouvrages, en latin, aux titres et aux contenus voisins : Epitome elementorum physico-mathematicorum (1726), Elementa Physicae (1734), Beginselen der natuurkunde (1736), Beginsels der natuurkunde (1739). C’est visiblement la traduction française, intitulée Essai de physique (1739) que D’Alembert utilise dans l’Encyclopédie. Il en existe d’autres en latin et en français.

Musschenbroek n’est pas sans lien avec la France : en particulier, il devient correspondant de l’Académie des sciences, son académicien de référence étant d’abord Dufay (1734), puis Réaumur (1740), enfin l’abbé Nollet (20 décembre 1757). Aucun de ces académiciens n’est proche de D’Alembert. Ajoutons que Jaucourt, ayant fait ses études sous Boerhaave à Leyde, ne peut pas ignorer les œuvres de ’s Gravesande et de Musschenbroek. Ce physicien hollandais, si célèbre, reste pourtant un peu méconnu et n’a pas bénéficié, à notre connaissance, surtout hors des Pays-Bas, d’études à la hauteur de son importance. L’une des meilleures sources reste une notice bien documentée de Michaud, par Jan Hendrik van Swinden (1746-1823), auteur trilingue (latin, néerlandais, français), lui-même remarquable physicien, ayant travaillé sur tous les sujets dont parle l’Essai de physique. Le journaliste et biographe intéressant et original Georges-Bernard Depping le souligne d’ailleurs dans sa notice de la même Biographie universelle sur Van Swinden : « Ce savant professeur nous a aidés pour plusieurs articles de la Biographie, et il a rédigé seul celui de Musschenbroek » (t. 44, p. 291a). Il faut aussi noter les travaux récents de S. Ducheyne, nous espérons qu’une thèse d’histoire des sciences nous livrera bientôt un travail approfondi sur ces physiciens hollandais.

L’Essai de physique

Le titre complet de l’ouvrage, en français, est : Essai de physique par Mr. Pierre van Musschenbroek, Professeur de Philosophie & de Mathématiques à Utrecht ; Avec une Description de nouvelles sortes de machines pneumatiques, et un Recueil d’Expériences par Mr. J. V. M. [Jan van Musschenbroek, son frère] Traduit du Hollandois par Mr. Pierre Massuet, Docteur en Médecine. Il est publié chez Samuel Luchtmans à Leyde en 1739, en deux tomes, numérotés en continu (XXV + 945 + 63 + 10 + pl.).

Après la dédicace à Avid van Mollem (1 page), il se compose d’une « Préface » (p. V-XXV), d’une « Table des Chapitres » (3 pages), de 41 chapitres (chap. I-XXVI, t. I, p. 1-500 ; et chap. XXVII-XLI, t. II, p. 501-914). Il y a ensuite une table des matières (nous dirions index) [p. 915-945], puis divers ajouts, notamment sur les machines.

Les chapitres I-XLI, qui forment le corps principal de l’ouvrage, peuvent être synthétisés ainsi :

Chap. I-III : Généralités
Chap. IV-XIV : Mécanique
Chap. XV-XIX : Technologie, mécanique et électricité
Chap. XX-XXVI : Fluides
Chap. XXVII-XXXV : Optique
Chap. XXXVI-XXXVII : Pneumatique et acoustique
Chap. XXXVIII-XL : Météores
Chap. XLI : Vents

Musschenbroek est-il cité dans la Cyclopædia de Chambers ?

L’Encyclopédie n’était au départ qu’une version française corrigée et augmentée de la Cyclopædia de Chambers ; l’ouvrage principal de Musschenbroek étant antérieur aux éditions de la Cyclopædia et le savant hollandais étant considéré comme « newtonien », on pourrait s’attendre à ce que Chambers le cite abondamment et que les références à Musschenbroek dans l’Encyclopédie ne soient que des références par ricochet. Tel n’est pas le cas. D’abord parce que l’édition latine originale des Elementa (1726) est de très peu antérieure à la première édition de la Cyclopædia, et que les rééditions des années 1730 et 1740 changent peu sur les sciences. En outre, sur les matières de physique, Chambers a déjà ses auteurs : Newton, mais aussi Boyle, Hook(e), etc.

D’Alembert n’a pas nécessairement boudé Chambers en physique pour le remplacer par Musschenbroek. En voici un exemple, dans l’article Echo (Enc., V, p. 264b) :

Voyez les dictionnaires de Harris & de Chambers, d’où une partie de cet article est tirée, & l’essai de physique de Musschenbroeck, §. 1460 & suiv. Voyez aussi Cornets & Porte-voix. (O)

On sait que D’Alembert a rédigé un très célèbre article ELÉMENS DES SCIENCES. Mais on oublie souvent que l’abbé de la Chapelle l’a complété par une sorte de bibliographie commentée de ces éléments. Voici ce qu’il en dit, pour terminer, à propos de la physique (Enc., V, p. 497b) :

Les meilleurs élémens de Physique sont l’essai de Physique de Musschenbroeck, les élémens de s’Gravesande, les leçons de Physique de M. l’abbé Nollet, & plusieurs autres. Voyez Physique. (E)

Par le moteur de recherche du CD-Rom de Redon, nous avons trouvé (avec leurs variantes orthographiques) des mentions de ’s Gravesande (28 fois), Nollet (26), Desaguliers (14), souvent dans les mêmes articles inspirés de Musschenbroek. Si D’Alembert et ses collaborateurs ont privilégié ce dernier savant, ils n’ont pas rejeté les autres, dont les expériences convergent d’ailleurs en général. Voici l’exemple, parmi tant, de l’article ARÉOMETRE (Enc., I, p. 664a) :

Nous devons ces remarques à M. Formey, qui les a tirées de M. l’abbé Nollet, Lect. Phys. (O)

La centaine d’articles citant Musschenbroek

À l’aide des moteurs de recherche, en tapant « Musschenbroek », « Essai », « Physique » et leurs diverses variantes orthographiques ou abréviations, et en utilisant la Table de Mouchon, nous avons dénombré 94 articles citant ou utilisant l’Essai de physique de Musschenbroek, ou quelquefois d’autres allusions à l’auteur.

Plus de la moitié de ces articles sont signés (O) et se situent majoritairement jusqu’à la lettre M, mais on en dénombre aussi une dizaine du chevalier de Jaucourt, une dizaine signés ou cosignés par Formey, cinq d’E. H. de Ratte, une dizaine de divers auteurs (Diderot, Venel, d’Aumont, Roux, les frères Le Roy, Turgot, L. Necker, d’Holbach, L.-G. Le Monnier, Perronet) et enfin une dizaine sans signature dont l’attribution à D’Alembert est probable pour la majorité d’entre eux, surtout dans les premiers volumes.

Voici donc la liste, avec les auteurs...

D’Alembert : ADHERENCE, AIR, ALISÉ, Arc-en-ciel, Arquebuse, ATTRACTION, BAROMETRE, BROUILLARD, Caves, COHESION, CORPS, COULEUR, Degré, Diables Cartésiens, DIGESTOIRE, DILATATION, EAU, Ebullition, Echo, ECLAIR, ELASTICITÉ, EOLIPYLE, Etoile tombante, FEU, Figure de la Terre, Fini, Fleuve, FLEXIBLE, FLUIDITÉ, Fontaine artificielle, FOUDRE, FUMÉE, HALO, HYGROMETRE, Magnétisme, Mercure, MIROIR, PHYSIQUE, PYROMETRE, TEMPÊTE, THERMOMETRE, TRIBOMETRE

D’Alembert et Formey : Aurore boréale, Balance Hydrostatique, BRUINE, ESPACE, SYPHON

D’Alembert et Venel : FLAMME

Formey : MOUSSONS, OBSTACLE, PLUIE, REPOS, ROSÉE

Jaucourt : Colonne, ETANÇON, FEUILLE, MULOT, PESANTEUR, Rouille du froment, VUE

De Ratte : Froid, GELÉE, GLACE, GRÊLE, NEIGE

L.-G. Le Monnier : AIMANT

Venel : Chaleur, EFFERVESCENCE

* (Diderot) : COLLE, Corderie

J. B. Le Roy : Coup foudroyant

La Chapelle : ELÉMENS DES SCIENCES

D’Aumont : Emission

Ch. Le Roy : EVAPORATION

Turgot : EXPANSIBILITÉ

L. Necker : FROTTEMENT

Perronet : PIEUX

Roux : Refroidissement

D’Holbach : SABLE

Non signés : Castor & Pollux, Globe de Feu, NUÉE, Pneumatique, machine, PORE, PORTE-VOIX, Tamise, TONNERRE, TROMBE, VAPEURS, Variation, VISION.

N.B. : Il n’est pas toujours évident, comme on sait, d’identifier ce qui appartient à tel ou tel contributeur dans les articles explicitement ou implicitement cosignés. Par exemple, l’article Aurore boréale, en fait largement tiré de Musschenbroek, se termine par cette expression sibylline : « Presque tout cet article est de M. Formey. (O) » (Enc., I, p. 889a)

Les deux-tiers des emprunts à Musschenbroek se situent dans les sept premiers volumes (t. I-VII) et la signature de D’Alembert y est prépondérante ; il n’y en a qu’un tiers dans les dix derniers (t. VIII-XVII) et la signature de D’Alembert s’y raréfie. Cela s’explique aisément : D’Alembert s’engage beaucoup moins après l’interdiction : non seulement il s’abstient d’articles philosophiques, mais il y diminue sa contribution en mathématiques et surtout en physique.

Dans sa Table, le pasteur Mouchon donne une entrée « MUSSCHENBROECK, (Pierre de) » (t. II, p. 270a), où il indique que celui-ci est « cité dans la plupart des articles de physique ». Il se contente ensuite de souligner « son sentiment sur l’espace. V. 952. a. » (ce que nous citons plus bas). Il ajoute que dans le Supplément, ce savant est aussi « considéré comme physiologiste. Suppl. IV. 355. b. », au sein de l’article PHYSIOLOGIE de Haller.

L’opinion de D’Alembert, Formey, etc. sur Musschenbroek dans l’Encyclopédie

À l’article PHYSIQUE, juste après le début, qui est tiré de Chambers, D’Alembert se situe immédiatement dans le sillage de Musschenbroek :

La Physique, dit M. Musschenbroeck, a trois sortes d’objets qui sont le corps, l’espace ou le vuide, & le mouvement. (Enc., XII, p. 539a)

On trouve, dans le dictionnaire, beaucoup d’éloges et quelques réserves ou critiques, en général ponctuelles, sur le savant hollandais. C’est le cas dans l’article Balance Hydrostatique :

Au reste on sera sans doute bien-aise de trouver ici une table dressée sur des expériences fort exactes. Il suffit de dire qu’elles sont de M. Musschembroek. (Enc., II, p. 27a)

Il donne souvent Musschenbroek en exemple, à la fois sur sa méthode et sur ses explications face aux hésitations, erreurs et paradoxes, par exemple à propos de la température des caves (Caves). Voici un autre compliment sur la méthode, à l’article ESPACE :

Je finirai cet article par une remarque judicieuse d’un grand physicien, c’est M. Musschembroeck, qui s’exprime ainsi : « A quoi bon toutes ces disputes sur la possibilité ou l’impossibilité de l’espace ? [...] » (Enc., V, p. 956a)

Il est vrai que, dans cet article, on a peine à démêler ce qui est issu de Formey ou de D’Alembert, mais cette indication terminale de signature, visiblement de D’Alembert, montre bien que la qualification de « judicieuse » pour Musschenbroek correspond à son jugement :

Cet article est tiré des papiers de M. Formey, qui l’a composé en partie sur le recueil des Lettres de Clarke, Leibnitz, Newton, Amsterd. 1740, & sur les inst. de Physique de madame du Châtelet. Nous ne prendrons point de parti sur la question de l’espace ; on peut voir, par tout ce qui a été dit au mot Élémens des Sciences, combien cette question obscure est inutile à la Géométrie & à la Physique. (Enc., V, p. 956a)

Toutefois, un auteur peut contester un raisonnement ou des conjectures de Musschenbroek ; ainsi Charles Le Roy, dans l’article EVAPORATION :

Essais de Physique, pag. 739. Mais il est clair que ce célebre physicien s’est trompé dans cet endroit [...]. (Enc., VI, p. 126a)

Ainsi également Turgot dans son célèbre article très travaillé, non signé, EXPANSIBILITÉ :

On lit dans les essais de physique de Musschenbroeck, §. 1330, que des vapeurs élastiques produites par la pâte de farine, comprimées par un poids double, ont occupé un espace quatre fois moindre. Mais j’avoue que j’ai peine à imaginer comment ce célebre physicien a pû exécuter cette expérience avec les précautions nécessaires pour la rendre concluante [...]. (Enc., VI, p. 280b)

Et D’Alembert lui-même, à l’article FEU :

Ce physicien prétend que partout où il y a lumiere, même sans chaleur, il y a feu. Il le prouve par la lumiere de la lune, qui rassemblée au foyer d’un verre ardent, éclaire beaucoup sans brûler. Mais il semble qu’on peut contester que cette lumiere, en ce cas, soit du feu. Il n’est pas démontré que la matiere qui produit la lumiere, soit la même que celle qui produit la chaleur. (Enc., VI, p. 599b)

Dans ce même article, il critique même un raisonnement sur une prétendue égalité de chaleur l’été sous diverses latitudes :

Mais malheureusement le fait n’est pas vrai, & il est certain qu’il y a des pays, tels que le Sénégal & plusieurs autres, où il fait beaucoup plus chaud en été que dans nos climats. Voyez les mém. de l’Acad. de 1739. (Enc., VI, p. 601a)

On peut voir d’autres contestations à Fini, FLAMME, FLUIDITÉ, etc., ce qui n’empêche pas D’Alembert de citer positivement le savant hollandais à quelques lignes d’intervalle.

La nature des emprunts à Musschenbroek

Quels sont alors les emprunts de D’Alembert et des autres encyclopédistes à Musschenbroek ? Ils concernent : soit des expériences et observations (par ex. dans AIMANT, (Arc-en-ciel), relatant éventuellement des tables ou données chiffrées (Balance Hydrostatique, DILATATION) ; soit des explications plus théoriques ou conjecturales, en général assez physiques (par ex. ADHERENCE, (Arc-en-ciel), qu’ils peuvent présenter, approuver ou discuter (par ex. ARÉOMETRE, ATTRACTION) ; plus rarement des développements historiques.

Il s’agit tantôt de simples renvois pour de plus amples détails (par ex. dans ALISÉ), tantôt – et même très souvent – de la reproduction de paragraphes, voire de chapitres entiers (Aurore boréale, BAROMETRE, etc.). Chez D’Alembert, l’article peut être entièrement tiré de Musschenbroek, il peut aussi avoir une première partie de Chambers et une seconde de Musschenbroek, le tout avec des modifications, suppressions et ajouts minimes ou majeurs. Les pages de l’Essai de physique sont souvent précisées ou faciles à trouver d’après le thème. Quand de longs passages de l’Essai de physique sont repris in extenso ou presque, l’auteur le signale explicitement lui-même. Ainsi, dans l’article Arquebuse :

Voici la description de l’arquebuse ou fusil à vent, donnée par M. Musschenbroeck. (Enc., I, p. 703a)

Ou encore, dans COHESION :

M. Musschenbroeck, dans son essai de Physique, nous a donné plusieurs recherches sur la cohésion ou adhérence des corps. En voici la substance ; c’est M. Musschenbroeck qui parle. (Enc., III, p. 606b)

L’examen des différences entre le véritable de texte du savant hollandais et celui de D’Alembert, même si aucune critique n’est formulée, reste à faire dans le détail au cas par cas : il peut y avoir allégement, ajout d’un exemple, adaptation, éventuellement prise de distance.

Les emprunts sont presque toujours faits à l’Essai de physique, mais il peut arriver que d’autres textes du savant hollandais soient invoqués : J. B. Le Roy, dans (Coup foudroyant, parle d’une « lettre qu’il écrivit à M. de Reaumur » (Enc., IV, p. 337b) ; Jaucourt cite de façon vague « Musschenbroeck, Kundman, & autres » à l’article FEUILLE (Enc., VI, p. 655a). On peut aussi citer l’Essai, avec un titre plus qu’approximatif, comme à l’article MOUSSONS :

Article de M. Formey, qui l’a tiré de l’Histoire physique de M. Musschembrock, chap. des vents. (Enc., X, p. 825a)

Conclusion

En astronomie, D’Alembert a largement utilisé les Institutions astronomiques de Le Monnier, mais en général sans les recopier mot à mot. En physique, vis-à-vis des Essais de physique de Musschenbroek, la situation n’est pas identique. Ce sont des chapitres presque entiers qui sont repris, avec coupures, modifications ponctuelles ou commentaires. Musschenbroek (mort en 1761) est vivant pendant la rédaction des articles de l’Encyclopédie, D’Alembert ne le connaît pas et ne lui a pas demandé son avis, il puise comme un compilateur éclairé, voire critique. Bien entendu, l’examen des différences est instructif.

Indications bibliographiques

Douglas H. Gordon et Norman L. Torrey, The Censoring of Diderot’s Encyclopédie and the re-established text, New York, Columbia University Press, 1947.

Cornelis de Pater, Petrus van Musschenbroek (1692-1761) ; een Newtoniaans natuuronderzoeker, Rijksuniversiteit te Utrecht, 1979 (thèse).

Georges-Bernard Depping, « Van Swinden », Biographie universelle ancienne et moderne (1re éd.), Paris, Michaud, t. 44 (1826), p. 289a-291a [consulter].

Víctor Guijarro Mora, « Petrus van Musschenbroek y la fisica experimental del siglo XVIII », Asclepio, vol. 53-2, 2001, p. 191-212.

Dirk Jan Struik, « Musschenbroek », dans C. C. Gillispie, Dictionary of Scientific Biography, t. IX, p. 594-597.

Jan Hedrik Van Swinden, « Musschenbroek », Biographie universelle ancienne et moderne (1re éd.), Paris, Michaud, t. 30 (1821), p. 477b-482b [consulter].

par Pierre Crépel

Date de dernière mise à jour : 15 décembre 2015

Pour citer cette notice : Pierre Crépel, « Les Élémens de physique de Musschenbroeck », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les Institutions astronomiques de Le Monnier

D’Alembert et l’astronomie

La page de titre du tome I de l’Encyclopédie stipule que cet ouvrage a été « mis en ordre & publié [...] quant à la Partie mathématique, par M. D’ALEMBERT ». Mais, page xliij du « Discours préliminaire », celui-ci écrit :

J’ai fait ou revû tous les articles de Mathématique & de Physique, qui ne dépendent point des parties dont il est parlé ci-dessus.

Comme le terme « Physique » désignait à cette époque soit à peu près ce que nous entendons par là aujourd’hui, soit un domaine beaucoup plus vaste recouvrant toutes les sciences de la nature, dont la chimie, la botanique, etc., il convient de voir concrètement à quoi D’Alembert se référait ici. Or, les « parties dont il est parlé ci-dessus » (c’est-à-dire dans les paragraphes précédents du « Discours préliminaire ») et qui ont quelque rapport avec la physique au sens large, sont :
   – l’arithmétique et la géométrie élémentaire, traitées par l’abbé de La Chapelle (p. xlij),
   – la chimie, alors traitée par Malouin, sans compter l’histoire naturelle et les matières médicales. D’Alembert ajoute que les articles Aiguille aimantée, AIMANT et ELECTRICITÉ sont de M. Le Monnier, médecin, c’est-à-dire Louis Guillaume, le frère cadet de l’astronome.

On ne voit pas d’allusion à l’astronomie dans les passages des pages xlj-xliij du « Discours préliminaire », qui présentent les collaborateurs de l’Encyclopédie. Au xviiie siècle, cette science est régulièrement classée dans les mathématiques, il est donc naturel que D’Alembert s’en charge directement. Toutefois ce géomètre n’est nullement « astronome », au sens qu’il n’observe pas et qu’il se livre peu à des calculs numériques d’astronomie. En revanche, il est l’un des grands noms de ce qu’on va appeler couramment peu après la « mécanique céleste » : calculs théoriques des mouvements de la Terre, des planètes, des comètes, etc.

Quand paraît le tome I de l’Encyclopédie, D’Alembert a notamment à son actif divers passages du Traité des fluides relatifs à la figure de la Terre (1744), les Réflexions sur la cause des vents (1747) et les Recherches sur la précession des équinoxes et la nutation de l’axe de la Terre (1749). Il a aussi, en manuscrits, de nombreux matériaux (notamment sur la théorie de la Lune) de ce qui constituera les Recherches sur le systême du monde en trois volumes (1754-1756). Pendant sa période active au sein de l’Encyclopédie, qui commence au milieu de la décennie 1740 et s’achève au début des années 1760, il continue de façon échelonnée diverses recherches de mécanique céleste, qui vont se trouver publiées dans les volumes des Opuscules, en particulier dans le tome II (1761), et parfois dans les volumes de l’Académie. Certains de ces travaux vont donner lieu à des tables, mais D’Alembert n’est pas pour autant un calculateur comme Lalande.

Les sources des articles d’astronomie

On peut donc s’attendre à ce que les articles de l’Encyclopédie qui traitent des grandes questions de mécanique céleste soient assez originaux et personnels, et que ceux qui concernent l’astronomie plus descriptive soient largement de seconde main. Quelles sont donc ses sources pour cette seconde catégorie ? Réponse : Chambers et Le Monnier, puis quelques autres. Voici un passage assez caractéristique, au milieu de l’article LUNE :

Jusqu’ici nous n’avons presque fait que traduire l’article lune tel qu’il se trouve à peu-près dans l’encyclopédie angloise, & nous y avons joint quelques remarques tirées de différens auteurs, entr’autres des institutions astronomiques de M. le Monnier. Il s’agit à présent d’entrer dans le détail de ce que les savans de notre siecle ont ajouté à la théorie de M. Newton. (Enc., IX, p. 735a)

Plusieurs articles précisent les autres sources usuelles, notamment à ETOILE, qui se termine ainsi (Enc., VI, p. 64b) :

Voyez les élémens d’Astronomie de Wolf ; les dictionnaires d’Harris & de Chambers ; les mémoires de l’académie des Sciences ; les institutions astronomiques de M. le Monnier, d’où nous avons tiré une grande partie de cet article. (O)

Une remarque s’impose ici. La Cyclopædia de Chambers paraît en 1728 et elle est assez à la page de l’astronomie européenne, en particulier britannique. Chambers connaît l’Introductio ad veram astronomiam de John Keill (1718) et s’en inspire. Or, les Institutions astronomiques de Le Monnier sont, pour la majeure part, une traduction française de cet ouvrage de Keill. Donc, dans les articles de D’Alembert, les mêmes informations peuvent se trouver issues de deux sources formellement indépendantes mais de fait convergentes.

Il convient maintenant de voir de plus près les publications de Pierre Charles Le Monnier en astronomie et les relations de celui-ci avec D’Alembert.

Le Monnier

Ressources en ligne

Pierre Charles Le Monnier, Institutions astronomiques, ou Leçons élémentaires d’astronomie, Pour servir d’introduction à la Physique Céleste, & à la Science des Longitudes, Avec de nouvelles Tables d’Equation corrigées ; et particulierement les Tables du Soleil, de la Lune & des Satellites ; précedées d’un Essai sur l’Histoire de l’Astronomie Moderne, Paris, Hippolyte-Louis Guerin et Jacques Guerin, 1746 [consulter]

Nous nous appuyons ici sur l’article de Michelle Chapront-Touzé : voir « Aspects de l’œuvre et de la vie de Pierre-Charles Le Monnier… ». D’après tous les dictionnaires biographiques et l’index de l’Académie des sciences, Pierre Charles Le Monnier est né le 20 novembre 1715 à Paris. Mais, comme nous l’a fait remarquer Françoise Launay, il s’appelle Pierre Claude et est né le 23 novembre, même s’il se faisait appeler Pierre Claude Charles, d’après une déclaration autographe signée du 31 [sic] novembre 1779 (AN, O1680, f° 617). Pierre Claude Le Monnier, né de la veille, a été baptisé le 24 novembre 1715 en l’église Saint-Cosme-et-Saint-Damien de Paris, comme l’indique l’acte de baptême, dont F. Launay a retrouvé un extrait signé de Christophe de Beaumont lui-même. Son frère Louis Guillaume, né le 27 juin 1717, collaborateur de l’Encyclopédie (essentiellement pour l’électricité et le magnétisme médicaux), a été élève du Collège des Quatre-Nations en même temps que D’Alembert (mais nous n’avons pas trouvé d’informations précises sur leurs relations de jeunesse). Leur père, Pierre Le Monnier (1675-1757), était déjà académicien. Pierre Charles devient membre de l’Académie des sciences le 23 avril 1736, comme adjoint géomètre (en remplacement de son père, nommé associé vétéran), puis associé géomètre le 8 mars 1741, puis pensionnaire astronome le 11 février 1746. Il est directeur annuel en 1752 et 1765. Il meurt le 3 avril 1799.

Observateur dès le plus jeune âge, protégé de Grandjean de Fouchy, il a déjà de nombreux ouvrages à son actif lorsque commence l’aventure encyclopédique et pendant la poursuite de celle-ci. Il fait partie de l’expédition en Laponie (1736-1737). Les observations qu’il effectue entre mai 1733 et juin 1746 donnent lieu à quatre volumes appelés Observations de la Lune, du Soleil et des étoiles fixes (1751, 1754, 1759, 1773). Il existe aussi d’autres cahiers manuscrits d’observations conservés à l’Observatoire de Paris. Avant cela, il a publié une Histoire céleste en 1741, faisant partie d’un projet plus vaste mais abandonné. Le Monnier est Fellow de la Royal Society dès 1739, il a voyagé à Londres en novembre 1742 et en Écosse en 1748, il cultive des relations avec les savants britanniques. En 1746, il publie ses Institutions astronomiques, traduction enrichie de J. Keill, dont il sera question ci-dessous. Fin 1749, il envisage une traduction française des Tables astronomiques de Halley ; il en sortira une première partie, mais par Chappe d’Auteroche en 1754 (avec des additions de Le Monnier) et une deuxième partie par Lalande en 1759.

Quelles sont les découvertes et caractéristiques essentielles des travaux de Le Monnier ? Il a publié environ 140 mémoires dans les volumes de l’Académie, c’est un record. Pour la période qui nous intéresse, on en trouvera la liste dans la Nouvelle Table des articles contenus dans les volumes de l’Académie royale des sciences de Paris [...] (Paris, Ruault, 1776, t. IV, p. 261-265, 2e pagination) de l’abbé Rozier. Les points saillants de ses recherches concernent :
   – la nutation de l’axe de la Terre (découverte par Bradley, avec lequel Le Monnier est en contact),
   – les observations de la Lune,
   – les variations de l’obliquité de l’écliptique,
   – le mouvement de Saturne,
   – les observations du Soleil (polémiques avec La Caille).
On ne s’étonnera pas d’en retrouver quelques morceaux entiers dans les articles que D’Alembert consacre à ces sujets au sein de l’Encyclopédie. Nous l’avons dit, Le Monnier est d’abord un observateur ; il est moins calculateur que Lalande, même si nombre de ses publications débouchent sur un enrichissement des tables existantes ; il ne semble pas très intéressé par la mécanique céleste théorique, même s’il est défenseur de la théorie newtonienne et proche de D’Alembert et s’il a rédigé, comme nous allons le voir, un essai historique, abondamment utilisé par D’Alembert dans l’Encyclopédie. Un autre rôle important dans son activité est celui de diffuseur des connaissances et des travaux britanniques.

On remarquera que de nombreux travaux de D’Alembert en mécanique céleste et de Le Monnier en astronomie d’observation et de calcul se déroulent pendant les années de rédaction de l’Encyclopédie, entre 1746 et 1765. Les relations sont très conflictuelles au sein de l’Académie des sciences, entre Clairaut et D’Alembert (surtout à partir de 1756, mais déjà auparavant), entre Le Monnier et Lalande (à partir de 1751), La Caille, etc. Il convient donc de porter une attention méticuleuse à l’ordre alphabétique, donc à la date de rédaction et de publication des articles d’astronomie dans l’Encyclopédie.

Les Institutions astronomiques

Le titre complet de l’ouvrage est : Institutions astronomiques, ou Leçons élémentaires d’astronomie, Pour servir d’introduction à la Physique Céleste, & à la Science des Longitudes, Avec de nouvelles Tables d’Equation corrigées ; et particulierement les Tables du Soleil, de la Lune & des Satellites ; précedées d’un Essai sur l’Histoire de l’Astronomie Moderne. Il est publié chez Hippolyte-Louis et Jacques Guerin en 1746. L’ouvrage a bénéficié d’un rapport favorable de l’Académie des sciences par Clairaut et Grandjean de Fouchy, comme « Traduction des Leçons d’Astronomie de Keill, avec des Additions », le 5 septembre 1744, le certificat du secrétaire étant du 18 mars 1746 (p. 655).

Après une dédicace au curé de Saint-Sulpice qui « a fait placer tant pour l’exactitude du comput ecclésiastique, que pour le progrès de l’astronomie, un gnomon et un obélisque sur la ligne méridienne, en M. DCC. XLIV. » (1 page), il se compose d’une « Table des chapitres » et d’un « Avis au relieur pour placer les Figures » (3 pages), d’un « Essai sur l’histoire et sur le progrès de l’Astronomie [...] » (p. j-lxiij), de « Remarques sur les Appulses de la Lune & des Planetes aux Etoiles Fixes » (p. lxiv), de 30 chapitres (p. 1-621), d’une « Table des Logarithmes logistiques de Street » (p. 622-625), avec un « Usage des Logarithmes Logistiques [...] » (p. 626-627), d’« Avertissemens pour le Calcul des Lieux du Soleil & de la Lune » (p. 627-629), de plusieurs calculs relatifs aux années 1739-1740 (p. 630-633), de « Formules pour calculer les Aberrations des Etoiles fixes [...] démontrées par M. Clairaut dans les Mém. de l’Académie des Sciences de l’année 1737 » (p. 633-634). Il se termine par une « Table des matieres », c’est-à-dire d’un index, (p. 635-655) et enfin par l’« Extrait des Registres de l’Académie Royale des Sciences » et le « Privilege du Roi » (p. 655-656).

Les chapitres I-XXX, qui forment le corps principal de l’ouvrage, constituent une traduction assez fidèle de l’Introductio ad veram astronomiam, publiée en latin par John Keill en 1718, rééditée ensuite plusieurs fois dans la même langue. Nous n’en avons trouvé en ligne une édition anglaise qu’en 1778, à Londres, sous le titre An Introduction to the true Astronomy (« The Sixth Edition, Corrected »).

Les Institutions astronomiques ne sont éclipsées que par l’Astronomie de Lalande, dont la première édition paraît en 1764. En d’autres termes, pendant toute la période de rédaction de l’Encyclopédie, l’ouvrage de Le Monnier est considéré comme la référence en matière d’observations et de tables (certes non de mécanique céleste), même si d’autres ouvrages sont meilleurs que le sien (ou plutôt que sa variante de Keill) sur divers points fondamentaux de la science astronomique.

Paraissant en 1746, un an avant les débuts de l’Encyclopédie, les Institutions astronomiques sont une chance inespérée pour D’Alembert. D’une part, il s’agit d’un ouvrage au caractère pédagogique marqué : le livre de Keill était un recueil de leçons. Le Monnier est resté fidèle à l’esprit et a rédigé des « Elémens d’astronomie » destinés aux « commençans », pour reprendre ses propres termes. D’autre part, il s’agit d’un ouvrage moderne : les synthèses précédant celle de Le Monnier remontaient au XVIIE siècle et s’arrêtaient, au mieux, aux travaux de Newton. Dans les Institutions astronomiques, les dernières découvertes (aberration, figure de la Terre, parallaxes...) trouvent leur place.

Les 65 articles citant Pierre Charles Le Monnier

A l’aide des moteurs de recherche, en effectuant des requêtes sur les mots « Monnier », « Institutions », « Astronomiques » et leurs diverses variantes et en utilisant la Table du pasteur Mouchon, nous avons dénombré 65 articles citant ou utilisant, soit les Institutions astronomiques de Le Monnier, soit quelques autres de ses publications : l’Histoire céleste de 1741, « une théorie des comètes » (la traduction de la cométographie de Halley) et des mémoires dans les volumes de l’Académie, voire des allusions plus vagues.

La plupart de ces articles sont signés (O), mais on en dénombre aussi 6 du chevalier de Jaucourt, pour des mesures d’altitude, de longitude et de latitude : Isle de Fer, LISBONNE, MONT-D’OR, PEKING, PONDICHERY ou PONTICHERY et TOULON (t. VIII-XVI, tous publiés en 1765). Il reste 59 articles attribuables à D’Alembert (57 signés (O) et deux non signés à leur endroit mais visiblement de lui, à savoir EQUINOXE et Racine). Dans deux d’entre eux, GLACÉ et PENDULE, il s’agit juste d’une allusion à l’expédition de Laponie ; cette aventure est également évoquée dans Figure de la Terre, qui cite aussi l’Histoire céleste. Tous les autres articles sont explicitement relatifs aux Institutions astronomiques, sauf Ascension (qui renvoie à la théorie des comètes) et REFRACTION (l’Histoire céleste). Certains citent, en plus, également une autre œuvre : ASTRONOMIQUE (l’Histoire céleste), COMETE (la théorie des comètes), MERCURE (les MARS, 1747), Méridien (les MARS, 1742), Passage (l’Histoire céleste). Notons enfin que ANNUEL et CONSTELLATION évoquent Le Monnier de façon vague.

Voici donc la liste des 52 articles qui renvoient explicitement aux Institutions astronomiques : ABERRATION ; ACRONYQUE ; ALMAGESTE ; AN, ou ANNÉE ; APHÉLIE ; APOGÉE ; APSIDE ; ASTRONOMIE ; ASTRONOMIQUE ; Aurore boréale ou Lumiere septentrionale ; AZIMUTH ; Bandes de Jupiter ; CIEL ; COMETE ; Conique ; CREPUSCULE ; CYCLE ; Déclinaison ; Diametre ; DICHOTOMIE, BISSECTION ; ECLIPSE ; ECLIPTIQUE ; ECU de Sobieski ; Ellipse de M. Cassini ; ELONGATION ; Equation du mouvement des Planetes ; EQUINOXE ; ETOILE ; GALAXIE ; GÉOCENTRIQUE ; Globe ; GNOMON ; INÉGALITÉ ; Julienne (Année) ; JUPITER ; LIBRATION ; LOGISTIQUE ; LUNE ; MARS ; MERCURE ; Méridien ; Optique ; PARALLAXE ; Parallelisme de l’axe de la terre ; Passage ; Racine ; SATELLITE ; SATURNE ; Station ; Tables astronomiques ; Taches ; VENUS.

D’Alembert et Le Monnier dans l’Encyclopédie

Comme nous l’avons dit, D’Alembert n’a pas de bonnes relations avec La Caille et Lalande, proches de Clairaut, mais il s’entend en général très bien avec Le Monnier leur ennemi. Il ne manque jamais une occasion de le louer. Voici par exemple le passage terminal de l’article MERCURE (Enc., X, p. 371a) :

M. le Monnier, dans l’assemblée publique de l’académie des Sciences d’après Pâques 1747, a lu un mémoire qui contient les élémens de la théorie de Mercure, déterminés avec l’exactitude qu’on sait qu’il apporte dans l’Astronomie. (O)

D’Alembert donne d’ailleurs une présentation globale et synthétique de l’ouvrage principal de Le Monnier à l’article ASTRONOMIE :

Au reste les ouvrages les plus proportionnés à la capacité des commençans, sont les Instructions astronomiques de Mercator, publiées en 1606 : elles contiennent toute la doctrine du ciel, tant ancienne que moderne ; & l’Introduction à la vraie Astronomie de Keill, publiée en 1718, où il n’est question que de l’Astronomie moderne. Ces deux ouvrages sont également bien faits l’un & l’autre, & également propres au but de leurs auteurs. Le dernier de ces traités a été donné en françois par M. le Monnier en 1746, avec plusieurs augmentations très-considérables, relatives aux nouvelles découvertes qui ont été faites dans l’Astronomie ; il a enrichi cet ouvrage de nouvelles tables du soleil & de la lune, & des satellites, qui seront d’une grande utilité pour les Astronomes. Enfin, il a mis à la tête un essai en forme de préface, sur l’histoire de l’Astronomie moderne, où il traite du mouvement de la terre, de la précession des équinoxes, de l’obliquité de l’écliptique, & du moyen mouvement de Saturne. (Enc., I, p. 792b)

Il annonce aussi divers ouvrages de Le Monnier en préparation, par exemple à l’article ASTRONOMIQUE :

M. le Monnier fils, de l’Académie royale des Sciences, & des Sociétés royales de Londres & de Berlin, a publié en 1741 un excellent recueil des meilleures observations astronomiques, faites par l’Acad. royale des Sciences de Paris, depuis son établissement. On n’en a encore qu’un volume qui doit être suivi de plusieurs autres : l’ouvrage a pour titre, Histoire céleste ; il est dédié au Roi, & orné d’une préface très-savante. (Enc., I, p. 793b)

La nature des emprunts à Le Monnier

Quels sont alors les emprunts de D’Alembert à Le Monnier ? Ils concernent
   – soit des données (tables, déclinaison, ascension droite, etc.),
   – soit des développements historiques,
   – soit des descriptions d’objets célestes,
   – soit des explications plus théoriques en général assez physiques, c’est-à-dire qualitatives.
En général, il s’agit essentiellement de renvois pour de plus amples détails, mais plusieurs articles reproduisent des paragraphes entiers : ABERRATION, COMETE, Parallelisme de l’axe de la terre. Les pages des Institutions sont souvent précisées ou faciles à trouver d’après le thème. L’« Essai sur l’histoire » est mentionné en général sous le nom de « Préface ». Voici quelques exemples.

D’Alembert peut reprendre tels quels de longs passages des Institutions astronomiques, comme il le dit explicitement lui-même à l’article Parallelisme de l’axe de la terre :

Ce parallelisme, & les effets qui en résultent, ont été très-bien développés dans les instit. Astronomiques, & nous croyons ne pouvoir mieux faire que de transcrire ici tout cet endroit, quoiqu’un peu long, parce qu’il ne nous a pas paru possible de l’abréger, ni de nous expliquer plus clairement. (Enc., XI, p. 907b)

Cet article, comme nous l’avons déja annoncé, est entierement tiré de l’Astronomie de Keill, traduite par M. le Monnier. (p. 909b)

Plus souvent, il renvoie pour les détails à Le Monnier, après avoir expliqué succinctement le phénomène, comme à l’article Passage :

Les observations des passages de Mercure & de Vénus sur le soleil, sont très-utiles pour déterminer différens points de la théorie de ces planetes. On trouve dans les Institutions astronomiques de M. le Monnier, un mémoire de M. Picard sur ce sujet. Hist. acad. des Scienc. 1743, & les Inst. de M. le Monnier. Voyez Mercure & Vénus. (Enc., XII, p. 114b)

Fréquemment, D’Alembert reprend un paragraphe de l’ouvrage de Le Monnier mais en prenant la peine d’en modifier la rédaction. À titre d’exemple, voici un paragraphe de l’article ETOILE puis son jumeau dans les Institutions astronomiques.

Par exemple, Procyon, que Ptolomée regarde comme une étoile de la première grandeur, & que Tycho place dans la seconde classe, n’est rangé par Flamsteed ni dans l’une ni dans l’autre ; mais il le place entre la premiere et la seconde. (Enc., VI, p. 61a)

Par exemple le Petit chien, autrement nommé Procyon, n’est que de la seconde grandeur selon Tycho, quoique Ptolémée l’ait rangé dans la première classe. L’on pourroit donc ne compter cette Etoile, ni parmi celles de la premiere grandeur, ni parmi celles de la seconde, mais l’établir parmi celles qu’il faut regarder comme d’un genre intermédiaire. (Institutions astronomiques, chap. VI, p. 56)

Dans les articles portant le nom des planètes, ce sont surtout les données chiffrées qui font l’objet d’emprunts aux Institutions astronomiques.

Les considérations historiques proviennent systématiquement de l’« Essai sur l’histoire » qui sert de préface aux Institutions, il en est ainsi dans AN, ou ANNÉE :

Mais l’année dont tous les auteurs qui ont écrit en Arabe ou en Persan, ont fait usage dans leurs tables Astronomiques, est semblable aux années Egyptiennes, lesquelles sont toutes égales, étant de 365 jours sans intercalation. Inst. Astr. de M. le Monnier. (Enc., I, p. 391a)

Conclusion

Peut-on alors dire que D’Alembert a, en astronomie, le même rapport aux Institutions astronomiques de Le Monnier, qu’il a, en physique, aux Essais de physique de Musschenbroeck ? En première approximation, oui : dans les domaines où il n’est pas vraiment spécialiste, l’encyclopédiste comble ses lacunes en utilisant ce qu’il considère (assez à juste titre) comme le meilleur ouvrage de référence pour l’époque. Mais il y a au moins trois différences importantes.

D’abord, en astronomie, il a abordé – et de façon remarquable et originale – la plupart des sujets théoriques, par la voie physico-mathématique, c’est-à-dire en mécanicien céleste ; il lui manque les observations et l’aspect historique. Dans ce qu’on appelle la physique, disons générale et particulière, son œuvre personnelle n’a traité que des fluides et de la vision, il n’a guère touché au chaud et au froid, à l’électricité, au magnétisme, etc.

Ensuite, en « physique », D’Alembert recopie allègrement des chapitres presque entiers de Musschenbroeck, avec coupures, modifications ponctuelles ou commentaires. En astronomie, sauf exceptions, les renvois à Le Monnier le sont en général pour de plus amples précisions ; D’Alembert s’étant contenté de résumer les idées. Il est donc malveillant, comme le fait Lalande dans le tome IV de l’Histoire des mathématiques de Montucla en 1802, de prétendre : « Le Monnier étoit son ancien ami ; aussi dans l’Encyclopédie, les articles d’astronomie, qui étoient tous de d’Alembert, se réduisoient souvent à dire : voyez les Institutions astronomiques [...] » (t. IV, p. 71, n. (1)).

Enfin, si Musschenbroeck (mort en 1762) est vivant pendant la rédaction des articles de l’Encyclopédie, D’Alembert ne le connaît pas et ne lui a pas demandé son avis ; il puise comme un compilateur éclairé, voire critique. En revanche, il est lié de près à Le Monnier, le rencontre plusieurs fois par semaine, est impliqué dans ses travaux et dans ses polémiques (contre Clairaut, La Caille, Lalande...) ; il est donc fort possible que Le Monnier ait été consulté sur certains articles ou du moins que ceux-ci reflètent une pensée élaborée en commun. En ce sens, est-il impertinent de considérer Pierre Charles Le Monnier comme co-auteur de l’Encyclopédie ?

Indications bibliographiques

Douglas H. Gordon et Norman L. Torrey, The Censoring of Diderot’s Encyclopédie and the re-established text, New York, Columbia University Press, 1947.

Jean le Rond D’Alembert, Premiers textes de mécanique céleste (1747-1749), Œuvres complètes, vol. I/6, Michelle Chapront-Touzé (éd.), Paris, CNRS Éditions, 2002.

Jean le Rond D’Alembert, Précession et nutation (1749-1752), Œuvres complètes, vol. I/7, Michelle Chapront-Touzé et Jean Souchay (éd.), 2007.

Jérôme de Lalande, Bibliographie astronomique ; avec l’histoire de l’astronomie depuis 1781 jusqu’à 1802, Paris, De l’Imprimerie de la République, An XI – 1803, p. 819-826 [consulter].

Jean-Étienne Montucla, et Jérôme de Lalande, Histoire des mathématiques, tome IV, Paris, Henri Agasse, An X (mai 1802) [consulter].

Michelle Chapront-Touzé, « Aspects de l’œuvre et de la vie de Pierre-Charles Le Monnier, astronome et académicien, collègue de Grandjean de Fouchy », Revue d’histoire des sciences, 61-1 (janvier-juin 2008), p. 89-103.

par Pierre Crépel

Date de dernière mise à jour : 15 mars 2016

Pour citer cette notice : Pierre Crépel, « Les Institutions astronomiques de Le Monnier  », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.


Le Dictionnaire universel de médecine de James

Ressources en ligne

Robert James, Dictionnaire universel de médecine... traduit de l'anglais par Mrs Diderot, Eidous et Toussaint, Paris, Briasson, David l'aîné, Durand, 1re éd., 1746-1748, 6 vol. :
t. 1 (A-Angiglossi) / t. 2 (Angina-Carcinoma) / t. 3 (Cardamantice-Fyada) / t. 4 (G-Oculista) / t. 5 (Oculus-Sudamina) / t. 6 (Sudor-Zythos)


Le Lexicon Technicum de J. Harris

Dans le deuxième paragraphe de la préface de la Cyclopædia, Ephraïm Chambers dévoile ses sources :

« I come, like an heir, to a large patrimony, gradually raised by the industry and endeavours of a long race of ancestors. What the French and Italian academists, the abbe Furetiere, the editors of Trevoux, Savary, Chauvin, Harris, Wolfius, Daviler, and others have done, has been subservient to my purpose. »

En effet, Chambers puise dans le Lexicon Technicum de John Harris, notamment pour les sciences, en citant généralement sa source. Après avoir évoqué brièvement l’auteur et l’œuvre, nous nous arrêterons plus longuement sur les mentions de Harris dans l’Encyclopédie.

John Harris (1666 ou 1667-1719)

Une incertitude sur l’année et le lieu de naissance de John Harris subsiste dont le Dictionary of National Biography (1891) fait état. Cette source atteste d’études au St John’s College de Cambridge tandis que le Dictionary of Scientific Biography (1972) mentionne le Trinity College d’Oxford. John Harris entre ensuite dans les ordres et bénéficie, grâce à ses protecteurs, de diverses positions dans l’Église anglicane. Ses recherches le poussent vers les sciences et lui donnent accès en 1696 à la Royal Society dont il sera un éphémère secrétaire (pendant la seule année 1709). Il se voit confier en 1698 les prestigieuses Boyle Lectures, conférences destinées à défendre, en s’appuyant notamment sur Newton, une théologie rationnelle, face à ceux qui cherchent à opposer science et religion. Parallèlement, John Harris délivre d’autres conférences scientifiques pour un public plus large au Marine Coffee House, ainsi que des cours de mathématiques à son domicile, près de l’église Saint-Paul, un quartier où abondent les boutiques de libraires. En contact avec des éditeurs londoniens, il entreprend divers travaux originaux ou de compilation, dont le Lexicon Technicum (1704). Plutôt dispendieux, selon ses biographes, il meurt dans la pauvreté en laissant une œuvre abondante et variée. Un portrait gravé par George White (1645-1732) figure au début du Lexicon Technicum.

Lexicon Technicum

Le titre long de l’ouvrage explicite le projet de John Harris : Lexicon Technicum : or, an Universal English Dictionary of Arts and Sciences Explaining not only the Terms of Art, but the Arts Themselves. Dans sa préface, il rappelle ce souci de ne pas s’arrêter à une simple terminologie. Le Lexicon Technicum ne comporte pas de définition du mot ART. En revanche, la Cyclopædia revient longuement sur la polysémie du terme. Harris partage la conception du chancelier Bacon ainsi exposée par Chambers :

« a proper disposal of the things of nature by human thought and experience, so as to make them answer the designs and use of mankind. »

Du reste, dans la liste des souscripteurs du Lexicon Technicum fournie à la suite de la préface, aux côtés des aristocrates, des membres du clergé anglican, et des Fellows de la Royal Society figurent de nombreux marchands, artisans, fabricants d’instruments ou marins.

Il est assez difficile de tracer l’histoire des éditions du Lexicon Technicum car elle défie la chronologie. La première édition in-folio (1704) comporte un volume et 8 200 entrées. Un volume II paraît en 1710, parfois dénommé « Supplement » par les sources secondaires, bien que ni la page de titre ni Harris dans son introduction ne stipulent ce statut. Une seconde édition est mentionnée en 1708 pour le volume I avec un volume II paraissant en 1723. Une troisième édition est publiée en 1716 (volume I uniquement). Une quatrième paraît en 1725 (volume I uniquement). Jusque-là, chacun des volumes I ou II comporte toute la nomenclature de A à Z. La cinquième et dernière édition de 1736, comptant 12 000 entrées, rompt avec l’habitude puisque le premier volume traite des articles de A à H et le second de J à Z. Un Supplement anonyme paraît en 1744, soit vingt-cinq ans après la mort de Harris, rédigé par « A society of Gentlemen ». Il s’agit donc de ce que l’ENCCRE dénomme « suite et métamorphose ». Il convient de ne pas le confondre avec le volume II de 1710.

Le Lexicon technicum est illustré de nombreuses figures dans le texte ainsi que de planches intercalées dans le volume. Dans la préface de l’édition de 1704, Harris laisse entendre qu’elles ont été conçues spécialement pour l’ouvrage et ont accru d’une manière non souhaitée le coût de publication. En revanche, il ne donne aucune précision sur les artistes en charge des figures et planches. Les volumes II comportent également de nombreuses tables mathématiques et astronomiques.

Un index alphabétique situé dans le volume II de 1710 livre les domaines traités par le Lexicon Technicum :

« Navigation and Sea-Terms ; Mathematical and Philosophical Instruments, and Practical Mathematicks ; Arithmetick and Algebra ; Natural Philosophy and Physicks ; Geography and Chronology ; Chymystry ; Heraldry ; Architecture ; History, Ancient Customs, &c. ; Anatomy ; Painting and Sculpture ; Agriculture and Hortulane Terms ; Opticks and Perspective ; Botany, Natural History, and Meteorology, &c. ; Law, Common, Civil and Canon ; Grammar, Rhetorick, Poetry, &c. ; Mechanicks, Staticks, &c. ; Conicks ; Dialling ; Chyrurgery, Pharmacy and Names of Diseases ; Musick ; Geometry ; Fortification, Gunnery, and Art Military ; Logick, Metaphysicks and Ethicks ; Astronomy, and Doctrine of the Sphere. »

Concernant ses sources, John Harris précise dans la préface de la première édition qu’il s’est rarement servi des dictionnaires antérieurs (dont celui de l’Académie française et le Furetière), préférant puiser chez les meilleurs auteurs, au prix d’années de labeur. Il ne mentionne pas le mathématicien William Jones (1675-1749) qui réside dans la même maison que lui et qui a vraisemblablement contribué aux articles de mathématiques et de navigation. Il s’agit peut-être de « my Amanuensis or Assistant » évoqué par Harris sans en donner le nom. A la fin de ladite préface, il fournit une liste des emprunts effectués dans chacun des domaines traités. Une place à part est réservée à Sir Isaac Newton cité à plusieurs reprises. Les Anglo-Saxons sont bien sûr plus nombreux que les continentaux mais on remarque toutefois les noms de Varignon (1654-1722) et de Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708).

Les mentions de Harris dans l’Encyclopédie

Le Prospectus de l’Encyclopédie (1750) mentionne Harris dans sa page de titre, au même niveau que Chambers :

Effectivement, la référence à Harris intervient fréquemment sous la forme « Harris & Chambers » à la fin d’un paragraphe ou d’un article, laissant supposer qu’il est issu, au moins pour partie, de la traduction du Lexicon Technicum et/ou de la Cyclopædia.

Un problème d’homonymie perturbe le recensement des articles où figure la mention « Harris ». En effet, c’est au médecin Walter Harris (1647-1732), auteur entre autres de De morbis acutis infantum (1689) et de Dissertationes medicae & chirugicae (1725), et non pas à John Harris, que se réfèrent les auteurs suivants d’articles de l’Encyclopédie :

Diderot : AMPHIBRONCHES.
Bordeu : CRISE (Medecine.).
D’Aumont : DENTITION (Médecine.) ; DIABETES (Medecine.) ; Enfans (Maladies des).
Jaucourt : VARICE, (Chirurgie.).
Daubenton, Vandenesse : APOCYN, (Hist. nat. & bot.).

Certaines de ces mentions de (Walter) Harris parviennent par le truchement du Dictionnaire universel de médecine de Robert James dont Diderot est l’un des traducteurs.

Si nous excluons la médecine et la chirurgie pour la raison mentionnée plus haut, les domaines qui font référence à John Harris sont, sans surprise, la géographie (25 articles), les sciences mathématiques (algèbre, arithmétique, géométrie, mathématiques : 22 articles), l’astronomie (17 articles), la physique et l’optique (11 articles). Chacun des autres domaines intervenant dans l’inventaire ne concerne qu’un ou deux articles.

Voici, classés par contributeur, les articles qui font référence à Harris et dont on peut légitimement penser qu’ils sont, pour partie, issus du Lexicon Technicum :

Diderot : ADARIGE, (Chimie.).

D’Alembert : ALGEBRE, s. f. (Ordre Encyclopédique : Entendement, Raison, Science de la Nature, Science des êtres réels, des êtres abstraits, de la quantité ou Mathématiques, Mathématiques pures, Arithmétique, Arithmétique numérique & Algebre. ) (la référence à Harris est située dans l’erratum) ; ARDENT (miroir) ; Carte Marine ; Combustion, terme de l’ancienne Astronomie ; COMMUTATION, terme d’Astronomie ; COMPRESSION (Physique.) ; CONCAVE (Gram. Géom. & Physiq.) ; CONGRÉGATION (Physiq.) ; CYNOSURE, terme d’Astronomie ; DONNÉ ; Données, terme de Mathématique ; DROIT, en Géométrie ; Echo ; Elliptique (Géom.) ; EMBOLISME (Chronologie.) ; Emersion, en Astronomie ; EPICYCLE, en Astronomie ; ETHER (Physiq.) ; ETOILE, en Astronomie ; EXHALAISON (Physiq. ) ; FIRMAMENT (Astronomie.) ; Usages du Globe terrestre ; Gnomon, en Astronomie ; HÉLIAQUE, terme d’Astronomie ; HELIOCOMETE (Astron. & Phys.) ; OCCIDENT (Astronom.).

La Chapelle : Compas a pointes tournantes ; CONCENTRIQUE, terme de Géométrie & d’Astronomie ; EPIPEDOMETRIE, dans les Mathématiques ; EQUIDIFFÉRENT, en Arithmétique ; EQUIMULTIPLE, en Arithmétique & en Géométrie ; ICOSAEDRE, terme de Géométrie ; POLYGRAMME (Geom.).

Leblond : ECHAUGUETTE (Fortificat.) ; STRATARITHMOMÉTRIE, en guerre.

Jaucourt : Fez, (Géog.) ; GOES, ou TER-GOES (Géogr.) ; GRÉENWICH, (Géog.) ; GRENOBLE (Géogr.) ; Guadaloupe (la) ou Guadeloupe, (Géog.) ; HEIDELBERG, (Géog.) ; INSPRUCK, (Géog.) ; LIVOURNE, (Géog.) ; NANGASAKI, (Géog.) ; Olinde, (Géog.) ; QUEBEC, (Géogr. mod.) ; REGGIO, (Géog. mod.) ; ROSTOCK, (Géog. mod.) ; SALAMANQUE, (Géog. mod.) ; SARAGOSA ou SARAGUSA, (Géog. anc.) ; STAFFORD, (Géog. mod.) ; STOCKHOLM, (Géogr. mod.) ; TIDOR, TIDORE, TYDOR, (Géog. mod.) ; Vienne, (Géog. mod.) ; UTRECHT, (Géog. mod.) ; WOLFFENBUTTEL, (Géog. mod.).

Mallet : HÉPHTHÉMIMERE, (Litt.) ; OFFERTOIRE.

La Chapelle, D’Alembert : ECHELLE, en Mathématiques ; EQUIDISTANT, en Géométrie ; EQUILATÉRAL, ou EQUILATERE, (Géom.) (pour ces trois articles, la référence à Harris se situe à la fin de la partie signée par La Chapelle)

Faiguet, La Chapelle, D’Alembert : EXTRACTION, (Arithm. & Algeb.).

Mallet, D’Alembert : HEURE, (Astr. & Hist.) (la référence à Harris se situe à la fin de la partie signée par Mallet).

D’Alembert, Formey : JUPITER, (Astron.) (la référence à Harris se situe à la fin de la partie signée par D’Alembert).

Anonyme : Abaque ; CERATIAS, (Astronom.) ; CLYPEI-FORME, (Physique.) ; EQUERRE, (Géometr.) ; KARITE ou CARITE, (Théolog.) ; LAMPADIAS, (Phys.) ; LAURETS, (Hist. mod.) ; LITOTE,. ou diminutions en Rhétorique, (Littér.) ; LONCHITES ou HASTIFORME, s. f. (Phyl.) ; MADAGASCAR, (Géogr. ) ; MAUND, (Hist. mod.) ; Mesure longue, (Antiq. Arts & Comm.) ; NARSINGAPATAN, (Géog.) ; OSACA, (Géog.) ; PARABOLA, (Arith. & Alg.) ; QUINCUNCE, en Astronomie ; TECHNIQUE, (Belles lettres.).

Deux articles au moins font explicitement référence à « Harris Supplément ». Il s’agit de KARITE ou CARITE et MAUND. Mais les deux vedettes sont présentes dans le volume II de 1710 du Lexicon Technicum. Donc la mention au « Supplément » ne concerne pas la « suite et métamorphose » anonyme de 1744.

Les articles de géographie, signés par Jaucourt ou anonymes, font appel à Harris pour la mesure de la longitude, sous la forme « selon Harris, la long. est…» ou « long. suivant Harris… », avec de petites variantes. Les données compilées proviennent d’un tableau de latitudes et longitudes contenu dans le volume II de 1710. Naturellement, les longitudes fournies par Harris sont mesurées à partir du méridien de l’Observatoire de Greenwich. Or, dans l’Encyclopédie, l’origine des longitudes demeure généralement le méridien de l’île de Fer (El Hierro - Canaries) utilisé depuis Ptolémée. Le tableau de Harris donnant également la longitude d’El Hierro, Jaucourt peut effectuer le calcul simple de conversion à partir de la valeur donnée par Harris. Le Lexicon Technicum ne contient pas d’article correspondant aux villes décrites par Jaucourt. Elles apparaissent uniquement dans le tableau susmentionné. Les coordonnées géographiques sont donc la seule information empruntée par Jaucourt à Harris. Trois articles de désignant « géographie », comportant une référence à Harris, ne sont pas signés : MADAGASCAR, NARSINGAPATAN et OSACA. Les trois figurent dans le tableau des latitudes et longitudes du Lexicon Technicum (avec l’orthographe « Narsinga » et « Ozaka » pour les deux derniers). Cet indice peut laisser supposer qu’ils sont de la plume de Jaucourt. Mais cette hypothèse doit encore être confirmée.

Aux yeux de Harris, les mathématiques sont centrales, tant dans leur dimension théorique que pratique ainsi qu’il l’explique dans la préface du Lexicon Technicum :

« I have been very Full and Particular in the Mathematicks, because ‘tis the only Solid Foundation on which a Useful Enquiry into Nature and all Physical Learning, can possibly be built ; and because ‘tis also of the greatest Use and Advantage to Mankind in all respects. »

Ainsi, D’Alembert et La Chapelle sont les deux emprunteurs majeurs au Lexicon Technicum, en particulier pour des articles de terminologie. Toutefois, à l’exception d’ALGEBRE, aucun article essentiel ne figure dans l’inventaire ci-dessus. En particulier, les vedettes autour des apports de Newton n’y apparaissent pas, alors que nous avons vu l’importance du père de la théorie de la gravitation pour Harris. L’explication tient sans doute au caractère daté du Lexicon Technicum. Depuis sa parution au début du siècle, de nombreux écrits plus actuels et plus savants (notamment ceux de Maupertuis) ainsi que les débats autour de la figure de la Terre ont contribué à diffuser les idées newtoniennes en France.

Parmi les articles d’astronomie de l’Encyclopédie portant la mention finale « Harris », notons que plusieurs ont trait à des formes caractéristiques de comètes et constituent un vocabulaire très spécifique, hérité de l’Histoire naturelle de Pline, et repris par l’astronome Johannes Hevelius (1611-1687) dans sa Cometographia. Nous n’en avons pas trouvé trace dans les ouvrages français du tournant des XVIIe-XVIIIe siècle. En revanche, ils reviennent dans les traités postérieurs. Quatre de ces articles de l’Encyclopédie, au moins, résultent d’une traduction intégrale du Lexicon Technicum : CERATIAS, CLYPEI-FORME, LAMPADIAS et LONCHITES. Ils ne sont pas repris dans la Cyclopædia de Chambers.

La conclusion de cette brève étude devra être confirmée ou infirmée par l’annotation des divers articles : il semble que les emprunts à Harris soient essentiellement le fait de D’Alembert, La Chapelle et Jaucourt. Ils concernent des articles ne présentant pas un intérêt majeur. En particulier, les « Arts » au sens du XVIIIe siècle sont singulièrement absents. Diderot n’a pas souhaité reprendre à son compte cette source, somme toute déjà ancienne, pour l’étude renouvelée qu’il voulait engager dans ce vaste champ.

Indications bibliographiques

Frank A. Kafker, Notable encyclopedias of the seventeenth and eighteenth centuries : nine predecessors of the "Encyclopédie", Oxford, The Voltaire foundation, 1981.

Larry Stewart, The Rise of Public Science: Rhetoric, Technology, and Natural Philosophy in Newtonian Britain, 1660-1750, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

Yoichi Sumi, « L’Encyclopédie située à mi-chemin entre l’est et l’ouest, l’avant et l’après », RDE, n°40-41, 2006, p. 31-53.

Richard Yeo, Encyclopaedic Visions: Scientific Dictionaries and Enlightenment Culture, Cambridge, Cambridge University Press, 2001.

par Colette Le Lay

Date de dernière mise à jour : 27 janvier 2022

Pour citer cette notice : Colette Le Lay, « Le Lexicon Technicum de J. Harris », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.


Le Dictionnaire historique de Moréri

Ressources en ligne

Louis Moreri, Le Grand dictionnaire Historique, ou Le mélange curieux de l'histoire sacrée et profane, Amsterdam, Leyden, La Haye et Utrecht, 1740, 8 vol. :
t. I (A) / t. II (B-Ch) / t. III (Ch-E) / t. IV (F-H) / t. V (I-L) / t. VI (M-O) / t. VII (P-Se) / t. VIII (Se-Z)


Les Synonymes françois de l’Abbé Girard

Ressources en ligne

Synonymes François, leurs différentes significations et le choix qu’il en faut faire pour parler avec justesse, 3e éd., Paris, 1741 [consulter]

En 1718, l’Abbé Girard, académicien, avait publié La Justesse de la langue françoise ou les différentes significations des mots qui passent pour synonymes, et en 1736, il donna la première édition des Synonymes François, leurs différentes significations et le choix qu’il en faut faire pour parler avec justesse, à Paris chez la Veuve d’Houry. L’ouvrage, un in 12˚, connut de nombreuses rééditions à Paris, en 1740, 1741 , 1753, puis en Hollande. Beauzée en donnera, en 1769, chez Le Breton, une version en deux volumes, augmentée, notamment de l’apport des articles de « synonymes » parus, entre temps, dans l’Encyclopédie. Enfin, en l’an IX de la République, le même Beauzée publiera le Dictionnaire Universel des Synonymes de la langue française, en trois volumes.

Les ouvrages de l’Abbé Girard avaient inauguré une approche des significations dont les Encyclopédistes perçurent vite, s’approprièrent et enrichirent la fondamentale nouveauté. Selon Girard, en effet, comme « il n’y a point de mots assez parfaitement synonymes pour avoir, dans toutes sortes d’occasions, une force de signification entièrement semblable », il est nécessaire de procéder à l’analyse des fines nuances qui différencient ces mots « frères par une idée commune » mais qui se distinguent « l’un de l’autre par une idée accessoire et particulière à chacun d’eux » (préface à l’édition de 1741, p.  viij).

Girard n’était pas logicien mais ses préoccupations l’étaient. Et on voit ce qui, dans sa démarche, put attirer les Encyclopédistes : la réflexion sur le terme propre, l’effort d’élucidation porté sur les bizarreries de la langue naturelle, la possibilité de mettre les capacités d’analyse au service du véhicule de la pensée, en accord, d’ailleurs, avec Dumarsais, premier grammairien de l’Encyclopédie, qui, consacrant la dernière observation de son Traité des Tropes aux synonymes, renvoyait, pour ce qui regarde la langue française, à l’ouvrage de Girard. C’est donc cette préoccupation de la justesse de la langue qui donna lieu aux articles de « Grammaire, Synonymes » si fréquents dans le Dictionnaire raisonné : Diderot, D’Alembert, Jaucourt, Voltaire et bien d’autres utilisèrent souvent le traité de Girard pour le copier, l’amender ou le critiquer. Il est une des sources reconnues de l’Encyclopédie.

Indications bibliographiques

Pour ce qui concerne Diderot, voir liste comparative détaillée des articles de « synonymes » de Diderot et de ceux de Girard, dans Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie, annexe IV, p. 557–565.

Sur D’Alembert, voir Sylvain Auroux, « D’Alembert et les synonymistes », Dix-huitième Siècle, 16, 1984.

Sur Voltaire et Girard, voir R.R. Naves, Voltaire et l’Encyclopédie, Paris, Éd. Presses Modernes, 1938, p. 118–19.

Sur l’usage du traité de Girard et ses limites, voir Marie Leca-Tsiomis, « Diderot et les synonymes dans l’Encyclopédie », dans Classer les mots, classer les choses : synonymie, analogie et métaphore au XVIIIe siècle, Paris, Garnier, 2014, p. 79-89.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 10 août 2016

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Les Synonymes françois de l’Abbé Girard », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.


L’Historia critica philosophiae de Jacob Brucker

Ressources en ligne

Historia critiqua philosophiae a mundi incunabulis ad nostram usque aetatem deducta, Lipsiae, B. C. Breitkopf, 1742-1744, 4 tomes en 5 vol. :
t. I / t. II / t. III / t. IV et V.

Jacob Brucker naît le 22 janvier 1696 à Augsburg où il a été pasteur. Il publie en 1719 un Testamen introductionis in historiam doctrinae de ideis et, en 1723, une Historia philosophica doctrinae de ideis. C’est en 1742 que paraît le premier tome de son grand livre Historia critica philosophiae a mundi incunabilis ad nostram usque aetatem deducta, achevé en 1744. C’est la première histoire de la philosophie digne de ce nom. Bien que, comme historien, il se défende de juger les systèmes qu’il expose, son histoire est orientée : elle est l’histoire de l’esprit humain arraché aux ténèbres et peu à peu élevé vers la lumière et la vérité. La vérité est une, mais on peut y accéder de deux manières, par la voie surnaturelle de la foi, qui n’est pas ouverte à tous, et la voie tout humaine de la raison, qui est longue et hasardeuse.

À la différence de plusieurs de ses prédécesseurs, Brucker n’exclut pas la religion du domaine de ses investigations. Il veut au contraire la traiter en objet de science au même titre que toutes les inventions humaines, ce qui lui a valu les soupçons du journaliste de Trévoux.

C’est le 7 novembre 1750 que Diderot emprunte l’ouvrage à la bibliothèque royale qu’il utilisera constamment dans les articles dits d’« Histoire de la Philosophie ». Pour une étude approfondie de cette source essentielle des Encyclopédistes, voir Jacques Proust, « Historia critica philosophiae de Jacob Brucker » (d’où sont extraites les lignes ci-dessus).

J’ajoute ici que Brucker inclut à son Historia des chapitres concernant la Philosophie naturelle (De emendata auctaque philosophia naturali) largement dédiés aux savants auxquels les Encyclopédistes consacreront eux-mêmes des articles, tels que Copernic, Newton, Tycho Brahé, Kepler, etc. L’ouvrage de Brucker a-t-il aussi été utilisé dans ces articles ? La question est posée.

Indications bibliographiques

Jacques Proust, « Historia critica philosophiae de Jacob Brucker », Diderot et l’Encyclopédie (1962), Paris, Albin Michel, 1995, p. 224-254.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 3 mars 2016

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « L’historia critica philosophiae de Jacob Brucker », Les sources de l’Encyclopédie, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.


Le Dictionnaire historique et critique de Bayle


Le Nouveau Dictionnaire historique et critique de Chauffepié

Ce dictionnaire a notamment servi de source à Jaucourt pour les notices biographiques de Betterton (art. Westminster), Johnson, Otway (art. Tragédie) et Shakespeare (art. Stratford ou Stretford).

Une partie des nouveaux articles de cette édition provient d’une traduction anglaise du Dictionnaire historique et critique de Bayle parue entre 1734 et 1741, édition augmentée de très nombreuses notices biographiques : A General Dictionary, Historical and Critical : in which A New and Accurate Translation of that of the Celebrated Mr. Bayle [...], By the Reverend Mr. John Peter Bernard ; The Reverend Mr. Thomas Birch [etc.], London, 10 vol., 1734-1741.

Ressources en ligne

Nouveau dictionnaire historique et critique pour servir de supplement ou de continuation au Dictionnaire historique et critique de Mr. Pierre Bayle. Par Jaques George de Chauffepié, 4 vol., 1750-1756 :

t. I [A-BL] (1750) / t. II [BO-H] (1750) / t. III [I-P] (1753) / t. IV [Q-Z] (1756)


L'Antiquité expliquée du Père Montfaucon

Dom Bernard de Montfaucon (1665-1741), moine bénedictin, est l’auteur du monumental ouvrage intitulé L'Antiquité expliquée et représentée en figures (1719-1724), qui contenait 1120 planches, et qui fut écrit en français (le latin étant relégué en bas de pages).

Sur Bernard de Montfaucon, et son Antiquité expliquée, on ne peut que renvoyer à l’importante étude de Claudine Pouloin, parue dans la revue Dix-huitième siècle [consulter].

Il faut se souvenir que les encyclopédistes, sans le citer systématiquement, firent appel à lui dans de nombreux articles qui regardent l’Antiquité grecque, latine ou égyptienne.

Ressources en ligne

Bernard de Montfaucon, L’Antiquité expliquée et représentée en figures :

Tome I, première partie, « Les Dieux des Grecs & des Romains » (Paris, 1719)

Tome I, seconde partie, « Les Heros parvenus à la Divinité » (Paris, 1719)

Tome II, « Le culte des Grecs, des Romains, et des autres nations », première partie « contenant le culte des Grecs & des Romains » (Paris, 1719)

Tome II, seconde partie « La Religion des Egyptiens, des Arabes, des Syriens, des Perses, des Scythes, des Germains, des Gaulois, des Espagnols, & des Carthaginois » (Paris, 1719)

Tome III, « Les usages de la vie », première partie « Les Habits, les Meubles, les Vases, les Monoyes, les Poids, les Mesures, des Grecs, des Romains & des autres Nations » (Paris, 1719)

Tome III, seconde partie, « Les Bains, les Mariages, les grands & les petits Jeux, les Pompes, la Chasse, la Pêche, les Arts, &c. » (Paris, 1719) / seconde édition, revue et corrigée (Paris, 1722)

Tome IV, « La Guerre, les Voitures, les grands Chemins, les Ponts, les Aqueducs, la Navigation », première partie (Les Levées des Gens de guerre, les Habits, les Magazins, les Travaux, les Signes & les Combats militaires, les Armes de toutes les Nations, les Marches d’Armées, les Machines de guerre &c. » (Paris, 1719) / seconde édition, revue et corrigée (Paris, 1722)

Tome IV, seconde partie, « Les Chemins publics, les Aqueducs, & la Navigation » (Paris, 1719)

Tome V « Les Funérailles, les Lampes, les Supplices &c. », première partie (Paris, 1719)

Supplément, tome I, « Les dieux des Grecs et des Romains » (Paris 1724)
Supplément, tome II, « Le culte des Grecs, des Romains, des Egyptiens, et des Gaulois » (Paris 1724)
Supplément, tome III, « Qui comprend les habits & les usages de la vie » (Paris 1724)
Supplément, tome IV, « Qui comprend la Guerre, les Ponts, les Aqueducs, la Navigation, les Phares & les Tours octogones » (Paris, 1724)


Le Traité de la police de Nicolas de la Mare

Le Traité de la police paraît en 1705, le volume 2 en 1710 (avec réimpression en 1713), le volume 3 en 1719. En 1722 paraît une « Seconde édition augmentée » en 3 volumes, avec un 4e volume (par Anne-Louis Leclerc du Brillet), paru à titre posthume, en 1738.

Ressources en ligne

Nicolas de la Mare, Traité de la police, où l’on trouvera l’histoire de son établissement, les fonctions & les prérogatives de ses magistrats ; toutes les loix et tous les réglemens qui la concernent : On y a joint une description historique et topographique de Paris, & huit plans gravez, qui representent son ancien état, & ses divers accroissemens, avec un recueil de tous les statuts et réglemens des six corps des marchands, & de toutes les communautez des arts & métiers..., Paris, Jean et Pierre Cot, 1705-1710, 2 vol. in-folio :

t. I (1705)
t. II (1710) ou t. II (1713)
t. III, Paris, Michel Brunet, 1719

Seconde édition augmentée, Paris : Michel Brunet et J.-F. Hérissant, 1722-1738, 4 vol. in-folio :

Traité de la police, où l’on trouvera l’histoire de son établissement, les fonctions & les prérogatives de ses magistrats ; toutes les loix et tous les réglemens qui la concernent..., Seconde édition augmentée, t. I, Paris, Michel Brunet, 1722

Traité de la police, où l’on trouvera l’histoire de son établissement, les fonctions & les prérogatives de ses magistrats ; toutes les loix et tous les réglemens qui la concernent..., Seconde édition augmentée, t. II, Paris, Michel Brunet, 1722

t. III = éd. 1719 (BnF : « Le t. III appartient à la 1e éd., 1719. »)

Continuation du Traité de la police, contenant son établissement, les fonctions & les prérogatives de ses magistrats ; toutes les loix et tous les réglemens qui la concernent..., t. IV : De la voirie, Paris, J.-F. Hérissant, 1738.

Seconde édition augmentée, Amsterdam, Aux dépens de la Compagnie, 1729, 4 vol. in-folio :

t. I / t. II / t. III / t. IV


Le Dictionnaire de la Bible de Calmet

Ressources en ligne

Dictionnaire historique, critique, chronologique, geographique et litteral de la Bible, enrichi d'un grand nombre de Figures en taille-douce, qui représentent les Antiquitez Judaïques. Par le Reverend Pere Dom Augustin Calmet [...], Paris, Emery [père et fils], Saugrain [l'aîné], Pierre Martin, 2+2 vol., 1722 et 1728 :

t. I [A-L] (1722) / t. II [M-Z] (1722) / Supplément III [A-L] (1728) / Supplément IV [M-Z] (1728)

Édition de Genève (incluant le supplément), 4 vol., 1730 :

t.I [A-BY] / t. II [C-IZ] / t. III [K-RY] / t. IV [S-Z]

Nouvelle édition revue, corrigée et augmentée, 4 vol., Paris, 1730 :

t.I [A-DYS] / t. II [E-MY] / t. III [N-TY] / t. IV [V-Z]

La réception au xviiie siècle

La façon dont les volumes du Dictionnaire raisonné ont été accueillis dans la presse d’époque et plus largement dans les ouvrages du temps joua un rôle essentiel dans son histoire mouvementée et même dans son contenu (voir La bataille de la publication et La campagne anti-encyclopédique). Parmi les journaux qui rendirent compte d’une façon ou d’une autre de l’Encyclopédie, on trouve en particulier (cette liste étant loin d'être exhaustive) :

— Les Mémoires de Trévoux
— Le Journal des Savants
— L'Année littéraire
— Le Mercure de France
— Le Journal encyclopédique
— les Nouvelles ecclésiastiques
— la Correspondance Littéraire
— le Journal des savants
— la Religion vengée
— le Censeur hebdomadaire

Pour des renseignements sur ces journaux, voir le Dictionnaire des journaux de Jean Sgard [consulter] ; pour y accéder, voir le Gazetier universel mis en ligne par Denis Reynaud [consulter] ; pour une analyse détaillée de leurs contenus, voir John Lough, Essays on the Encyclopédie of Diderot and D’Alembert, London, Oxford University press, 1968, p. 252-423.

Par ailleurs, certains articles de l’Encyclopédie ont été publiés séparément ou ont paru dans les périodiques du temps : voir la rubrique consacrée aux articles repris dans la presse d’époque.

Le Journal encyclopédique

En son temps, une publication constitua une réception exceptionnelle des volumes de discours de l’Encyclopédie, ce fut celle du Journal encyclopédique. Sur l’histoire de cette entreprise, on consultera les travaux de Jacques Wagner sur le Dictionnaire des journaux et, plus précisément, sur son journaliste, Pierre Rousseau.

John Lough, dans ses Essays on the Encyclopédie a consacré un important chapitre à l’ensemble des « Contemporary french periodicals » et notamment au Journal encyclopédique de Pierre Rousseau (p. 399-423).

Il importe de savoir que, comme l’Encyclopédie elle-même, la parution des recensions ou extraits d’articles se fit, comme le Dictionnaire lui-même, en deux moments bien distincts : d’abord, du volume V au volume VII, soit de 1756 à 1758 ; puis, après l’interdiction (voir La bataille de la publication), et à la parution groupée des derniers volumes en 1765, les recensions reprirent, de 1766 à 1770, soit du volume VIII au volume XVII. Ce sera alors un des atouts du journal, quasiment seul à poursuivre l’accompagnement de l’Encyclopédie.

Pour accéder au Journal encyclopédique, on pourra consulter le précieux « Gazetier ».

Extraits d’articles du volume V au volume VII

1756, 15 février, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, volume V

Articles examinés :
Encyclopédie
Elémens des sciences
Droit (moral. jurispr.)
Dot
Œconomie politique
Articles choisis parmi les « excellentes choses dont ce volume abonde » (lit-on p. 32)

1756, 1er mars, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume V

Articles examinés :
Eclectique
Epicureisme
Eloquence (Voltaire non nommé)

1756, 1er mai, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume V

Articles examinés :
Analyse raisonnée de l’article « Electricité » de Le Monnier, Volume V toujours.
Poursuivie le 15 mai

En tout, sauf erreur, extraits de 9 articles du Volume V

1756, 15 octobre, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VI

Sous le titre Dictionnaire encyclopédique, sixième volume délivré ce mois d’octobre 1756, on lit : « Les Transactions philosophiques ont retardé d’un ordinaire ou deux le compte rendu que nous devons au public de ce sixième volume ; mais sans nous le faire perdre de vue : c’est notre trésor » (p. 4)

Articles examinés :
Femme
Fat

1756, 1er décembre, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VI

Articles examinés :
Ethiopiens
Existence (« Inutile d’ajouter que ces deux articles sont de M. Diderot, le lecteur l’aura aisément reconnu sa manière » * ) Puis de crainte de paraître « trop sérieux », et pour « récréer le lecteur », on trouve :
Etiquette
Fêtes

1756, 15 décembre, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VI

Articles examinés :
Evidence
Etude
Fable
Fêtes (suite du précédent extrait)

1757, 1er janvier, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VI

Articles examinés :
Extrait
Expérience
Philosophie expérimentale « de M. d’Alembert si connu par la Préface de l’Encyclopédie »

1757, 15 janvier, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VI

Articles examinés :
Expansibilité (« Cet article est un des plus intéressans […] l’auteur n’a pas jugé à propos de se nommer mais cet esprit de comparaison, d’analogie, et de découverte, cette marche sûre et hardie décèlent M. Diderot » *
Evaporation
Fleuve

Fin du volume VI = 14 articles

1758, 1er janvier, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Commence par une défense de l’Encyclopédie attaquée

Articles examiné :
François, de Voltaire

1758, 15 janvier, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Génie
Formulaire
Frères, Frères Lais

1758, 1er février, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Fortune
Fornication
Foudre

1758, 15 février, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Gloire
Froid
Fourmi

1758, 1er mars, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Goût
Funérailles

1758, 15 mars, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Commence par défense de l’Encyclopédie attaquée

Articles examinés :
Philosophie des Grecs
Funérailles (suite)

1758, 1er avril, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Foi
Grecs (hist. anc.& littérature)

1758 15 avril, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Grecs (suite)
Genre
Galerie

1758, 1er mai, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Géometre
Géométrie

1758, 15 mai, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examiné :
Grains

1758 1er juin, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examiné :
Gravure

1758, 15 Juin, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Guerre
Général d’Armée
Homme de guerre

1758, 1er Juillet, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examiné :
Genève

1758, 15 Juillet, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Gouvernement
Grand en phil. morale
Grandeur

1758, 1er août, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des arts & et des Métiers, Volume VII

Articles examinés :
Gouvernante d’enfans
Gouverneur d’un jeune homme

Août 1758, fin volume VII : 32 extraits pour ce volume.

* les articles « Existence » et « Expansibilité » sont en réalité de Turgot (voir les notes de l'ENCCRE aux article concernés)

Extraits d’articles du volume VIII au volume XVII

L’accueil critique de cette seconde partie de l’Encyclopédie est quasi inexistant, comme l’a signalé John Lough. Le Journal encyclopédique, dont les accointances « philosophiques » sont connues, entreprend d’effectuer un « immense extrait de ce Dictionnaire » (1770, V, 2, p. 169), qui occupera les rédacteurs pendant près de quatre ans, entre le 15 août 1766 et le 15 juillet 1770. Dans l’espace d’une vingtaine de pages, chacune des livraisons du périodique, qui paraît tous les quinze jours, fournit le compte rendu de certains articles publiés dans les tomes VIII à XVII de l’Encyclopédie : le rythme est tenu à l’unique exception d’une interruption de trois mois, entre le 1er avril et le 1er juillet 1768.

Le projet est exposé dans la livraison du 15 août 1766, qui s’ouvre sur une célébration de l’entreprise encyclopédique, parvenue à son terme après avoir traversé bien des vicissitudes :

Il a paru enfin cet ouvrage immortel, qui fait tant d’honneur à la France, aux Philosophes, aux Sçavans, aux Littèrateurs, aux Artistes qui en sont les Auteurs. Monument plus durable que ces fameuses constructions dont l’Egypte de vante, l’Encyclopédie Françoise n’a plus à redouter l’inquiètante incertitude des évènemens. A l’abri désormais des passions humaines, des efforts de l’envie, des orages & des révolutions, l’édifice est élevé. (1766, VI, 1, p. 3-4)

Si les rédacteurs effectuent l’éloge vibrant d’un « grand ouvrage » qui, « de race en race, d’âge en âge, de période en période », « portera jusqu’aux dernières générations, la gloire de ce siécle & justifiera le beau nom de philosophique que la raison & la justice lui ont accordé » (p. 5), ils n’en relèvent cependant pas moins les imperfections de « ce monument si beau, si vaste, si solide » : « l’irrégularité », « osons le dire même [...] la difformité de quelques unes de ses parties » (p. 6). Leur jugement se veut pourtant moins sévère que celui formulé par l’auteur de l’article ENCYCLOPÉDIE, qui est cité : « malgré ses défauts, ses fautes, ses imperfections, ce dictionnaire est le meilleur & le plus parfait ouvrage qui ait encore paru, parcequ’il est le plus utile » (p. 7). Ils entendent surtout se démarquer des Zoïles qui, aveuglés par l’envie, ont injustement critiqué l’ouvrage, tout en faisant allégeance aux autorités qui ont sévi contre l’ouvrage. Ainsi, cet « essain d’ignorans » qui ont déchiré « avec fureur, & les Ecrivains & l’ouvrage » auraient dû « imiter la prudence éclairée de ces sages Magistrats, qui, indignés de la hardiesse de quelques sistêmes ou de quelques propositions que tout bon Citoyen doit détester, ont fait entendre leur voix patriotique en faveur des loix outragées & des atteintes portées à nos dogmes » : « le corps auguste qui a sèvi contre ce dictionnaire, n’a pas certainement étendu sa juste indignation sur les parties les plus intéressantes & les plus lumineuses de cet ouvrage, sur celles qui développent les élémens des arts utiles, les principes & les rapports des connoissances humaines » (p. 10). A contrario, il s’agit de stigmatiser la malhonnêteté de ces critiques, animés de « passions malfaisantes », que révèle les artifices mis en œuvre dans les extraits des articles qu’ils ont effectués : « on en a rapporté, mais en les mutilant, en les tronquant, en les interpollant, des passages qui présentent le sens le plus hardi, les propositions les plus audacieuses, les plus dangèreux principes ; on se garde bien de dire qu’on en a interverti le sens & les expressions, qu’on en a supprimé des périodes entières, & des raisonnemens intermédiaires, qui, restitués, font totalement disparoitre le danger dans ces opinions, & tout ce que renferment de revoltant ces maximes pernicieuses, très-dignes, en effet, d’attirer sur la tête de ceux qui les repandent, & la sévérité des loix & l’indignation publique » (p. 11). Face à une telle campagne anti-encyclopédique, la ténacité des auteurs, qui, en vingt ans, ont mené à bien et à terme l’entreprise, force le respect : « ce grand ouvrage a été entrepris, continué, achevé par un petit nombre d’hommes isolés, traversés dans leurs vues, montrés sous les aspects les plus odieux, calomniés & outragés de la manière la plus atroce, joués sur le théâtre, insultés dans les places publiques, par ceux mêmes qui devoient les encourager, par les Littérateurs » (p. 14) – ce qui reprend presque mot pour mot l’« Avertissement », le dernier, que Diderot a écrit en tête du tome VIII. Les auteurs de l’Encyclopédie sont « les bienfaiteurs des hommes » (p. 14).

Prévoyant que les « littérateurs » seront aussi « acharnés » contre les nouveaux volumes (p. 15), les rédacteurs s’interrogent alors sur la manière la plus adéquate pour remédier aux imperfections de l’ouvrage, qu’ils ont signalées. S’il semble « impraticable » (p. 16) de procurer dans la foulée une « deuxième édition » corrigée (p. 17), peut-être conviendrait-il de « préparer peu-à-peu les matériaux qui nécessairement entreront dans la deuxième édition qu’on fera dans la suite, c’est-à-dire, dans les siècles à venir » (p. 18). De là, le projet du Journal encyclopédique :

Le dépôt où seront consignées ces corrections & ces observations critiques, ne peut être qu’un ouvrage connu, qui jouisse déjà de l’indulgence du public, de l’estime des Gens de lettres, & qui par sa nature, embrasse l’infinité d’objets traités dans l’Encyclopédie : & cet ouvrage, où seront recueillis les extraits & les critiques des articles les plus intéressans du nouveau dictionnaire, quel autre pourroit-ce être que ce Journal, qui doit & son titre & son plan à l’Encyclopédie ?
C’est donc dans nos Journaux que nous nous proposons, en rendant compte de ce que le Dictionnaire des Sciences, des Arts & des Métiers, renferme de plus essentiel, d’en rèlever aussi les fautes, les erreurs & les opinions ou hazardées, ou qui mal entendues, pourroient être pernicieuses. (p. 19)

Ce périodique, émanation d’une « Société » qui « se borne à trois Collaborateurs » (p. 20), doit cependant, pour être à la hauteur de l’ampleur et de la complexité de la tâche, faire appel à « l’ordre entier des Gens de lettres » (p. 21) : « Nous les invitons à nous seconder ; nous prions les Sçavans de nous aider de leurs lumières, & nous osons nous flatter que les Auteurs de l’Encyclopédie voudront bien contribuer à rectifier par leurs remarques & leurs observations, les fautes qu’ils ont eu la généreuse modestie d’appercevoir, & d’indiquer dans leur ouvrage » (p. 21). Toutes les « observations utiles » seront publiées, à l’exclusion « des personnalités, des notes satyriques, d’odieuses imputations » (p. 21) :

Ces observations [...] apprendront à ceux de nos Lecteurs qui n’ont pû se procurer un exemplaire de l’Encyclopédie, qu’à l’avenir ils trouveront dans nos Journaux, ordinairement dans la première feuille, ce que ce grand ouvrage renferme de plus neuf & de plus intéressant, principalement sur les matières de littérature, de morale & de philosophie, ainsi que nous l’avons déjà fait, lorsque nous avons rendu compte des sept premiers volumes. Nous passerons au huitième dans le prochain Journal & les suivans, & successivement de volume en volume, jusqu’à ce que nous ayons présenté à nos Lecteurs tout ce qu’offrent de plus intéressant tous les tomes de ce grand ouvrage. (p. 21-22)

En raison même de la rareté des indices de réception des derniers volumes de l’Encyclopédie, cet ensemble constitue ainsi un témoignage capital dont l’étude mériterait d’être effectuée d’une manière systématique. On peut d’abord s’interroger sur les choix effectués par les rédacteurs du Journal encyclopédique. Certes, sans doute en raison de l’orientation du périodique, ils privilégient les sujets relatifs aux belles-lettres et à la philosophie, au détriment, par exemple, des articles scientifiques ou de ceux qui traitent, par exemple, des métiers. Mais, à l’intérieur même de ces champs restreints de la connaissance, la décision de donner à lire certains articles plutôt que d’autres mérite que l’on s’y arrête, de même qu’il faut étudier le choix des portions de textes donnés à lire en vertu de la pratique journalistique de l’« extrait » : outre la question de la fidélité des passages cités ou repris, le travail de sélection même peut s’avérer instructif. Il convient ensuite d’examiner le positionnement critique des rédacteurs sur les articles examinés. Certes, les rédacteurs s’attachent le plus souvent animés à fournir au lecteur les « bonnes feuilles » du Dictionnaire, présentées avec éloge. Mais certains articles sont aussi donnés en raison même de leur imperfection, dans le souci explicite de mettre le lecteur en situation de juger de l’impartialité des critiques formulées, et ces critiques, par leur nature et leur portée, constituent des éléments à prendre en compte pour apprécier l’idée, émise dès l’annonce du projet, d’une amélioration du Dictionnaire. Ces choix et ces jugements doivent enfin être mis en perspective à la lumière du positionnement idéologique des rédacteurs du Journal encyclopédique, qui se donnent en particulier à lire dans la pratique des entrées en matière, qui se systématise très vite au fil des livraisons successives : le premier article examiné est ainsi introduit par des considérations de natures diverses, parfois assez éloignées du sujet traité dans cet article, qui entretiennent aussi des échos, convergents et divergents, entre elles, et qui témoignent de l’adoption d’une certaine posture philosophique.

Nous indiquons d’une part les liens permettant d’accéder à un exemplaire numérisé de chaque volume du Journal encyclopédique, avec l’indication des numéros des pages correspondant aux comptes rendus des différents articles signalés. Nous fournissons d’autre part un résumé des différents passages qui introduisent l’examen de certains articles, afin d’apprécier, par le contenu comme par les modalités des prises de parole, les différents aspects de la posture philosophique des rédacteurs, déjà mentionnée.

1766, VI, 1, 15 août, Observations historiques, littéraires, critiques & apologétiques des Auteurs de ce Journal, au sujet des 14 derniers volumes de l’Encyclopedie, p. 3-22 [consulter]

1766, VI, 2, 1er septembre, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Mêtiers. Par une Société de Gens de Lettres, mis en ordre & publié par M... A Neufchastel, chez Faulche & compagnie, 1765. / Tome Huitieme. H --- I.T., p. 3-23 [consulter]

Les rédacteurs félicitent les « auteurs de cette grande production » de ne pas s’en être tenus à des définitions : ils « se sont beaucoup moins proposés de corriger les définitions connues, de combattre & de refuter les sentimens de ceux qui les ont publiées, que d’en donner de plus exactes, de plus vraies, & sur-tout d’en démontrer la justesse par la force toujours persuasive des raisonnemens philosophiques, & par l’attrait des exemples, bien plus puissant encore que le raisonnement » (p. 4).

Articles examinés :
Habitant (Gram.), p. 4-7
Habitude (morale), p. 7-18
Haine (morale), p. 18-23.

1766, VI, 3, 15 septembre, Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné, &c. Tome. 8e, p. 3-31 [consulter]

Articles examinés :
Harangue (Belles-Lettres), p. 3-17
Harmonie (Gram.), p. 17-31.

1766, VII, 1, 1er octobre, Dictionnaire raisonné des Sçiences Arts & Métiers &c., p. 3-28 [consulter]

Les rédacteurs estiment qu’il serait « beaucoup plus avantageux » d’« abandonner » les « questions qui sont neuves encore » que de « les agiter encore », « précisément parceque ces questions évidemment insolubles, ont été l’écueil perpétuel de la sçience humaine & de la philosophie » (p. 3). Ainsi du premier article examiné.

Articles examinés :
Hazard (métaphysique), p. 4-10
Hemistiche, p. 10-16 [Éloge de Voltaire]
Heresiarque – Heresie – Heretique, p. 16-22
Hermaphrodite, p. 22-28.

1766, VII, 2, 15 octobre, Dictionnaire raisonné des Sçiences Arts & Métiers &c., p. 3-19 [consulter]

Articles examinés :
Heroisme, Heros (Litter. Moral. & Mithol.), p. 3-9
Heureux, Heureuse, Heureusement (Gram. Mor.), p. 9-19 [« Voici encore un excellent article & auquel nous nous garderons bien de mêler nos reflexions ». Les jugements exposés dans l’article font néanmoins l’objet de nuances, p. 14-19].

1766, VII, 3, 1er novembre, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-24 [consulter]

Article examiné :
Histoire, p. 3-24 [Le rédacteur accentue la critique d’Hérodote, celle de Voltaire comportant encore « trop d’indulgence » (p. 11) : Hérodote n’a cherché « qu’à flatter l’orgueil des Grecs », « nation vaine & toujours enivrée de sa grandeur & de sa gloire » (p. 11)].

1766, VIII, 1, 15 novembre, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-24 [consulter]

Article examiné :
Hobbisme, ou philosophie d’Hobbes, p. 3-24.

1766, VIII, 2, 1er décembre, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-20 [consulter]

Les rédacteurs rappellent le « principal objet des Auteurs de ce Dictionnaire » : « exposer les principes des sçiences, [...] déployer presque dans toute son étendue, la chaine presque incommensurable de toutes les connoissances qui peuvent hâter les progrès de la perfectibilité humaine » (p. 3). De là, l’importance de l’article examiné.

Articles examinés :
Homme, p. 4-5
Homme (Hist. Nat.), p. 5-20.

1766, VIII, 3, 15 décembre, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-22 [consulter]

Article examiné :
Homme (Morale), p. 3-22.

1767, I, 1, 1er janvier, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-19 [consulter]

Articles examinés :
Honnête (Morale), p. 3-9
Honneur (Morale), p. 10-19.

1767, I, 2, 15 janvier, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-19 [consulter]

Articles examinés :
Hospitalité, p. 3-8
Humain, humaine espèce, p. 9-19.

1767, I, 3, 1er février, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-18 [consulter]

Articles examinés :
Hymne, p. 3-15
Jagas, p. 15-18.

1767, II, 1, 15 février, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-22 [consulter]

Les rédacteurs rappellent que les auteurs de l’Encyclopédie ont été bien placés pour produire réflexions et observations « sur les transports, les fureurs & les crimes de la jalousie », mais ils remarquent qu’ils n’ont fait aucune allusion, dans le premier article examiné, à leur propre situation, se contentant « de définir, & de laisser au Lecteur le soin de faire l’application de leurs réflexions vraies & lumineuses » (p. 3-4).

Articles examinés :
Jalousie (morale), p. 4-7
Ichoglan (Hist. turq.), p. 7-13
« Nous nous étions proposés de rendre compte de l’article idée & des judicieuses observations qu’on y trouve : mais après une lecture réfléchie de cet article, nous avons cru qu’il valoit mieux renvoyer nos Lecteurs à l’ouvrage même de Locke, que de leur rapporter des réflexions & des raisonnemens qu’ils trouveront dans cette excellente logique. » (p. 13)
Idole, Idolatre, Idolatrie, p. 13-22 [« l’un des meilleurs, & l’un des plus agréables à lire de ce volume », p. 13].

1767, II, 2, 1er mars, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-17 [consulter]

Les rédacteurs critiquent la présence, dans des ouvrages « presque tous fort inutiles » (p. 3), de « déclamations outrées contre le jeu en général » (p. 4) : « Une manière [...] qui distingue les Moralistes, est de ne voir partout que du mal, & de se représenter les hommes infiniment plus corrompus & plus méchans qu’ils ne sont » (p. 5). L’auteur du premier article examiné n’est pas totalement exempt de ce travers.

Articles examinés :
Jeu (droit naturel, & morale), p. 6-10
Jeune (Littera.), p. 10-14
Ilotes (Hist. anc.), p. 15-17.

1767, II, 3, 15 mars, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-17 [consulter]

Après avoir évoqué Malebranche, les rédacteurs entreprennent de « hazarder quelques observations » qui leur « paroissent nécessaires pour l’intelligence même de l’article » de Voltaire, présenté comme « lumineux, excellent, rempli de réflexions ingénieuses & très-philosophiques » (p. 4). Ces « observations » consistent dans des considérations relatives à « l’organisation du corps humain, & sur le jeu continuel des différens leviers qui composent cette machine » (p. 4), et à la manière dont « l’ame peut être affectée » (p. 5).

Articles examinés :
Imagination. Imaginer (Logique, Métaphysique, Littérature & Beaux Arts), p. 7-15 [contestation de l’idée selon laquelle passeraient « dans les enfans les marques évidentes d’une impression qu’une mere a reçue » : « l’article suivant [...] (du pouvoir de l’imagination des femmes enceintes sur le fœtus) » apporte « une réfutation complette & très-satisfaisante de cette opinion », p. 10].
Imbecile (Logique), p. 15-17.

1767, III, 1, 1er avril, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-22 [consulter]

Articles examinés :
Imitatif, Imitation, Phrase imitative (Gramm., Philosophie, Poésie & Rhétorique), p. 3-6
Imitation, p. 6-22.

1767, III, 2, 15 avril, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-19 [consulter]

Articles examinés :
Immaterialisme, ou Spiritualité (Métaph.), p. 3-17
Immortalité, Immortel (Gramm. & Métaph.), p. 17-19.

1767, III, 3, 1er mai, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-19 [consulter]

Les rédacteurs contestent ce que l’on « raconte du luxe des Romains » (p. 4), à l’instar de ce qui est avancé dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Incrustation (Archit. rom.), p. 5-10
Indecent (Gram. & mor.), p. 10-12
Indiens. Philosophie des (Hist. de la Philos.), p. 12-17
Infidelité (Gramm. & Morale), p. 17-19.

1767, IV, 1, 15 mai, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-22 [consulter]

Partant du constat que « le cœur humain est un abîme très-profond » (p. 3), les rédacteurs critiquent le postulat, qu’émettent ceux qui décident « fort précipitamment, & sans aucune sorte d’étude, ni d’examen, que de tous les êtres l’homme est le plus méchant & le plus corrompu » : ce n’est pas « de la philosophie » (p. 4). Et, tout en convenant « que l’ingratitude est le plus vil & le plus odieux des vices » (p. 4), ils distinguent « diverses espèces d’ingrats qui ne méritent pas tous le même dégré de mépris » (p. 5). L’auteur du premier article examiné, quoique cet article « soit, d’ailleurs, excellent & rempli de très-sages réflexions », « ne paroit pas d’être occupé de toutes ces différentes ingratitudes, & de diverses autres nuances qu’il eut pû observer dans ce vice » (p. 6).

Articles examinés :
Ingratitude, p. 6-9
Inquisition, p. 9-18
Insensibilité, p. 18-22.

1767, IV, 2, 1er juin, Encyclopedie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-21 [consulter]

Les rédacteurs s’interrogent sur la « disposition industrieuse » et la « sagacité naturelle » des animaux (p. 3), et affirment que « cette expression d’instinct ne signifie pas grand’chose » (p. 4). Que conclure de « ces opérations réfléchies des animaux ». « Admirer & se taire », comme l’auteur du premier article examiné, « qui s’est contenté de rapporter quelques anciennes définitions de l’instinct, & de faire quelques observations sages & lumineuses sur la sagacité naturelle des animaux » (p. 4).

Articles examinés :
Instinct (Metaph. & Hist. nat.), p. 4-11
Interèt (morale), p. 11-17
Intolerance (Morale), p. 17-21.

1767, IV, 3, 15 juin, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-20 [consulter]

Les rédacteurs font l’éloge du premier article examiné qui, complété par les « excellentes observations renfermées dans l’article Découverte », instruisent davantage que « la compilation énorme de Pancirolle » dans son « traité [...] des vieilles inventions perdues & des inventions nouvelles », ou la « table alphabétique publiée par le docte & accablant Janson d’Almelowen, sous le titre d’Onomasticon » (p. 4).

Articles examinés :
Invention (arts & sçiences), p. 5-11
Joli (Gramm.), p. 11-15
Jongleurs (littérat.), p. 15-20.

1767, V, 1, 1er juillet, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-18 [consulter]

Articles examinés :
Yonique, secte (Histoire de la philosophie), p. 3-11
Jouissance (Gramm. & Morale), p. 11-15
Journée (Gramm.), p. 15-16
Isiaque (Litterat.), p. 16-18.

1767, V, 2, 15 juillet, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. / Tom. IX. JuMam, p. 3-16 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur le sens de la démarche critique qu’ils ont adoptée pour examiner les articles du tome VIII, sans se flatter « de réunir tous les suffrages, d’avoir l’approbation de toute sorte de Lecteurs » (p. 3) : « Nous allons continuer l’examen impartial des articles littéraires & philosophiques de ce Dictionnaire, sans nous écarter en aucune manière de la loi que nous nous sommes imposées [sic], de faire observer, autant qu’il nous sera possible, & les beautés & les défauts des différens articles dont nous aurons à rendre compte » (p. 4).

Articles examinés :
Juifs (Hist. ancien. & mod.), p. 4-12
Justesse (Gramm.), p. 12-15
Kasiematz (Hist. mod. & mœurs), p. 15-16.

1767, V, 3, 1er août, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tom. 9e, p. 3-21 [consulter]

Partant du constat fréquent de la diversité des jugements, en particulier sur les questions morales, et de l’existence, « chez tous les peuples policés », de « recompenses » et de « peines », les rédacteurs s’en prennent au « préjugé funeste », que certains considèrent comme « utile », en vertu duquel, en France, « le chatiment public deshonore la famille du coupable puni » (p. 4) : l’idée selon laquelle « la crainte du deshonneur intéresse tous les membres de la même famille à veiller les uns sur les autres, & à arrêter ceux dont la pervérsité pourroit devenir une cause d’ignominie » est une idée « fausse » (p. 5). Le premier article examiné montre que l’on ne pense pas ainsi en Russie.

Articles examinés :
Knoute ou Knut (Hist. Mod.), p. 6-8
Kourouk (Hist. Mod.), p. 8-9
Labarum (Litter.), p. 9-11
Lama (Terme de relation), p. 11-14
Lao-Kiun (Hist. mod. & Philosophie), p. 14-17
Laudicœni (Litter.), p. 17-18
Legende (Hist. eccles.), p. 18-21.

1767, VI, 1, 15 août, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome IX, p. 3-19 [consulter]

Contre l’idée selon laquelle la « manie » de voyager, observée chez « les sages de la Grèce », est « une preuve bien sure de leur philosophie », les rédacteurs insistent sur les dangers encourus en voyageant : nombreux sont ceux qui sont allés en Italie à être « restés dans les Alpes », notamment « accablés par d’énormes monceaux de neige qui les ont étouffés » (p. 4). Le premier article examiné indique que cet « accident est très-fréquent dans les gorges de ces montagnes » (p. 4).

Articles examinés :
Lavanches, Lavanges, Avalanches (Hist. nat.), p. 4-8
Lemnos (Geog. anc.), p. 8-11
« Nous désirerions bien de pouvoir transcrire en entier l’article Lettres, l’un des plus curieux, des plus intéressans & des plus instructifs de ce volume. Toutes les réfléxions insérées dans cet excellent article, sont sages & lumineuses ; mais ce morceau est long, & le restraindre, ce seroit le gâter : nous nous contenterons d’en rapporter les fragmens suivans, qui ne font pas la 12e. partie de cet article. » (p. 11)
Lettres socratiques (Littérat.), p. 11-16
Leucade. Promontoire de (Géog. anc.), p. 16-19.

1767, VI, 2, 1er septembre, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome IX, p. 3-20 [consulter]

Les rédacteurs observent que « la perpetuelle incertitude ou nous sommes de tout » est « une chose assez humiliante », qui ne fait « qu’accroître l’ocean de doutes qui nous environne » (p. 3). En particulier, la connaissance des « individus des trois régnes de la nature » n’aboutit-elle pas « à surcharger la mémoire d’une énorme nomenclature », laquelle n’est parfois pas « exacte » (p. 4). Ainsi de la polysémie du mot « Leviathan » chez les Hébreux, qui a conduit « les anciens Rabins » à commettre « des erreurs ridicules » (p. 5), relevées par l’auteur du premier article examiné.

Articles examinés :
Leviathan (Théol.), p. 5-7
Libelle (Gouvern. polit.), p. 7-11
« A la suite de cet article nous voudrions bien que le tems nous permit de rendre compte de celui de Liberté, rempli d’excellentes idées, de bonnes réflexions & de principes vrais : mais l’étendue de cet article & la crainte de le gâter en le tronquant, nous obligent malgré nous de le passer sous silence, quelque forte que soit l’impression qu’il a faite sur nous, & de ne rapporter que quelques-unes des réflexions de l’Auteur au sujet de la liberté de penser ; matière intéressante & supérieurement traitée dans cet excellent morceau. » (p. 11)
Liberté de Penser (morale), p. 11-18
Libertins (Théolog.), p. 19-20.

1767, VI, 3, 15 septembre, Encyclopèdie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome IX, p. 3-22 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur les « avantages » et les « désavantages de la liberté de penser », et posent qu’elle « ne devroit être tolérée que dans un pays où les hommes jouiroient d’une liberté entière » (p. 3-4), ce qui ne pourrait exister que dans une nation « brutale, barbare, & plus féroce que les tygres & les hyènes » (p. 4). Aucun peuple n’a été « tout-à-fait libre » (p. 4), à commencer par les Romains, à en juger par les « farouches Licteurs, sanguinaires exécuteurs des ordres des Consuls » (p. 5) évoqués dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Licteur (Litterat.), p. 5-9
Liege (Géogr.), p. 9-11
« Le principal objet des Auteurs de ce Dictionnaire étant de combattre l’erreur & de détruire, autant qu’il est en eux, l’hydre de la superstition, nous avons lû avec bien de la surprise, dans un de leurs articles, des observations qu’on diroit avoir été dictées par la superstition elle-même, & plus propres mille fois à perpétuer l’erreur qu’à étendre la lumière de la vérité. Nous allons rapporter cet article, auquel nous ne changerons rien ; mais nous ne le transcrivons pas sans avoir auparavant prié nos Lecteurs de croire que nous sommes, on ne peut pas plus, éloignés d’adopter aucune des raisons[,] aucune des réfléxions de l’Auteur, qui auroit beaucoup mieux fait de supprimer cet article de ce Dictionnaire, que de l’y consigner. » (p. 11-12)
Ligature (Divination), p. 12-18
« Nous avons lû, avec beaucoup plus de plaisir, & le public lira avec bien plus d’utilité l’article Littérature, fragment peu étendu, mais excellent, dicté par le goût & rempli des plus judicieuses observations : assurément l’Auteur de cet article n’a point fait celui de ligature que nous venons de rapporter. Voici les réfléxions lumineuses d’un vrai Littérateur. » (p. 18-19)
Litterature (Sçiences Belles Lettres, antiq.), p. 19-22.

1767, VII, 1, 1er octobre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-18 [consulter]

En dépit de l’abondance des mauvais livres, les rédacteurs s’affirment « très-persuadés que ce seroit le plus grand des malheurs d’anéantir tous les livres qui existent ; & que, l’Encyclopédie même exceptée de la proscription, ne pourroit réparer que très-foiblement le mal que causeroit une telle révolution » (p. 4-5). Une « entreprise très-utile » consisterait à « rassembler par ordre de matières, dans une même collection, [...] le peu qu’il y a de bon dans cette infinité de volumes mauvais & même pitoyables » (p. 5), mais « comme il est très-vraisemblable qu’on ne verra jamais de Littérateurs assez zélés pour exécuter une telle entreprise », ils disent penser « au sujet des livres & de leur multiplicité » (p. 6) comme l’auteur du premier article examiné.

Articles examinés :
Livres (littér.), p. 6-16
Logomachie (Litter.), p. 16-18.

1767, VII, 2, 15 octobre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. &c., p. 3-19 [consulter]

Les rédacteurs évoquent, « d’après les descriptions des Historiens des peuples de l’antiquité » (p. 3), les dimensions étonnantes des villes comme Ninive, Memphis ou Babylone à côté desquelles Paris, Londres ou Rome « ne doivent pourtant [...] paroitre que de petits villages » (p. 4). Néanmoins, face aux difficultés de tous ordres que soulève un tel gigantisme, déclarent-ils, « nous aimons beaucoup mieux croire que les descriptions que les Auteurs orientaux ont laissées [...] sont excessivement outrées », et qu’« aujourd’hui la terre est nécessairement plus peuplée qu’elle ne l’étoit alors » (p. 6). Et « un Historien de nos jours » ayant le « dessein d’en imposer aux races futures », tirerait aisément « une relation infiniment au-dessus des descriptions hyperboliques des anciens Historiens » de « la description vraie & simple » qui se trouve dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Londres (Géog.), p. 6-13
Loteries des Romains (Hist. Rom.), p. 13-16
Lutte (Art. Gymnast.), p. 16-19.

1767, VII, 3, 1er novembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. &c., p. 3-18 [consulter]

Les rédacteurs déclarent que « la partie la plus intéressante », et « la plus philosophique », de l’Encyclopédie est « celle dans laquelle, sans réflexions, sans conjectures, les Auteurs rendent compte des mœurs & des coutumes, des préjugés, des vices & des vertus des peuples anciens ou modernes répandus dans les diverses régions de la terre » (p. 3-4). Ces articles, supérieurs aux « rélations de la plupart des voyageurs », valent pour l’instruction qu’ils procurent et les « leçons vraiement philosophiques » qu’ils délivrent en apprenant « à connoître les hommes, leurs passions, leur caractère », en montrant « les hommes tels qu’ils sont, non en France, en europe, mais sur toute l’étendue du globe » (p. 4). Le « tableau », quoique « frappant », suscite cependant de l’« incertitude » : « pourquoi ce qui paroit bon & utile dans un continent » est-il « jugé mauvais & nuisible dans un autre » (p. 5) ? Ainsi, « en France, un Gouverneur de province qui n’useroit de son autorité que pour ravager les provinces voisines, seroit puni comme un traitre, & on auroit raison : il n’en est pas de même aux extrémités de l’Ethiopie » (p. 6), comme l’indique le premier article examiné.

Articles examinés :
Luvas ou Lubos (Hist. mod.), p. 6-10
Maceration (Morale Gramm.), p. 11-13
Machiavelisme (Hist. de la philosop.), p. 13-16
Mahal, ou Mahl (Hist. mod.), p. 16-18.

1767, VIII, 1, 15 novembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. &c., p. 3-20 [consulter]

Les rédacteurs présentent comme universels « la vanité, le goût du luxe, des richesses, du faste, & l’amour du superflu » (p. 3). La sobriété et la modération de certains peuples, à certaines époques, s’expliquent d’abord par leurs conditions de vie misérables qui rendaient nécessaire la parcimonie et la frugalité. Le « nom de philosophie ne fut connu dans Rome, que lorsque l’opulence eut changé en superbes palais les tristes chaumières » (p. 4) : « c’étoit là qu’[...]ils s’appliquoient aux sciences & aux beaux arts » (p. 5), et c’est dans l’opulence que certains (Sénèque, Cicéron) pouvaient prôner le mépris des richesses et le goût de la simplicité. Par delà les « descriptions », « très-belles » et « fort agréables » que poètes, orateurs et historiens, « tous riches & très-philosophes », « prodiguoient aux antiques cabanes », « ce qui flattoit encire davantage la philosophie romaine, c’étoit la destruction totale de ces humbles chaumières » au profit de « somptueux palais » (p. 7-8), évoqués dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Maisons de plaisance des Romains (antiq. rom.), p. 8-14
Malefice (Divin.), p. 14-20.

1767, VIII, 2, 1er décembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-22 [consulter]

Les rédacteurs s’interrogent sur cette « ame intelligente » que « le ciel [...] a donné » à l’homme pour l’élever « au-dessus des animaux » (p. 3), qui « est malheureusement assujettie elle-même à tous les accidens qui peuvent déranger l’organisation de notre corps » (p. 4). « Ainsi une goutte de sang extravasé, une fibre comprimée eussent totalement affoibli la grande ame de Socrate, & pour jamais éclipsé la sagesse de Newton ou de Montesquieu », qui « fussent devenus exactement semblables aux malheureux » dont le premier article examiné « décrit l’affligeante situation » (p. 5).

Articles examinés :
Manie (Med.), p. 5-10
Manne du desert (Critique sacrée), p. 10-16
Marabous, ou Marabouts (Hist. mod.), p. 16-19
Marionnette (mechan.), p. 19-22.

1767, VIII, 3, 15 décembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c., p. 3-22 [consulter]

Les rédacteurs évoquent « les horreurs de l’esclavage », qui se perpétue sans surprise « chez les peuples sauvages » (p. 3) ou « dans ces monstrueux gouvernemens » despotiques (p. 4). Mais c’est pour pointer la « contradiction fort singulière, très bisarre » qui fait que « en Europe, en France, où le mot seul d’esclavage révolte les ames honnêtes, & pénêtre les cœurs d’indignation, on regarde pourtant comme l’une des sources des richesses nationnales le produit du travail forcé des malheureux esclaves qui fécondent nos colonies » (p. 4). En outre, si « les peuples de l’antiquité » et « les peuples orientaux » « regardoient les esclaves comme des hommes », « nous qui sommes incontestablement plus éclairés » que les premiers, « & plus doux, plus polis » que les seconds, « nous refusons l’humanité au Négres, sans doute afin de nous justifier à nous-mêmes la manière toute inhumaine avec laquelle nous les traitons » (p. 6) : comme l’auteur du premier article examiné l’observe, « nous les plaçons dans la classe des singes » (p. 6).

Articles examinés :
Maron (terme de relation), p. 6-10
Matin (astron. & med.), p. 10-16
Meditation (Gramm.), p. 16-18
Megalopolis (Geogr. anc.), p. 18-22.

1768, I, 1, 1er janvier, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome X., p. 3-22 [consulter]

Chantée par « quelques Poëtes », la mélancolie n’en demeure pas moins « une maladie du corps, qui opère assez communement le dérangement de l’esprit, & qui tend visiblement à la folie, ou à l’imbécilité » (p. 3-4), une maladie « infiniment » variée selon « le tempérament & les différentes idées de ceux qui en sont atteints » (p. 4) : les rédacteurs signalent que si quelques-uns, en proie à des idées de grandeur, peuvent être « fort heureux », la plupart souffrent de cet état. Le premier article examiné rappelle l’ancienneté de cette maladie, attribuée par les Anciens « aux esprits noirs & à la ratte ». Au préalable, les rédacteurs s’inscrivent en faux contre « quelques observateurs » qui confondent « la mélancholie avec la misantropie » (p. 6).

Articles examinés :
Melancolie (Econom. animal), p. 6-13
Mendiant (econom. polit.), p. 13-18
Menstruel, dans l’économie animale, p. 18-22.

1768, I, 2, 15 janvier, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome X., p. 3-19 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur « l’antique universalité de la folie humaine » (p. 3) qui fait que les hommes, en tous temps et en tous lieux, « se ressemblent » par « la petitesse de leurs idées », « la bisarrerie de leur manière de penser », « la perpétuelle inconséquence de leurs mœurs & de leur conduite » (p. 4). Si « les institutions les plus utiles, les plus sages » ne se conservent qu’un temps, « les plus ridicules coutumes, les établissements les plus bisarres, les préjugés les plus stupides, & les plus absurdes usages » se perpétuent (p. 4) : « Dactyles insensés », Fakirs fanatiques, coutume des « antiques bacchanales » (p. 4-5). Certes, « ces fêtes ridicules ont été supprimées » (p. 5), mais les processions « des Flagellans » et « des Pénitens » « peuvent ramener la fête de l’asne, celle des foux & l’absurde société » évoquée dans le premier article examiné, dont ne seront rapportés que « les traits les plus singuliers » (p. 6).

Articles examinés :
Mere-folle, ou Mere-folie (Hist. mod.), p. 6-11
Merveilleux (litterat.), p. 11-18
Metedores (commerce), p. 18-19.

1768, I, 3, 1er février, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome X., p. 3-18 [consulter]

Pour illustrer la manière dont des « abus », considérés « dans leur origine » comme « de très-grands défauts » peuvent, par « une inconséquence qui paroit fort bisarre » mais qui est cependant « commune à toutes les nations », recevoir « le nom de beautés » (p. 3-4), les rédacteurs évoquent la formation des langues, d’abord « les langues primitives », simples et rudimentaires, au moment où les hommes sont sortis de l’« état de nature », puis, « à mesure que les peuples se sont éclairés, ou, comme disent quelques-uns, à mesure qu’ils se sont corrompus », l’extension et l’enrichissement des langues, de « nouvelles idées » devant être exprimées par « de nouveaux signes » (p. 4). Si « cette progression est toute naturelle », il en va autrement des « changemens » et des « altérations » qui affectent « un langage riche, abondant, & qui paroît invariablement fixé » : c’est ainsi que « toutes les figures », qui sont initialement « des fautes », sont ensuite « adoptées » et « regardées comme autant de beautés » (p. 5). Ainsi de l’exemple fourni dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Metonymie (Litter. mod.), p. 5-11
Michabou (Hist. mod. culte), p. 11-13
Mime (Poésie), p. 13-16
Mimos (Hist. mod.), p. 16-17
Minaret (Hist. mod.), p. 17-18.

1768, II, 1, 15 février, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome X., p. 3-20 [consulter]

Articles examinés :
Mingrelie (Géogr.), p. 3-15
Mirza ou Myrza (Hist.), p. 15-17
Mitre (Littérat.), p. 17-18
Mœurs (Morale), p. 18-20.

1768, II, 2, 1er mars, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. Tome X., p. 3-21 [consulter]

Les rédacteurs soulèvent le problème de la réforme des « établissemens utiles, respectables même dans leur origine », mais devenus « dangereux & funestes à la société » par les « abus » et les « vices » (p. 3-4). Certaines « institutions » sont-elles « aussi onéreuses que bien des gens le prétendent » (p. 4) ? La réponse est à chercher dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Monastere (Hist. eccles.), p. 4-13
Mont-Faucon (Topograph.), p. 13-14
Moralitè (Apologue), p. 14-16
Mort (Hist. nat. de l’hom.), p. 16-21.

1768, II, 3, 15 mars, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers &c. &c. Tome X., p. 3-19 [consulter]

Vivons-nous dans « le meilleur des mondes possibles » (p. 3), s’interrogent les rédacteurs à la suite de Candide, « qu’y a-t-il de si bon, de si bien arrangé dans cette effrayante chaîne de dangers & de maux de toutes espèces qui nous pressent, nous assaillent, nous accablent de toutes parts ? » (p. 4) Parmi les contre-exemples mettant en cause cette « inconcevable doctrine » (p. 4), le cas de « ces terribles vapeurs que la nature a renfermées, pour la destruction des hommes, dans les entrailles de la terre » (p. 5) : les observations faites dans le premier article examiné sont « de très-forts argumens, ainsi que beaucoup d’autres, contre les partisans de l’optimisme » (p. 6).

Articles examinés :
Mouffetes, ou Moffetes (hist. nat. minéral.), p. 6-10
Multitude (Gramm.), p. 10-11
Muphti ou Mufti (Hist. mod.), p. 12-14
Muro (Geogr.), p. 14-17
Muses (Mithol.), p. 17-19.

1768, V, 1, 1er juillet, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, Arts & Métiers. Par une société de Gens de Lettres, &c. Tom. XI. Lett. N. Pari. A Neufchastel, chez Samuel Faulche & Compagnie. 1765, p. 3-18 [consulter]

Les rédacteurs s’expliquent sur la suspension, pendant deux mois, de « l’intéressante suite de ce Dictionnaire » (p. 3), en répondant aux lecteurs qui s’en sont « plaints » (p. 4) : cet examen a été retardé « par les matières, & beaucoup plus encore par le désir de rendre compte des productions littéraires qui méritent d’être connues » (p. 4). Le premier article examiné « fournit à l’esprit bien des reflexions sur les caprices de la nature » (p. 5).

Articles examinés :
Nain (Physique), p. 5-10
Naissance (société civile), p. 10-16
Natchez (Géographie), p. 16-18.

1768, V, 2, 15 juillet, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & Métiers, &c., p. 3-19 [consulter]

Articles examinés :
Negre (Hist. Nat.), p. 3-16
Ngombos (Hist. mod. Superst.), p. 16-17
Nissa (Geogr.), p. 17-19.

1768, V, 3, 1er août, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & Métiers, &c., p. 3-20 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur l’universel « empire de la superstition », « fille de la terreur & du fanatisme » (p. 3), qui sévit « partout où l’ignorance étend encore ses ténèbres », « où la lumière des arts & le flambeau de la philosophie n’ont pas encore pénétré » (p. 3-4). « Que l’on trouve partout des fourbes qui profitent avec adresse de la pusillanimité des ames foibles, & qui fassent perpétuellement d’heureux efforts pour accréditer des erreurs à la faveur desquelles ils dominent », « rien que de naturel » : il est en revanche « un peu surprenant » que l’on « retrouve partout les mêmes préjugés établis & les mêmes superstitions reçues », les « mêmes erreurs », les « mêmes absurdités », qui sont autant d’« infirmités de l’ame » (p. 4-5). Pour preuve, l’exemple emblématique de la Grèce que le premier article examiné évoque en transcrivant les propos de Guillet de Saint-George qui, « dans son histoire du régne de Mahomet, donne une idée très-frappante du goût invincible des Grecs pour la superstition » (p. 6).

Articles examinés :
Ntoupi (Hist. ecclé.), p. 7-10
Nymphe (Mythologie), p. 10-14
Obeissance (droit nat. & polit.), p. 14-16
Obelisque (archit. & antiq. égypt.), p. 16-20.

1768, VI, 1, 15 août, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & Métiers, &c., p. 3-23 [consulter]

Articles examinés : Ode (poës. lyriq.), p. 3-13 Odin, Othen, ou Woden (mythol.), p. 13-16 Odyssée (Belles-Lettres), p. 16-23.

1768, VI, 2, 1er septembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & Métiers, &c., p. 3-18 [consulter]

Quoique « l’intérêt & l’amour de la propriété » soient « deux sources intarissables de divisions & e désordres », « effet » malheureux mais « très-naturel de la funeste institution de l’inégalité des conditions, ou plutôt de l’antique usurpation des terres, destinées par la nature également à tous les hommes » (p. 3), « l’opulence » accompagnant « presque toujours les distinctions, les places éminentes, la considération, les honneurs, les agrémens, l’autorité », « il n’est pas surprenant que chacun cherche à se procurer ces avantages » (p. 4). Mais « porter l’ambition jusqu’à vouloir prendre le titre d’Universel » constitue, selon les rédacteurs, « le comble de la déraison » (p. 4), comme l’illustrent les exemples fournis dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Œcuménique, p. 4-7
Ombiasses (Hist. mod. culte), p. 7-[9]
Opera (Belles Lettres), p. [9]-18.

1768, VI, 3, 15 septembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & Métiers, &c., p. 3-17 [consulter]

C’est certes un « puissant aiguillon » que le « desir [...] de passer à l’immortalité » (p. 3), mais, observent les rédacteurs, « la gloire humaine, ainsi que la durée de tout ce qui existe, est renfermée dans des bornes fort étroites, dans un espace de vingt ou trente siècles au plus » (p. 4). De même que nous ne « connoissons aucun » des « Ecrivains célébres », des « Littérateurs illustres qui se sont immortalisés avant Homère » (p. 5), « un Homère, un Corneille, un Voltaire » ne peuvent « se flatter de l’immortalité » (p. 6). Tout semble voué aux « ténébres de l’oubli », à l’instar de « l’antique Ophir » que des savants « s’efforcent de découvrir » (p. 7), comme l’expose le premier article examiné.

Articles examinés :
Ophir (Géogr. sacr.), p. 7-9
Optimisme (Phil.), p. 9-13
« Nous avons si souvent parlé de la formation de l’or, de sa trop puissante vertu, & de ses diverses préparations, que nous ne croyons pas devoir nous arrêter aujourd’hui sur l’article consacré dans ce Dictionnaire à ce métal. Mais nous ne nous dispenserons pas de rapporter la description riante que l’Auteur fit de cet âge qui n’exista jamais que dans l’imagination des Poëtes, & connu sous le nom d’âge d’or. [...] » (p. 13)
Or, âge d’ (mythol.), p. 14-17.

1768, VII, 1, 1er octobre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-21 [consulter]

Les rédacteurs remarquent que si « le titre d’Orateur étoit jadis le plus brillant & le plus respecté des titres ; ce n’est plus de nos jours qu’une qualité stérile » (p. 3). On ne « dispute plus » au barreau « que de très-petits intérêts », ainsi que l’expriment les vers cités de l’« un de nos Auteurs modernes » (p. 4), en l’occurrence Gresset.

Articles examinés :
Orateur Eloq. Rhetor., p. 4-19
Orient empire d’ (Hist.), p. 19-21.

1768, VII, 2, 15 octobre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-18 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur les débats sur « l’universalité de l’antique révolution diluvienne » (p. 3), rappelant que « la plus judicieuse » des opinions émises est « celle qui suppose un déplacement total des eaux de la mer » (p. 3-4). Mais, malgré les théories de « l’ingénieux & sçavant M. de Maillet » (p. 4), on s’explique mal « comment concilier ce déplacement, d’ailleurs si vraisemblable, avec ces entassemens étranges d’ossemens de tant de différentes espèces d’animaux, quadrupèdes, volatiles, hommes & monstres marins, qui n’ont pu évidemment jamais se réunir » à ces endroits (p. 4-5). Les « questions » que ce problème pose « sont trop épineuses » : « elles nous paroissent même trop insolubles pour que nous osions hazarder quelques conjectures ». On s’en tiendra donc à « la description de quelques-uns de ces entassemens étranges » que propose le premier article examiné.

Articles examinés :
Ossemens Fossiles (Hist. nat. minéralogie), p. 7-11
« Plusieurs Auteurs, & surtout beaucoup de romanciers, se sont exercés à décrire d’imagination l’intégrité des mœurs, l’amour de la vertu, l’innocence & le bonheur d’un peuple qu’ils ont supposé semblable à la société primitive des hommes dans le chimérique âge d’or [...]. » Mais « ce ne sont que des fictions », et « il est bien inutile d’aller chercher si loin un pays où il n’y ait que des hommes vertueux », car « cette société heureuse existe près de nous » : témoin, le sujet traité dans l’article suivant, dont l’auteur n’a cependant « donné qu’une très-petite étendue à la description du bonheur & des mœurs de cette nation » (p. 11-12).
Ouessant (Géogr. mod.), p. 12-14
Ovissa (Hist. mod. culte), p. 14-16
Ours (Hist. nat. des quadrupèdes), p. 16-18.

1768, VII, 3, 1er novembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-19 [consulter]

Les rédacteurs soulignent la distance qui sépare « l’inimitable simplicité de la nature » et les « efforts inutiles » de l’artiste pour l’égaler (p. 3) : il en va des « ingenieux automates du célèbre Vaucanson » comme des « magnifiques palais, monumens imposans de la sçience & du génie des célèbres Architectes » (p. 4), qui comportent des « défauts innombrables », contrairement au nid bâti par « l’humble hirondelle inspirée par son aveugle instinct » (p. 4). Le premier article examiné indique de même « combien sont foibles & puériles les ressources de l’art, lorsqu’il ose tenter de lutter contre la nature » (p. 5).

Articles examinés :
Ouvrages de l’art et de la nature (Science micr.), p. 5-11
Les rédacteurs reviennent sur la question de « l’hymne ou du cantique, & de son origine », encore entourée de « beaucoup d’obscurité ». Les « recherches les plus heureuses [...] sur cette origine » sont consignées dans l’article suivant : « les Pæans qui remontent à la plus haute antiquité, ont été la véritable source des hymnes & des cantiques, genre beaucoup antérieur à l’ode, à laquelle ils ont donné naissance » (p. 11-12).
Pæans (Littérat.), p. 12-15
Le « ridicule & puerile amour du fabuleux » a « obscurci l’origine de la plûpart des institutions anciennes & modernes » : « d’un côté la superstition a répandu les nuages de l’erreur sur plusieurs institutions [...] de l’autre, les Poëtes, & surtout les Romanciers » ont contribué à « nous dérober la connoissance de bien des évenemens, & la vérité historique des faits, ainsi que de l’existence des héros ». Ainsi du « titre respectable [...] de Paladin » devenu « une épithéte qui désigne un homme ridicule » (p. 15-16).
Paladin (Hist. de la Cheval.), p. 17-19.

1768, VIII, 1, 15 novembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-18 [consulter]

Revenant sur leurs réflexions, publiées le 15 octobre, sur les perplexités soulevées par les « ossemens fossiles » (p. 3), les rédacteurs considèrent qu’il y a « bien de l’absurdité à vouloir expliquer par des conjectures évidemment hazardées, ces révolutions, dont il ne reste sur la terre que des traces confuses » (p. 4). Entreprise d’autant plus vaine qu’« on n’a que de fausses idées de quelques pays plus récemment habités » : « par un préjugé très-ancien, on se forme, par exemple, une fort brillante idée de la Palestine », alors que « ce pays si vanté, si souvent célébré, est l’un des plus arides qu’il y ait sur le globe » (p. 5), comme l’indique le « tableau » (p. 6) présenté dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Palestine (Geogr. mod.) ou Terre sainte, ou pays de Chanaan en Asie, p. 6-9
Pan (Mythol.), p. 9-10
Pantomime (Jeux scéniq. des Romains), p. 10-18.

1768, VIII, 2, 1er décembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-19 [consulter]

Selon les rédacteurs, les multiples questions liées à l’établissement des « souverainetés », et en particulier à l’influence acquise par l’Église au point de se situer « au-dessus même des Souverains & des nations » (p. 3) sont « toutes également insolubles » et « paroissent fort inutiles » (p. 4) : « Les tems, les circonstances, les occasions, la foiblesse, la crainte, ou même l’utilité commune, ont donné lieu à ces divers accroissemens, que leur ancienneté doit mettre desormais à l’abri de leur renversement, & que la convention unanime des peuples & des Rois, l’autorité, la puissance doivent rendre respectables » (p. 4-5) ; ainsi « il importe peu que ce soit par des abus énormes, ou par des voies légitimes, que l’opulence mondaine soit venue se réunir à cette place très-éminente par elle-même » (p. 5). C’est donc uniquement « pour s’assurer des époques de ces accroissemens successifs, qui ont porté telle ou telle dignité au niveau, ou même, si l’on veut, au-dessus des couronnes » qu’il « est permis quelquefois de jetter des regards curieux sur la légitimité ou l’illégitimité des titres de dominations » (p. 5-6), comme le fait l’auteur du premier article examiné.

Articles examinés :
Pape (Hist. ecclésiastiq.), p. 6-14
Autre illustration de l’inutilité de « chercher l’origine des anciens établissemens », en raison de l’impossibilité « de le découvrir » : Paphos, dont l’article suivant indique « tout ce qu’on sait » (p. 14).
Paphos (Geog. anc.), p. 14-16
Parabolans, ou, Parabolains (Hist. eccl.), p. 16-18
Paratrama (Hist.), p. 18-19.

1768, VIII, 3, 15 décembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-17 [consulter]

Revenant sur l’« erreur philosophique » que constitue « l’optimisme » (p. 3), les rédacteurs en envisagent ici la dimension consolante, préférable en tout cas au discours, également extrême, des philosophes qui, « pour mieux démontrer l’absurdité de l’optimisme », en viennent à « dégrader la terre & ses malheureux habitans » (p. 4). La « fausseté » de la position « cynique » est établie lorsqu’on considère ce que « les divers établissemens », les « institutions sages a respectées » doivent aux « passions » et « aux foiblesses humaines » qui les ont fondés (p. 5-6). Outre « la conservation des espèces », due à la « foiblesse », « l’état florissant des sçiences, des belles-lettres, des arts, de l’industrie », dû à « l’amour de la gloire », il en va de même des « Ordres de chèvalerie », dus « au desir, bien ou mal entendu, de la gloire » ou à « l’amour » (p. 6-7), des « retraites » et des « solitudes » instaurées par « la crainte de n’avoir pas la force de résister aux dangereux attraits de la corruption » (p. 7), ou encore, comme dans l’exemple fourni dans le premier article examiné, par « l’amour content ou malheureux » (p. 7).

Articles examinés :
Paraclet (Géog. mod.), p. 7-10
De l’article suivant ont été supprimés « quelques traits un peu vifs [...] qu’une sensibilité vraiement philosophique a dictés à l’Auteur » : « Les remarques heureuses de M. le Comte de Tressan sur l’origine & les progrès de la parade, sont d’autant plus instructives qu’elles nous apprennent pourquoi les drames de ce genre qui ne devroient inspirer que la gaiété, pénétrent quelquefois les spectateurs d’indignation & même de mépris, contre l’audace du Poëte [Palissot, dans Les Philosophes], qui abusant de ses talens, a osé se servir de ce genre pour avilir & dénigrer des citoyens honnêtes, & prêter à la vertu les couleurs les plus odieuses du vice » (p. 10-11).
Parade (litter.), p. 11-16
Pareas, Perrias, ou, Parias (Hist. mod.), p. 16-17.

1769, I, 1, 1er janvier, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-19 [consulter]

« Ce n’est qu’au figuré qu’il y a de l’avantage à régner avec Apollon sur la cime du Pinde » (p. 3), observent les rédacteurs, qui rappellent qu’Apollon, sur « l’inaccessible & rocailleux Parnasse » (p. 5), était mal logé. Le premier article examiné propose « la description la plus attrayante que l’on puisse donner de ce lieu si célébre » (p. 5).

Articles examinés :
Parnasse (Géog. anc.), p. 6-8
Patagons Les (Géog. mod.), p. 10-14
« Nous n’avons garde de passer sous silence l’article Patriote, il fait trop d’honneur à son Auteur, M. le Chevalier de Jaucourt. On trouve dans cet article, quoique fort court, une excellente justification des odieuses imputations si cruellement répandues par la calomnie contre les sentimens patriotiques des Auteurs de ce dictionnaire. [...] » (p. 14-15)
Patriote (Gouvernement), p. 15-19.

1769, I, 2, 15 janvier, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 167-184 : http://books.google.fr/books?id=kvWiIyCdHtEC">[consulter]

Entérinant le fait que « les climats influent sur les mœurs, sur les loix, les caractères nationaux, ainsi que sur le goût, la beauté, la perfection des productions naturelles », les rédacteurs contestent le bien-fondé de la recherche « d’autres causes » expliquant « la diversité des couleurs, blanche, olivâtre, jaune, cuivreuse & noire, qui distinguent les hommes des diverses régions » (p. 167-168). En particulier, l’idée qu’il puisse y avoir « différentes races d’hommes, distinguées les unes des autres par la couleur de la peau, & la diversité souvent imperceptible des nuances dans la conformation extérieure » relève du « délire philosophique » (p. 168). Pourquoi « rejetter dans la classe des singes l’homme des bois, ou le Ourang-oatang », si « tient à l’humanité autant que l’homme de Paris, de Madrid & de Rome » (p. 168) ? « Les habitans de l’isle Manille, ceux de l’isle Mindore », quoiqu’ils soient pourvus d’une queue, « vivent en société », et c’est pourquoi « l’on n’a point osé les classer parmi les singes » (p. 169). Tel n’est pas le cas des « malheureux Négres », pour une « raison politique » : « il y auroit eu aussi trop de cruauté à regarder comme nos semblables & nos égaux, des malheureux que nous faisons servir de bêtes de somme, qu’on tyrannise, qu’on enchaine, qu’on mutile, qu’on tue impunément au moindre desir qu’ils montrent de se remettre en liberté » (p. 170-171).

Articles examinés :
Peau des Négres (anatom.), p. 171-176
« Un acte de cruauté ne prouve pas toujours qu’un homme soit cruel : mais un usage barbare & inhumain prouve essentiellement dans la nation qui l’adopte, un caractère sanguinaire. Les admirateurs des Romains donnent sans cesse des éloges à la sagesse de ce peuple & à sa générosité : le trait seul rapporté dans l’article que nous allons transcrire, suffiroit, suivant nous, pour prouver que ce peuple célébre n’eut que des mœurs féroces, quand même leurs historiens & leurs admirateurs les plus enthousiastes auroient pu nous dérober les traits multipliés qui décèlent à quels excès d’atrocité ces fiers républicains aimoient à se livrer. » (p. 176-177)
Pegmares (Hist. anc.), p. 177-178
« Dans les articles Peintre & Peinture qui mériteroient d’être rapportés en entier, mais que leur étendue ne nous permet point de transcrire, on trouve rassemblées les recherches les plus sçavantes & les plus heureuses sur ce bel art, & les artistes y liront les réflexions les plus utiles & les observations les plus justes. Nous nous contenterons d’en rapporter quelques traits concernant les peintures de l’ancienne Grèce & de Rome, dans la vue seulement de prouver quel dégré de perfection la peinture avoit acquis chez ces nations éclairées, & quelle estime singulière on y faisoit des grands artistes. » (p. 178-179)

1769, I, 3, 1er février, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 331-347 [consulter]

Alors qu’on a tant écrit sur « l’inconstance & l’instabilité des modes » (p. 331), les rédacteurs défendent l’idée paradoxale que « de toutes les institutions humaines celle des modes est la plus stable sans contredit, & celle qui a éprouvé le moins de révolutions », démontrant ainsi « l’immutabilité de notre attachement aux goûts de nos ayeux » (p. 332). Ainsi, chez les femmes, de l’usage du maquillage ; ainsi encore, chez les femmes et chez « quelques homms », de celui « de se faire percer douloureusement les oreilles, pour y passer un anneau d’or orné de perles, de diamans, de pierres précieuses » (p. 333-334). L’auteur du premier article examiné « n’est remonté qu’aux Grecs & aux Romains » : « il eut pu aller beaucoup plus loin encore, sans toucher à l’époque de cette institution » (p. 334).

Articles examinés :
Pendant d’oreille (Hist. anc. & mod.), p. 334-337
Penitens Indiens (Hist. mod. superst.), p. 337-339
Penshurst (Géogr. mod.), p. 339-342
Petit-Maitre (lang. franc.), p. 342-344
« On trouve dans l’article Peuple, l’un des plus philosophiques de ce volume, d’excellentes & très-sages réflexions sur l’injuste & très-absurde idée que quelques gens se forment du peuple en général, qui est toujours, quoiqu’en dise l’orgueil, la portion la plus considérable, la plus utile & la plus saine de la nation. » (p. 344)

1769, II, 1, 15 février, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-21 [consulter]

« Les villes, les bourgs & les villages qui ont donné naissance à des hommes illustres par leurs talens ou leurs vertus, sont tout aumoins aussi recommandables que ces florissantes cités dont on admire l’étendue, la beauté, les richesses qui y brillent de toutes parts » (p. 3), déclarent les rédacteurs, exemples à l’appui. « Depuis quelques années », « nos Ecrivains, & surtout nos Léxicographes » renouent avec la pratique des « anciens Ecrivain », « surtout des Historiens », qui « ne parloient jamais d’une ville, qu’ils ne fissent mention en même tems des Artistes, des Sçavans & des Gens de lettres qui y étoient nés » (p. 4), à cette différence près que les premiers mentionnent aussi des « gens dont les talens fort au-dessous de la médiocrité, n’ont eu aucune sorte d’illustration » (p. 5). « De tous les citoyens de l’antique Phæstum, nous ne connoissons que le nom immortel d’Epiménide, qui illustra plus sa patrie [...] que n’eussent pu le faire les plus somptueux édifices & les plus durables monumens » (p. 6), comme l’observe l’auteur du premier article examiné.

Articles examinés :
Phæstum (Géog. anc.), p. 6-9
Les rédacteurs reviennent sur les imperfections, déjà signalées, de l’Encyclopédie, notamment dans les « dix derniers volumes », qui n’ont pas été « écrits & composés avec autant de soin qu’en ont pris les sçavans Editeurs des sept premiers tomes ». Découragement et précipitation peuvent expliquer qu’on trouve « tant de renvois & si peu d’éclaircissemens dans les articles où l’on est renvoyé ; tant de décisions, & si peu de preuves, tant d’assertions, & si peu de principes ». En outre, « nous ne présumons pas qu’on retrouveroit les mêmes articles sous divers mots, ou plutôt sous les mêmes mots différemment ortographiés ». C’est le cas notamment pour l’article FANTOME (Enc., VI, p. 404), redoublé par un article PHANTOME (Enc., XII, p. 486) : il convient de comparer les « sages réfléxions qu’on lit sous le mot Fantôme, avec les observations peu intéressantes que nous ne rapportons qu’afin de mettre nos lecteurs en état de juger de la verité & de l’impartialité de notre critique » (p. 9-11).
Phantome (Théolog. pay.), p. 11-13
Pharsale bataille de (Hist. Rom.), p. 13-16
Pheniciens, Philosophie des (Histoire de la philosoph.), p. 16-21.

1769, II, 2, 1er mars, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 167-186 [consulter]

Les rédacteurs évoquent le « titre [...] fort respectable [...] de Philosophe », qui s’obtient par « ses actions, ses écrits, & la reconnoissance publique » (p. 167). On ne les confondra pas avec les « sophistes importuns », dénoncés par Lucien, qui se contentent d’« écrire beaucoup, & sur un ton fort imposant, de se donner à eux-mêmes le nom de Sages, de parler perpétuellement de la vertu [...], de prodiguer les noms d’erreurs, de préjugés à toutes les opinions reçues, par cela seulement qu’elles sont généralement adoptées » (p. 168). Le premier article examiné trace le « modele » du philosophe (p. 170).

Articles examinés :
Philosophe, p. 170-176
Philosophie, p. 176-184
Piaie (Hist. mod.), p. 184-186.

1769, II, 3, 15 mars, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 331-349 [consulter]

Les rédacteurs défendent l’idée paradoxale que « ce sont les circonstances, [...] les rangs, les dignités qui décident [...] des qualités morales & du caractère des hommes » (p. 331) : « Une preuve bien convaincante que les hommes ne pensent que d’après les circonstances où ils se trouvent & les rangs qu’ils occupent, c’est la frappante contrariété de leurs propres sentimens, suivant la diversité des postes qu’ils remplissent » (p. 332). Qu’auraient fait Pompée, Caton, si César n’avait pas gagné la bataille de Pharsale ? Cette « contradiction dans la manière de penser », « essentielle à la condition humaine », qui n’est ni « crime », ni « foiblesse » (p. 333), s’observe notamment chez « beaucoup de souverains Pontifes » qui, « élevés au suprême pontificat », « se sont imposé la loi de penser & de s’exprimer d’une manière directement opposée à celle qui les avoit distingués avant leur exaltation » (p. 334). Enée Sylvius, évoqué dans le premier article examiné, en fournit un exemple emblématique.

Articles examinés :
Pienza (Géog. mod.), p. 334-341
Pirée (Géog. mod.), p. 341-345
Placet (Hist.), p. 345-349.

1769, III, 1, 1er avril, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 3-17 [consulter]

Les rédacteurs présentent comme « une bien vaste & très-intéressante histoire » celle, à écrire, « du plagiarisme » (p. 3), entreprise d’autant plus difficile qu’elle coïncide avec celle de la « république des lettres » tant « depuis environ trois mille ans la nation littéraire est u peuple corsaire » (p. 4). Le pillage est encore quasiment d’« usage » vis-à-vis des « Auteurs des nations étrangères » dont on présente les « simples traductions » comme des « écrits neufs » (p. 4), et que l’on ne manque pas de « flétrir » à l’occasion (p. 5).

Articles examinés :
Plagiarisme, ou Plagiat, p. 5-11
Plantation (Morale), p. 11-16
Pleureuses (antiq. rom. & hist. des Grecs modern.), p. 16-17.

1769, III, 2, 15 avril, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c., p. 167-183 [consulter]

Que les hommes risquent leur vie « pour un objet plus ou moins considérable de gain » (p. 167), « rien que de fort naturel » : « c’est un puissant motif que l’espèrance fondée de s’enrichir » (p. 168). Mais qu’ils le fassent « dans la plus grande incertitude », « pour un gain qui n’est rien moins qu’apparent », « surprend » et « étonne », quoique « cette bisarrerie » soit à l’origine de « découvertes très-importantes » : c’est grâce à « cette témérité si peu raisonnée » que nous bénéficions des « plus rares productions de la mer » (p. 168), comme le remarque l’auteur du premier article examiné.

Articles examinés :
Plongeurs (Marine. comm. & conchyol.), p. 168-172
« Nous voudrions bien que les bornes dans lesquelles nous sommes, malgré nous, obligés de nous renfermer, nous permissent de rendre compte des articles Poemes bucolique, cyclique, didactique, dramatique, épique, lyrique, philosophique en prose, séculaire. On trouve dans ces différens articles d’excellentes réfléxions, des observations critiques de la plus grande justesse, des principes surs, des préceptes sages, les plus lumineuses leçons : c’est presque une poétique complette, & d’autant plus satisfaisante, qu’on y trouve rassemblées les pensées des Auteurs les plus célébres qui ont écrit sur cette matière. Nous nous bornerons à en rapporter quelques observations. » (p. 172-173)

1769, III, 3, 1er mai, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XIII, p. 331-346 [consulter]

L’homme, « roi de l’univers » (p. 331), est supérieur à l’animal, affirment les rédacteurs, qui présentent comme « fort naturel » l’« assujetissement imprescriptible des animaux à l’homme » (p. 332). En revanche, il n’est « ni naturel, ni juste » de « rejetter de la grande famille humaine un nombre considérable d’êtres, qui cependant paroissent ne former avec nous qu’une seule & même espèce », car « il ne suffit pas d’être Philosophe, il faut avoir aussi un peu d’humanité » (p. 332-333). C’est ainsi qu’on refuse « le nom d’homme au ourang-outang, au barri ou homme des bois, au pongo », considérés comme des « espèces de singes » (p. 333), en raison d’un défaut de « perfection », de « sociabilité », qui ne suffisent pas à définir « l’humanité » (p. 334). L’auteur du premier article examiné « n’hésite point à placer les pongos parmi les animaux », reflétant en cela « l’opinion reçue » : « mais est-ce l’opinion la plus raisonnable ? » (p. 335)

Articles examinés :
Pongo (Zoolog.), p. 335-339
Poplicain, Populicain, Poblicain, ou Publicain (Hist. eccl.), p. 339-340
« Détournons nos regards de ces tableaux d’horreur, & passons à des objets plus agréables. On trouve rassemblées sous l’article Population les réflexions les plus sages & les raisonnemens les plus philosophiques sur ce sujet vraiment intéressant ; mais l’étendue très-considérable de cet article, que nous voudrions pouvoir transcrire en entier, & qui perdroit trop, si nous n’en rapportions que quelques fragmens, ne nous permettant point de nous y arrêter, nous allons rendre compte de la considération dont les portes des citoyens jouissoient autrefois chez les Romains. » (p. 340-341)
Porte (Litterat.), p. 341-343
Portique (architect.), p. 343-346.

1769, IV, 1, 15 mai, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XIII, p. 3-17 [consulter]

Les rédacteurs contestent la supériorité, dans les « arts », les « talens », les « sçiences », les « grandes découvertes » mais aussi les « établissemens utiles », que s’arrogent les Français sur « tous les peuples de la terre » (p. 3-4) : « si les François ont l’art de perfectionner, ils n’ont point eu [...] la gloire d’inventer » (p. 4). Quoiqu’« on n’y fasse maintenant de nouvelles inventions dans aucun genre », la nation chinoise a été « la plus féconde en inventeurs » (p. 4-5) puisqu’elle connaissait l’imprimerie, l’usage de la poudre à canon, les verreries. On fait l’éloge du « génie créateur du Cardinal de Richelieu » qui aurait formé, « dit-on », « l’utile plan de l’établissement des postes », alors que l’« établissement » existait « dans presque tous les gouvernemens de l’Europe », et avait été inventé en Chine, comme le révèle le premier article examiné.

Articles examinés :
Postes de la Chine (Hist. de la Chine), p. 6-10
Potosi, le (Géogr. mod.), p. 11-13
Poudre de Sympathie (med.), p. 13-17.

1769, IV, 2, 1er juin, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XIII, p. 167-183 [consulter]

« Il n’est rien dont les hommes n’abusent » (p. 167), posent les rédacteurs, qui font état des « vues trop ambitieuses de leur orgueil » et de « leur penchant indomptable à l’empire, à l’autorité » (p. 168). Si « la nature a soumis les enfans à leurs peres, pour que ceux-ci protègent leur foiblesse », les pères ont jadis abusé de cette faiblesse « en tyrans » (p. 168). On doit reconnaître l’existence de « bornes » à l’« autorité paternelle », « qu’il est inhumain & farouche de transgresser » (p. 168). Quant aux « bornes du devoir des enfans envers leurs peres », « il n’y en a point » (p. 169). Ces « préceptes, plus étendus » (p. 169), sont présentés dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Pouvoir paternel (Droit nat. & civil), p. 169-176
Précepteur (Econom. domes.), p. 176-178
Procession, p. 178-181
Profit, gain, lucre, emolument, benefice (Synonimes), p. 181-183.

1769, IV, 3, 15 juin, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XIII, p. 331-347 [consulter]

Les « récits odieux, révoltans » suscitent l’« indignation » mais ils « intéressent par l’horreur même qu’ils inspirent » (p. 331), ce qui fait qu’« on ne se lasse point de regarder les peintures des objets les plus effrayans » alors que « les plus riantes images fatiguent » (p. 332). « Cette disposition d’esprit si générale & si naturelle aux hommes, ne prouve pas cependant », estiment les rédacteurs, contre l’avis de « quelques atrabilaires dissertateurs », « que l’homme soit de sa nature sanguinaire & malfaisant » : « elles prouvent, suivant nous, au contraire, que les hommes sont essentiellement plus vertueux que méchans, plus habituellement doux & bienfaisans que cruels & perfides » (p. 333). Le premier article examiné trace le « spectacle effrayant » (p. 334) des proscriptions de Sylla et des Triumvirs.

Articles examinés :
Proscription (Hist. Rom.), p. 334-339
Prytanée (Antiq. Grecq.), p. 339-344
Psylles les (Geog. anc. & litter.), p. 344-347.

1769, V, 1, 1er juillet, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XIII, p. 3-14 [consulter]

Les rédacteurs stigmatisent l’orgueil des « tyrans de l’Egypte, qui, pour mieux s’assurer de l’immortalité, imaginerent d’élever ces monumens énormes, ces monstrueuses pyramides » (p. 3). « Contre l’attente de ces Rois orgueilleux », ces monuments « n’ont éternisé que la mémoire de leur folie & de leur vanité ; leur nom a péri » (p. 4). Le premier article examiné fait état des « recherches de l’Auteur [...] au sujet de ces fameuses pyramides » (p. 4).

Articles examinés :
Pyramides d’Egypte (Antiq. d’archit. égypt.), p. 4-10
Pyrrhique (Orchestiq. grecq.), p. 11-14.

1769, V, 2, 15 juillet, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XIII, p. 167-180 [consulter]

Les rédacteurs considèrent « qu’il est bien surprenant qu’il n’y ait pas », en fait de « systêmes religieux » et de « doctrines », « autant de sectes qu’il y a de sociétés » (p. 167-168) : étant donné que « des nations entières ont refusé de se rendre à l’évidence du catholicisme [...], il paroîtroit fort naturel que les hommes fussent tout aussi divisés en matière de religion, qu’ils les [sic] sont & qu’ils l’ont toujours été au sujet des diverses opinions philosophiques » (p. 168). Ce qui paraît « moins naturel », « c’est que des gens éclairés par des principes plus lumineux & élevés dans la plus pure des religions, prodiguent des éloges à celle des sectes qui est, sans contredit, la plus incompatible avec les mœurs & les usages reçus dans la nation où elle s’est établie, & où elle offre un contraste si frappant & si ridicule avec les manières reçues & les coutumes nationales » (p. 168). Ainsi de l’« apologie [...] des Quakers » (p. 169) effectuée dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Quaker (Hist. des sect. mod.), p. 169-174
Rajeunissement (Met.), p. 175-178
Reconnoissance (Mor.), p. 178-180.

1769, V, 3, 1er août, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV. Sen – TCH., p. 331-345 [consulter]

Les rédacteurs évoquent les différentes manières d’envisager le traitement des cadavres : l’« usage », en Inde, d’enterrer les morts « dans les champs les moins féconds » « vaut incomparablement mieux que celui d’infecter les villes par l’inhumation des morts dans les églises & dans les cimetières » ; « il est préférable encore à l’usage aussi absurde qu’orgueilleux [...] de bâtir de magnifiques tombeaux pour les morts », dont il a déjà été question à propos de « l’excessive vanité des despotes d’Egypte » (p. 332). Le premier article examiné montre que « c’est le rang seul & la puissance qui mettent de la différence entre la manière très-ridicule de penser des hommes, relativement aux honneurs du tombeau » (p. 332).

Articles examinés :
Sepulture (Droit naturel), p. 333-337
Serpent (Hist. nat.), p. 337-343
Sobrieté (morale), p. 343-345.

1769, VI, 1, 15 août, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 3-16 [consulter]

S’il paraît « fort naturel » que « le desir de la gloire ait inspiré aux hommes d’en imposer par l’éclat des honneurs & des titres » (p. 3), les rédacteurs présentent comme « une des plus inconcevables absurdités que la folie humaine ait pu créer » de rechercher « la célébrité » en se distinguant « par des surnoms & des titres ou ridicules, ou quelquefois injurieux » : des « surnoms burlesques, ridicules ou injurieux » ont été donnés à des souverains, qui s’en sont étrangement fait gloire (p. 3-4). L’« usage » des « sobriquets », qui « n’est point exclusif aux souverains », « sert également à désigner les bonnes ou les mauvaises qualités des hommes de tous les rangs » (p. 4-5), comme l’observe l’auteur du premier article examiné.

Articles examinés :
Sobriquet (littérature), p. 5-10
« On lit dans l’article somnambule & somnambulisme des observations très-curieuses, & dont il est bien difficile de rendre raison, quelque ingénieuses que soient les explications que l’Auteur donne des faits très-surprenans qu’il rapporte, & dont il a attesté la vérité. Si ces faits sont aussi constatés qu’on l’assure, il n’est guère possible de se dispenser d’en conclurre que tout est méchanisme, ou dumoins que le méchanisme fait la plus grande partie de toutes les opérations humaines ; or cette conséquence est trop humiliante pour qu’elle doive être admise, & nous aimons beaucoup mieux avouer que la cause des faits rapportés dans cet article, est pour nous absolument incompréhensible [...]. » (p. 10)

1769, VI, 2, 1er septembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 167-179 [consulter]

Les rédacteurs reviennent à la question des « droits à la célébrité » que confère à une ville « la naissance d’un grand homme » (p. 167) : le premier article examiné est consacré à la ville natale du Tasse.

Articles examinés :
Sorrento (Géog. mod.), p. 169-174
Sosipolis (Mythol. grecq.), p. 175-177
Sous introduite Femme (Hist. Eccles.), p. 177-179.

1769, VI, 3, 15 septembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 331-345 [consulter]

Pour introduire le premier article examiné, les rédacteurs évoquent le « spectacle », « chez nous » un simple « amusement », mais qui était « chez les anciens l’une des plus sérieuses & des plus importantes occupations » (p. 331), « contraste d’autant plus singulier & d’autant plus inexplicable » que le théâtre, désormais « très-épuré » (p. 332), se signalait par sa grossièreté à Athènes comme à Rome.

Articles examinés :
Spectacles (invent. anc. & mod.), p. 333-339
Alors que « dans la plûpart des dictionnaires, celui des Gaules excepté », les articles de géographie sont médiocres, « il n’en est pas de même » de ceux « qu’on lit dans ce dictionnaire », qui « offrent tous ou quelque découverte utile, ou quelque trait d’un très-grand intérêt, ou des anecdotes aussi agréables qu’elles sont peu connues, ainsi que l’on en jugera » (p. 339-340) par l’article suivant :
Sterling (géog. mod.), p. 340-343
Styx (Mythol. & Geog. anc.), p. 343-345.

1769, VII, 1, 1er octobre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 3-19 [consulter]

Posant qu’« il n’existe point d’homme qui soit entierement indépendant », les rédacteurs en tirent qu’il n’y a pas d’« états purement arbitraires, c’est-à-dire, où la volonté d’un seul [...] soit la régle de tous » (p. 3-4) : « Il n’y a point de gouvernement où la puissance de celui qui gouverne ne soit bornée par des loix ou par des usages, qu’il ne sçauroit enfreindre, sans s’exposer lui-même [...] à la perte de son autorité » (p. 4). L’exemple développé dans le premier article examiné fait apparaître « un contraste assez bizarre » entre « l’étendue du pouvoir despotique du Grand-Seigneur » et « le petit obstacle qui s’oppose, toujours efficacement, à ses volontés arbitraires » (p. 5).

Articles examinés :
Sultan (Hist. mod.), p. 5-10
Supplice (gouvernement), p. 10-16
Sybarites (Hist.), p. 16-19.

1769, VII, 2, 15 octobre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 167-178 [consulter]

Le fait qu’il existe « des contrées plus favorables les unes que les autres aux arts, aux sçiences, aux vertus mêmes » (p. 167), prouve encore l’influence des climats : les rédacteurs défendent la pertinence de la théorie de Montesquieu contre ceux qui, prenant « l’effet pour la cause », considèrent que « c’est [...] dans la législation d’un peuple, dans la nature de son gouvernement, qu’il faut chercher la raison de ses lumières, de ses progrès dans les arts & dans la vertu » (p. 168). L’exemple de l’Angleterre, évoqué dans le premier article examiné, illustre ce qu’une région peut produire de talents.

Articles examinés :
Sussex (Géog. mod.), p. 170-173
« A la suite de plusieurs réflexions excellentes sur la peinture, qu’on lit sur le mot tableau, & que le tems ne nous permet point de rapporter, on trouve des recherches curieuses sur les tableaux votifs, fort en usage chez les anciens Romains, usage que la superstition introduite & accréditée par l’avidité des Prêtres, porta jusqu’au délire & jusqu’au plus fanatique abus. » (p. 173)
Taciturnité (Morale), p. 177-178.

1769, VII, 3, 1er novembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 331-348 [consulter]

Les rédacteurs réaffirment une nouvelle fois la supériorité des hommes sur les animaux et s’indignent du fait que « pour justifier leurs crimes & leur férocité, les conquérans destructeurs du Méxique peignirent les Américains [...] comme des animaux qui n’avoient qu’une ressemblance imparfaite avec l’homme » (p. 334-335). Le premier article examiné porte sur une de « ces institutions [...] qui eut du concilier aux Mexicains l’estime des Espagnols » (p. 335).

Articles examinés :
Tecuitles (Hist. mod.), p. 335-337
Tegulchitch (Hist. nat. anim.), p. 338-339
Nouvelle illustration de « la perpétuelle opposition qu’on trouve entre les récits des Poëtes & ceux des Historiens », l’évocation, par les premiers, « des beautés & des délices de Tempé » contraste avec celle de l’« un des lieux les plus désagréables de la Thessalie entière » (p. 339-340).
Tempé (Géog. anc.), p. 340-342
« Nous désirerions bien que le tems & les bornes que nous sommes obligés de donner à nos extraits, nous permissent de rapporter toutes les sages réflexions & les excellentes observations critiques qu’on lit dans ce vol. sous le mot Terme, & sur l’usage que l’on doit faire des expressions ; mais nous ne passerons pas sur cet article sans en citer quelques fragmens. » (p. 342-343)
Tesseres de l’Hospitalité (Hist. Rom.), p. 346-348.

1769, VIII, 1, 15 novembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 3-18 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur l’orgueil de chaque nation à se croire « infiniment supérieure à tous les peuples existans » (p. 3). L’expression de cette « vanité nationale » (p. 6) s’observe encore dans la manière dont les Anglais parlent de la Tamise, évoquée dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Thamise (Géog. mod.), p. 7-8
« C’est encore un excellent article que celui que le mot théâtre a fourni. » Ce que l’auteur dit « de la magnificence & de la majesté de la construction des théâtres grecs & romains » doit faire rougir en comparaison de « l’indécente difformité de nos théâtre, & à la barbarie du goût qui a présidé à leur construction ». « L’étendue de cet article ne nous permettant point de nous y arrêter, nous ne croyons pas du moins pouvoir nous dispenser de le citer comme l’in des meilleurs de ce volume [...]. » (p. 8-10)
Tirade (littérat.), p. 10-11
Titre (Hist. mod.), p. 11-14
Tluchtli (Hist. mod.), p. 15-16
« Nous avons lu avec bien de la satisfaction l’article consacré à la description de l’ancienne & célèbre ville de Tolède en Espagne ; mais nous avons été aussi très-surpris que cette ville, l’une des plus illustres de la monarchie espagnole, n’ait donné qu’un si petit nombre de sçavans & de litterateurs [...]. » (p. 16)

1769, VIII, 2, 1er décembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 167-184 [consulter]

S’il peut paraître inhumain de « troubler la cendre des morts » (p. 167), il ne doit pas y avoir « d’azile pour la perversité », déclarent les rédacteurs : « il est juste, il est très-utile & d’un intérêt général que la mémoire des méchans soit transmise à la postérité, & vouée de race en race à l’exécration publique » (p. 168). Mais alors que, en général, « le jour de la mort d’un méchant [...] est le jour de son opprobre », il arrive que « des vicieux accrédités » soient « plus honnorés encore, plus craints & plus flattés après leur mort, qu’ils de l’avoient été durant leur vie, tant étoit forte & profonde l’impression de terreur qu’ils avoient inspirée, à force de forfaits, d’audace & de noirceurs » (p. 169). Au nombre de ces exceptions figure Pallas, dont le premier article examiné relate « quelques sages réflexions de Pline » au sujet de « ce monstre » (p. 170).

Articles examinés :
Tombeau (Hist. rom.), p. 170-176
Torys (Hist. mod.), p. 178-181
« Nous ne dirons rien de l’article que les Auteurs de ce dictionnaire ont consacré à Toulouse, notre patrie ; parceque nous ne pourrions en rendre compte, sans relever toutes les fautes & toutes les omissions qu’on a jugé à propos de se permettre au sujet de cette ville, qui fournissoit néanmoins tant de faits intéressans à rapporter. Nous dirons seulement que, rélativement aux talens, aux Artistes & aux Littérateurs que cette ville a produits en si grand nombre, l’Auteur a jugé à-propos de hazarder des réflexions tout aussi peu réfléchies que celles qu’on a lues dans l’article Nantes. » Les rédacteurs renvoient au « 6e. Tome du Dictionnaire des Gaules, qui paroîtra incessamment ». « Cet article, est entr’autres, un de ceux qui méritent d’être étendus & refondus, soit dans l’édition nouvelle, que l’on prépare de ce dictionnaire, soit dans le supplément auquel on travaille. Il seroit à desirer aussi qu’on donnât une plus grande étendue à l’histoire biographique des hommes illustres de Touraine [...]. » « Ce défaut, qui en est un fort considérable, est fréquent dans ce dictionnaire ; & c’est dommage assurément. » (p. 181-184)

1769, VIII, 3, 15 décembre, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 331-346 [consulter]

Quoique le commerce puisse apparaître comme « la source la plus abondante des richesses d’un état » (p. 331), « une question plus difficile » consiste à demander si ces avantages « peuvent dédommager les peuples des malheurs qu’il occasionne, & des désastres qui le suivent » (p. 332). Les rédacteurs mentionnent Helvétius pour qui « la consommation d’hommes qu’occasionne nécessairement le commerce, doit être regardée comme l’une des principales causes de la dépopulation » (p. 332) et en viennent, avec le commerce triangulaire, à dénoncer une nouvelle fois le « droit affreux » que les contemporains « se sont arrogés de disposer, au gré de leur sanguinaire avarice, de la vie & de la liberté des Nègres » (p. 333), au cœur du premier article examiné.

Articles examinés :
Traite des Negres, p. 335-339
« Nous désirerions bien de pouvoir rapporter toutes les excellentes réflexions insérées dans l’article Transfusion, qui méritoit assurément une place dans ce dictionnaire » : « invention cruelle, barbare & criminelle » pour les uns, « découverte utile, d’un avantage démontré & d’un succès infaillible », pour les autres. L’article suivant indique que « les uns & les autres se trompent » (p. 339-340).
Transfusion (Med. Thérapeut. Chir.), p. 340-344
Tribunal de l’inquisition (Hist. eccles.), p. 344-346.

1770, I, 1, 1er janvier, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 3-21 [consulter]

En prise sur des événements d’actualité, les rédacteurs, loin de vouloir ajouter à la « terreur » ambiante, se proposent « au-contraire, de démontrer [...] que, loin d’avoir à craindre les tremblemens de terre que l’on éprouve depuis sept ou huit ans ; leur retour très-fréquent & leur peu de violence doivent nécessairement rassurer contre leurs effets » (p. 4) : « Quelles que soient les causes des tremblemens de terre, il est constant que par cela même qu’elles agissent plus habituellement, elles sont beaucoup moins dangereuses, beaucoup moins redoutables » qu’au moment de la « catastrophe mémorable » du « renversement de Lisbonne » (p. 4-5), évoquée dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Tremblement de terre (Hist. nat. miner. & physiq.), p. 6-12
Trêves (Géog. mod.), p. 12-15
Triumvirat (Hist. rom.), p. 15-21.

1770, I, 2, 15 janvier, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 167-180 [consulter]

Les rédacteurs reviennent à question de l’universelle périssabilité des hommes et des choses : le cas de la ville de Troie fournit encore un exemple de « l’instabilité des choses humaines », illustrée, dans le premier article examiné, par « l’incertitude trop démontrée de la vraie situation » de cette « fameuse » ville (p. 170).

Articles examinés :
Troye (Géog. anc.), p. 170-173
Troubadours ou Trombadours (littérat.), p. 173-179
Tsin-se (Hist. Mod.), p. 179-180.

1770, I, 3, 1er février, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XV, p. 331-345 [consulter]

Partant de la « variété » observée dans « chaque gouvernement », qui « a son principe, sa nature, ses usages, ses loix », « variété qui offre au Philosophe le sujet le plus fertile en réflexions, & malheureusement aussi en difficultés insolubles » (p. 331-332), les rédacteurs reviennent à la théorie des climats, qui fait à présent l’objet d’une vive contestation : « les différences extrêmes que l’on remarque, soit entre les gouvernemens, soit entre les caractères nationnaux, les talens & les usages des peuples séparés entr’eux par de très-grandes distances, quoique dans des contrées d’une semblable température [...] nous paroissent renverser de fond en comble le moderne sistême de l’influence des climats » (p. 332). Faute de pouvoir « résoudre » les problèmes soulevés par « ce sistême étrange », on s’en tiendra à l’évocation des « coutumes » (p. 333) de la nation évoquée dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Tunquin (Géog. mod.), p. 334-338
Tyran (politique & moral.), p. 338-341
Tyrannie (gouvernement politique), p. 341-345.

1770, II, 1, 15 février, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVI, p. 3-18 [consulter]

Méditant sur le coexistence universelle du bien et du mal, et sans examiner si « cette variété concourt [...] au plus grand avantage de l’ensemble », les rédacteurs évoquent cet « assez agréable spectacle [...] que présente cette variété d’événemens heureux & malheureux, & ce contraste de caractères bons & mauvais, rassemblés dans les mêmes sociétés » (p. 5) : « Comme nous supposons que ces tableaux intéressent autant nos lecteurs que nous mêmes, nous prenons soin de nous arrêter [...] aux articles de ce Dictionnaire, consacrés à la description des grandes villes de l’Europe, & dans lesquels on donne en abrégé, l’histoire des citoyens utiles & dangereux, qui se sont rendus célèbres par leurs vertus ou par leurs vices » (p. 5). Ainsi, dans le premier des articles examinés.

Articles examinés :
Valence (Géog. mod.), p. 5-10
Valogne (Géog. mod.), p. 10-14
Vases a boire (Arts & litter.), p. 14-18.

1770, II, 2, 1er mars, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVI, p. 167-179 [consulter]

« Chez les François, l’honneur, plus fort que le désir du gain, s’est constamment opposé aux abus » que la vénalité des charges « paroissoit devoir produire », observent les rédacteurs, qui font l’éloge de l’intégrité dont les magistrats ont fait preuve « jusqu’à ce jour » (p. 167-168). Mais « les progrès du luxe a la vénalité des charges peuvent-ils rassurer les citoyens sur le désintéressement des Juges, qui achetent à si haut prix le droit de les juger ? », s’interrogent-ils, à la suite de l’auteur du premier article examiné, qui s’inspire des « sages réflexions » (p. 168) du président Hénault.

Articles examinés :
Vénalité des charges (Hist. de France), p. 168-172
Vendications (la cour des) (Hist. d’Angl.), p. 173-176
Vendomois (Géog. mod.), p. 176-179.

1770, II, 3, 15 mars, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 331-338 [consulter]

Les rédacteurs affirment avec force l’existence d’« un Dieu qui dirige la chaine des événemens heureux & malheureux qui se passent sur la terre, comme il règle la course de cette infinité de sphères enflammées qui roulent dans l’espace » (p. 331). Et d’alléguer « l’évidence des preuves constatées qui annoncent & démontrent l’existence d’un Dieu vengeur de l’innocence & rémunérateur de la vertu », mais aussi soucieux de « punir l’iniquité » : « Si des conquérans avides, de farouches usurpateurs ont ravagé le nouveau monde & massacré ses habitans, n’est-il pas sorti du nouveau monde une affreuse maladie, autrefois inconnue dans l’ancien, & qui, y portant le ravage & la mort, a vengé & venge encore les malheureux Américains des cruautés & de la tyrannie de leurs avides oppresseurs ? » (p. 332-333). Les rédacteurs disent n’oser « nommer » cette « maladie cruelle », invitant « les gens de l’art à méditer » l’article (VÉROLE) « où il en est amplement question » (p. 333-334).

Articles examinés :
Veronique, p. 334-336
Vertabiet (religion armen.), p. 336-338.

1770, III, 1, 1er avril, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 3-16 [consulter]

Les rédacteurs ironisent sur les entreprises par lesquelles « des Auteurs soi-disans métaphysiciens » se sont efforcés de produire « définitions » et « raisonnemens » sur des notions dont on est persuadé de l’existence par un « sentiment intérieur » (p. 3-4). Ainsi, entre autres, de « l’ame », de « la vertu », de « l’esprit » (p. 4), une « vertu, dont tout le monde parle, que tout le monde invoque, que chacun définit d’une manière différente, qui existe pourtant, quoiqu’elle soit, comme perpétuellement elle sera, un sujet inépuisable de disputes » (p. 5). « Tout ce qu’on a dit de plus raisonnable sur ce sujet [...] se réduit à quelques sages observations » (p. 6), présentées dans le premier article examiné.

Articles examinés :
Vertu (Ord. Encycl. Mor. Pol.), p. 6-12
Vezelay (Geog. mod.), p. 13-16.

1770, III, 2, 15 avril, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 167-185 [consulter]

Les rédacteurs se lancent dans une diatribe contre « ces Prêtres imposteurs, ces tyrans sacrilèges, qui devorés d’ambition & abusant de la foiblesse des esprits qu’ils avoient allarmés, épaissirent, pour étendre avec plus de succès leur despotique empire, le voile de l’erreur & des plus avilissantes superstitions » (p. 167-168). Ainsi de l’invention de « divinités sanguinaires » qu’il fallait apaiser par des « victimes humaines » (p. 168). Le phénomène, qui a partie liée avec le « fanatisme », s’observe « chez tous les peuples », ce qui constitue « l’un des problêmes les plus difficiles que la philosophie ait à résoudre » (p. 169). Après avoir fait référence à « l’Auteur de l’Antiquité dévoilée par ses usages [Boulanger / D’Holbach, 1766] » et celui de « l’Essai sur les erreurs & les superstitions anciennes & modernes [Castilhon, 1766] », les rédacteurs s’en tiennent aux « faits rapportés » dans le premier article examiné, « qui ne prouvent que trop l’universalité de ce barbare usage » (p. 170).

Articles examinés :
Victime humaine (Hist. des superst. relig.), p. 170-178
Vie. Durée de la vie (arithmet. polit.), p. 179-184
Vieil de la montagne (Terme de relation), p. 184-185.

1770, III, 3, 1er mai, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 331-344 [consulter]

Dans le prolongement des considérations, données « dans le dernier Journal », sur les « probabilités de la vie humaines » (p. 331), et des exemples de longévité exceptionnelle qui ont été cités, les rédacteurs, considérant les « accidens inséparables de la condition humaine », les « langueurs accablantes » de la « vieillesse » et « l’affaiblissement de la caducité », se demandent « si la longévité est un avantage desirable, ou un véritable malheur » (p. 332-333).
Le premier article examiné offre un « tableau des infirmités » de la vieillesse (p. 333).

Articles examinés :
Vieillesse (physiologie), p. 333-338
Villa-Nueva (géograph. mod.), p. 338-342
Vire (géogr. mod.), p. 342-344.

1770, IV, 1, 15 mai, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 3-17 [consulter]

Si « c’est une erreur assurément de ne vouloir reconnoitre pour cause unique de nos actions que notre volonté, & d’attribuer seulement à l’influence de l’ame sur le corps tous les effets de passions », les rédacteurs présentent comme « une erreur plus étrange, une opinion plus insoutenable [...] de rapporter tout à l’influence du physique sur l’ame, à la bonne ou mauvaise, à la saine ou mal-saine constitution de nos organes » (p. 3-4) : « Cette opinion ne méritoit guère d’être soutenue de nos jours, & beaucoup moins encore de se trouver dans ce Dictionnaire, où cependant on a bien voulu lui donner une place » (p. 4), comme le montre le premier article examiné.

Articles examinés :
Vindicatif (Gramm.), p. 4-8
Virginité (Phisiolog.), p. 8-11
« L’article Vivarais, qui présentoit une description si agréable à faire de cette petite province, l’une des plus délicieuses de la France, est rempli, au grand étonnement au Lecteur, d’une ode & de la traduction de la premiere élégie de Tibulle par M. de La Fare ; en sorte qu’après avoir lu cet article, on ignore si le Vivarais est une contrée stérile ou féconde, ingrate ou déserte ; s’il existe des monumens ; si les habitans y ont de l’industrie, ou si les arts y sont négligés : mais à la place de tout cela, on peut lire ces deux pièces de poésie, qui sont vraisemblablement connues de tous ceux qui jetteront les yeux sur cet article, & qui trouveront peut-être un peu étrange que dans quatre colonnes de ce grand Dictionnaire consacrées à l’article Vivarais, on ne dise pas un mot du Vivarais. » (p. 11-12)
« On lit, sous le mot Voler, une observation exacte, sçavante, & qui détrompera bien des gens mal instruits, qui se persuadent qu’à force de machines il seroit possible à l’homme de traverser les airs à la manière des oiseaux. » (p. 12)
Voyage (Education), p. 14-17.

1770, IV, 2, 1er juin, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 167-180 [consulter]

Constatant qu’il subsiste, dans « toutes les croyances » et « toutes les religions », une « partie obscure, mystérieuse » (p. 167), les rédacteurs font référence à l’Histoire générale des cérémonies, des mœurs, et coutumes religieuses (1741) de Banier qui, s’il a décrit en détail les cérémonies, n’a pas entrepris d’expliquer » ce qu’elles « signifioient », tâche sans doute « impossible » à remplir (p. 168). Parmi celles qui n’ont « été introduites ni par la fourberie, ni par l’ambition », « on ignore profondément » en quoi elles « pouvoient consister », et « de quelle maniere elles servoient à rendre intelligiblement les volontés du ciel », recherches d’ailleurs vaines qui « n’ont conduit les sçavans [...] qu’à des absurdités » (p. 169) : ce qu’illustre celles évoquées dans le premier article examiné, à propos d’« une institution des Juifs, très-respectable & très-sacrée » (p. 169-170).

Articles examinés :
Urim et Thummim (écrit. sacrée), p. 170-173
Usson (géog. mod.), p. 173-175
Vulturius (mythol.), p. 175-177
Weert (Geog. mod.), p. 177-179
Werwick ou Warwick (Geog. mod.), p. 179-180.

1770, IV, 3, 15 juin, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 331-348 [consulter]

Tout en saluant les progrès des « Sçavans » dans la connaissance des « causes de la plûpart des événemens naturels » (p. 331), les rédacteurs déplorent l’ignorance de celles qui expliquent « des phénomènes plus communs » (p. 332) comme les couleurs ou le mouvement, ce qui leur permet de stigmatiser le « délire antiphilosophique » du Système de la nature, qui va « jusqu’à substituer le mouvement à Dieu » (p. 333). Ils évoquent aussi des « phénomènes » ayant bouleversé un pays, « dont à-peine notre œil peut considérer les effets, & dont notre raison ne sçauroit pénétrer les causes », à l’exemple de celui dont il est fait état dans le premier article examiné.

Articles examinés :
West-ham (Geog. mod.), p. 334-335
Les rédacteurs reviennent sur la « négligence » observée « dans bien des articles, où l’on ne trouve aucun des éclaircissemens que l’on devoit espérer d’y trouver ». « C’est surtout sous les noms des villes que ces récits de remplissage abondent ». L’article suivant l’illustre encore : « A peine l’Auteur [...] donne-t’il trois lignes à la description de Westminster, à son antiquité, & fort peu à la description de l’édifice où reposent les mânes de tant de Souverains & de tant de grands hommes : mais aulieu de tout cela, on y lit fort au long l’histoire de la vie & l’analise des ouvrages de Johnson, de Betterton, de Beverdge, de Lee & de Folkes, quoique ce ne soient pas là [...] les plus illustres Anglois qui ont mérité & obtenu les honneurs de Westminster. » (p. 335-336)
Westminster (Géog. mod.), p. 336-342
Wilton (Géogr. mod.), p. 342-346
Winfrieds well (Geog. mod.), p. 347-348.

1770, V, 1, 1er juillet, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Tom. XVII, p. 3-16 [consulter]

Les rédacteurs mentionnent les « systêmes absurdes de jurisprudence civile & criminelle » introduits « dans les temps d’ignorance » et suivis « jusques vers les premieres années du dernier siècle » (p. 3-4). Ainsi de « la folle institution de ces duels juridiques, connus sous le nom de Jugement de Dieu » (p. 4). Ainsi aussi de « la compensation des crimes les plus atroces par des amendes pécuniaires », « généralement adoptée en Europe, où elle a été constament observée chez la plûpart des nations du Nord beaucoup plus longtems qu’elle ne l’a été partout ailleurs » (p. 4), ce que montre le premier article examiné.

Articles examinés : Werelada (Hist. mod.), p. 5-6
Xavier (Géog. mod.), p. 7-10
Zambales (Geog. mod.), p. 11-13
Zaporaviens ou Zaporoges (Géog. mod.), p. 13-15
Zendik, Zendiks ou Zendak (Litter. orient.), p. 15-16. )

1770, V, 2, 15 juillet, Encyclopédie, ou, Dictionnaire raisonné des Sçiences, des Arts & des Métiers, &c. Dernier Extrait, p. 167-181 [consulter]

Les rédacteurs reviennent sur le sens de la démarche critique qui orienté, « depuis environ quatre années » leur entreprise consistant à reprendre « la suite de ce Dictionnaire » : « nous en avons fait connoitre [...], sinon tous les articles les plus sçavans, dumoins les plus intéressans, soit pour les gens de lettres, soit pour les personnes qui ne cherchent qu’à s’éclairer sur les matieres relatives à l’administration publique, ou sur les différens objets d’œconomie particuliere » (p. 168). Au terme de l’entreprise, qui a pu laisser certains lecteurs insatisfaits, et susciter le mécontentement de certains auteurs, les rédacteurs réitèrent leur éloge de l’Encyclopédie et terminent leur « immense extrait » en examinant « quelques articles omis & ajoutés par forme de supplément » à la suite du dernier volume (p. 169-170).

Articles examinés :
Affabilité (morale), p. 170-172
Bibliotaphe (Littérat.), p. 172-175
Enthousiasme (peinture), p. 175-178
Glorieux (Morale), p. 178-181
« On doit publier dans quelque tems plusieurs vol. de supplément à ce Dict., dont les articles seront, à ce qu’on assure, infiniment mieux soignés : aussitôt qu’ils paroitront, nous ne manquerons pas d’enrichir notre Journal des objets les plus intéressans qu’ils renfermeront. Nous examinerons aussi avec soin l’édition de ce grand ouvrage, avec des augmentations considérables, à laquelle on travaille actuellement à Yverdon ; nous nous garderons bien de prévenir le public sur cette entreprise ; nous attendrons qu’il en ait paru plusieurs volumes pour pouvoir en juger plus sainement. Nous ne perdrons point non plus de vue la traduction italienne de cet immense Dictionnaire qui se fait à Florence d’après l’édition de France ; en un mot, nous recueillerons avec un soin infini tout ce qui peut avoir pour objet la perfection de ce précieux dépôt des connoissances humaines. » (p. 181)

Indications bibliographiques

John Lough, Essays on the Encyclopédie of Diderot and D’Alembert, London, Oxford University Press, 1968.

Jean Sgard (dir.), Dictionnaire des journaux, 1600-1789, Paris, Universitas, 1991, 2 vol. Sur le Journal encyclopédique, voir la notice de Jacques Wagner, no 730, t. II, p. 729-731.

Jacques Wagner, Lecture et société dans le Journal encyclopédique de P. Rousseau (1756-1785), thèse d’État, Clermont-Ferrand, 1987.

Pour les liens vers les exemplaires numérisés des périodiques d’Ancien Régime, voir le site du Gazetier universel.

par Olivier Ferret

Date de dernière mise à jour : 28 août 2017

Pour citer cette notice : Olivier Ferret, « La réception de l’Encyclopédie dans le Journal encyclopédique », La réception de l'Encyclopédie au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie de Chaumeix

Ressources en ligne

Abraham Joseph de Chaumeix, Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie et Essai de réfutation de ce dictionnaire, Bruxelles et Paris, Hérissant, 1758-1759, 8 vol. in-12 :
t. I ; t. II / t. III / t. IV / t. V / t. VI / t. VII / t. VIII

Janséniste, en guerre ouverte contre les « philosophes » et les jésuites, qu'il renvoie dos-à-dos, Abraham Joseph de Chaumeix publia ses Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie et Essai de réfutation de ce dictionnaire (1758-1759, 8 vol. in-12) qui couvrent les articles parus dans les sept premiers volumes du Dictionnaire raisonné.

Chaumeix s'en prend à la philosophie, à la métaphysique de l'ouvrage, en ignorant les arts et métiers pour lesquels il n'a que mépris. Son but est clairement énoncé : « examiner quel respect les encyclopédistes avaient pour Jésus-Christ, pour l'Ecriture Sainte et pour la Religion » (Préjugés, t. I, p. xxvii).

Son analyse des articles encyclopédistes est acérée – la haine est souvent clairvoyante : il perçoit remarquablement l'allusion ou la malice à l'égard du dogme chrétien ou de la physique non-mosaïque. C'est sur son ouvrage que repose largement le réquisitoire de Joly de Fleury qui mena à l'interdiction de l'Encyclopédie.

Après les Préjugés légitimes, Chaumeix continua à donner ses commentaires dans les Nouvelles ecclesiastiques en 1758-1759.

Indications bibliographiques

Jacques Proust, Diderot et l'Encyclopédie, p. 258-260, p. 390-392 et passim.

John Lough, Essays on the Encyclopédie, 1968, p. 286 et suiv.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 19 août 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Les Préjugés légitimes contre l'Encyclopédie de Chaumeix», La réception de l'Encyclopédie au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les Lettres sur l’Encyclopédie de l'abbé Saas

Ressources en ligne

Lettres sur l’Encyclopédie pour servir de supplément aux sept volumes de ce dictionnaire, à Amsterdam, chez Isaac Tirion [à Rouen], 1764 [consulter]

L’abbé Jean Saas, bibliographe, né en 1703 près de Rouen et mort en 1774 (selon la Biographie universelle) publia, en 1762, une Lettre d’un professeur de Douai à un professeur de Louvain sur l’Encyclopédie, qu’il augmenta 2 ans plus tard en Lettres sur l’Encyclopédie pour servir de supplément aux sept volumes de ce dictionnaire, à Amsterdam, chez Isaac Tirion [à Rouen], 1764.

Dans sa première lettre il se limite aux erreurs qu’il a trouvées dans le premier volume en matière de géographie, de mythologie et de bibliographie. Par la suite, sa critique devient plus acerbe car se mêlant désormais de politique et de religion, s’en prenant à de nombreux articles comme BRAMINES, EPICUREISME, FANATISME, FORMULAIRE, GENÈVE, etc.

Diderot, intervenant dans l’article SUBSIDE, y évoque « une infinité d’hommes obscurs, qui depuis 20 ans jusqu’à ce jour, depuis le plat Ch… jusqu’à l’hypocrite abbé de S... se sont indignement déchaînés contre nous ». Chacun alors reconnaissait Chaumeix et l’abbé Saas...

Sur Saas et les Lettres sur l’Encyclopédie, voir J. Lough, Essays on the Encyclopédie, Oxford University Press, 1968, p.315-319. L’Inventory de Schwab signale les articles critiqués par Saas.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 19 août 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Les Lettres sur l’Encyclopédie de l'abbé Saas », La réception de l'Encyclopédie au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Articles de l'Encyclopédie repris dans la presse d’époque

Certains articles de l'Encyclopédie ont été publiés séparément ou ont paru dans les périodiques du temps, certains avant même la parution du premier volume (l'article ART publié avec la Lettre au R. P. Berthier de février 1751, l'article ABEILLE paru dans le Mercure de France d'avril 1751, l'article AGATE dans le second volume du Mercure de juin 1751), et plus généralement tout au long de la publication, de façon flatteuse ou critique.

Au fur et à mesure des travaux de l'ENCCRE, les reprises d'articles de l'Encyclopédie, journal par journal, seront mises en ligne ici.

Les articles de l'Encyclopédie reproduits dans le Choix littéraire

Le Choix littéraire est une revue trimestrielle éditée à Genève et rédigée par Jacob Verne entre 1755 et 1760 (n° 0210 du Dictionnaire des journaux, 1600-1789, notice de Jörg-Man-fred Unger). Ce périodique reproduit 21 articles de l'Encyclopédie. Le tableau suivant en donne la liste selon l'ordre encyclopédique. La liste qui suit apporte des références plus précises présentées selon la chronologie des livraisons du Choix littéraire.


* indique que le Choix littéraire mentionne explicitement que le texte est tiré de l'Encyclopédie ;
nom en gras signifie que le Choix littéraire précise l’auteur du texte.

1755

vol. 2, article 4e Discours sur l'Amour propre (note : Encyclopédie) 58-80, suivi de Amour de l'estime 80-83 [c'est l'art. amour-propre & de nous-mêmes d'Yvon, I, 371-64 et amour de l'estime, ns, I, 371]

vol. 3, article 6e Réflexions sur l'autorité politique (une note précise : Encyclopédie) 172-188 [l'article autorité politique, I, 898-900 a été attribué à Diderot]

vol. 4, article 5e Réflexions sur l'esprit (la note précise qu'elles sont de Voltaire et se trouvent dans le 5e vol de l'Enc) 104-114 [esprit, (Philos. & Belles-Lettr.), V, 973-975]

vol. 5, article 5e Réflexions sur l'Eloquence & l'Elégance (note : « Elles sont de Mr. De Voltaire, dans le cinquiéme Volume de l'Encyclopédie ») 123-139 [Eloquence, (Belles-Lettres), V, 529-531, et Elegance (Belles-Lettr.), V, 482-483]

1756

vol. 6, article 4e Réflexions sur l'Enthousiasme (note : Encyclopédie) 110-129 [c'est Enthousiasme, (Philos. & Belles-Lett.), V,719-22 de Cahusac]/ l'article 6e contient aussi une réfutation d'un morceau tiré de l'Enc. paru dans le 2e volume

vol. 7, article 8e Réflexions sur le Droit naturel (Encyclopédie) 209-218 [c'est droit naturel, (Morale) de Diderot, V, 115-116]

vol. 8, article 8e Principes généraux sur l'éducation (note : Encyclopédie. Cet Article est de Mr. Du Marsais) 134-170 [Education, terme abstrait & métaphysique, V, 397-403]

1757

vol. 9, article 1er Réflexions sur le Fanatisme (Enc. article de Mr. De Leyre ; la note fait un commentaire développé sur le ton déclamatoire de l'article) 3-57 (Fanatisme, (Philo¬sophie), VI, 393-401

vol. 10, article 2e Réflexions sur la Fable (Enc. art. de Marmontel) 25-51 [c'est fable apologue (Belles-Lettres), VI, 344-49]

vol. 11, article 2e Réflexions sur la Flaterie, et sur les Flateurs (Enc.) 65-83 [Flaterie, (Morale), VI, 844, ns [=Lambert], et Flateur, (Morale), VI,844-47 Jaucourt]

vol. 12, article 6e Réflexions sur la comédie (Encyclopédie) 109-134 [Comédie, (Belles-Lettres) III, 665-69, de Marmontel]

1758

vol. 13, article 5e Réflexions sur la première éducation des enfans (note : « Cet excellent morceau est tiré de l'Encyclopédie, à l'Article Gouvernante d'Enfans. ») 89-118 [Gouvernante d'enfans, (Economie morale) VII, 783-88, de Lefebvre]

vol. 14, article 8e Réflexions sur la seconde Education des Enfans (Enc., article Gouverneur) 112-152 [gouverneur d'un jeune homme, (Morale.) VII, 792-97 Lefebvre]

vol. 15, article 4e, Considérations Générales sur la Gloire (Enc.) 92-119 [gloire, (Philosop. Morale.) VII, 716-21, de Marmontel]

vol. 16, article 8e, Réflexions sur l'usage et sur l'abus de la Philosophie dans les matières de Goût (la note n'indique que l'auteur, d'Alembert, et pas l'Encyclopédie) 150-168 [extrait de gout, (Gramm. Litterat. & Philos.), VII, 767-770)]

1759

vol. 17, article 7e, Réflexions sur le gouvernement démocratique (note : Encyclopédie [c'est l'article Démocratie (Droit polit.) IV, 816-18, de Jaucourt]) 148-161

vol. 19, article 7e, Réflexions sur le Génie (pas de note ! Mais génie (Philosophie & Littér.) VII, 582-84, de Saint-Lambert) 163-175

vol. 20, article 10e, Réflexions sur la comédie (pas de note ! Mais c'est en fait l'article Comédie de Marmontel !) 119-144 [c'est bien la deuxième édition de ce texte : cf. vol.12]

1760

vol. 21, article 7e, Réflexions sur les femmes (pas de note, mais c'est l'article femme (Morale), VI, 472-475, de Desmahis) 113-134

vol. 23, article 4e, Considérations sur les devoirs de l'homme (note : Encyclopédie. En fait, c'est l'article Devoir, (Droit nat. Relig. nat. Morale.), IV, 915-917 de Jaucourt) 53-70

vol. 24, article 5e, Réflexions sur la déclamation théâtrale (note : « Cet excellent morceau est de Mr. Marmontel. » ; c'est en fait son article déclamation théâtrale, IV, 680-86) 65-101

Indications bibliographiques

Ces données ont été réunies pour un article à paraître en 2016 : Alain Cernuschi, « L'Encyclopédie dans le Journal helvétique (1749-1769) ou une dynamique des Lumières à l'épreuve d'un lectorat pluriel », dans Lectures du Journal helvétique, 1732-1782. Actes du colloque de Neuchâtel, 6-8 mars 2014, Séverine Huguenin et Timothée Léchot (éd.), Genève, Slatkine, 2016.

par Alain Cernuschi

Date de dernière mise à jour : 21 novembre 2015

Pour citer cette notice : Alain Cernuschi, « Les articles de l'Encyclopédie reproduits dans le Choix littéraire », La réception au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les articles de l'Encyclopédie reproduits dans le Journal helvétique

Le Journal helvétique est un périodique mensuel de la Suisse francophone, imprimé à Neuchâtel, dont la longévité a été remarquable : il paraît sous ce titre entre 1738 et 1769, puis comme Nouveau Journal helvétique de 1769 à 1780 (notices 0743 et 0981 du Dictionnaire des journaux, 1600-1789, de Jean-Daniel Candaux).

Ce périodique rend compte de la sortie du premier volume de l’Encyclopédie en rendant compte du Prospectus (!) (livraison d’août 1751, p. 191-214). Puis, à deux reprises (en 1758 et en 1765), il se lance dans l’édition d’articles choisis ; mais la rubrique chaque fois disparaît très rapidement. Enfin, De Felice devenu provisoirement éditeur du Journal (entre janvier 1767 et août 1769) propose lui aussi, très tardivement, un article de l’Encyclopédie.


nom en gras signifie que le Journal encyclopédique précise l’auteur du texte.

Indications bibliographiques

Ces données ont été réunies pour un article à paraître en 2016 : Alain Cernuschi, « L'Encyclopédie dans le Journal helvétique (1749-1769) ou une dynamique des Lumières à l'épreuve d'un lectorat pluriel », dans Lectures du Journal helvétique, 1732-1782. Actes du colloque de Neuchâtel, 6-8 mars 2014, Séverine Huguenin et Timothée Léchot (éd.), Genève, Slatkine, 2016.

par Alain Cernuschi

Date de dernière mise à jour : 21 novembre 2015

Pour citer cette notice : Alain Cernuschi, « Les articles de l'Encyclopédie reproduits dans le Journal helvétique », La réception au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Suites et métamorphoses au xviiie siècle

L’Encyclopédie servira à son tour de source à de nombreux dictionnaires, parmi lesquels le Grand vocabulaire français (1767-1774) et la dernière édition du Dictionnaire universel de Trévoux (1771) !

Elle donne aussi lieu à de nombreuses suites. Première continuation : le Supplément en cinq volumes (quatre de textes et un de planches) qu’en donne le libraire parisien Charles-Joseph Panckoucke (1776-1777), également éditeur de la Table analytique et raisonnée (1780) en deux volumes dressée par le pasteur genevois Pierre Mouchon. Dans le même temps, le succès de l’Encyclopédie favorise l’impression de nombreuses éditions pirates, à commencer par la contrefaçon in-folio dite « de Genève » (1771-1773), ou celle en in-quarto, dite de « Pellet », publiée à Genève et Neuchâtel (1777-1779). A ces contrefaçons s’ajoutent en outre des projets plus ambitieux, tels que la refonte dite d’Yverdon (1770-1780), les rééditions de l’Encyclopédie « cum notis » (avec notes) de Toscane (celle de Lucques, publiée entre 1758 et 1776, et celle de Livourne, qui paraît entre 1770 et 1775), ainsi que l’ Encyclopédie méthodique , entreprise pharaonique de réorganisation de l’Encyclopédie « par ordre des matières » dont la publication, initiée par Panckoucke en 1782, ne sera achevée qu’en 1832.

Le Grand vocabulaire français (1767-1774)

Les derniers volumes de discours de l’Encyclopédie parurent, comme on sait, en 1765. Le Grand vocabulaire françois fut le premier ouvrage à paraître à leur suite. Ce Grand vocabulaire françois (GVF) de 30 volumes fut édité par Charles Joseph Panckoucke, à Paris, et par Marc Michel Rey, à Rotterdam.

Ressources en ligne

Le Grand vocabulaire françois, 30 vol. in-4°, 1767-1774 :
t. 1 [A-Aigui] / t. 2 [Aiguille–Arcassoul] / t. 3 [Arc-Benure] / t. 4 [Beori-Capricorne] / t. 5 [Caprier-Circée] / t. 6 [Circomc-Copier] / t. 7 Copieuse-Dénoter] / t. 8 [Dénoué-Edition] / t. 9 [Edolio-Etaples] / t. 10 [Etat-Flez] / t. 11 [Flibot-Gaviteau] / t. 12 [Gaulan-Haitié] / t. 13 [Hakim-Hyvou] / t. 14 [I-Jarzé] / t. 15 [Jas-Liefk] / t. 16 [Liége-Malsonnante] / t. 17 [Malt-Métemp] / t. 18 [Météore-Myurus] / t. 19 [N-Oli] / t. 20 [Olkus-Parallél] / t. 21 [Paralog-Philip] / t. 22 [Philippei-Portep] / t. 23 [Porter-Quarteron] / t. 24 [Quartier-Réquisit] / t. 25 [Resacrer-Saustia] / t. 26 [Saut-Soyeux] / t. 27 [Spa-Thisi] / t. 28 [Thlaspi-Turlupiner] / t. 29 [Turnère-Viorne] / t. 30 [Vipère-Yendats].

Sa publication s’échelonna de 1767 à 1774. Côté collaborateurs, si la page de titre mentionne laconiquement « une société de gens de lettres », on connaît néanmoins certains des noms de ceux qui y travaillèrent : P.J.J. Guyot, de Chamfort et de F.C. Duchemin de la Chesnaye, une partie d’entre eux demeurant dans l’anonymat. Bien que modestement nommé « vocabulaire », le GVF incluant noms propres, toponymes, informations scientifiques ou historiques de tous ordres, appartient, en réalité, au genre des « dictionnaires universels », comme le Trévoux ou l’Encyclopédie elle-même.

Son concepteur, Panckoucke, voulait en faire une seconde encyclopédie, mais sans les planches, et limitée aux volumes de discours ; il se posait clairement sur ce plan en successeur, sinon en continuateur, du Dictionnaire raisonné et sa révérence à son égard était très appuyée :

Si notre ouvrage a quelque succès il le doit particulièrement à ce que nous avons tiré des articles fournis à l’Encyclopédie par les grands maîtres, tels les deux savans Editeurs [...] MM. De Voltaire, Boucher d’Argis, Dumarsais, le baron d’Holbach, Marmontel, etc. (article ENCYCLOPEDIE, GVF, t. IX)

Si l’héritage encyclopédique se marque par la reprise à l’identique d’articles au contenu scientifique et technique, littéraires ou grammaticaux, il y existe d’autres aspects de cet héritage dont le GVF de Panckoucke ne souhaitait pas s’embarrasser : les questions de philosophie, de politique et de religion. L’ouvrage est sur, ces trois plans, parfaitement aseptique et ce conformisme prudent est largement sensible si on compare les définitions encyclopédiques, celles de Diderot notamment, avec celles fournies par le GVF. Un simple exemple, parmi tant d’autres, suffira, celui de l’article RÉFUGIÉS, (Hist. mod. politiq.) de Diderot :

C’est ainsi que l’on nomme les Protestans françois que la révocation de l’édit de Nantes a forcés de sortir de France, & de chercher un asyle dans les pays étrangers, afin de se soustraire aux persécutions qu’un zele aveugle & inconsidéré leur faisoit éprouver dans leur patrie (Enc., XIII, p. 907)

et celui que donne le GVF :

On appelle Réfugiés les Calvinistes qui sont sortis de France à l’occasion de la révocation de l’Édit de Nantes (GVF, t. XXVI)

On voit comment la comparaison des articles contenus dans les deux ouvrages nous donne la mesure assez exacte de ce qu’a été l’audace de l’Encyclopédie en son temps.

Indications bibliographiques

Marie Leca-Tsiomis, « L’Encyclopédie et ses premiers épigones : le Grand vocabulaire français de Panckoucke et le dernier Trévoux », dans Le travail des Lumières, Pour G. Benrekassa, sous la direction de N. Jacques-Lefèvre, Y. Séité et al. Paris, Champion, 2002, p. 455-472.

Marie Leca-Tsiomis, « De Furetière à Panckoucke : les joutes confessionnelles des dictionnaires et encyclopédies », dans L’Encyclopédie d’Yverdon et sa résonance européenne, sous la direction de J-D. Candaux, A. Cernuschi, C. Donato, J. Häseler, Slatkine, Genève, 2005, p. 13-29.

Christophe Rey, Le Grand vocabulaire françois (1767-1774) de Charles-Joseph Panckoucke, Paris, Champion, 2014.

Suzanne Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke & la Librairie française, 1736-1798, Pau, Marrimpouey Jeune, et Paris, Librairie Jean Touzot, 1977.

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 22 mai 2016

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Le Grand vocabulaire français (1767-1774) », Suites et métamorphoses au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Le Dictionnaire universel de Trévoux (1771, dernière édition)

Ressources en ligne

Dictionnaire universel françois et latin, vulgairement appelé Dictionnaire de Trévoux [...] Nouvelle édition, corrigée et considérablement augmentée, 8 vol., la Compagnie des Libraires associés, Paris, 1771 :

t. I [A-Boulets] / t. II [Boulevart-Crayonneux] / t. III [Créance-Ezzal] / t. IV [F-Jamès] / t. V [Jan-Mis] / t. VI [Mithridate-Proféides] / t. VII [Profanateur-Tezteza] / t. VIII [Thabarestan-Zythomiers]

Le Supplément (1776-1777)


Page de titre du premier volume du Supplément,
paru en 1776.

Les volumes du Nouveau Dictionnaire pour servir de Supplément aux Dictionnaires des Sciences des arts et des métiers, ou le Supplément, comme on l’appelle le plus souvent, font traditionnellement partie d’un exemplaire complet de 35 volumes de l’Encyclopédie. Il s’agit néanmoins d’un ouvrage tout à fait distinct, financé par un groupe européen et édité à Bouillon par Jean Baptiste René Robinet, écrivain, traducteur et associé de la Société typographique de la même ville. Les quatre volumes in-folio de discours et un volume de 244 planches parurent de 1776 à 1777 après plus de cinq ans de travail éditorial.

La genèse du Supplément remonte à 1768 quand le jeune imprimeur et éditeur Charles Joseph Panckoucke annonça un projet audacieux : une révision complète de l’Encyclopédie avant même que la première édition ne soit terminée. Auparavant, dès 1767, il avait entamé la publication du Grand vocabulaire français projet également encyclopédique mais dépourvu de planches.

La réaction du public à cette révision complète de l’Encyclopédie fut tiède et le chancelier Maupeou refusa de donner son approbation. Panckoucke s’adapta aux exigences du marché : il se décida pour une réimpression in-folio de la première édition, accompagnée de six à sept volumes supplémentaires. Il comptait sur des ventes à de nouveaux abonnés aussi bien qu’aux possesseurs de la première édition, qui pouvaient à un prix relativement modéré mettre à jour et corriger une collection coûteuse.

La réimpression et le supplément furent organisés et financés indépendamment. La réimpression, qui encourut maint obstacle, fut pour finir effectuée à Genève. Pour rédiger et publier le Supplément, Panckoucke rassembla un groupe d’investisseurs qui signèrent un acte à Bouillon en avril 1771. L’association comprenait Pierre Rousseau, éditeur et directeur de la Société typographique de Bouillon (25%) et responsable du Journal encyclopédique ; Gabriel Cramer et Detournes, imprimeurs genevois (25%) ; Panckoucke (16,67%) ; Marc Michel Rey, imprimeur à Amsterdam (12,5%) ; Robinet (12,5%) ; et Pierre Brunet, imprimeur parisien (8,33%). Bien que partenaire minoritaire, Panckoucke joua le rôle de chef dans l’affaire mais il n’arriva pas toujours à résoudre les conflits qui naquirent au sein du groupe, par exemple sur la question du contrat lucratif pour l’impression des 5250 exemplaires. Les Genevois, mécontentés, abandonnèrent bientôt. Une autre démission allait surprendre les associés juste avant la publication des premiers volumes. Pierre Rousseau avait perdu confiance en Robinet, qu’il jugeait coupable de manigances touchant ses journaux. Il patienta pendant plusieurs années, mais, exaspéré, quitta le groupe en 1776.

Ressources en ligne

Nouveau Dictionnaire pour servir de Supplément aux Dictionnaires des Sciences des arts et des métiers, 5 vol. in-folio, 1776-1777 :
t. 1 [A-BL] (1776) / t. 2 [BO-EZ] (1776) / t. 3 [F-MY] (1777) / t. 4 [N-Z] (1777) / Planches (1777).

(Exemplaire conservé à la Bibliothèque Mazarine de l'Institut de France, numérisé dans le cadre d'une collaboration avec le projet ENCCRE)

D’autre part, une menace redoutable, cette fois externe à l’association, avait surgi en 1775. Fortunato Bartolomeo De Felice, homme de lettres et éditeur établi à Yverdon (Suisse), publiait régulièrement depuis 1770 une révision in-quarto de l’Encyclopédie. Il annonça en 1775 son propre supplément in-quarto – et il promettait de le publier aussi in-folio, ce qui visait évidemment le marché des associés de Bouillon. Panckoucke riposta à ce défi en déclarant publier son propre supplément dans les deux formats. Un compromis singulier mit fin à la guerre : chaque équipe devait publier son supplément dans le format assorti à son édition, et Robinet et De Felice devaient partager leur copie. C’est ainsi qu’Albert de Haller, qui ne contribua au Supplément que jusqu’à la lettre « E », retrouva dans les volumes ultérieurs des articles qu’il avait rédigés pour De Felice.

Panckoucke réussit à obtenir un privilège et la plupart des exemplaires s’imprimèrent finalement à Paris chez Jean Georges Stoupe, qui avait acheté une part dans l’association. Rey en imprima aussi un nombre inconnu à Amsterdam, peut-être pour assurer le débit hors de France au cas où les autorités réagiraient. Les bénéfices se montèrent finalement à près de 300 000 livres.

Les contributeurs du Supplément qui signent par des initiales sont identifiés à la fin du volume 4, à l’exception de certains qui préféraient l’anonymat et de ceux dont les articles provenaient de l’édition d’Yverdon. Le nom de Robinet, auteur d’un livre condamné (De la nature, 1761), ne paraît nulle part dans des volumes que l’association tenait à distribuer tranquillement. Comme Diderot, Robinet rédigea de nombreux articles lui-même et les signa avec un astérisque. Il disposait d’un budget ample, 15 000 livres pour chaque volume dont 8 000 livres au moins furent obligatoirement consacrés à l’achat du texte. Les collaborateurs les plus réputés recevaient 50 livres par feuille, les moins connus touchaient 40 livres. Plus de 50 spécialistes contribuèrent directement au Supplément et une quinzaine d’autres indirectement à travers l’édition d’Yverdon. Le Supplément comprend aussi des articles extraits de mémoires, de journaux et d’autres écrits. La décision de réduire le nombre de volumes à quatre est probablement responsable de la mauvaise répartition alphabétique (le premier volume ne va que de A à BL alors que le dernier couvre les lettres N à Z).

Le Supplément était censé corriger des erreurs dans l’Encyclopédie, combler ses lacunes, et rapporter les découvertes récentes, surtout dans les sciences. Si Diderot refusa catégoriquement d’y participer, plusieurs scientifiques renommés signèrent en effet des articles : Michel Adanson en botanique, D’Alembert et Condorcet en mathématiques, Jean Bernoulli III et Joseph Jérôme de Lalande en astronomie, Louis Bernard Guyton de Morveau en chimie, et Haller en physiologie. Jean François Marmontel continua les articles sur la littérature et les beaux-arts qu’il avait rédigés pour l’Encyclopédie jusqu’au volume 7, auxquels Robinet ajouta 66 articles traduits de la Théorie générale des beaux-arts de Johann Georg Sulzer. La musique est omniprésente dans le Supplément avec près de 500 articles par Fréderic de Castillon, plus environ 350 entrées empruntées au Dictionnaire de musique de Jean-Jacques Rousseau. L’histoire ancienne et l’histoire de l’Europe sont privilégiées, particulièrement dans de longs articles sur des monarques, articles qui furent critiqués pour leur surabondance de détails. La géographie est désignée dans plus de 2600 entrées, dont de nombreuses corrections de l’Encyclopédie. Sur la religion, la circonspection étant indispensable, Robinet ne fournit qu’une poignée d’articles historiques. Plusieurs autres sujets ont donné lieu à des articles ou à des corpus d’articles importants : la question controversée de la réforme de l’artillerie ; la médecine légale, peu traitée dans l’Encyclopédie ; l’hippiatrie, sujet de l’article le plus long du Supplément (54 pages) ; le jardinage, dans une centaine d’articles par Jean Baptiste Théodore de Tschoudi. Robinet favorisa donc certaines matières mais peu de branches de l’arbre encyclopédique de l’Encyclopédie furent entièrement négligées.

Les 244 planches dont 29 doubles furent gravées à Paris sous la direction de Robert Benard. Une trentaine de sujets sont illustrés. Ceux qui possèdent plus de dix planches sont les antiquités (28), l’architecture (34), l’art militaire (24, plus huit sur la fabrique des armes, des cartes géographiques (10) et la musique (16). Plusieurs arts s’ajoutent à ceux déjà décrits dans l’Encyclopédie (CHAUFOURNIER). Il est intéressant de noter que neuf planches concernent la fabrication de l’habillement (CORDONNIER, LINGERE). Les explications sont sommaires, les articles auxquels les planches sont liés fournissant déjà les descriptions.

Le Supplément était moins polémique que l’Encyclopédie et évidemment moins étendu ; mais son contenu scientifique représente en général un travail intellectuel sérieux. Dans l’histoire de l’encyclopédisme français, c’est un chaînon essentiel entre les premières révisions et réimpressions de l’Encyclopédie et son ultime avatar, l’Encyclopédie méthodique.

Indications bibliographiques

Raymond F. Birn, Pierre Rousseau and the Philosophes of Bouillon, SVEC 29, Geneva, Institut et Musée Voltaire, 1964, p. 119-142. [Ce chapitre donne l’histoire la plus détaillée à ce jour de la publication du Supplément.]

Alain Cernuschi, « Les avatars de quelques articles de musique de Rousseau entre Encyclopédies et Dictionnaires thématiques ou de la polyphonie encyclopédique », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, 12, avril 1992, p. 113-134.

Anne-Marie Chouillet, « Les signatures dans le Supplément de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, 5, octobre 1988, p. 152-158.

Fernand Clément, « Pierre Rousseau et l’édition des suppléments à l’Encyclopédie », Revue des sciences humaines, avril-juin 1957, p. 133-142.

Kathleen Hardesty Doig, « Notices sur les auteurs des quatre volumes de ‘‘Discours’’ du Supplément à l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, 9, automne 1990, p. 157-170.

Kathleen Hardesty, The Supplément to the Encyclopédie, The Hague, Martinus Nijhoff, 1977.

Pierre Sergescu, « La contribution de Condorcet à l’Encyclopédie », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications 4, juillet-décembre 1951, p. 233-237.

Suzanne Tucoo-Chala, Charles-Joseph Panckoucke et la librairie française, 1736-1798, Paris et Pau, Marrimpouey Jeune et Touzot, 1977, p. 296-310 et passim.

George B. Watts, « The Supplément and the Table analytique et raisonnée of the Encyclopédie », The French Review, 28, octobre 1954, p. 4-19.

par Kathleen Hardesty Doig

Date de dernière mise à jour : 12 juin 2021

Pour citer cette notice : Kathleen Hardesty Doig, « Le Supplément à l’Encyclopédie (1776-1777) », Suites et métamorphoses au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

Les rééditions toscanes de l’Encyclopédie

Entre 1758 et 1776, deux entreprises de réimpression de l’ouvrage parisien virent le jour en Toscane. Interdites de circulation et de vente en France, puisque dénuées de privilège, ce furent des éditions « pirates ».

L'Encyclopédie de Lucques (1758-1776)

Ressources en ligne

Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Seconde Edition enrichie de notes, & donnée au Public par M. Octavien Diodati noble Lucquois, Lucques, 28 vol. in-folio :

t. I [A-AZ] (1758) / t. II [B-CEZ] (1758) / t. III [CHA-CONS] (1759) / t. IV [CONS-DIZ] (1759) / t. V [DOB-ESY] (1759) / t. VI [ET-FNE] (1760) / t. VII [FO-GYT] (1760) / t. VIII [H-ITZ] (1766) / t. IX [JU-MAM] (1767) / t. X [MAM-MYV] (1767) / t. XI [N-PARK] (1768) / t. XII [PARL-POL] (1769) / t. XIII [POL-REG] (1769) / t. XIV [REGG-SEMY] (1770) / t. XV [SEN-TCH] (1770) / t. XVI [TEA-VEN] (1771) / t. XVII [VEN-Z] (1771).

Planches : t. I (1765) / t. II (1766) / t. III (1767) / t. IV (1768) / t. V (1769) / t. VI (1770) / t. VII (1772) / t. VIII / t. IX / t. X / t. XI (1776).

La première entreprise vit le jour à Lucques (Lucca) ; elle fut menée par un noble lucquois, Ottavio Diodati, déjà auteur de la traduction du Journal encyclopédique. L’ouvrage commença de paraître en 1758. Lucques était alors une petite république indépendante qui comptait beaucoup sur son commerce de librairie. Diodati, qui réunit 1500 souscripteurs environ, avait obtenu l’accord de la cour de Rome à la condition que cette Encyclopédie contiendrait des notes destinées à réfuter les idées impies de l’original parisien.

Mais les notes furent jugées insuffisantes et la condamnation papale proclamée le 3 septembre 1759, Damnatio et prohibitio, s’appliqua aussi bien à l’ouvrage parisien qu’à celui de Lucques (« etiam cum notis »), laquelle fut cependant menée à bien, planches comprises dont le dernier volume parut 1776 et connut un réel succès.

Les notes de cette édition sont signées par les annotateurs, à la manière dont les encyclopédistes apposaient leurs marques sur les articles. Ces notes, parfois très virulentes, sont très nettement dirigées contre le Protestantisme et « les Prétendus réformés ». Les articles de Jaucourt sont ainsi très souvent et vivement annotés, surtout après le vol. VIII, nous donnant ainsi souvent la mesure des audaces parisiennes.

L'Encyclopédie de Livourne (1770-1779)

Ressources en ligne

Encyclopédie, ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Troisième édition enrichie de plusieurs notes, Livourne :

t. I (1770) / t. II (1771) / t. III (1771) / t. IV (1772) / t. V (1772) / t. VI (1772) / t. VII (1773) / t. VIII (1773) / t. IX (1773) / t. X (1773) / t. XI (1774) / t. XII (1774) / t. XIII (1774) / t. XIV (1770) / t. XV (1775) / t. XVI (1775) / t. XVII (1775).

Recueil de planches sur les Sciences, les Arts libéraux, et les Arts méchaniques, avec leur explication, Troisième édition, A Livourne, de l’Imprimerie des éditeurs :

Planches : t. I (1771) / t. II [1ère partie ; 2e partie] (1772) / t. III (1773) / t. IV / t. V (1774) / t. VI (1774) / t. VII (1775) / t. VIII (1776) / t. IX (1776) / t. X (1776) / t. XI (1778).

Nouveau Dictionnaire pour servir de Supplément aux Dictionnaires des Sciences, des Arts et des Métiers, par une Société de gens de lettres. Mis en ordre et publié par M. ***. Seconde édition d’après celle de Paris, avec quelques notes :

Supplément : t. I (1778) / t. II (1778) / t. III (1778) / t. IV (1779) / Planches (1779).

Une seconde édition parut à Livourne (Livorno), entre 1770 et 1779, sous les auspices du Grand Duc de Toscane et à lui dédiée. Son succès commercial dépassa celui de Lucques. Dirigée par un homme d’affaires, Giuseppe Aubert, ami de Beccaria, et des frères Verri, qui annonça dans le Prospectus, publié en 1769 et destiné à attirer les souscripteurs, qu’elle serait moins chère que celle de Lucca, et qu’elle en reprendrait les notes en les enrichissant. En fait, indique Madeleine Morris, les éditeurs de Livourne raccourcissent les notes, suppriment la plupart des références au protestantisme, manifestant ainsi leur désir de fuir controverses et débats et de « lisser » les interventions annotées, pour ne pas effrayer leur lectorat. Les errata parisiens ont été intégrés dans les articles de Livourne.

Le succès commercial de l’Encyclopédie de Livourne dépassa encore celui de Lucques.

Pour nous, l’intérêt de ces éditions vaut essentiellement par ce que leurs notes nous révèlent : il est passionnant de mesurer, grâce à elles, la portée et la réception de l’Encyclopédie en pays clérical et tout catholique, mais aussi parfois les ajouts novateurs de certains savants (par exemple l’article « Baromètre », à Livourne).

N. B. Dans une Europe francophone, nul besoin de traduction, tout le paratexte et les notes elles-mêmes furent écrites en français.

Indications bibliographiques

Madeleine F. Morris, « The Tuscan editions of the Encyclopédie », Notable Encyclopédies of the late Eighteenth century : eleven successors of the Encyclopédie, Oxford, Voltaire foundation, 1994.

Franco Arato, « Savants, philosophes, journalistes : l’Italie des dictionnaires encyclopédiques », Dix-huitième siècle, 38 (2006), p. 69-82 [consulter].

Ettore Levi-Malvano, « Les Éditions toscanes de l’Encyclopédie » Revue de littérature comparée, 1923, p. 213-256.

Franco Venturi, « L'Encyclopédie et son rayonnement en Italie » Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 3/1 (1953), p. 11-17 [consulter].

Mario Rosa, « Encyclopédie, «Lumières» et tradition au 18e siècle en Italie », Dix-huitième siècle, 4/1 (1972), p.109-168 [consulter].

par Marie Leca-Tsiomis

Date de dernière mise à jour : 25 juillet 2017

Pour citer cette notice : Marie Leca-Tsiomis, « Les rééditions toscanes de l’Encyclopédie », Suites et métamorphoses au xviii e siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

L'Encyclopédie d'Yverdon (1770-1780)

Du point de vue de l’ENCCRE, l’Encyclopédie dite « d’Yverdon » constitue un passionnant document de référence pour analyser la réception de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert dans les années 1770 et dans l’Europe des Lumières protestantes.

Une refonte complète de l’Encyclopédie


Page de titre du premier volume du Supplément,
paru en 1776.

Son titre exact est : Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des connoissances humaines. Elle a été publiée à Yverdon entre 1770 et 1780 en 58 volumes in-4°. Il s’agit d’une refonte totale de l’Encyclopédie parisienne. Elle n’a donc rien à voir avec les diverses rééditions suisses de l’Encyclopédie qui voient le jour à la même époque.

L’Encyclopédie d’Yverdon a été dirigée par un polygraphe italien réfugié en Suisse, Fortunato-Bartolomeo De Felice (1723-1789) et rédigée par une équipe d’une quarantaine d’encyclopédistes suisses et européens, le plus souvent protestants. Ses articles reprennent, corrigent, complètent ou remplacent les articles parisiens, dans la double visée d’une actualisation des connaissances et d’un élargissement de la perspective, plus européenne que franco-centrée ; la nomenclature encyclopédique est amplement augmentée, notamment par l’introduction de notices biographiques. Les apports nouveaux proviennent soit de contributions originales, signalées dans le texte par des marques d’auteur, soit de compilations pures et simples, dont les sources ne sont toutefois jamais référencées dans les articles.

Quelques caractéristiques importantes

Ressources en ligne

Encyclopédie, ou Dictionnaire universel raisonné des Connoissances humaines. Mis en ordre par M. De Felice, Yverdon, 42 volumes de textes, 1770-1775 ; 6 suppléments, 1775-1776 ; 10 volumes de planches, 1775-1780.

t. I [A-AJOUX] / t. II [AIR-ANS] / t. III [ANT-ASSYRIENS] / t. IV [AST-BASURURE] / t. V [BAT-BOM] / t. VI [BON-CAKILE] / t. VII [CAL-CASZ] / t. VIII [CAT-CHAOYUEN] / t. IX [CHAPALA-CYVRAY] / t. X [CLA-CONFUTATION] / t. XI [CONGE-COTZIO] / t. XII [COU-DDX] / t. XIII [DE-DIEZE] / t. XIV [DIF-EAUSE] / t. XV [EB-EMUR] / t. XVI [EN-ERZ] / t. XVII [ES-EXF] / t. XVIII [EXH-FEUDISTE] / t. XIX [FEVE-FONSECA] / t. XX [FONT-FUY] / t. XXI [G-GOTTWEIG] / t. XXII [GOU-HEGOW] / t. XXIII [HEI-JAMNIA] / t. XXIV [JAN-INV] / t. XXV [IO-LEHNIN] / t. XXVI [LEIB-LYTHRUM] / t. XXVII [M-MATUTA] / t. XXVIII [MAU-MIRTILLE] / t. XXIX [MIS-MYXINE] / t. XXX [N-ŒHR] / t. XXXI [ŒIL-PAMPRE] / t. XXXII [PAN-PEPUZIENS] / t. XXXIII [PER-PLANORBIS] / t. XXXIV [PLANT-POUZ] / t. XXXXV [PRA-QUOTTER] / t. XXXVI [R-RHYTHMOPEE] / t. XXXVII [RIA-SCHW] / t. XXXVIII [SCI-SOMPTUAIRES] / t. XXXIX [SON-SZU] / t. XL [T-TOMO] / t. XLI [TON-VELUE] / t. XLII [VEN-ZYGIE]

Supplément I [A-ASUP] / Supplément II [AT-COM] / Supplément III [CON-IMPUT] / Supplément IV [IND-MODALISTES] / Supplément V [PEAU-SAXUM] / Supplément VI [SCA-ZYG]

Planches I [A-ART] / Planches II [ART-CHAP] / Planches III [CHAR-DRAP] / Planches IV [EBE-FOR] / Planches V [FOR-GRA] / Planches VI [HIS-HYD] / Planches VII [IMP-MAR] / Planches VIII [MAT-OPT] / Planches IX [PAP-SUC] / Planches X [TAB-VER]

Une refonte affichée . — Dans ses 42 volumes d’articles, l’Encyclopédie d’Yverdon signale la part de reprise et la part originale par rapport à l’édition parisienne à travers un système de marques complétant les vedettes : (N) indique une entrée nouvelle ; (R) un article refait. Les articles sans marques sont donc présentés comme directement repris de l’Encyclopédie (en fait, parfois avec des coupes ou de petites retouches non signalées ; les signatures d’origine sont systématiquement effacées). Enfin, des astérisques à l’intérieur des articles repris délimitent d’éventuelles additions. Il convient de relever que ces marques de refonte doivent être interprétées avec précaution dans la mesure où elles recouvrent des mécanismes textuels et éditoriaux souvent plus complexes qu’elles ne le laissent paraître. Par ailleurs, leur signification change dans les volumes de Supplément qui complètent la série (voir plus bas).

Une refonte en plusieurs étapes . — D’entrée de jeu, De Felice donne à son entreprise un rythme de parution effréné : après les deux premiers volumes d’articles parus fin 1770, sept sont édités en 1771, neuf en 1772, dix en 1773 et en 1774. La série s’achève en mai 1775. Malgré leur production condensée dans le temps, ces 42 volumes de textes ne sont pas homogènes : certains collaborateurs, comme le pasteur Chavannes, interrompent leur collaboration ; d’autres meurent au cours de l’entreprise (comme le botaniste Deleuze en 1774) ; inversement, De Felice recrute en cours de parution (en particulier Haller, fin 1772) ; par ailleurs, on note une restriction dans la nomenclature dès le début de 1772, puis en milieu d’entreprise, qui permet d’éviter l’explosion du nombre de volumes. L’édition récente de la correspondance de De Felice, disponible en ligne, qui documente abondamment ses relations avec certains contributeurs, offre des informations très riches sur la manufacture de l’Encyclopédie d’Yverdon qui donnent une idée précise des procédures et des difficultés caractéristiques de tels chantiers éditoriaux ( Cernuschi, 2014 ) — ce qui peut, indirectement, éclairer la manufacture de l’édition parisienne !

À peine la série achevée, De Felice lance un Supplément qui en corrige les défauts et lacunes mais opère aussi une refonte de la refonte (puisque les marques (N) et (R) s’y lisent maintenant par rapport aux articles des 42 premiers volumes). La cadence de production reste intense : les 6 volumes de ce Supplément paraissent de juillet 1775 à mai 1776. Il permet en outre à De Felice d’exploiter de nouvelles sources très récemment parues, comme l’Allgemeine Theorie der schönen Künste de Johann Georg Sulzer (dictionnaire sur les beaux-arts paru à Berlin en deux volumes en 1771 et 1774, dont l’Encyclopédie d’Yverdon avait commencé à intégrer de premiers articles traduits à partir de 1773, mais qui nourrit essentiellement le Supplément) ou le Traité des Loix civiles de Pilati, de 1774.

Enfin, à partir de 1775, les volumes de Planches sortent de presse à raison de deux par années ; la série de dix volumes, supervisée par Samuel-Rudolph Jeanneret, un élève de Daniel Bernouilli, s’achève en 1780. La refonte est là aussi importante : abandon de planches de la série parisienne, ou sélection à l’intérieur d’une planche reprise (notamment à cause de la réduction de format) ; mais aussi exploitation de nouvelles sources, comme la Description des Arts et métiers en cours de parution ; quelques rares planches sont même originales. On relèvera encore, par contraste avec l’édition parisienne, que l’aisance de la consultation a fait l’objet d’un soin particulier : ordre alphabétique strict des sections ; numérotation des figures continue à l’intérieur de chaque section ; contrôle scrupuleux des correspondances entre articles et figures.

Une refonte en profondeur . — De toutes les métamorphoses de l’Encyclopédie qui prolifèrent en cette fin de xviiie siècle, l’Encyclopédie d’Yverdon est la seule qui rejoue complètement le processus de l’édition de Diderot et D’Alembert. De Felice réunit une équipe de contributeurs auxquels il confie les différents domaines en leur demandant de partir des articles parisiens afin de les mettre à jour, compléter ou remplacer, soit par des apports personnels, soit en exploitant des sources récemment parues. Il leur laisse une grande liberté rédactionnelle et fait le choix d’une parution volume par volume. Même si l’hétérogénéité des apports réunis par l’éditeur est aussi patente que dans l’édition parisenne, le fait que ses principaux collaborateurs sont des pasteurs protestants confère une orientation spécifique à l’édition helvétique : les critiques contre l’Église catholique y sont plus directes ; les connaissances scientifiques sont souvent articulées à la dimension spirituelle. D’ailleurs, De Felice prend soin, au début du premier volume, de proposer un système des connaissances complètement refondu, qui exprime bien certains axes forts du projet : recentrement de la théologie, extension de la dimension morale, développement de ce qui concerne le langage, les signes et les beaux-arts, apparition de la notion d’esthétique (première occurrence en français du mot, sous l’orthographe « aistetique »).


Le Système figuré original de l’Encyclopédie d’Yverdon (volume I, 1770).
[BPU, Lausanne]

Dimension européenne de l’entreprise

Montage commercial avec la Hollande. — Ce projet très ambitieux de refondre l’Encyclopédie n’a pu voir le jour à Yverdon que parce que De Felice avait obtenu le soutien des libraires Gosse & Pinet, éditeurs de La Haye assez puissants pour prendre le risque d’intervenir sur le marché extrêmement concurrentiel des encyclopédies. Ils lui avaient acheté d’avance les trois quarts des volumes de son Encyclopédie, dont ils étaient sûrs de pouvoir assurer la vente par souscription. Leur marché était principalement orienté vers l’Europe du Nord et de l’Est, ce qui n’empiétait pas trop sur celui de Panckoucke, qui avait acquis en France les droits de diffuser et de poursuivre l’Encyclopédie — et avec qui De Felice et eux seront effectivement en lutte commerciale dans la mesure où l’édition d’Yverdon faisait de l’ombre à l’entreprise du Supplément dit de Bouillon (sur cet aspect, voir Burnand, 2016).

Diffusion . — L’aire de diffusion de l’édition d’Yverdon, dont le tirage total a tourné autour de 2500 à 3000 exemplaires ( Perret, 1945 , p. 207), se déduit de cette collaboration. Pour autant qu’on en puisse juger en l’absence d’enquête systématique, à côté de la Suisse, la vente de l’Encyclopédie de De Felice semble surtout s’être faite en Hollande, en Allemagne, au Danemark, en Scandinavie et en Russie, alors qu’elle est quasi absente de France (effet du monopole de Panckoucke) et apparemment très rare en Italie (où De Felice demeurait indésirable).

Une équipe internationale . — Même si la totalité de l’équipe réunie par De Felice n’est pas entièrement connue (certains collaborateurs ont souhaité rester anonymes), elle n’est clairement pas cantonnée à la Suisse : l’éditeur reçoit des articles de France, d’Italie, d’Allemagne, de Hollande, d’Angleterre... Toutefois, deux grands groupes de contributeurs se dégagent. Les Suisses, d’abord, une douzaine au total, parmi lesquels ceux qui forment son équipe rapprochée : Gabriel Mingard (philosophie, théologie, psychologie, beaux-arts), Elie Bertrand (théologie, morale, sciences naturelles) et Jacques Deleuze (botanique), tous trois pasteurs. Et les Français, ensuite, une dizaine, au premier rang desquels Joseph Jérôme de Lalande, qui revoit toute l’astronomie, et Paul Joseph Vallet, de Grenoble, qui intervient dans tous les domaines. Jean Henri Samuel Formey, secrétaire perpétuel de l’Académie de Prusse, est également un contributeur important, mais qui intervient anonymement ; c’est sa correspondance avec De Felice qui a révélé sa participation directe à l’entreprise. Voir les notices des collaborateurs ( Hardesty-Doig et Donato, 1991 ).

Liste des marques de l’Encyclopédie d’Yverdon [pdf]

De Felice, médiateur des Lumières et éditeur polyvalent


Portrait gravé de F.-B. De Felice
(extrait d’une planche réalisée à la mort de l’éditeur
par l’un de ses fils et parfois insérée dans
certains exemplaires de l’Encyclopédie d’Yverdon).

On peut schématiquement distinguer trois périodes dans la vie de Fortunato-Bartolomeo De Felice, né à Rome en 1723 (son acte de baptême date du 25 août). 1. Sa formation scientifique et un début de carrière universitaire en Italie, dont le coup d’arrêt a été marqué par une aventure sentimentale qui l’oblige à quitter son pays. 2. Son séjour à Berne à partir de 1757, durant lequel il se convertit au protestantisme et se lance dans le journalisme. 3. Son installation à Yverdon en 1762, où il fonde une maison d’édition avec une imprimerie et où il déploiera jusqu’en 1789 une activité éditoriale importante.

Tout au long de sa carrière, De Felice apparaît comme un médiateur culturel cherchant à faire circuler les Lumières par dessus les différentes frontières européennes.

Au sein du milieu éclairé napolitain, il projette une série d’ouvrages didactiques : des traductions en italien de grands textes contemporains, philosophiques ou scientifiques. Sous le titre de Scelta de’ Migliori Opuscoli... [Choix des meilleurs ouvrages... concernant les sciences et les arts qui intéressent la vie humaine], un seul volume paraît en 1755, offrant notamment le Discours de la méthode de Descartes et les Lettres sur les progrès des sciences de Maupertuis.

Réfugié à Berne, sous la protection de Haller, il crée deux périodiques : le premier, l’Estratto della Letteratura Europea (1758-1766), cherche à mieux ouvrir l’Italie à la culture européenne en proposant des comptes rendus, traduits en italien, d’ouvrages récents ; le second, l’Excerptum totius Italicae nec non Helveticae literaturae (1758-1762), choisit le latin pour faire connaître en Europe les productions savantes de l’Italie et de la Suisse.

Enfin à Yverdon, à côté des différentes contrefaçons d’ouvrages qui font marcher sa maison d’édition, l’Encyclopédie refondue qu’il propose participe également de cette volonté d’une large diffusion des savoirs à travers les aires culturelles de l’Europe. Comme d’autres de ses productions encore, à des échelles diverses : Mingard traduit de l’italien les Pensées sur le bonheur de Verri, que De Felice publie en 1766 ; la même année, l’éditeur fait paraître la traduction du Traité des délits et des peines de Beccaria par Morellet sous l’adresse fictive de « Philadelphie » ; les Lettres de Haller sur les vérités les plus importantes de la Révélation, paraissent en traduction à Yverdon en même temps que l’édition allemande, en 1772. Après l’Encyclopédie, De Felice lance le Dictionnaire universel raisonné de justice naturelle et civile (ou Code de l’humanité), qui paraît en 13 vol. in-4° entre 1777 et 1778 : l’ouvrage reprend des articles de son Encyclopédie mais ajoute de nombreuses contributions nouvelles, parmi lesquelles des apports du chevalier de Jaucourt. Il joue aussi un rôle non négligeable dans la diffusion des œuvres de Winckelmann en français : à travers des comptes-rendus dans son Tableau raisonné de l’histoire littéraire du dix-huitième siècle (1779-1783) et en rééditant lui-même, en 1784, deux œuvres de l’historien de l’art : les Lettres familières et l’Histoire de l’art chez les Anciens.

Indications bibliographiques

Ressources électroniques ou en ligne qui facilitent les recherches sur De Felice et sur l’Encyclopédie d’Yverdon

De Felice, Encyclopédie ou Dictionnaire Universel Raisonné des Connaissances Humaines, Yverdon, 1770-1780, édition électronique intégrale, Claude Blum (éd.), Alain Cernuschi (coordonnateur du Comité scientifique), Yverdon, Fondation De Felice / Paris, Champion électronique, 2003, 1 DVD-ROM.

Clorinda Donato, Inventaire de l’Encyclopédie d’Yverdon, librement accessible en ligne [consulter]

Correspondance de F.-B. De Felice [consulter]
Ce site librement accessible procure : l’inventaire et l’édition critique de la correspondance de De Felice, par Léonard Burnand ; le « Catalogue des livres imprimés à Yverdon par De Felice » sous forme de base de données ; une bibliographie complète et régulièrement mise à jour des « Travaux consacrés à F.-B. De Felice et à l’Encyclopédie d’Yverdon ».

Quelques études de référence

Jean-Pierre Perret, Les Imprimeries d’Yverdon au xviie et au xviiie siècle, Lausanne, F. Roth et Cie, 1945 [les pages 80 à 247 sont consacrées à De Felice et restent aujourd’hui encore une mine de renseignements]

Kathleen Hardesty Doig, Clorinda Donato, « Notices sur les auteurs des quarante-huit volumes de “discours” de l’Encyclopédie d’Yverdon », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 11/1 (1991), p. 133-141 [consulter]

Jean-Daniel Candaux, Alain Cernuschi, Clorinda Donato et Jens Häseler (dir.), L’Encyclopédie d’Yverdon et sa résonance européenne. Contextes – contenus – continuités, Genève, Slatkine, 2005, 504 p.

Un dossier sur l’Encyclopédie d’Yverdon et De Felice à la lumière de sa correspondance dans : Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 49 (2014), p. 87-143 [consulter la table des matières]

par Alain Cernuschi

Date de dernière mise à jour : 28 août 2017

Pour citer cette notice : Alain Cernuschi, « L'Encyclopédie d'Yverdon (1770-1780) », Suites et métamorphoses au xviiie siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

La Table du pasteur Mouchon (1780)

Ressources en ligne

Table analytique et raisonnée du Dictionnaire des sciences, des arts et des métiers , 2 vol. in-folio, 1780 :
t. I / t. II.

Pierre Mouchon est né à Genève le 30 juillet 1733, il y fait de bonnes études diversifiées et motivées (lettres, arts, sciences, religion...). Il est « consacré au ministère » le 18 août 1758 à Genève, prédicateur, régent de sixième, puis est élu, le 4 novembre 1766, deuxième pasteur de l'Église française de Bâle, où il prend ses fonctions fin mars 1767. Il est docteur en philosophie à l'université de Bâle le 6 novembre 1767. Peu lié à la société bâloise, qu'il n'aime pas et dans laquelle il s'ennuie, c'est par besoin d'argent pour sa famille qu'il y entreprend la Table de l'Encyclopédie. Mouchon revient enfin à Genève y ayant été élu pasteur le 6 mars 1778. Il meurt d'une attaque cérébrale le 20 août 1797.


Page de titre de la Table
du pasteur Mouchon, volume II.

Lors d'un voyage à Genève, Pierre Mouchon est contacté par les libraires-imprimeurs Cramer et de Tournes à l'automne 1772 pour envisager de rédiger une Table de l'Encyclopédie. Les conventions sont signées en juin 1773 : 500 louis d'or et un exemplaire, le terme étant fixé au 31 décembre 1776. Le travail se déroule en trois phases.

1. Il est commencé progressivement avant même les conventions au début 1773, puis à un rythme plus soutenu à partir du printemps 1773 jusqu'à la fin 1775 : il s'agit de l'analyse des articles dans l'ordre alphabétique (en moyenne 50 pages par jour) avec une première ébauche d'indexation.

2. Du début 1776 à la fin avril 1777, a lieu la révision de l'ensemble et la constitution des parties index.

3. De juillet 1777 à juillet 1778 environ, Mouchon confectionne la table du Supplément, suite à une nouvelle sollicitation.

Entre 1775 et 1777, Cramer et de Tournes passent l'affaire à Panckoucke. La Table de l'édition in-folio (Encyclopédie et Supplément ensemble) paraît, en deux volumes, en 1780. Cette Table est aussi adaptée et publiée par La Serre, en 1780-1781, pour l'édition in-4o.

Pour chaque entrée, on a donc en principe deux parties : la première est une « analyse », c'est-à-dire un résumé des idées contenues dans l'article en question ; la seconde est un relevé de ce qui concerne le même sujet à travers d'autres articles éparpillés de l'Encyclopédie et du Supplément. Mouchon a même ainsi créé quelques entrées, n'existant pas dans le dictionnaire lui-même, pour rassembler ce qui était dit à propos d'un mot non traité en propre dans l'ouvrage original. Il est ainsi la seule personne, depuis deux siècles et demi, à avoir lu entièrement et étudié l'Encyclopédie d'un bout à l'autre.

Indications bibliographiques

Pierre Mouchon, Sermons sur divers textes de l'Écriture Sainte, Genève, Bonnant, 1798, 2 vol.

Extraits de sa correspondance, RDE 33 (octobre 2002), p. 199-206 [avec ses correspondants bâlois] [consulter], 34 (avril 2003), p. 187-196 [avec Philippe Robin] [consulter], 36 (avril 2004), p. 141-159 [avec Antoine Mouchon] [consulter].

Pierre Crépel, « Peut-on enfin brûler le pasteur Mouchon ? », RDE 31-32 (avril 2002), p. 201-232 [consulter].

Pierre Picot, « Éloge historique de l'Auteur », dans P. Mouchon, Sermons, 1798, t. I, p. ix-xlviij.

par Pierre Crépel

Date de dernière mise à jour : 9 mai 2015

Pour citer cette notice : Pierre Crépel, « La Table du pasteur Mouchon (1780) », Suites et métamorphoses au xviiie siècle, Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie, http://enccre.academie.sciences.fr.

L'Encyclopédie méthodique (1782-1832)

Documents

Le mémoire circulaire de De Gua

Le 27 juin 1746, l'abbé Jean-Paul de Gua de Malves signe avec les libraires Le Breton, Briasson, Durand et David un « traité pour l'édition à faire d'un ouvrage intitulé Encyclopédie ou Dictionnaire universel des arts et des sciences traduit de l'anglais de Mrs Chambers et Harris ». Il en devient ainsi le responsable scientifique jusqu'au 3 août 1747, date de sa rupture avec les libraires. Avec l'aimable autorisation de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon, qui en conserve la seule version manuscrite connue dans ses archives (Ms 144, f. 103r-115v), nous reproduisons le « Mémoire circulaire des différentes choses que l'éditeur de l'Encyclopédie demande à ceux qui voudront bien l'aider dans cet ouvrage », dans lequel De Gua décrit le plan d'exécution de ce premier projet d'Encyclopédie à ses collaborateurs (ce document ne doit donc pas être confondu avec le premier prospectus de l'Encyclopédie diffusé par le libraire Le Breton en juin 1745).

Selon toute vraisemblance, Gua de Malves envoie ce « Mémoire circulaire » au secrétaire de l'Académie de Lyon, Jean-Pierre Christin (1685-1755), accompagné d'une lettre datée du 8 mars 1747. Sa rédaction date donc au plus tôt de juillet 1746 (après avoir passé contrat avec les libraires) et, au plus tard, du début du mois de mars 1747. La correction autographe portée sur la date de remise des manuscrits par l'abbé, ainsi que le début de la lettre à Christin, laisse cependant à penser que sa conception remonterait plutôt à l'année 1746.

>>> Consulter le document

L'affaire Tolomas (octobre 1753 - juin 1755)

L'affaire Tolomas est liée à la publication de l'article Collège dans le tome III de l'Encyclopédie (octobre 1753). Le 30 novembre 1754, le Père Tolomas, jésuite, prononce une harangue latine contre les encyclopédistes en général, et D'Alembert en particulier, insulté d'« Homuncio cui nec est pater, nec res » (le petit homme, qui n'a ni père, ni biens). Bien que le texte n'ait pas survécu jusqu'à nous, nous en connaissons l'essentiel grâce à Bourgelat, qui rapporte le « torrent d'injures » de Tolomas dans une lettre à Malesherbes du 2 décembre 1754, et à Voltaire, présent à Lyon également, dans une lettre à un avocat de Colmart du 6 décembre suivant. D'Alembert, mis au courant du discours de Tolomas, écrit directement à la Société royale de Lyon, à laquelle Tolomas appartient, afin de faire part de son indignation et de demander réparation.

Ce sont les coulisses de cette affaire que nous vous proposons ici de suivre, de la mobilisation du réseau de D'Alembert à la dimension politique que prend le problème pour la Société royale de Lyon, alors en pleine rivalité avec l'Académie des sciences et des belles-lettres de Lyon.

>>> Accéder à l'interface

Lettre de Diderot à Luneau de Boisjermain

Lettre non attestée de Diderot sur l’Encyclopédie :
une critique de l’Encyclopédie par son principal éditeur.

Jacques Proust et John Lough ont reproduit ce document « sous toutes réserves à cause de son origine suspecte » (Œuvres complètes de Diderot, DPV, p. 79 ; pour toutes les précisions sur le texte, voir leur note, ibid.). Il émane du dossier de Luneau de Boisjermain qui intenta un procès aux libraires de l’Encyclopédie (sur l’affaire, voir : A. M. Wilson, Diderot sa vie et son œuvre, Paris, Robert Laffont, 2014, p. 502-504 ; Diderot, Œuvres complètes, DPV, t. V ; J. Lough, « Luneau de Boisjermain and the publishers of the Encyclopédie », SVEC, 23, p. 174-177). Luneau fournit à charge contre eux ce texte dont il affirme qu’il a été rédigé par Diderot à destination de Panckoucke. On le trouve dans le factum intitulé Réponse de M. Luneau de Boisjermain au Précis des Libraires associés à l’impression de l’Encyclopédie, distribuée le 15 juin 1772, p. 10-13, et une seconde fois, dans un autre mémoire, 4 ans plus tard. Et Gerbier, avocat des libraires, écrivit à Diderot : « Qu’est-ce que cette critique de l’Encyclopédie que M. Pankouke [sic] a citée comme de vous dans un mémoire à M. de Sartine ? On en fait un grand étalage. » (Diderot, Correspondance, XI, p. 254)

Il est évident à la lecture, et malgré l’absence d’authentification formelle, que seul le principal éditeur et directeur de l’Encyclopédie, Diderot donc, peut avoir rédigé des conseils aussi précis, et une critique aussi sévère et aussi précise de l’ouvrage ; les éditeurs successifs de Diderot l’ont d’ailleurs toujours publiée.

NOTA BENE : Le texte disponible en ligne, reproduit ci-dessous, étant celui des Œuvres complètes de Diderot données par Assézat-Tourneux en 1875-77, les notes en sont parfois erronées, notamment en ce qui concerne l’identité des personnes ou des ouvrages cités : par exemple, à la fin du texte, la référence à « l’Encyclopédie de Chambers », alors que c’est du Trévoux qu’il s’agit.


Œuvres complètes de Diderot : rev. sur les éd. originales comprenant ce qui a été publié
à diverses époques et les ms. inédits conservés à la Bibliothèque de l'Ermitage
par J. Assézat
, t. 20, 1877, p. 129-134.
(Gallica, Bibliothèque nationale de France)

Chronologie de l'affaire Patte : pièces et documents

1. Le départ de Patte

9 juin 1759, d’après la date du reçu inséré dans la Réponse aux cahiers de l’Année littéraire, n° 35. 1759 et n° 4. 1760 que les Libraires associés de l’Encyclopédie obtinrent de faire paraître dans l’Année littéraire même (Année Littéraire, 1760, t. II, lettre II datée du 24 février, p. 45-48, publiée aussi dans Le Mercure de France, mars 1760, p. 189-192 et dans L’Observateur littéraire, p. 281-284).

Le texte des trois versions imprimées de cette pièce (dont le ms. est inconnu) ne diffère que par des variantes peu significatives.

Ci-dessous les trois versions imprimées : soit dans l’ordre chronologique celle de l’Année littéraire, de L’Observateur littéraire et du Mercure de France.

Transcription (le texte de base est celui de L’Année littéraire)

Je reconnais avoir reçu, par les mains de M. Briasson, la somme de six cent livres pour tous les soins, vérifications, conseils, transports ou autres, de quelque façon que ce soit, même tous temps employésA jusqu’à ce jour, y compris même les calques que j’ai faitesB pour l’Encyclopédie ; dont je suis parfaitement satisfait, dont je quitte ledit Sieur et sa Compagnie, soit que je les ai faites à Paris ou à la campagne. À Paris, leC 9 juin 1759. Signé Patte.

Remarques : La somme portée sur ce reçu (600 livres) correspond exactement à celle de l’item n° 984 du Registre des libraires (AN, U//1051, partie II, fol. 49v). C’est la seule qui concerne Patte sur ce document. Une imperfection de la transcription de Louis-Philippe May pouvait faire croire que cette somme avait été réglée auparavant, mais elle le fut bien le 7 juin 1759 (« Documents nouveaux sur l’Encyclopédie. Histoire et sources de l’Encyclopédie d’après le registre de délibérations et de comptes des éditeurs et un mémoire inédit », Revue de synthèse historique, n°15, 1938, p. 5-110, ici p. 71).

Sur la technique du calque évoquée dans cette pièce, voir l’article CALQUER, (Peinture. Dessein.) de Landois (t. II, p. 565) et les planches de gravure dans le t. V du Recueil des planches.

Bibliographie des études sur l'Encyclopédie

Études générales et volumes collectifs
[présentation par ordre chronologique]

Douglas Huntly Gordon et Norman Lewis Torrey, The Censoring of Diderot's "Encyclopédie" and the Re-established Text, Columbia University Press, New York, 1947.

Jacques Proust, Diderot et l’Encyclopédie (1962), rééd. Albin Michel, Paris, 1995.

Franco Venturi, Le origini dell’Enciclopedia, il capolavoro dell’Illuminismo, Torino, Einaudi, 1963.

Jacques Proust, L’Encyclopédie, Paris, Colin, 1965.

John Lough, Essays on the Encyclopédie, London, Oxford University Press, 1968.

John Lough, The Encyclopédie, 1971, rééd. Genève, Slatkine, 1989.

Richard N. Schwab, Walter E. Rex, John Lough, Inventory of the Encyclopédie, Oxford, SVEC, 6 vol., 1971-1972.

Sylvain Auroux et al. (éd.), L’Encyclopédie, Diderot, l’esthétique. Mélanges en hommage à Jacques Chouillet, Paris, PUF, 1991.

Madeleine Pinault, L’Encyclopédie, collection « Que sais-je ? », Paris, Puf, 1993.

Roland Schaer (dir.), Tous les savoirs du monde. Encyclopédies et bibliothèques, de Sumer au XXIe siècle, [livre-catalogue de l’exposition de la BNF présentée à l’occasion de l’ouverture du nouveau bâtiment sur le site de Tolbiac], Bibliothèque nationale de France / Flammarion, 1996.

Sylviane Albertan-Coppola et Anne Marie Chouillet (éd.), La Matière et l’Homme dans l’Encyclopédie, Actes du colloque de Joinville, Paris, Klincksieck, 1998.

Marie Leca-Tsiomis, Écrire l’Encyclopédie, 1999, Oxford, SVEC, rééd. 2008.

Robert Morrissey et Philippe Roger (éd.), L'Encyclopédie. Du réseau au livre et du livre au réseau, Champion, Paris, 2001.

François Moureau, Le roman vrai de l'Encyclopédie, Paris, Gallimard, 2001.

D. Brewer and Julie C. Hayes, Using the Encyclopédie, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 2002:05, Oxford, Voltaire Foundation, 2002.

Ulla Kölving et Irène Passeron (éd.), Sciences, musiques, Lumières. Mélanges offerts à Anne-Marie Chouillet, Ferney-Voltaire, Centre International d’étude du XVIIIe siècle, 2002.

Lectures de Jacques Proust, textes rassemblés par Muriel Brot et Sante A. Viselli, [Montpellier], Presses universitaires de la Méditerranée, 2008.

Marie Leca-Tsiomis (éd.), Diderot, l’Encyclopédie et autres études. Sillages de Jacques Proust, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2010.

Véronique Le Ru, L'Encyclopédie : 250 ans après, la lutte continue, Editions et presses universitaires de Reims, REIMS Cedex, 2016.

Alain Cernuschi, Alexandre Guilbaud, Marie Leca-Tsiomis, Irène Passeron, Oser l’Encyclopédie. Un combat des Lumières, Paris, EDP Sciences, 2017.

Études sur un domaine spécifique ou centrées sur un contributeur

Jean-Christophe Abramovici (éd.), Romanesque et Encyclopédie, PU de Valenciennes, Valenciennes, Les Valenciennes, n° 43, 2010.

Alain Cernuschi, Penser la musique dans l’Encyclopédie, Paris, Honoré Champion, 2000.

Luigi Delia, Droit et philosophie à la lumière de l’Encyclopédie, Oxford University Studies in the Enlightenment, Oxford, 2015.

Olivier Ferret, Voltaire dans l’Encyclopédie, collection « l’Atelier », Paris, Société Diderot, 2016.

Madeleine F. Morris, Le chevalier de Jaucourt. Un ami de la terre (1704-1780), Genève, Droz, 1979.

Gilles Barroux et François Pépin (éd.), Le Chevalier de Jaucourt. L'homme aux 17 000 articles, collection « l’Atelier », Paris, Société Diderot, 2015.

Daniel Teysseire, Pédiatrie des Lumières. Maladies et soins des enfants dans l’Encyclopédie et le Dictionnaire de Trévoux, Paris, Vrin, 1982.

Sur les encyclopédistes en général

Frank A. Kafker and Serena L. Kafker, The Encyclopedists as individuals : a biographical dictionary of the authors of the Encyclopédie, Oxford, SVEC, 1988.

Frank A. Kafker, « Notices sur les auteurs des 17 volumes de ‘discours’ de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 7 (oct. 1989), p. 125-150 [consulter] ; 8 (avril 1990), p. 101-121 [consulter].

Frank A. Kafker et Madeleine Pinault-Sørensen, « Notices sur les collaborateurs du recueil de planches de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 18-19 (oct. 1995), p. 201-230 [consulter].

Sur les planches

L'Encyclopédie Diderot et d'Alembert : Planches et commentaires présentés par Jacques Proust, Comité National du bicentenaire de Diderot, Hachette, 1985.

Roland Barthes, Robert Mauzi et Jean-Pierre Seguin (éd.), L’Univers de l’Encyclopédie. Images d'une civilisation – les 135 plus belles planches de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, Paris, Les Libraires associés, 1964 [Édition précédée de trois textes liminaires : R. Barthes, « Image, raison, déraison », p. 11-16 ; R. Mauzi, « Une souveraineté éphémère », p. 19-22 ; J.-P. Seguin, « Courte histoire des planches », p. 25-34 + J.-P. Seguin, « Notices sur les dessinateurs & les graveurs », p. 37-42.].

Georges Benrekassa, « Auctor in pictura : Réflexions sur deux planches de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, 5 (oct. 1988), p. 105-118.

Georges Benrekassa, « Décrire, écrire, instruire : l’ensemble “Epingle-Epinglier” dans l’Encyclopédie », chap. 6 de Le Langage des Lumières, Paris, PUF, 1995, p. 203-231.

Georges Benrekassa, « Mécanique et esthétique : mimesis et machines à rêver dans l’Encyclopédie », dans D. Gallingani et M. Tagliani (éd.), I Sogni della conoscenza. Les Rêves du savoir, Actes du séminaire de l’Université de Bologne – Paris 7 (Bologna, 1998), Firenze, CET, 2000, p. 1-17.

Raymond Birn, « Les mots et les images : l’Encyclopédie, le projet de Diderot et la stratégie des éditeurs », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 35, oct.-déc. 1988, p. 637-651.

Daniel Brewer, « The work of the image : the plates of the Encyclopédie », Stanford French Review, VIII 2-3 (fall 1984), p. 229-244.

Georges Huard, « Les planches de l’Encyclopédie et celles de la Description des Arts et Métiers de l'Académie des Sciences », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, 4/3 (1951), p. 238-249.

Nadine Lavand, « Qu’est-ce que relier ? Présentation et représentation des arts mécaniques au 18e siècle », Kairos, Revue de philosophie (P.U. du Mirail ; Toulouse), n° 14 [“Les Lumières et l’histoire”], 1999, p. 223-249.

Jean-Pierre Le Goff, « Science et techniques de représentation et représentation des sciences et techniques », dans A. Becq (dir.), L’Encyclopédisme (Actes Coll. de Caen, 1987), Paris, 1991, p. 371-386.

Jean-Louis Libois, « Scénographie des planches de l’Encyclopédie », dans L’Encyclopédie et ses lectures (Actes du colloque de Caen, 1985), E.N. du Calvados, 1987, p. 103-114.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Les planches de l’Encyclopédie. Texte et Image », L'Illustration, Essais d'iconographie, Actes du Séminaire C.N.R.S (GDR 712), Etudes réunies par Maria Teresa Caracciolo et Ségolène Le Men, Paris, Klincksieck, 1999, p. 213-229.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Diderot et les illustrateurs de l'Encyclopédie », Revue des arts, 66 (1984), p. 17-38.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Les chapitres artistiques des volumes de planches de l'Encyclopédie », Diderot, les Beaux-Arts et la Musique, Centre aixois d'études et de recherches sur le XVIIIe siècle, Actes du colloque international, Aix-en-Provence, 14-16 décembre 1984, Aix-en-Provence, 1986, p. 67-91.

Madeleine Pinault-Sørensen, « À propos des planches de l'Encyclopédie », Éditer Diderot, Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, n°254, Oxford, The Voltaire Foundation, 1988, p. 351-361.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Sur les planches de l'Encyclopédie de D'Alembert et Diderot », dans A. Becq (dir.), L’Encyclopédisme (Actes du Colloque de Caen, 1987), Paris, Aux Amateurs de Livres, 1991, p. 355-362.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Les métamorphoses des Planches : quelques exemples », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 12 (1992) p. 99-112 [consulter].

Madeleine Pinault-Sørensen, Bent Sørensen, « Recherches sur un graveur de l'Encyclopédie : Defehrt », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 15 (1993), p. 97-112 [consulter].

Madeleine Pinault-Sørensen, « À propos des Planches de l'Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, 15 (1993), p. 143-152 [consulter].

Madeleine Pinault-Sørensen, « La fabrique de l’Encyclopédie », dans R. Schaer (dir.), Tous les savoirs du monde. Encyclopédies et bibliothèques, de Sumer au XXIe siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France / Flammarion, 1996, p. 383-410.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Les quatre éléments dans les Planches de l’Encyclopédie », La Matière et l’homme dans l’Encyclopédie, Actes du colloque de Joinville, 10-12 juillet 1995, textes recueillis par S. Albertan-Coppola et A.-M. Chouillet, Paris, Klincksieck, 1998, p. 219-232.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Les planches de l’Encyclopédie. Texte et image », dans L’Illustration. Essais d’iconographie, Études réunies par Maria Teresa Caracciolo et Ségolène Le Men, Paris, Klincksieck, 1999, p. 213-230.

Madeleine Pinault-Sørensen, « Rôle et statut de l'image dans l'Encyclopédie », L'Encyclopédie ou la création des disciplines, sous la direction de Martine Groult, Paris, CNRS Editions, 2003, p. 131-151.

Madeleine Pinault-Sørensen, « L’Air dans les planches de l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et l’Encyclopédie, 44 (2009), p. 183-204 [consulter].

Madeleine Pinault-Sørensen, « Regarder les planches de l’Encyclopédie avec Jacques Proust », Diderot, l’Encyclopédie et autres études. Sillages de Jacques Proust, Centre international d’études du XVIIIe siècle, Paris, 2010.

Jacques Proust, « La documentation technique de Diderot dans l’Encyclopédie », Revue d'histoire littéraire de la France,‎ 1957/3, p. 335-352.

Jacques Proust, « Le peuple au travail d’après les planches de l’Encyclopédie », dans Images du peuple au 18e siècle (Actes du Colloque d’Aix-en-Provence, 1969), Paris, A. Colin, 1973, p. 65-85.

Jacques Proust, « L’article “*Bas” de Diderot », dans Langue et langages de Leibniz à l’Encyclopédie, Paris, 1977, p. 245-278.

Jacques Proust, Marges d’une utopie. Pour une lecture critique des planches de l’Encyclopédie, Cognac, Le Temps qu’il fait, 1985, non paginé [58 p.], 44 Pl.

Richard N. Schwab, Inventory of the plates, vol. VII, Oxford, SVEC, 1984.

Stephen Werner, « Les planches de Chambers », dans A. Becq (dir.), L’Encyclopédisme (Actes Coll. de Caen, 1987), Paris, 1991, p. 347-353.

Stephen Werner, Blueprint: A Study of Diderot and the Encyclopédie Plates, Birmingham (Alabama), Summa Publications, 1993.

Date de dernière mise à jour : 24 février 2018